La guerre de l'information autour du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes s'est déroulée dans un contexte complexe mêlant des enjeux politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Au cœur de la guerre de l'information se trouvait le projet controversé de construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Ce projet a suscité de vives oppositions de la part d'une coalition hétérogène d'opposants, comprenant des habitants locaux, des agriculteurs, des militants écologistes et des personnalités publiques, réunis au sein de plusieurs associations comme l’Acipa."
Une longue histoire...
Les tensions autour de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes remontent aux années 1960, lorsque le projet a été initialement envisagé pour répondre à la croissance du trafic aérien. Au fil des décennies, la résistance locale s'est intensifiée, avec des manifestations, des occupations de terrains et des affrontements avec les forces de l'ordre. En 2012, le gouvernement a annoncé la reprise des travaux, déclenchant une nouvelle vague de protestations. Malgré un vote positif à 57,6% au référendum de juin 2016, le gouvernement a abandonné le projet en 2018, mettant fin à des années de controverses et de luttes.
Les acteurs politiques et économiques mobilisés
Des acteurs publics ont soutenu la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, arguant de ses avantages économiques et de sa nécessité pour le développement régional. Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre français et ancien maire de Nantes, a longtemps soutenu le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le considérant comme un élément clé pour le développement économique de la région. Le président du Conseil départemental (PS) de la Loire-Atlantique, Philippe Grosvalet a porté le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes au nom du développement économique et de l'attractivité du territoire. A droite, Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, a été un ardent défenseur de la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mettant en avant les retombées économiques et la création d'emplois qu'il pourrait générer.
L’Ancien président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Xavier Beulin s’est aligné en faveur de la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, soulignant son importance pour l'agriculture et l'économie locale.
L'aubaine médiatique pour les partis écologistes
Plusieurs personnalités connues ont milité contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, apportant leur soutien aux opposants et participant activement aux manifestations et aux débats. José Bové, agriculteur et militant altermondialiste, a été l'une des figures emblématiques de la lutte contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il a participé à de nombreuses manifestations et actions de désobéissance civile contre le projet. Eva Joly, ancienne magistrate et femme politique franco-norvégienne s'est engagée aux côtés des opposants à l'aéroport, défendant les préoccupations environnementales et les droits des habitants locaux, tout comme l’ancien député et maire écologiste, Noël Mamère. De son côté, Yannick Jadot, homme politique et eurodéputé écologique français a été un fervent opposant au projet, mettant en avant les enjeux environnementaux et la nécessité de privilégier des alternatives plus durables. Le leader écologiste Nicolas Hulot s’est élevé très tôt contre le projet, soulignant les conséquences néfastes sur la biodiversité et le climat. Même si il a déclaré que “ce n’est la victoire de personne”, il aura eu raison du projet, puisque dès qu’il a été nommé ministre de la transition écologique et solidaire dans le gouvernement Macron, il a œuvré pour conclure cette affaire ancestrale en faveur dans anti-aéroports.
Sur quels terrains les pro et les anti aéroports se sont-ils affrontés ?
Les autorités locales et les décideurs économiques ont argué que l'aéroport stimulerait le développement économique de la région en créant des emplois et en attirant les investissements. Ils ont fait appel à la modernisation des infrastructures, l'outil en place étant jugé selon obsolète et insuffisant pour répondre aux besoins croissants du trafic aérien. La construction d'un nouvel aéroport aurait permis à l’époque de moderniser les infrastructures et d'améliorer la qualité des services. Du côté des entreprises et des investisseurs, on soulignait les opportunités d'affaires et d'expansion économique, en ouvrant de nouvelles perspectives dans le domaine du tourisme et du commerce. Les partisans de la mobilité ont milité pour une amélioration des transports et une plus grande accessibilité de la région, tant pour les voyageurs que pour les marchandises, en offrant des liaisons aériennes plus nombreuses et plus efficaces. Dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrue entre les régions, la construction d'un nouvel aéroport était perçue comme un moyen de maintenir la compétitivité de la région et d'attirer les investissements étrangers. La construction d'un nouvel aéroport s'inscrit dans une stratégie plus large d'aménagement du territoire, l'infrastructure visant à renforcer l'attractivité et la compétitivité du grand ouest dans un contexte régional, national et international.
Et chez les anti ?
Pour les habitants locaux, et notamment les agriculteurs, on s'oppose à la destruction de terres agricoles fertiles pour la construction de l'aéroport. Cette construction aurait un impact négatif sur les communautés locales, entraînant des déplacements forcés et des perturbations sociales. Les militants écologistes s'opposent eux au projet en raison de son impact sur l'environnement, notamment à cause de la destruction d'habitats naturels et la perte de biodiversité. Ils mettent en avant une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, contribuant ainsi au réchauffement climatique. Chez les organisations environnementales, on plaide en faveur de solutions alternatives, telles que la rénovation de l'aéroport existant ou le développement de modes de transport plus durables, comme le train. Certains défenseurs des droits de l'homme soulèvent des préoccupations concernant les violations des droits des habitants locaux, notamment le droit à un logement convenable et à un environnement sain. De nombreux citoyens engagés s'opposent au projet en raison de son manque de légitimité démocratique, soulignant le manque de consultation et de prise en compte des opinions des populations concernées.
