L'autonomie des Antilles peut-elle être le paratonnerre face aux revendications ultramarines ?
Selon le ministre des Outre-mer, le gouvernement Macron, s’est dit prêt à parler de l'autonomie des Antilles... lors du pic de la crise de la pandémie. Par cette déclaration, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, a créé un espace de discussion décorrélé des questions pour lesquelles les grévistes attendent des réponses. Il a ainsi mis en place un environnement de discussion destiné à l'avantager dans les négociations, en essayant de semer la discorde entre les grévistes et au sein de la population, en déplaçant le centre du débat. Une prise de parole en connaissance de cause, en connaissant le potentiel impact de cette thématique.
Lors de des déplacements aux Antilles, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu était attendu sur les problématiques suivantes :
- - Le décrochage économique des Antilles par rapport aux territoires hexagonaux
- - Le manque de repères dans la société pour des populations fragilisées
- - Une crise sanitaire qui en cache une autre et le manque de confiance de la population
- - Les problèmes environnementaux récurrents
- - Une inégalité de traitement entre les territoires
- - Une meilleure représentativité dans les organismes de décision
Le décrochage économique des Antilles par rapport aux territoires hexagonaux
Ces petits bouts de France des Outre-mer rencontrent depuis des dizaines d’années des difficultés économiques, sociales, sanitaires, environnementales, identitaires... Afin de détourner l'attention des problématiques économiques et de "la vie chère", le ministre des Outre-mer a positionné le débat sur l'autonomie. Cette piste de réflexion aussi spectaculaire soit-elle, ne répondait pas aux problèmes socio-économiques qui minent lune grosse partie de la population des Antilles.
La vie chère [1] est une réalité, où les produits alimentaires sont 42% plus onéreux qu'en métropole, la téléphonie 60 % plus chère. Les salariés de la fonction publique ont une prime spécifique de 40% pour compenser cette « vie chère ». La population sur place se débrouille avec des salaires moyens, relativement faibles par rapport à la moyenne nationale.
Le chômage endémique des départements ultramarins n’a aucune approche s’inscrivant dans la durée. Le chômage touche 35 % des 15-29 ans [2] en Guadeloupe et 17% des actifs. Les propositions gouvernementales présentées comme des mesures fortes par le ministre S. Lecornu, sont essentiellement du saupoudrage avec la création d’emplois-jeunes...
Deux options se présentent : construire un développement économique ou faire du transfert social. Ce que demande la population locale, ce sont des mesures reposant sur l’option de développement économique. L’option du ministère est de faire du transfert social en s’assurant d’une large couverture médiatique.
Ce qui fait aujourd’hui de l’économie antillaise, une économie inégalitaire et très concentrée.
Le manque de repères dans la société pour des populations fragilisées
Ce manque de repères se traduit par une forte insécurité et une violence bien supérieure à celle de l’hexagone.
Le contexte de chômage important, conjugué avec la situation géographique des Antilles françaises sur la « route de la cocaïne », [3] se traduit par un manque de perspectives au quotidien.
Les jeunes qui sont principalement au centre de cette violence ont très peu d’ambition en ce qui concerne leur avenir. Le sentiment d’une partie de la population est de ne pas avoir d’issue, avec peu de modèles positifs qui sont incarnés. Il n’y aurait donc pour ceux-ci, aucun cheminement permettant d’endiguer la violence, les trafics multiples, ainsi qu’une importante circulation des armes ? Voici une thématique où il est nécessaire d’avoir « mieux d’état » et non de l’autonomie pour les natifs de l’Outre-mer. Il s’agit là du futur de ces territoires.
Le taux d’homicide est de 8 pour 100 000 habitants à la Guadeloupe [4], alors qu’il n’est que de 1,4 pour l’ensemble de la France. Ce qui positionne la Guadeloupe au niveau terrible de l’Erythrée ou du Nicaragua et devant le Pakistan. L’accueil des forces de l’ordre par les armes à feu est surprenant, voire choquant, mais reste l’environnement de beaucoup de familles qui attendent des réponses concrètes.
