Le 24 juin 2020, le politique britannique Roger Helmer tweete en soutien à Donald Trump qu’on peut dire « virus chinois » pour désigner le Covid-19 car on dit bien « nourriture chinoise » ou « curry indien ». Le 28 décembre, Roger Helmer tweete à nouveau, cette fois pour demander que l’on cesse de mentionner le « variant britannique » car il a simplement été « identifié » dans le pays. Cette volte-face montre bien à quel point aucun pays ne veut se voir imputer la moindre responsabilité dans la pandémie, émergence des variants comprise.
La Chine, premier suspect dans l’origine de la pandémie a pu compter sur l’OMS. En vertu des directives de l’institution, le nom du nouveau coronavirus « ne fait pas référence à un lieu géographique, un animal, une personne ou à un groupe de personne » afin « d’éviter que d’autres noms qui pourraient être imprécis ou stigmatisants soient utilisés. » Il s’appelle donc COVID-19 et non pas SARS-Cov-2 qui aurait rappelé le précédent chinois du SARS-Cov-1.
La Chine a également pu s’appuyer sur ses capacités à coordonner des actions rapides de gestion de crise et de communication, ses alliés mais aussi la désorganisation de ses opposants pour déployer une véritable guerre de l’information à la hauteur des enjeux.
De la santé publique mondiale au soft power chinois
Identifier et comprendre l’origine d’une épidémie – a fortiori d’une pandémie – relève d’un enjeu de santé publique évident. Cela est nécessaire pour mieux connaitre la maladie, la circonscrire et mettre en place des protocoles efficaces afin d’éviter la récurrence de tels événements. La démarche scientifique démarre traditionnellement par la recherche du cas index ce qui permet de déterminer où, quand et comment dans quelles circonstances un pathogène commence à affecter une population humaine, puis se transmet.
La Chine, foyer épidémique en puissance ?
Dans le cas du Covid-19, d’après les données l’OMS obtenues auprès du gouvernement chinois, les premiers cas sont apparus courant décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine. Ils auraient été identifiés début janvier 2020 comme une épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) dus à un nouveau coronavirus. Ce départ épidémique a connu une véritable flambée contenue localement avant de se répandre dans une monde entier et d’être reconnue comme une pandémie le 11 mars. L’origine de la maladie et les conditions de développement du premier foyer épidémique ne sont toujours pas clairement compris. Aussi, depuis plus d’un an, le monde entier est en attente de réponses, tourné vers le premier foyer connu : la Chine.
Or la Chine a beaucoup à perdre en devenant un bassin épidémique récurrent identifié. Elle a déjà à son actif l’apparition SRAS-cov (2002) et la réapparition de la grippe aviaire H5N1 (2003) sans parler de la grande peste du XIIIe siècle qui pourrait également venir de Wuhan !
Des enjeux économiques et de soft power
Les enjeux économiques sont importants. Être cataloguée comme un pays « à risque », c’est potentiellement :
- Voir diminuer les investissements étrangers au profit d’autres destinations à bas coûts de main d’œuvre et qui présenteraient moins de menaces pour la continuité des supply-chains industrielles.
- Voir des sociétés étrangères quitter la Chine pour ces mêmes destinations ou pour être relocalisées dans leurs pays d’origine pour des questions de souveraineté et de sécurité dans des secteurs clefs comme la santé.
- Voir diminuer drastiquement l’activité touristique alors que la Chine est devenu le premier marché touristique mondial et que ce secteur représentait 11% de son PIB en 2019
- Le Japon a ainsi déjà prévu un plan de 2 milliards de dollars pour sécuriser ses chaines d’approvisionnement et se dégager de sa dépendance manufacturière chinoise via des relocalisations sur son territoire ou en ASEAN. La France, le programme d’investissement d’avenir (PIA) comprend un recensement de projets industriels pouvant faire l’objet d’une relocalisation (comme la production de paracétamol sur le sol français). D’autres pays européens ont également des projets de relocalisation.
