Le thème de l’environnement connaît au cours de ces dernières années une réelle montée en puissance. Ce mouvement général a amené un certain nombre d’acteurs présents sur le sujet à alerter les professionnels des grands groupes sur les dérives et conséquences de la manipulation de l’information à des fins commerciales.
Dans un contexte global d’affrontement entre superpuissances, il y a des opportunités et des risques à investir trop rapidement des sujets qui concernent l’éthique.
Parmi ces thématiques d’intérêt à fort potentiel, le développement durable, le commerce équitable, les services financiers ISR, les fondations au profit de causes occupent dorénavant une place prépondérante dans la communication Corporate des organisations.
A partir du moment où les acteurs économiques ont compris l’intérêt d’utiliser le label environnemental comme un levier d’influence dans la guerre commerciale, ils se sont positionnés sur le sujet pour renforcer leur image de marque dans l’opinion publique. A tel point que ces sujets dits « d’intérêt général » ont désormais une forte implication sur le poids et le devenir des acteurs économiques et sociaux dans un nombre croissant de secteurs d’activité.
Parmi les derniers scandales planétaires autour du greenwashing et de l’éco-blanchiment, nous avons tous en mémoire les accusations et fausses allégations qui ont touché l’industrie automobile en Europe. Le Green Deal constitue-t-il un instrument de protection ou une arme de déstabilisation dans la guerre commerciale entre superpuissances ?
Ponts de repère cognitifs
Le brainwashing ou « blanchiment de l’information » se produit lorsqu'une organisation dissimule ou dissimule des informations scandaleuses en présentant une représentation biaisée des faits.
Dans les campagnes de désinformation et de camouflage, il est possible de distinguer trois modes de persuasion :
. La communication persuasive blanche, dont les sources sont correctement identifiées,
. La communication persuasive grise, dont les sources sont incertaines ou inconnues, ; Et la communication persuasive noire, dont les sources sont faussement attribuées.
L'éco-blanchiment se produit lorsqu'une organisation consacre plus de temps et d'argent à se vendre comme étant respectueuse de l'environnement qu'à minimiser réellement son impact sur l'environnement. Si le blanchiment d’information est un phénomène relativement répandu et très connu du grand public, l’éco-blanchiment est plus insidieux et difficilement identifiable. Il s'agit d'un stratagème marketing consistant à présenter des informations de manière à détourner des faits ou des vérités dans une communication marketing et ce afin d’apparaître irréprochable sur le plan social et environnemental.
La plupart du temps, les actions et dépenses consenties concernent davantage la publicité que de réelles actions en faveur de l'environnement et du développement durable. Elles sont en réalité destinées à induire en erreur les consommateurs qui préfèrent acheter des biens et des services auprès de marques soucieuses de l'environnement.
Le terme de « greenwashing » né de la contraction des mots green (vert, écologique et brainwashing (blanchiment, camouflage, travestissement de la réalité apparaît pour la première fois en 1986 dans un essai critique inspiré par l'ironie du mouvement « save the towel » de Jay Westerveld. Il désigne à l’origine le phénomène consistant à détourner le sens ou le contenu d’un message pour prêter des caractéristiques ou qualités environnementales à un produit, un service, ou une marque.
Le « greenwashing » ou éco-blanchiment en français, désigne le fait, pour une entreprise ou une organisation, de communiquer auprès du public en utilisant l'argument écologique de manière à se donner une image plus responsable à l’égard de l’environnement qu’elles ne le sont véritablement. De ce point de vue, la pratique du greenwashing est trompeuse et peut-être assimilé à de la publicité mensongère.
La notion de « greenwashing » est le plus souvent utilisé par des ONG pour stigmatiser les entreprises qui tentent d'afficher des préoccupations environnementales qu'elles sont loin d'avoir dans leurs pratiques qui dessert les actions de sensibilisation réalisées par les associations et les pouvoirs publics pour encourager la consommation de produits plus respectueux de l'environnement.
Le greenwashing exploite plusieurs phénomènes en parallèle :
. La difficulté à définir la réalité de concepts et les caractéristiques de produits dans un certain nombre de champs d’activité,
. Le vide juridique des normes et labels sur le marquage et la déclaration environnementale,
. La simplicité à réaliser des campagnes de communication à moindre coût pour promouvoir une marque et sa responsabilité.