Une crise sanitaire qui en a caché une autre et le manque de confiance de la population
Les Antillais affichent une forte défiance vis-à-vis des vaccins contre la COVID 19. Mais d’où vient cette défiance ?
Premiers éléments d’explication : durant une vingtaine d’années, la population antillaise a été consciemment contaminée par un insecticide [5] utilisé pour la culture de la banane : le chlordécone. Les ouvriers agricoles en premier lieu, tout comme l’ensemble de la population (95 %) sont contaminés par l’utilisation illégale de ce produit. Cette réalité, qui s’avère aujourd’hui être un scandale sanitaire, a longtemps été négligée voir ignorée des autorités françaises.
Les personnes contaminées ont été contraintes de fournir la preuve de leur contamination, car la première posture de l’Etat français, à travers son Président Emmanuel Macron, a été de nier [6], ceci malgré les montagnes de preuves (études épidémiologiques, publications scientifiques…). Ce qui a amené ce dernier à un rétropédalage rapide devant l’évidence. Seulement, le ton était donné, et la faible considération des élites pour ces Français d’Outre-mer était imprimée dans les esprits. La tâche sera compliquée et les responsabilités pourront probablement ne jamais être établies.
Même si le Président reconnaît aujourd’hui la contamination au chlordécone comme une maladie professionnelle, qu’en est-il des sols et des nappes phréatiques souillées ? D’ailleurs, l’Assemblée nationale n'examinera pas la Proposition de loi pour la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone. [7 et 8].
Il en va de même pour l’eau potable, qui est l’un des problèmes sanitaires les plus emblématiques en Guadeloupe. Une eau parfois impropre à la consommation, sans responsabilité assumée, dans un système de distribution sans maintenance depuis 30 ans associé à de la mauvaise gestion. 61 % de la production d’eau potable est perdue à cause des fuites dans le réseau. 70 % des stations de traitement des eaux usées ne sont pas aux normes nationales. [9] Des coupures d’eau pour les foyers, les hôtels, les entreprises de façon régulière alors que les consommateurs payent leur facture d’eau.
Là encore, la population attend une implication totale de la puissance publique par ses députés, son ministre des Outre-mer et le gouvernement en place. Comment appliquer pleinement les mesures de confinement, de sécurité sanitaire sans eau potable ? [10]
Les problèmes environnementaux récurrents, et une inégalité de traitement entre les territoires
Concernant le volet environnemental, la posture « d’inaction » semble la plus appropriée. Une posture adoptée pour les sargasses, une algue toxique qui envahit les côtes et les plages, causant des désagréments aux populations et freine l’économie touristique. Ce sujet a longtemps été perçu comme un non-sujet par les autorités nationales, ainsi que pour le ministère responsable de l’environnement.
Ces algues toxiques ont pour origine la destruction massive de la mangrove d’Amérique latine [11] qui n’arrive plus à filtrer correctement les nutriments provenant des fleuves.
Il fallut attendre quasiment une dizaine d’années pour que les autorités françaises s’y intéressent réellement. "Une calamité dont nous n'avons pas pris toute la mesure", [12] disait en 2018 N. Hulot alors ministre de la Transition écologique.
L’une des premières mesures importante et d’envergure fut l’organisation d'une conférence internationale en Guadeloupe en 2019 [13], afin de partager les avancées en matière de recherche, de mise œuvre des plans de lutte contre les sargasses. Un élan et un intérêt qui se sont un peu perdus avec le changement de ministre et la crise COVID.
La population locale a vécu la démonstration par l’absurde inhérente à cette pandémie comme un dédain des autorités, avec une latence énorme dans la prise en compte des difficultés rencontrées par les départements ultramarins. Le choix par exemple de ne pas déclarer ce phénomène de catastrophe naturelle, a amplifié le sentiment que les territoires des Outre-mer ne font pas l’objet de la même appréciation et du même traitement que les territoires hexagonaux.