Les enjeux d’images et de soft power sont au moins aussi forts. La responsabilité supposée de la Chine dans l’origine et l’escalade de la crise a des conséquences. A l’extérieur de ses frontières, le racisme anti-asiatique et plus particulièrement antichinois a fortement augmenté dans de nombreux pays du monde. Une page wikipédia recense les comportements observés dans ce sens. Dans la même mouvance, c’est toute la culture asiatique qui est boudée, à l’image des restaurants asiatiques d’Ile de France désertés plusieurs semaines avant le premier confinement français.
A l’intérieur de ses frontières, l’ordre est en jeu. La population chinoise a par exemple fortement condamné le traitement du docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte involontaire, sur des cas de SRAS dès le 30 décembre 2019. Suite à la diffusion massive sur les réseaux sociaux d’un message à destination de ses étudiants pour les mettre en garde sur la présence de SRAS dans l’hôpital, le médecin du se rendre à la police de Wuhan pour recevoir une lettre d’avertissement et s’engager à « cesser ses activités illégales ». Son décès en février 2020 a suscité une vive émotion dans le pays, son nom continue d’être mentionné régulièrement dans les médias comme Caixin.
Sur la scène géopolitique, la respectabilité de la Chine est mise en cause dans les premiers temps de la crise. Manque de transparence, dissimulation, négligence, inconséquence dans la répression des médecins lanceurs d’alerte, pressions sur l’OMS, les accusations ne manquent pas et isolent le pays.
Des enjeux de puissance à la guerre de l'information
Mais la Chine a réussi à reprendre rapidement l’ascendant grâce à sa gestion de la situation. Elle a montré une capacité à prendre des décision certes drastiques mais qui se sont avérées payantes et tranchent avec les allers-retours des pays occidentaux
Une puissance trop rapidement remise sur pied ?
Même si on les données transmises tout le long de l’épidémie sont mises en doute, elle annonce le retour à une situation maitrisée en avril 2020. C’est moins de 4 mois après le début officiel de l’épidémie à Wuhan alors que de nombreux pays occidentaux voient encore leurs services de réanimation saturés un an plus tard. En outre, elle s’est offert le luxe de faire d’une pierre deux coups en déployant une diplomatie des masques tout en relançant son activité manufacturière.
Dans un contexte qui à la base ne lui était pas favorable, elle a réussi à instaurer dans les pays occidentaux le doute quant à la suprématie des régimes démocratiques face aux régimes autoritaires en temps de crise, un encerclement cognitif qui mériterait une étude à part entière. Si la presse française a globalement trouvé la ressource pour défendre la démocratie quitte à ignorer la Chine dans son étude comme les Echos, nombre de médias ont éprouvé le besoin de se plier à l’exercice (France culture, le Figaro, etc) et d’autres sources n’ont pas hésité à adopter une position en dehors du dogme établi (par exemple Institut Montaigne, Sciences Po Centre de Recherches).
Le dispositif de guerre de l’information de Pékin
Mais l’origine du virus reste le talon d’Achille de cette réussite affichée. La Chine l’a bien compris et a mis en place un dispositif de guerre de l’information complet détaillé dans un article du Monde dont les éléments principaux sont résumés ici. Ce système s’appuie à la fois sur l’appareil de propagande d’Etat parfaitement rodé et sur une exploitation opportuniste des événements.
L’appareil de propagande est composé des éléments suivants :
- Le contrôle des narratifs internet, exposé par le New-York Times et Propublica après étude de milliers d’instructions de propagande produite par le Cyberspace Administration of China à destination d’agents dédiés, des réseaux sociaux et des fournisseurs de contenus. Parmi ces instructions, on trouve la limitation du relai de la mort de Li Wenliang avant sa récupération patriotique, des indications pour créer des narratifs rassurants et fédérateurs sur la guerre contre le virus, la modération des aspects négatifs de la quarantaine de Wuhan, le tracking des agitateurs, la mobilisation de cybersoldats pour faire état de l’opinion publique dans les groupes Wechats privés.
