La stratégie d’étouffement de Hong Kong reproduite à Taiwan n’est pas à exclure

« Les États-Unis interviendraient-ils vraiment pour sauver Taïwan si la Chine attaquait ? » Cette interrogation est le titre d’un article du quotidien hongkongais, le China Morning Post, en date du 11 avril dernier. Il se fait l’écho de débats et de déclarations publiques sur le degré d’aide que les Etats-Unis seraient prêts à déployer militairement si l’armée chinoise lançait une opération d’invasion sur Taïwan. Cette question se pose avec une acuité renouvelée en Asie depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février dernier. Les situations géopolitiques de l’Ukraine et de Taiwan n’ont certes rien à voir à part le fait que ce sont de petits territoires qui ont pour voisin une grande puissance. Mais l’existence même d’une guerre informationnelle sur un scénario d’invasion de Taïwan et sur un potentiel conflit ouvert prouve combien cette question est sensible. En effet, elle renvoie à des enjeux de puissance à la fois pour les autorités chinoises et pour l’administration américaine. Depuis le début, l’opération militaire en Ukraine est scrutée attentivement par Beijing et par Taipei dans l’optique d’identifier les réussites ou les échecs des stratégies militaires appliquées sur le terrain.

Le terrain de confrontation

La guerre informationnelle observée ici se déroule à travers des journaux chinois et hongkongais. Ces derniers reprennent les déclarations de certains acteurs militaires ou académiques américains et chinois. Cette guerre informationnelle a atteint un pic d’intensité à la mi-avril au moment où l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe est toujours en cours. Elle connait également une recrudescence pour deux autres raisons : tout d’abord, le ministère de la Défense américain a autorisé début avril la fourniture à l’armée taïwanaise du système de défense antimissile Patriot pour un montant de 95 millions de dollars[i].

De plus, des membres du Congrès américain se sont rendus à Taipei pour rencontrer la présidente actuelle Tsai Ing-wen. En général, la signature de contrat d’armement ou la venue d’élus américains est lourdement critiquée par la Chine. C’est le cas également cette fois-ci. Les autorités chinoises y voient des actions menées contre sa souveraineté nationale. Pour Beijing, Taïwan est une « province chinoise rebelle » qui doit à terme rejoindre la Chine soit par une politique d’influence douce soit par des moyens militaires. Xi Jinping, l’actuel dirigeant chinois mentionne régulièrement dans ses discours cet objectif politique majeur à ses yeux. 

Les doutes émis à propos du non-engagement militaire américain

Et justement, que pourrait faire l’Armée Populaire de Libération (APL), l’armée chinoise, si l’option militaire était privilégiée contre Taïwan ? Les Etats-Unis enverraient-ils des troupes au sol, des forces navales ou aériennes face à l’APL ?

Le 11 avril dernier dans les colonnes d’un journal hongkongais, la réponse est négative. Les Etats-Unis n’enverraient pas de troupes au sol comme ils ont pu le faire au cours d’opérations militaires précédentes en Irak ou en Afghanistan. « Taiwan devra se battre pour elle-même en cas de conflit avec la Chine continentale (…) bien que les Etats-Unis puissent fournir des armes »[ii]. Le journal rapporte ainsi les propos échangés par des experts au cours d’un séminaire organisé à Taïwan par un centre de réflexion local, le Taiwan International Strategic Study Society.

En contre point, le Global Times, un quotidien chinois proche du Parti communiste chinois (PCC) au pouvoir envisage la possibilité d’une intervention militaire des Etats-Unis et aussi du Japon. Ce journal se fait souvent le relais des opinons de la partie la plus nationaliste et la plus dure du PCC. Il sert de média d’influence et permet également aux diplomates et analystes étrangers de connaître les positions chinoises. A propos de Taiwan, voici ce qu’un éditorialiste du Global Times, Hu Xijin, affirme dans son édito le 15 février dernier :

« La Chine continentale continuera de prouver sa souveraineté sur l'île de Taïwan y compris par des moyens militaires et éliminera la détérioration de cette souveraineté causée par la collusion entre les États-Unis et Taïwan. De cette façon, nous pourrons serrer la corde autour du cou des sécessionnistes taïwanais et la resserrer progressivement[iii]». 

