L’apparition de cas de variole du singe dans un grand nombre de pays depuis mai 2022 a fait naître des inquiétudes au niveau mondial quant à la possible propagation de cette maladie dans la population générale et quant à sa dangerosité. La communication et les informations diffusées sur les différents aspects de gestion de la maladie apparaissent comme autant de confrontations informationnelles, à tel point qu’il est difficile de comprendre à quel type de risque nous devons réellement faire face.
Une question majeure jamais vraiment abordée
Au 25 août 2022, le nombre de cas de variole du singe a été confirmé aux environs de 49000 au niveau mondial, dont 22000 en Europe, 17000 aux Etats-Unis. 101 pays sont concernés à ce stade, dont l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Inde, la Russie et le Japon. Aucun cas n’a été rapporté en Chine pour le moment. Il est étonnant de constater que la grande majorité des pays touchés ne sont pas des pays dans lesquels la maladie était historiquement endémique. En effet la maladie a été découverte en 1970 au Zaïre et les épidémies successives apparues depuis lors ne concernaient que quelques pays africains, lesquels ne totalisent aujourd’hui qu’environ 500 cas, soit seulement 1% des cas recensés dans le monde.
Plus surprenant encore, la découverte de la propagation de la maladie dans 18 pays européens s’est faite sur une période très courte de 3 semaines entre le 9 et le 31 mai 2022 sans possibilité, dans la quasi-totalité des cas, d’établir de lien avec une éventuelle contamination importée d’un des pays africains endémiques. Cette propagation inédite de la maladie pourrait signifier que celle-ci s’est propagée suivant un mode de transmission encore inconnu, ou que de nouveaux variants du virus, plus transmissibles, sont apparus.
Le silence des gouvernements comme des journalistes et des scientifiques autour de cette question pourtant centrale est troublant. En effet, il semble essentiel de comprendre comment le virus est parvenu à se transmettre aux populations d’un grand nombre de pays dans un délai restreint, alors qu’il était resté cantonné à quelques pays africains depuis 50 ans. De plus, la très grande majorité des malades ayant développé la maladie sont des hommes. Les observations montrent que l’épidémie se diffuse jusqu’à présent principalement aux hommes homosexuels ou bisexuels, renforçant la sensation que la situation échappe à la compréhension de la communauté scientifique.
Le Covid-19 : un précédent encombrant
La pandémie de Covid-19 semble avoir laissé des traces durables dans la manière dont les épidémies seront désormais traitées. La variole du singe a été diagnostiquée pour la première fois le 20 mai en France et le 21 mai en Suisse. Dès le début du mois de juin, certains épidémiologistes tel le professeur Antoine Flahaut (professeur de santé publique et directeur de l'Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève) ont lancé l’alerte et appelé à prendre des mesures fortes, et à « tester, tracer, isoler » les cas identifiés.
Comme pour le Covid-19, ces appels n’ont pas été unanimes parmi les scientifiques. Au même moment, Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur de santé à l’ULB (Université Libre de Bruxelles), est lui nettement plus optimiste, en affirmant « qu’un infecté arrivera difficilement à contaminer plus de deux ou trois personnes. C'est donc très facile d'arrêter le phénomène de propagation ».
Ces divergences d’analyse apparaissent également dans les plus hautes instances comme l’Organisation Mondiale de la Santé. Le 23 juillet 2022, l’organisation a déclaré la variole du singe ‘urgence de santé publique de portée internationale’. Il est intéressant de constater que cette décision a été prise sans qu’un consensus se dégage au sein du comité d’urgence du règlement sanitaire international. En effet, une partie des délégués s’est opposé à cette décision ainsi qu’en atteste les débats correspondants. La situation observée lors de l’épidémie de Covid-19, avec des scientifiques ayant des avis radicalement différents sur la manière d’interpréter et de traiter la crise, semble donc vouée à se répéter.
Les enjeux et les inconnues autour des vaccins
La variole du singe présente la singularité d’être une maladie dont le virus est de la même famille que celui de la variole, entrainant deux conséquences importantes :
. D’une part une partie de la population a été vaccinée contre la variole avant l’éradication de la maladie, entérinée en 1980. Une bonne partie de cette population est considérée comme protégée de la variole du singe.
. D’autre part les vaccins efficaces pour éviter la propagation de la variole du singe sont pour partie les mêmes vaccins que ceux utilisés dans le passé contre la variole.
Parmi ces vaccins, l’OMS recommande l’utilisation de vaccins de 2ème et 3ème génération. Les vaccins de 2ème génération sont les derniers vaccins utilisés avant 1980 et l’arrêt de la vaccination en population générale. En France il s’agit des vaccins ‘Pourquier’ et ‘Aventis (Pasteur)’. Il n’existe à ce jour qu’un vaccin de 3ème génération, dont l’utilisation a été validée aux Etats-Unis en 2019 et en Europe en juillet 2022, il a été développé et il est fabriqué par l’entreprise danoise Bavarian Nordic.
En France, comme dans un grand nombre de pays, le gouvernement préconise l’emploi du vaccin de Bavarian Nordic, qui présenterait moins d’effets secondaires. Ce vaccin étant le seul de sa génération sur le marché, il fait l’objet d’une forte demande alors que sa production annuelle est pour le moment limitée à 30 millions de doses, ce qui serait notoirement insuffisant au niveau mondial si l’épidémie continuait à prendre de l’ampleur.
Le doute sur la disponibilité des vaccins a eu pour conséquence une compétition entre états pour l’achat des doses, et le sentiment que leur distribution était rationnée, sans qu’il soit possible de savoir si nous manquons de doses ou si leur distribution est limitée aux quantités strictement nécessaire pour traiter les populations prioritaires, estimées en France à environ 250.000 personnes.
Ce sentiment de rationnement est renforcé par le fait que le nombre de doses de vaccin disponible aujourd’hui en France est inconnu. Auditionné par la commission des affaires sociales du sénat, le représentant de la direction générale de la santé a indiqué à la représentation nationale que le nombre de doses de vaccins mobilisable en France est classé ‘secret défense’. Nous ne savons donc pas si le stock de vaccins de 2ème génération disponible en 2003 dans le cadre du plan ‘variole’ (72 millions de doses) est toujours mobilisable, s’il a été détruit, ou s’il a été partiellement remplacé par des doses de 3ème génération.
En France toujours, plusieurs associations demandent une distribution plus rapide des doses et une mobilisation supérieure en vue de la vaccination. Certaines personnalités et représentants associatifs demandent une commission d’enquête parlementaire, évaluant les mesures prises insuffisantes, en raison du profil des personnes infectées qui sont majoritairement des hommes homosexuels ou bisexuels. Le gouvernement peine à les rassurer, même s’il indique que des moyens suffisants sont déployés en termes d’information et de prévention.
Une situation toujours incertaine
Les épidémies de variole du singe survenues par le passé en Afrique présentaient un taux de mortalité estimé par l’OMS entre 1 et 10%. Les premières études réalisées suite à la diffusion récente de la maladie font état d’un taux de mortalité de l’ordre de 0,05%. Il semble progressivement se dégager un consensus indiquant qu’une prise en charge adéquate des malades leur permet de se rétablir dans la très grande majorité des cas, comme en témoigne le faible de nombre de décès enregistré jusqu’à présent.
A ce jour l’évolution du nombre de nouveaux cas semble décroitre dans certaines régions, en particulier en Europe, mais il est difficile d’anticiper si cette tendance va se confirmer au niveau mondial ou si une diffusion plus large de la maladie en population générale peut encore survenir.
Arnaud Allemann, MSIE 40 de l’EGE