Une meilleure représentativité dans les organismes de décision
L’explication du ministre S. Lecornu à la suite des différentes interrogations portant sur sa sortie sur l’autonomie des ultra-marins aurait pour origine des échanges où « ses interlocuteurs exprimaient en creux » le souhait qu’ils puissent proposer et qu’ils puissent être capable d’adapter des décisions prises depuis Paris à un contexte local particulier. Ce qui revient à dire en résumé, que les Outre-mer sont assez bien placées pour appliquer par eux même certaines décisions en connaissant le contexte existant. Pourquoi ?
Les agences et organes de décision (INSERM, INRA, ANSM, Sécurité sociale, Pôle Emploi, DRAEL…) ont à leur tête des professionnels venant de la métropole pour une mission de 5 ans, alors que des ultramarins ayant suivi les mêmes formations n’occupent jamais ces responsabilités. Une vague impression d’être dans une relation de subordination perpétuelle.
Pour ces personnes en mission, la priorité reste une application simple et absolue des directives parisiennes. L’interculturalité ne rentrant pas ou peu en ligne de compte dans la matrice d’analyse ultramarine. D’où la conclusion hâtive et erronée d’un souhait d’autonomie refusé à 79 % [14] il y a une douzaine d’années.
Finalement, l’approche ministérielle a payé. Sa stratégie, qui a été de mobiliser l’attention médiatique sur un autre sujet durant quelques jours, a fonctionné. La grève qui s’est poursuivie, n’est plus été un sujet médiatique. Cependant les mêmes revendications et les mêmes difficultés subsistent.
Alors que se dessinait l’opportunité de mettre en place une conduite de la gouvernance plus pertinente, l’autorité de tutelle n’a pas saisi l’occasion de faire de l’intelligence territoriale une dimension du développement territorial.
Le paratonnerre « autonomie des Antilles » qui a été déployé a permis de stopper l’amplitude médiatique qui se mobilisait, en mettant en avant d’autres sujets d’actualité, afin de garder le statu quo et favoriser l’enlisement.
Marc Morvany
Auditeur en MSIE - Executive MBA en Management Stratégique et Intelligence Economique
Sources :
- Le Monde - le gouvernement « prêt à parler » de « l’autonomie » de la Guadeloupe.
- INSEE - En 2015, les prix dans les DOM restent plus élevés qu'en métropole.
- INSEE - En 2020, l’emploi se maintient en Guadeloupe grâce au chômage partiel.
- OFDT – Les Antilles françaises et la Guyane : sur les routes du trafic international de cocaïne (Michel Gandilhon, David Weinberger, 2016).
- Marianne.net – « Jeunesse sacrifiée, vie chère... La crise antillaise est avant tout économique et sociale » (Jean-Loup Bonnamy, 2021).
- Rapport d’information de l’Assemblée nationale – sur l’utilisation du chlordécone et des autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne (Joël Beaugendre, 2005).
- EGE Infoguerre - Guerre informationnelle autour de la crise du Chlordécone (Omer Bourret, 2019).
- FranceTV Info - L'Assemblée nationale n'examinera pas la Proposition de loi pour la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone (2019).
- Assemblé Nationale - Proposition de loi « tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique » (H. Vainqueur, S. Letchimy, J. Manin, V. Rabault, D. Potier, 2018).
- Geo.data.gouv.fr - Conformité des Stations de traitement des Eaux Usées (2017).
- INA - La crise de l'eau en Guadeloupe, un vieux problème (Rédaction de l’INA, 2021).
- Parc national de la Guadeloupe - Sargasses, causes et conséquences.
- Géo - Sargasses : "une calamité dont nous n'avons pas pris toute la mesure" (AFP, 2018).
- Hôtel de Matignon - La lutte contre les sargasses dans la Caraïbe passe par des actions de coopération à l’échelle du bassin océanique (Service communication, 2019).