- Une opération de spamouflage basée sur des comptes virtuels twitter ou facebook dont la sophistication a permis de toucher une audience réelle avant d’être reprise par des diplomates chinois.
- Une contre-version sur les origines du Covid-19. Le virus aurait été bioengineeré par les Etats-Unis pour cibler non seulement la Chine mais aussi la Russie, la thèse étant supporté rapidement par le média russe Zvezda. Le virus aurait été introduit durant les Jeux Militaires qui se sont déroulés à Wuhan en octobre 2019. Cette nouvelle version officielle est relayée par le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères Zhao Lijin. Pour donner de l’épaisseur à la thèse, on créé un expert virtuel « Larry Romanoff » avec un profil complet : comptes sur les réseaux sociaux, une centaine de publications scientifiques largement diffusées. Et pour couronner le tout, il sera cité par Zhai Lijin qui encouragera publiquement la lecture d’un de ses articles incriminant les Etats-Unis d’Amérique.
Par ailleurs, parmi les éléments exploités de manière opportuniste et relayés par les médias d’Etat on peut souligner :
- Les Jeux militaires de Wuhan qui viennent supporter la thèse de l’origine américaine du virus et permettent de l’introduire en un lieu opportun.
- Une publication de la revue Nature qui relaie l’affirmation d’une université cantonnaise comme quoi un virus identique à 99% au SARS-CoV-2 aurait été identifié sur des pangolins qui proviennent de Malaisie via un circuit de contrebande.
- Une autre publication scientifique chinoise qui prétend via analyse phylogénétique et chronobiologique que les souches de virus observés à Wuhan ne sont pas les plus anciennes contrairement à celles d’autres pays dont l’Inde.
- Les réintroductions du Covid-19 via des emballages de nourriture surgelée. Cette fois c’est l’Australie qui en fera les frais.
Il faut bien noter que sur ces 4 thèses alternatives, seule celle des pangolins Malais pointait vers un pays unique. Pour toutes les autres, de nombreux pays pouvaient être considérés mais à chaque fois, les médias d’Etat ont choisi un seul pays qui connait des tensions avec la Chine.
En face de ces attaques, des pays européens dépassés, le tempérament de Donald Trump et ses tweets intempestifs. Les Etats-Unis développent un argumentaire miroir, soutiennent que le virus est une arme biologique mais qu’il s’est disséminé suite à un accident de laboratoire. Une offensive théâtrale notoire, celle de Steve Bannon qui a propulsé sur le devant de la scène médiatique, la Docteur hong-kongaise Yan Li-Meng qui soutenait la thèse du virus fabriqué par le gouvernement chinois.
On peut souligner que la thèse des Jeux Militaires a peut-être une fonction de contre-feu : de nombreux sportifs des délégations internationales auraient été malade à leur retour des jeux de Wuhan. Aucun pays n’a souhaité faire tester officiellement ses ressortissants a posteriori en dehors de l’Espagne, peut-être par crainte d’alimenter la thèse chinoise.
Si la Chine joue la partition la plus élaborée de la guerre de l’information sur l’origine du Covid-19, il ne lui est pas moins nécessaire de trouver un moyen de clôturer ce dossier alors que le monde entier attend des réponses. Elle a parfaitement les moyens scientifiques de mener l’enquête ad-hoc (falsifiée ou non). Cependant, après avoir saisi chaque occasion et chaque explication scientifique ou non de se dédouaner de l’épidémie dans les médias d’Etats, elle ne peut plus présenter sa version des faits à la communauté internationale. Il lui faut un garant ; cela sera l’OMS.
L'OMS au cœur des polémiques ou l'enjeu de maitrise du discours scientifique
Créée en 1948, l’OMS, agence spécialisée de l’ONU dans la santé publique a pour objectif de créer un cadre de coopération afin d’amener chaque pays au stade de santé le plus élevé.
