L'affrontement informationnel entre Elon Musk et Twitter
Les dernières élections présidentielles américaines de novembre 2020 ont plus que jamais démontré le rôle central et déterminant des réseaux sociaux pour la conception et l’élaboration de groupes d’opinion, ainsi que pour le renforcement idéologique et opérationnel de groupes sociaux ou politiques déjà constitués. Mais cette dernière élection présidentielle américaine a été fortement marqué par l’émergence d’une sorte de « police de la pensée » qui a œuvré plutôt en faveur des démocrates et qui semblait avoir pris le dessus sur les faiseurs et les relais d’opinion du camp républicain. En se lançant à l’assaut de Twitter, Elon Musk a démontré qu’un discours critique alimenté par les erreurs commises par Donald Trump pouvait être pris à revers de sa légitimité moralisatrice, à cause des dérives démagogiques de ses points d’appui cognitifs en apparence les plus puissants.
Une position de tendance wokiste a priori imprenable
Twitter dispose d’une position quasi monopolistique de fait et revêt un rôle stratégique dans le débat politique et sociétal américain en particulier. Twitter, par ses arbitrages sur la liberté d’expression et la gestion des « fake news » a démontré un prisme libéral (au sens américain du terme) tendance « wokiste ».
Suivant les incidents post élections sur le Capitol, début janvier 2021, Twitter a pris la décision de clôturer le compte Twitter du Président Trump. Décision avec un retentissement colossal au sein des Etats-Unis d’Amérique, mais aussi du monde entier.
Le modèle mondial autoproclamé de la liberté d’expression et du débat démocratique version américaine, se trouvant ainsi dévalorisé et muselé par l’action d’une entreprise privée.
Elon Musk, entrepreneur de génie, est un habitué des réseaux sociaux, et de Twitter en particulier. A plusieurs reprises, il a prouvé son goût pour ce média et son aisance à l’utiliser, très majoritairement dans le cadre de la promotion de ses activités économiques, notamment pour mettre en avant les réalisations de Tesla, de Space X ou le potentiel révolutionnaire des crypto monnaies et du bitcoin en particulier.
Se présentant régulièrement comme un libertarien, et par conséquent comme un fervent défenseur de la liberté d’expression, Musk a parfaitement intégré le spectaculaire du débat sociétal moderne, ou effet de buzz et amnésie se succèdent. Ses prises de position sur Twitter ont à plusieurs reprises influencer le cours de bourse de Tesla ou Space X ou bien la valorisation du Bitcoin.
L'exploitation des contradictions d'une nouvelle police de la pensée par Elon Musk
Au début du printemps 2022, Elon Musk a annoncé sa volonté de racheter Twitter en arguant de sa volonté de rétablir la neutralité idéologique de la plateforme et surtout de garantir la liberté d’expression. Le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine quelques semaines plus tôt, et l’approche des élections de « mid-term » à l’automne 2022 assurant un champ de polémiques sociales et politiques propices à la plateforme et pour Musk une fenêtre pour son offensive médiatique. Elon Musk occupa alors de façon permanente le champ médiatique global et Twitter en particulier. Deux axes principaux ont structuré sa communication :
- Promouvoir le caractère éthique de son parcours, de ses actions et de sa personnalité afin de fixer dans l’opinion publique l’idée que sa volonté de rachat de Twitter est une action motivée par le souci du bien commun et la défense de valeurs humanistes comme la liberté d’expression. Il fit régulièrement la promotion de ses actions de soutien au gouvernement ukrainien, notamment la mise à disposition de son réseau satellitaire Starlink pour le maintien des communications ukrainiennes. Il réduisit aussi considérablement ses prises de position sur les crypto-monnaies, secteur en plein désarroi depuis le début de la guerre en Ukraine.
- Critiquer la direction de Twitter en attaquant sur plusieurs axes. D’abord en ce qui concerne les manquements à la neutralité du réseau. Pour ce faire, il se focalisa sur l’éviction du président Trump de la plateforme, en exposant cette action comme une atteinte grave à la liberté d’expression et au débat politique. Cet argumentaire trouva une forte approbation dans l’opinion publique américaine. Ensuite, en menant une offensive sur la gestion économique et technique de Twitter, notamment en mettant en doute la part de faux comptes sur la plateforme. Twitter ayant garanti début mai 2022 une part inférieure à 5% de ces faux comptes sur l’ensemble de ces 229 millions d’utilisateurs, Elon Musk insista sur l’absence de solidité et de preuves à cette assertion et poussa l’exercice jusqu’à retirer son offre de rachat. Il en retira deux bénéfices principaux : D’abord le doute installé dans l’opinion publique quant à la qualité de la gestion technique et éthique de la plateforme, les faux comptes étant vecteur de cyber criminalité et offrant une formidable caisse de résonnance aux campagnes d’influence sur le réseau. Ensuite, en déstabilisant l’opinion des marchés financiers sur Twitter et son modèle économique et en prouvant à Twitter sa capacité à déstabiliser son cours de bourse en sa faveur (des variations jusqu’à moins 25% sur une journée).
Le piège justificatif dans lequel s'est enfermé la direction de Twitter
Twitter orienta sa défense vers des attaques sur la personnalité controversée de Musk et sur la consistance financière et juridique de son offre de rachat.
Twitter présenta l’offensive de Musk comme partisane, insistant sur sa proximité avec le camp Trump au sens large et en particulier avec la mouvance dite complotiste. L’objectif étant de replacer la plateforme dans une situation d’acteur central, neutre et éthique dans le débat et de radicaliser au contraire la position de Musk.
