Lors du discours du 21 octobre 2020 en hommage au professeur Samuel Paty, assassiné à Conflans, le Président de la République française a réaffirmé sa volonté de « ne pas renoncer aux caricatures même si d'autres reculent ». Par la même occasion, les villes de Toulouse et Montpellier ont fait le choix de projeter sur les façades des hôtels de région les couvertures du magazine Charlie Hebdo qui avait été touché par un attentat le 7 janvier 2015, tuant douze personnes.
A la suite de ce discours et ces projections, de nombreuses voix se sont élevées contre ; aussi bien au niveau de représentants politiques, que des médias sociaux ou encore de la presse, notamment dans les pays musulmans appelant au boycott des produits français.
Le terme de guerre informationnelle dans le cas actuel peut se définir comme un ensemble de méthodes permettant d’utiliser une information à son avantage contre un concurrent ou un pays. Ces méthodes et actions visent à infliger un dommage à un adversaire ou à se garantir une supériorité par l’usage de l’information.
En ce qui concerne le terme de boycott, celui-ci sous-entend une « action de refuser d'acheter un produit en particulier, cessation volontaire de toute relation avec un groupe, un État, ou une entreprise en signe de représailles ». Dans le cas présenté, le Président turc Receip Tayyip Erdogan, à la suite du discours d’Emmanuel Macron a décidé d’engager un boycott des produits français en signe de désaccord. Or, ce boycott peut être qualifié de guerre informationnelle, car il a largement été relayé par les médias.
Au travers du boycott des produits français en Turquie, on retrouve un aspect diplomatique et culturel, car ils opposent deux pays : la France et la Turquie. D’un côté de l’échiquier on retrouve la France avec sa culture de la liberté d’expression et de la caricature, même si celle-ci a connu moult remous. De l’autre côté, la Turquie qui a connu une époque de grande proximité avec le continent européen (Atatürk). Celle-ci connait depuis plusieurs années, de régulières condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Ces condamnations concernent la liberté de la presse et d’expression défendues par des journalistes turcs. Nous avons donc ici deux « visions » qui s’opposent.
Les leviers de cette guerre de l'information
Afin de mener à bien cette guerre informationnelle, il est important dans un premier temps de se concentrer autour d’un personnage central : le président turc Recep Tayyip Erdogan. Il est un personnage charismatique, ce qui lui a permis d’avoir une plus grande visibilité lors de son appel au boycott des produits français. Par la suite, cela a été relayé par les réseaux sociaux notamment par Twitter, montrant des photos de manifestations anti-Macron, ou encore de supermarchés dans lesquels les rayons de produits français ont été retirés en signe de désaccord. Les médias dits « traditionnels » tels que la presse écrite ou la télévision ont également eu leurs rôles à jouer dans ce boycott.
Le recours à un personnage charismatique : Recep Tayyip Erdogan
Avant toute chose, il faut reconnaitre une chose, que l’on aime ou que l’on déteste le personnage, tout le monde a déjà entendu parler de ce président, ce qui en fait un acteur de choix.
Un autre avantage qu’il possède, c’est qu’il sait qu’il a une portée internationale, notamment dans les pays du Moyen-Orient ou d’Afrique. Il sait également qu’il a des partisans non seulement dans son pays, mais également dans d’autres pays musulmans ou même non musulmans. En effet, à l’heure actuelle les médias sociaux transcendent les frontières géographiques et terrestres (sauf exception), peu importe l’endroit où un individu se trouve, s’il désire avoir une information, s’il sait comment la chercher, il la trouvera.
Il faut également reconnaitre que depuis la fin des années 2000, M. Erdogan a pour objectif de « redonner son âge d’or » à la Turquie. Cet âge d’or correspond à l’époque de l’empire ottoman, qui était alors un empire particulièrement admiré et craint par les pays voisins.
De ce fait, suite aux déclarations d’Emanuel Macron lors de son discours en hommage à Samuel Paty, ce dernier s’est posé en défenseur des musulmans. Il s’était déjà présenté comme tel en 2017 lorsque les États-Unis d’Amérique avaient décidé de reconnaitre Jérusalem comme la capitale d’Israël. Le président turc tente de s’imposer en tant que leader du Moyen-Orient. Dès l’instant où nous avons ce premier élément déterminant qui est d’avoir un personnage charismatique, il ne reste plus qu’à relayer ce message.