Une institution sous influence
Selon les informations disponibles sur son site internet, (cf. la frise du temps qui affiche les étapes de la réponse à la crise du Covid-19), le bureau pékinois de l’OMS repère une déclaration de la Commission de Santé de la ville de Wuhan le 31 décembre 2019 et averti l’institution. Dans les premiers jours de janvier, l’OMS aurait été proactive dans ses demandes d’informations répétées auprès du gouvernement chinois. Assez rapidement cependant, on constate que c’est la Chine qui prend la main sur les échanges. Les communiqués de l’OMS ne relaient plus les demandes faites aux autorités chinoises mais simplement les informations reçues. En janvier et février, le Docteur Tedros, le directeur de l’OMS multiplie les louanges à l’égard de la Chine, vantant « sa rapidité, son efficacité, sa transparence » jusqu’à « la définition d’un nouveau standard dans la gestion d’une épidémie. »
Dans le même temps, le sort des lanceurs d’alerte chinois sur la pandémie est découvert par les occidentaux. Cette complaisance affichée envers le régime de Pékin ajoutée aux délais critiqués de passage des caps d’urgence sanitaire va coûter très cher à la crédibilité de l’institution et de son directeur. Donald Trump officialise carrément le 29 mai 2020 le départ des Etats-Unis de l’OMS. C’est ainsi le plus important pourvoyeur budgétaire qui quitte l’institution avec fracas.
L’OMS est-elle réellement sous influence chinoise ? Un documentaire LCP montre comment suite à l’humiliation infligée à la Chine pour sa rétention d’information au moment de l’épidémie de SRAS en 2002, elle s’est assurée une meilleure représentation dans l’institution en influant sur les élections successives des directeurs. Par ailleurs, l’OMS est chapeautée par un conseil exécutif où les décisions se prennent à l’unanimité. Il est donc assez facile au représentant d’un seul pays d’influer sur les résolutions et plus encore s’il a un réseau d’influence. C’est bien le cas de la Chine au travers de son projet Health Belt Road Initiative à destination des pays du sud, majoritaires au conseil exécutif.
De plus, depuis 2005, l’OMS est détentrice du règlement sanitaire international qui lui donne l’autorisation non seulement d’alerter sur les événements sanitaires graves mais aussi de dénoncer les manquements des Etats membres voire la dénégation des phénomènes. Or :
- Le 24 janvier, le Lancet publie l’étude d’un groupement de médecins chinois détaillant les méthodes employées pour diagnostiquer et traiter le 1er panel de patients présentant des symptômes de SARS au 31 décembre 2019. L’étude conclut que dès le 2 janvier, il était certain que 41 patients étaient atteints d’un coronavirus qui n’était ni le SARS-Cov ni le MERS. Parmi eux 3 membres d’une même famille ce qui laissait déjà suspecter une transmission inter-humaine. Sur le site de l’OMS, l’institution indique avoir reçu des nombreuses informations sur la composition du cluster le 3 janvier mais que la cause reste inconnue. L’information d’un nouveau coronavirus ne sera transmise à l’OMS que le 9 janvier et celle de transmission interhumaines limités le 14 janvier.
- Par ailleurs, la Chine a été suspectée de dissimuler le vrai nombre de morts de l’épidémie en particulier à Wuhan. Dans le rapport de l’OMS sur la mission réalisée du 14 janvier au 10 février 2021, un graphique (fig.13, p.33) fait état d’une surmortalité de la population de Wuhan par rapport aux années précédentes durant la période de l’épidémie et en dehors des cas identifiés et suspectés de Covid-19. Les données mériterait un traitement précis mais elles indiquent que le nombre de décès provoqué par l’épidémie dans la ville pourrait être multiplié par deux. Ce point n’était certes pas le sujet de l’étude mais il n’a fait l’objet d’aucun commentaire.
Sans même rentrer dans les allégations de la chaine australienne ABC ou des services secrets américains sur des cas de Covid-19 avérés à Wuhan dès l’automne qui auraient pu pousser à exiger des explications, dans les deux cas précédemment énoncés, l’OMS aurait été légitime à tancer la Chine pour son manque de transparence. Cela n’a pas été le cas.