Toujours le 15 février dans le Global Times, un autre article revient sur la situation de Taiwan et sur la visite à Taipei de la délégation de membres du Congrès américains. Le Global Times détaille les manœuvres militaires chinoises qui ont lieu le jour même sur la côté chinoise à hauteur de Taiwan et dans le détroit de Taiwan. Ces exercices impliquent des éléments de la marine et de l’armée de l’air chinoise. Six chasseurs chinois sont entrés ce jour-là dans la zone d’identification de défense aérienne de Taiwan. Il faut souligner que ce type de survol a lieu très régulièrement depuis un an et demi. D’une part, l’ensemble de l’exercice est rapporté par ce journal pour montrer la désapprobation des autorités chinoises et le potentiel militaire de l’APL en cas de conflit. L’opération militaire chinoise est justifiée en ces termes par le colonel Shi Yi[iv] : « L’opération a pour cible les récents signaux erronés des Etats-Unis sur la question de Taiwan, car la tactique des Etats-Unis est totalement inutile et dangereuse (…) Ceux qui jouent avec le feu se brûleront eux-mêmes[v]».     

Les difficultés d'un débarquement

D’autre part, d’autres arguments sont avancés dans cette guerre informationnelle. La question d’une intervention militaire directe des Etats-Unis pour soutenir Taïwan en cas de conflit ouvert n’est ici pas discutée. L’accent est mis sur le fait que l’armée chinoise se prépare à cette éventualité. C’est ce que mentionne un expert militaire chinois. Selon Song Zhonping : « l’APL ne devra pas seulement prendre des mesures militaires contre les forces « indépendantistes de Taïwan » mais (elle devra) aussi faire face à l’intervention militaire potentielle des Etats-Unis et du Japon[vi]». Enfin, Wang Jiamin, un expert des relations sino-taiwanaises à l’université de Minnan, parle de manipulations des Etats-Unis :« Après le début du conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine, les Etats-Unis ont intensifié leurs provocations sur la question de Taïwan. La Chine continentale doit rester rationnelle face à une telle stratégie pour éviter de tomber dans le piège des Etats-Unis ».

C’est la réponse apportée en réaction aux déclarations d’un haut-gradé américain par médias interposés. A Hong Kong, le South China Morning Post s’est fait l’écho des propos de Mark Milley, le président des chefs d’Etat-major interarmées américaines. Le journal titre : Un haut-gradé américain déclare «Je veux dire clairement à Beijing combien se serait dur de conquérir Taïwan[vii]». Cette déclaration est faite par Mark Milley lors de son audition devant la commission de la défense du Sénat américain début avril. Il poursuit « l’île est défendable». A ses yeux, il serait difficile pour l’APL de mener des assauts amphibies et un débarquement par les airs à travers le détroit de Taïwan. Par ailleurs, Taiwan est une île très montagneuse. Pour ce militaire américain, la meilleure dissuasion consiste à « faire en sorte que les Chinois sachent que c’est un objectif très difficile à atteindre[viii] ».

La stratégie d'étouffement de Hong Kong à Taiwan n'est pas à exclure

Dans cette guerre informationnelle, l’assaut direct des troupes chinoises n’est pas la seule option envisagée contre Taïwan. Il est aussi évoqué dans la presse hongkongaise une possible rupture de l’approvisionnement énergique de cette île de 24 millions d’habitants. « Selon les observateurs, Beijing pourrait déployer une arme moins risquée et indirecte de son arsenal pour forcer l’île à rentrer dans son giron : un blocus énergétique[ix]. Un blocus (…..) isolerait Taïwan au point que des pourparlers d’unification pourraient être une réelle option. » Taïwan importe du gaz naturel et du pétrole par voie maritime à la fois pour les besoins de sa population et de son industrie. Cet approvisionnement par la mer constitue, il est vrai, une de ses vulnérabilités.

Christophe Verouquin

 

Notes

[i] The South China Morning Post, “What would happen if mainland China cut off Taiwan’s energy supplies?” 10 April 2022, consulté le 20 avril 2022.

[ii] https://www.scmp.com/news/china/military/article/3173760/would-us-really-rescue-taiwan-if-mainland-china-attacked

[iii] https://www.globaltimes.cn/page/202204/1259387.shtml?id=11

[iv] Colonel Shi Yi, le porte-parole du commandement de la zone orientale de l’Armée Populaire de Libération

[v] https://www.globaltimes.cn/page/202204/1259413.shtml?id=11

[vi] https://www.globaltimes.cn/page/202204/1259413.shtml?id=11

[vii] https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3173581/us-military-chief-wants-make-it-clear-beijing-how-hard-it

[viii]https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3173581/us-military-chief-wants-make-it-clear-beijing-how-hard-it

https://www.scmp.com/news/china/military/article/3173747/what-would-happen-if-mainland-china-cut-taiwans-energy-supplies