Le bal des fake news...
Les fake news entourant l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ont été un élément perturbateur dans le débat déjà tumultueux sur ce projet. Parmi les fausses informations qui ont circulé, celles liées au coût de la construction de l'aéroport qui était beaucoup plus élevé que ce qui était réellement prévu, alimentant ainsi les inquiétudes concernant le gaspillage d'argent public.
Du côté des pro aéroport, on a tenté de minimiser l'impact environnemental du projet en manipulant les chiffres ou en diffusant de fausses études prétendant que la construction de l'aéroport n'aurait que peu d'impact sur les écosystèmes locaux. Enfin, certaines fake news ont propagé des théories du complot suggérant que les véritables motivations derrière la construction de l'aéroport étaient cachées au public et qu'il y avait des intérêts cachés à vouloir faire avancer le projet malgré l'opposition populaire. Ces fausses informations ont réussi à polluer
le discernement du grand public, entre la vérité et la désinformation.
Le journaliste Nicolas Beytout, dans un édito de l’Opinion, rappelle quelques perles de fake news autour de cette affaire. Le projet d'aéroport aurait été conçu « pour faire atterrir le Concorde », alors que le dernier avion de ce type s’est arrêté de voler le 24 octobre 2003… Le gouvernement de l'époque, affirmait-t-on encore, « a fait preuve d’esprit de décision, refusant de repousser à plus tard son choix », alors qu’il n’avait plus aucune possibilité de report puisque l’autorisation de lancer les travaux ne courait juridiquement que jusqu’à quelques semaines plus tard. « Un courage que n’ont pas eu les précédents gouvernements, de gauche comme de droite », argumentent ceux qui feignent d’ignorer que l’invraisemblable kyrielle de recours en justice ne s’est achevée qu’en 2012-2013 ; le moindre coup de pioche donné avant ce terme aurait été illégal.
Et les erreurs de communication
La bataille autour de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été marquée par plusieurs erreurs de communication commises, notamment par les partisans du projet, contribuant à leur difficulté à convaincre l'opinion publique et à surmonter l'opposition croissante. Ils ont souvent été critiqués pour leur manque de transparence dans la communication des informations relatives au projet, notamment en ce qui concerne les coûts réels, les études d'impact environnemental et les alternatives envisagées. Ce manque de transparence a alimenté les suspicions et les doutes quant à la légitimité et à la viabilité du projet. Ainsi, les élus locaux et les décideurs économiques ont échoué à établir un dialogue constructif et inclusif avec les parties prenantes concernées, notamment les habitants locaux, les agriculteurs et les militants écologistes. Ce manque de communication a contribué à l'escalade des tensions et à l'opposition croissante au projet. A cela s’ajoute une minimisation des préoccupations environnementales soulevées par les opposants, les qualifiant de "rétrogrades". Les aspects économiques du projet, mettant en avant les retombées financières et les opportunités d'emploi étaient souvent les seuls arguments mis en avant. Mais cette approche a négligé les préoccupations sociales, environnementales et démocratiques, qui étaient au cœur des objections des opposants. Enfin, les partisans du projet ont parfois été lents à s'adapter aux évolutions du débat public et aux changements de climat politique, ce qui les a rendus moins réactifs aux préoccupations et aux attentes de l'opinion publique. A cela s'ajoutent des bourdes de communication de journalistes, comme celle de Jean-Jacques Bourdin, qui tweete sur la fin du projet avant l’annonce officielle. Information démentie par l’Elysée. Ou encore un gendarme démasqué alors qu’il portait un brassard presse. Pire encore et dénoncé par l'observatoire des médias Acrimed, des traitements journalistiques sur France 2, très orientés avec des “reprises de sources militaires sans contradiction ni recul, manipulation d’images hors contexte, fausses exclusivités présentant les zadistes comme armés jusqu’aux dents… Ou comment certains journalistes se sont faits les chargés de communication de la gendarmerie”.
Enfin le sujet faisant vendre du papier, certains journaux comme le JDD, n'hésitent pas à mettre en scène des situations ou à présenter comme “scoop” récents des photos d’archives datant de plusieurs années.
Source Lundi.am
Quand les pixels deviennent des armes
La bataille autour du projet controversé de l'aéroport à Notre-Dame-des-Landes n'a pas seulement lieu sur les terres disputées, mais aussi sur les écrans. Une guerre de l'information intense s'est en effet déclarée, où les hashtags sont devenus des barricades et les likes des munitions. Sur les réseaux sociaux, les camps se sont affrontés avec virulence. Les militants ont investi massivement le terrain numérique, produisant des vidéos, des articles de blog et des infographies pour sensibiliser et mobiliser. Les hashtags comme #ZAD ou #NonALaAeroport sont devenus des fers de lance dans cette bataille pour l'opinion publique. Dans cette guerre virtuelle, le SEO (Search Engine Optimization) devient une arme redoutable. Les deux camps rivalisaient pour obtenir une meilleure visibilité dans les résultats de recherche, utilisant des tactiques sophistiquées pour gagner en influence en ligne. Les tribunaux ne sont alors pas seulement sur le terrain, mais aussi sur la toile. Les deux parties se livrent à des joutes légales pour faire retirer des contenus jugés diffamatoires ou trompeurs, tandis que les “hacktivistes” défendent farouchement leur liberté d'expression en ligne.