Une étude trop bien encadrée
Suite aux conclusions de l’étude conjointe Chine-OMS réalisée en février 2020 sur le Covid-19, il est établit entre l’OMS et le gouvernement chinois qu’une nouvelle étude doit avoir lieu, sur le sol chinois afin de mieux comprendre les origines du virus et de déterminer un programme d’étude complet sur le sujet. Mais sur son territoire, la Chine a l’avantage du terrain dont elle peut verrouiller l’accès simplement en ne délivrant pas les visas et autorisations nécessaires. L’ordre de mission est rédigé conjointement entre juillet 2020 novembre 2020. Il faut attendre jusqu’à janvier pour que la mission terrain puisse démarrer.
Des sources indiquent que les contours de cette mission depuis les axes de travail jusqu’à la composition du panel d’expert ont été âprement négociés, le délai de rédaction est un bon indicateur. Pour l’OMS, il s’agit de ne pas renouveler le fiasco de la mission de février 2020 durant laquelle les membres de la mission se sont vus imposer 2 semaines de visites très denses mais seule une partie d’entre eux a pu se rendre à Wuhan et pour une demi-journée seulement (cf. planning des déplacements p.26) ;
Pour la Chine, il faut encore et toujours sauver la face ; l’ordre de mission ne contient qu’une allusion très limitée à la thèse de l’accident de laboratoire. Y est mentionné l’étude sérologique d’échantillons datant d’avant décembre 2019 pour les populations sensibles, dont les personnes travaillant en laboratoire (p.6) . C’est dans cette optique que la délégation s’est rendu dans 2 laboratoires de la ville.
Ces visites ont été fortement médiatisées mais Pékin peut tout à fait s’offrir ce type de concession qui vient plutôt lui donner de la crédibilité sur le terrain du débat contradictoire. Le vrai tour de force réside ailleurs. Parmi les éléments négociés avant la réalisation de la mission, la Chine a obtenu que pour tous travaux déjà réalisés préalablement à la venue de la délégation de l’OMS, l’étude se base sur les informations existantes et conclusions afférentes afin « de ne pas dupliquer les efforts » (p.7).
La lecture détaillée du rapport du 26 mars 2021 nous apprend que presque l’intégralité des conclusions du rapport se basent sur des analyses réalisées au préalable par les équipes chinoises. Les experts de l’OMS ont essentiellement procédé à des revues méthodologiques et retranscrit le travail de leurs homologues chinois. L’épidémiologiste australien Dominic Dwyer a exprimé dans une interview sa frustration de ne pas avoir eu accès aux données de base. Il a également été rapporté par Peter Ben Embarek, le leader de la mission qu’un des moments les plus tendus avait porté sur la demande d’étendre sur le champ un échantillonnage de tests sérologiques sur des populations affectées par des symptômes pouvant s’apparenter au Covid-19 avant décembre 2019. Mais la réponse a été négative. La Chine y pourvoira. Sans témoins.
Des scientifiques soigneusement sélectionnés
Les médias conservateurs américains et australiens ont lancé des offensives pour amoindrir la crédibilité de la délégation d’experts en prêtant des relations au gouvernement chinois pour 3 d’entre eux : Peter Ben Embarek, Marion Koopmans et Peter Daszak. Rien ne dit que ce soit vrai ou faux mais il est tout à fait possible qu’il s’agisse de coïncidences fortuites, les collaborations internationales n’étant pas rares qui plus est sur des sujets pointus. Il est aussi possible ces experts ont été choisis précisément parce qu’ils ont déjà une expérience de la culture chinoise. Enfin, la Chine n’a aucun intérêt à laisser s’installer des doutes sur la probité des experts internationaux qui sont devenus des porte-paroles de ce qu’elle a bien voulu leur montrer.