En d’autres termes, le greenwashing procède par une manipulation de l’information présentée aux consommateurs concernant l’impact de l’entreprise ou d’un produit sur l’environnement.
Histoire du greenwashing : une évolution du concept au fil des années
La notion a émergé à une époque où la plupart des consommateurs recevaient les informations des médias traditionnels, dont ils ne pouvaient pas vérifier la fiabilité de la source et l’exactitude des faits.
Progressivement, le terme se généralise dans son usage pour dénoncer les pratiques néfastes pour l'environnement des grands groupes industriels et stigmatiser les entreprises qui tentent d'afficher des préoccupations environnementales.
Ce phénomène dessert les actions de sensibilisation réalisées par les associations et les pouvoirs publiques et génère des doutes sur les engagements réels des structures effectivement engagées dans des démarches RSE.
Au milieu des années 80, la compagnie pétrolière Chevron a mené une campagne marketing de grande ampleur « People Do » en commandant une série de publicités télévisées et imprimées coûteuses pour diffuser son engagement environnemental.
En 1991, la société chimique Dupont a mené une campagne pour lancer ses pétroliers à double coque avec des publicités mettant en scène des animaux marins défilant sur l'Ode à la joie de Beethoven.
A partir des années 2000, les entreprises qui se sont engagées dans l'éco-blanchiment à grande échelle se sont multipliées au fil des années, employant pour ce faire des stratégies marketing de plus en plus travaillées s’adaptant aux évolutions de l’audience, au changement d’échelle médiatique et de réalité sémantique dans la réception du sens et du contenu des messages.
Depuis 2005, le phénomène du greenwashing ou de l’éco-blanchiment en expansion dans le domaine de la communication publique s’étend progressivement pour prendre différentes formes :
. L’acte de transmettre au public des informations qui sont – dans le fond et dans leur forme – une présentation déformée des faits et de la vérité, dans le but d'apparaître socialement et/ou écologiquement responsable au regard d'un public visé
. Le comportement d'entreprises nocives du point de vue social ou environnemental qui tentent de préserver et étendre leurs marchés en se présentant comme des amis de l'environnement ;
. Ainsi que toute tentative d'endoctrinement de décideurs publics et des clients en faveur de l’intérêt de groupements d’activités ou de fédérations d’entreprises perçues comme essentielles à au développement durable.
Les déclinaisons du "greenwashing" : différentes formes d'allégations et de pratiques frauduleuses
Alors que la promotion de bonnes pratiques écologiques devient progressivement la norme, les entreprises sont confrontées à un afflux de litiges pour des allégations environnementales trompeuses.
Le plus souvent, les allégations vertes s’appuient sur un fond de vérité concernant l'effet positif d’une activité ou d’un produit sur l'environnement. Il pourrait avoir certains éléments de vérité, mais ne tient pas compte de l'impact total.
Plus rarement, les entreprises peuvent blanchir les initiatives avec des allégations vagues qui ne fournissent pas de données réelles ou de validation scientifique pour les allégations. Dans ce cas, l'utilisation de termes génériques tels que durable, vert ou respectueux de l'environnement ou simplement prétendre être "bon pour la planète" ou "meilleur pour l'environnement" peuvent être utilisés sans preuves à l’appui.
Sur le plan des politiques ESG, le greenwashing se produit également lorsqu'une organisation publique ou privée a déclaré son engagement dans une stratégie verte qui ne correspond pas à ce que l'entreprise a publiquement mis en œuvre.
La mode de l'éco-blanchiment devient ainsi une « pente glissante » pour les entreprises qui nécessite une sensibilisation et une éducation des spécialistes du marketing et de la publicité à l'éthique.