Dans cette guerre de l'information à Notre-Dame-des-Landes, chaque clic, chaque partage, chaque commentaire comptait comme une bataille gagnée ou perdue. Et dans cette ère numérique, la victoire se mesure autant en pixels qu'en hectares.
Ainsi, le manque de maîtrise des outils de communication digitaux, a rendu fragiles les pro aéroport, face à une armée de “combattants” organisés en communauté active sur les réseaux sociaux, avec notamment de faux comptes twitters très actifs.
Qui a gagné ?
Pour analyser qui a gagné cette guerre informationnelle, examinons les différents éléments en jeu. Les opposants ont réussi à mobiliser une large coalition d'acteurs, notamment des habitants locaux, des militants écologistes, des personnalités publiques et des organisations non gouvernementales, ce qui leur a donné une forte visibilité médiatique. Les partisans du projet ont également mené des campagnes de communication, mais ils ont eu du mal à égaler la mobilisation et la visibilité de leurs opposants, en particulier sur le plan national et international. L'opposition au projet d'aéroport a bénéficié d'un soutien politique croissant, avec des élus locaux, régionaux et nationaux prenant position contre le projet. Malgré cela, le gouvernement français a maintenu son soutien initial pendant de nombreuses années, alimentant les tensions et les conflits.
Bien que les partisans du projet aient également mené des campagnes de communication, ils n'ont pas réussi à contrer efficacement la mobilisation et l'opposition croissante à l'aéroport. Les opposants étaient plus nombreux, plus mobilisés et depuis plus longtemps. Le mouvement qu’ils ont créé à Notre Dame des Landes est devenu un symbole des zones à défendre en France et en Europe. Au-delà du sujet d'aéroport, le narratif portait un combat plus global de lutte contre les pouvoirs en place, contre la bétonisation, et pour la préservation de l'environnement. Ces thèmes étant très suivis par d’autres collectifs, le renfort est venu de loin, ceux ne pouvant être sur place, “luttant” à distance sur les réseaux. Les pro aéroport, convaincus de leur bon droit n’ont pas mobilisé autant et se sont organisés tardivement, avec une mise en œuvre longue de leur riposte digitale.
Finalement, en 2018, le gouvernement français a annoncé l'abandon du projet d'aéroport, cédant à la pression et aux protestations des opposants. Cette décision a été largement interprétée comme une victoire pour les opposants au projet.
Yannick Perrigot,
étudiant de la 42ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)
Pour aller plus loin :
NDDL. Qui mène la bataille sur les réseaux sociaux ? (Ouest France)
Le vote du référendum
Les institutions au service de la cause "anti NDDL" :
> les forces de l'ordre qui portent des brassards presse : https://www.tf1info.fr/societe/des-gendarmes-journalistes-a-notre-dame-des-landes-la-polemique-symbolique-de-la-bataille-d-images-de-la-zad-2084455.html
Nicolas Hulot : ‘Ce n’est la victoire de personne”
https://www.lejdd.fr/politique/nicolas-hulot-sur-notre-dame-des-landes-je-pense-que-ce-nest-la-victoire-de-personne-18025#:~:text=Publicit%C3%A9-,Nicolas%20Hulot%20sur%20Notre%2DDame%2Ddes%2DLandes%20%3A%20%22,'il%20s'en%20d%C3%A9fende.
La presse au service du pouvoir (et de la réalisation du projet) : https://www.acrimed.org/Desinformation-sur-la-ZAD-de-Notre-Dame-des
https://www.snj.fr/article/notre-dame-des-landes-circulez-y%E2%80%99-rien-%C3%A0-voir-691583996
Le pouvoir de lobbying sur les réseaux sociaux autour de NDDL :
L’affaire de l’appel d’offre des institutions pour gérer leurs réseaux sociaux
Le potentiel de lobbying des réseaux sociaux
La bataille de la communication autour du projet de NDDL
https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/notre-dame-landes-bataille-communication-1457177.html
Le JDD au service de la thématique de “l’ultra violence” : https://www.acrimed.org/Desinformation-sur-la-ZAD-de-Notre-Dame-des
Fake News JDD, avec photos anciennes
La guerre de communication du gouvernement
Comment s’est organisée la lutte contre NDDL ?
https://basta.media/Notre-Dame-des-Landes-retour-sur-un-mouvement-ecologique-et-social-victorieux
Les opérations à Notre-Dame-des-Landes coûtent 300 000 euros par jour à l'Etat