Twitter cibla également certaines déclarations passées peu structurées de Musk, afin de manifester l’incohérence et l’inconsistance de la personnalité de Musk dans l’objectif de fragiliser l’image de son empire économique et financier dans l’opinion publique et sur les marchés financiers. Pleinement consciente que la perception du succès de Musk dans l’opinion publique et sur les marchés financiers est essentiellement constituée d’avis affectifs et partisans au sein d’un magma technico-scientifique futuriste dont la subtilité et la finalité échappent au plus grand nombre, la direction de Twitter multiplia les actions d’atteinte à la réputation de Musk et aux entreprises de son groupe dans le but d’affaiblir la valorisation boursière du groupe de Musk et de facto sa capacité de rachat.
La tentative de manœuvre de contournement juridique pour échapper au piège
Les offensives de Musk pour influencer le cours de bourse de Twitter à la baisse s’étant révélées plus efficaces que les leurs, Twitter orienta dans un deuxième temps sa défense vers le judiciaire. Dénonçant, à partir de la juridiction du Delaware, le retrait de l’offre d’achat de Twitter par Musk en se focalisant de nouveau sur la personnalité de Musk et en dénonçant son cynisme et son manque de moralité.
Finalement, Elon Musk a maintenu son offre d’achat qui a été réalisée le 28/10/2022 au prix de 45 milliards de dollars US, correspondant au montant de la 1ère offre émise au printemps.
Ceci laisse supposer que l’attaque juridique de Twitter força Musk à payer le plein prix alors que probablement ce dernier espérait une baisse de la valeur boursière de Twitter à la suite de ces offensives réputationnelles sur le réseau social.
Il semble acceptable d’émettre l’opinion que Musk est sorti vainqueur de cet affrontement informationnel. L’achat de Twitter étant réalisé. Le nombre d’utilisateurs actifs du « petit oiseau bleu » connait une croissance significative depuis le rachat et laisse entrevoir une hausse des revenus via la publicité ou via la mise en place d’un abonnement payant.
Les limites de l'offensive menée par Elon Musk
Il est aussi légitime de considérer que Musk n’a pas atteint 100% de ces objectifs et qu’il espérait une offre financière moins onéreuse et une issue moins nuisible à son image.
Les premières actions de Musk dans sa prise en main managériale de Twitter évoque un ressentiment personnel et la volonté de réduire au maximum l’influence de l’ancienne équipe dirigeante. L’affrontement informationnel autour de Twitter n’est donc pas terminé pour Musk. La viabilité économique de cet achat n’est pas garantie non plus. Les tensions internes, les licenciements, et les départs volontaires nombreux mettent en péril les capacités opératoires de Twitter à court terme. Son image a une grande valeur pour la promotion de ses activités. Il est intéressant de noter que Musk a, finalement, soumis la réouverture du compte de Trump à un sondage sur son propre compte Twitter (52% pour – 48% contre). Sans présumer de la validité statistique de ce dernier, l’intérêt pour Musk réside dans un repositionnement plus neutre, en tant qu’observateur et arbitre.
Cette confusion entre acteur et arbitre, et la multiplicité des positions adoptées par chaque partie, allant même parfois jusqu’à la contradiction est essentielle dans la compréhension de cet affrontement. Ceci est à mettre en perspective avec l’essence même des réseaux sociaux à ambition politico-sociale. Le caractère immédiat de l’information, la viralité de cette dernière, ainsi qu’une certaine forme d’amnésie dans l’opinion publique semblent caractériser le débat sur les réseaux sociaux et définir de nouvelles règles dialectiques.
La nécessité d’un débat basé sur la recherche de la vérité ou au moins sur une argumentation fondée n’apparaissant plus comme prioritaire dans la guerre informationnelle sur ce type de plateforme. Seule l’adhésion est significative. La validité de l’information sous-jacente devenant secondaire.
Il en résulte des interrogations essentielles pour les forces publiques, les acteurs privées et la société dans son ensemble. Est-il pertinent et réalisable de contrôler, de réguler les réseaux sociaux ? Comment distinguer la régulation de la censure et de la propagande ? Comment les marchés financiers et les acteurs économiques vont-ils gérer ces attaques informationnelles de type tactique ? La volatilité et la fébrilité des premiers offrant un effet de levier considérable aux manipulations et aux atteintes réputationnelles.
Quelle place pour la vérité dans le débat publique ?
Alexis Durand
Auditeur de la 41ème promotion MSIE de l'EGE
Autres sources :
- https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/elon-musk-contre-attaque-face-a-twitter-en-justice-1779789
- https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/elon-musk-officialise-dans-un-tweet-son-rachat-de-twitter-1873646
- https://www.liberation.fr/economie/economie-numerique/elon-musk-licencie-sans-moderation-twitter-entre-en-hibernation-20221106_XGXB7YYHQNHBLLAXPLL4VDONO4/
- https://www.bfmtv.com/tech/twitter/depuis-le-rachat-d-elon-musk-twitter-voit-son-nombre-d-utilisateurs-actifs-exploser_AN-202211080192.html
- https://www.ouest-france.fr/high-tech/twitter/le-tweet-d-un-imposteur-penalise-le-cours-de-bourse-du-groupe-pharmaceutique-eli-lilly-eef792a2-629c-11ed-971d-47f33cb6a90b
- https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/lincertitude-creee-par-elon-musk-plombe-les-resultats-de-twitter-1778185