Par ailleurs, il existe d’autres manières plus subtiles d’orienter les résultats d’une étude. Le cas de l’enquête de l’OMS de 2011 sur l’origine de l’épidémie de choléra en Haïti est un bon exemple. A l’époque 2 thèses s’affrontent : celle de la maladie introduite par les casques bleu de l’ONU et celle de l’émergence spontanée de l’épidémie en raison de conditions météo et sanitaires exceptionnelles. L’intégralité de la délégation OMS envoyée est spécialiste de l’émergence du choléra depuis l’environnement…
Dans le cas de la délégation de l’OMS en Chine, si on regarde les publications scientifiques des 11 membres, 7 d’entre eux ont une expertise dans le champ de la transmission environnement/animal à l’homme et qui n’est pas toujours l’expertise officiellement présentée. C’est par exemple le cas du qatari Farag El Moubasher, annoncé pour son expertise en santé publique dont la plupart des publications portent sur la transmission du MERS. C’est aussi son sujet de thèse soutenue en novembre 2019 avec pour directrice de recherche Marion Koopmans.
Il est délicat d’affirmer que la composition de cette délégation n’est pas opportune au regard des 3 axes de l’études (pp. 6-7):
- Réaliser une étude épidémiologique à partir des données terrains afin de préciser la date et les circonstances de départ de l’épidémie.
- Réaliser une étude analytique et construire un modèle épidémiologique.
- Étudier les contaminants zoologiques possibles de Huanan et éventuellement ceux d’autres marchés.
En revanche on peut se demander dans quelle mesure cela a impacté la qualification de probabilité des 4 scenarios théoriques d’émergence du virus (pp.111-119):
- Contamination directe par un animal = probable.
- Contamination via un animal réservoir = probable à très probable.
- Contamination via la nourriture surgelée = possible.
- Accident de laboratoire = extrêmement peu probable.
Aurait-elle été la même s’il y avait eu autour de la table autant de spécialistes en prévention des risques biologiques en laboratoire ? Est-ce un hasard si le leader de la délégation est également expert en santé alimentaire alors que la Chine est depuis quelques mois fervente de la thèse de la contamination par surgelés qui pourrait lui permettre d’évacuer l’origine du virus de son territoire ?
L’OMS n’a eu de cesse de répéter que cette étude n’est que le point de départ des travaux destinés à déterminer l’origine du Covid-19. Il est néanmoins probable que cette première évaluation sera décisive pour déterminer l’orientation des futurs axes de recherche et l’allocation des ressources dédiées. Ce n’est probablement pas un hasard si le jour de la publication du premier mémo sur l’origine du virus, l’OMS a également publié des recommandations pour réduire le risque de contamination par pathogènes sur les marchés aux animaux vivants.
La responsabilité, un enjeu d'influence
La croyance dans les systèmes démocratiques est peut-être sauve dans les pays occidentaux mais la confiance dans la capacité de la Chine à traverser les crises aussi : preuve sans appel, c’est le pays dont le flux d’Investissements Directs Etrangers (IDE) a le plus augmenté en 2020. Elle a bénéficié du peu de concurrence et d’avoir un appareil industriel fonctionnel quand le reste du monde était à l’arrêt mais pour un pays qui a démarré l’année confiné et sur le banc des accusés cela reste un exploit.
Pour les pays occidentaux, la poursuite des études permettant de comprendre l’origine du Covid-19 est une des dernières chances de renverser le rapport de force qui est aujourd’hui largement en faveur de la Chine en termes économiques et géopolitiques sur le sujet de la pandémie.
Malheureusement, il est peu probable que ces études aboutissent en défaveur du gouvernement chinois. Elle maitrise l’accès à l’essentiel de la matière scientifique nécessaire et malgré les appels de la communauté internationale, l’OMS ne semble pas vouloir exercer son autorité légitime sur la Chine.
Car l’enjeu final est bien celui de la responsabilité. En 2016, lorsque l’ONU reconnait enfin sa responsabilité morale dans l’épidémie de choléra qui a sévi en Haïti, la cour fédérale de New-York confirme son immunité judiciaire. Que se passerait-il si un pays était reconnu coupable de négligence ayant entrainé une pandémie ou pire de l’avoir dissimilé sciemment ? Un processus judiciaire n’aurait que peu de chance d’aboutir mais l’influence de la Chine pourrait en pâtir profondément et pour longtemps.
Lucie Laurent
Auditrice de la 36ème promotion MSIE