Le rôle des médias
Si la Turquie est régulièrement condamnée par la CEDH en ce qui concerne la liberté de la presse, ce n’est pas sans raison. En effet, la plupart des journalistes ne sont pas libres sur le choix de leurs articles, s’ils ne coopèrent pas ils peuvent se retrouver virés du jour au lendemain…et si cela arrive il est particulièrement compliqué pour eux de retrouver un emploi.
De plus, une grande partie des médias et journaux présents en Turquie sont pro-Erdogan (par choix ou par nécessité). De ce fait, dès l’instant où le président turc fait ou dit quelque chose, ses propos se retrouveront forcément publiés ou en une des journaux. Il y a très peu de journaux s’opposant au président, les journalistes qui n’ont pas désiré rejoindre la ronde ont pour la plupart fui le pays ou ont connu des mésaventures avec la justice turque.
En effet, il faut prendre en compte le fait qu'il existe des chaînes de télévision nationale adhérant et transmettant les informations qu’Erdogan souhaite. C’est notamment le cas de la chaîne « A Haber » celle-ci au départ lors de sa création en 2011 n’avait pas cet objectif, mais suite à son rachat par un proche collaborateur d’Erdogan son utilisation a changée. Ainsi, celle-ci est régulièrement pointée du doigt pour des articles annonciateurs de fausses nouvelles qui se retrouvent mélangées à d’autres informations qui sont vraies.
Pour autant, il existe un Conseil supérieur de radio et de télévision (RTUK) qui est en charge de surveiller et de censurer tout ce qui concerne des fake news etc. Or, si l’on regarde sa structure et son fonctionnement le président du RTUK est officiellement élu mais dans les faits il est fort à parier que ce choix soit motivé politiquement. Ce conseil contrôle tout : les chaines de télévisions, Twitter, YouTube etc. Si l’on se concentre sur les choses qu’ils censurent la plupart d’entre-elles concernent : le président turc de près ou de loin (sa politique, l’image de la Turquie à l’international, ou encore plus récemment le #helpturkey etc.).
A la suite du discours du président français, l’indignation du président turc a été très largement relayée sur les médias et ce très facilement (twitter - journaux - programme tv). Le nom de toutes les marques françaises à boycotter ont été publiées sur Twitter.
Les médias sont totalement contrôlés et orientés, non pas pour transmettre des informations véridiques mais pour répondre à un besoin ou à un but spécifique qui est celui de montrer sur un plan international que la Turquie est forte.
Quelle fut la réaction de la France face à cette guerre informationnelle ?
La réaction et la posture qu’ont adopté la France à la suite de ce boycott fut mou. L’une des premières réactions fut de rapatrier l’ambassadeur français de Ankara à Paris, ce qui est un symbole fort diplomatiquement parlant, mais qui hélas ne s’inscrit pas dans une guerre informationnelle.
La seconde réaction fut de condamner les propos tenus par Erdogan, une déclaration de la porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères fut également publiée dans les médias et journaux « ces appels au boycott dénaturent les positions défendues par la France en faveur de la liberté de conscience, de la liberté d’expression, de la liberté de religion et du refus de tout appel à la haine (…) », malgré la véracité des propos, ce style de message est beaucoup moins marquant et médiatique que des images de supermarchés avec des rayons de produits agroalimentaires français vides. La stratégie adoptée par la France a été de se défendre, face à cette attaque et non pas de répondre en utilisant les mêmes moyens, c’est-à-dire en usant de la guerre informationnelle. De ce fait, la position adoptée par la France ne relève pas à proprement parler de la guerre informationnelle, telle que précédemment évoquée.
Dans cet affrontement, il n’y a eu à proprement parlé ni vainqueur, ni vaincu. L’économie turque est en chute libre depuis plusieurs années. En effet, en 2018 : 1€ équivalait à 4 ou 5 livres turques (tv), désormais en 2021 : 1€ équivaut à 11 livres turques (tv). En ce qui concerne la commercialisation des produits français en Turquie (agroalimentaires et autres), ces derniers ne sont accessibles que pour une classe aisée. Or, cette classe aisée est pour une grande partie très occidentalisée (études à l’étranger etc.) et laïque, suivant les pas laissés par Mustafa Kemal Atatürk. De ce fait, cet appel au boycott n’a pas trouvé de réel écho, dans les consommateurs ou du moins ce ne fut que de courte durée. La seule chose qu’a pu obtenir Erdogan en lançant une telle guerre informationnelle, a été de continuer à creuser un écart idéologique qui était déjà existant au sein de son propre pays et de renforcer son aura auprès des musulmans les plus pratiquants.
Adeline Viguié
étudiante de la formation initiale SIE25