L’agence de communication britannique Futerra spécialisée dans la prévention contre l’éco-blanchiment, fournit dans un guide une liste de critères permettant d’identifier des campagnes de greenwashing :
. L’usage de produits verts par une entreprise qui ne l'est pas ;
. L’usage d'images suggestives, de slogans abusifs ;
. Le positionnement dans un classement fictif sans référentiel ou critères de comparaison ;
. Le manque de crédibilité et de légitimité ;
. L’emploi d’un jargon écologique ;
. La référence abusive à des amis imaginaires ;
. L’usage de mots imprécis et approximatifs ;
. L’absence de preuve et les mensonges par omission.
Il existe plusieurs techniques pour faire en sorte qu'un produit ou un service semble plus durable pour l'environnement qu'il ne l’est en réalité. Les stratégies les plus couramment utilisées sont les suivantes :
. Le moins pour le plus. C'est peut-être l'exemple de « greenwashing » le plus courant consistant à dire que faire le moins c’est déjà être exemplaire.
. Les revendications d'efficacité. En étant plus économe en énergie, l'idée est que moins d'énergie doit être produite, ce qui entraîne un impact moindre sur l'environnement. C’est la stratégie utilisée par le constructeur automobile Volkswagen pour appuyer la commercialisation de véhicules à carburant diesel en 2015. Le groupe a été pris en flagrant délit de « greenwashing » en signalant que ses véhicules à moteur diesel étaient plus économes en carburant qu'ils ne l'étaient réellement.
. Les revendications de recyclabilité. Le greenwashing se produit également lorsqu'une organisation prétend qu'une approche est meilleure pour l'environnement qu'une autre en laissant entendre que la nouvelle approche recyclable. C’est la stratégie utilisée par le géant américain McDonald's en 2019 pour promouvoir ses bonnes pratiques écologiques. Le remplacement des pailles en plastiques par des pailles en papier ne présente pas une meilleure alternative.
. Les objectifs verts. Les organisations et les gouvernements peuvent proposer des objectifs de durabilité déclarés publiquement pour donner l'impression qu'ils font ce qu'il faut pour l'environnement. Les objectifs en eux-mêmes sont des caps à atteindre, mais ils ne sont pas accompagnés par des initiatives ou des moyens suffisants pour parvenir à les atteindre réellement.
. Le détournement d’attention. A l’occasion du début des soldes d’été 2022, l’association Zero Waste France a porté plainte contre Adidas et New Balance pour greenwashing. Selon l’association, la plainte est fondée sur « délit de pratique commerciale trompeuse ». Zero Waste France reproche à Adidas ses logos « Made to be remade » (« Fait pour être réutilisé ») et « End plastic waste » (« Mettons fin aux déchets plastiques »), qui affirment et donnent l’impression au consommateur que les produits sont soucieux de l’environnement
. Les fausses promesses. Il s’agit cette fois d’un procès en cours qui oppose les associations Greenpeace et Les Amis de la Terre à TotalEnergies. L’accusation de greenwashing est cette fois-ci fondée sur la promesse de Total d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Selon Greenpeace « TotalEnergies est tout simplement incapable d’expliquer en quoi la stratégie du groupe est alignée avec un objectif de neutralité carbone d’ici 2050 ».
Un affrontement entre deux modèles idéologiques : la croissance et la décroissance économique
La prise de conscience croissante des problèmes environnementaux a incité les entreprises à mettre davantage l'accent sur la promotion de leurs références en matière de développement durable. Ce phénomène a accentué le recours au « greenwashing » ce qui a de nombreux effets sur les consommateurs, les entreprises, les industries vertes et la planète elle-même.
Pour les consommateurs, de plus en plus d’éléments montrent que le sentiment des consommateurs est orienté vers l'écologie et la durabilité environnementale. Lorsqu'une entreprise, un produit ou un service est pris ou découvert comme faisant de l'éco-blanchiment, il y a un sentiment général de méfiance. Les consommateurs ne font plus confiance à la marque ou au produit et peuvent également commencer à remettre en question d'autres allégations.
Pour les entreprises engagées dans le « greenwashing », les consommateurs choisiront probablement d'autres organisations plus éthiques. L'éco-blanchiment peut dégrader la satisfaction des clients, la réputation de la marque et avoir des conséquences potentielles sur l’activité économique à terme. Les entreprises courent également le risque d'amendes de la part des gouvernements et des organismes de réglementation du monde entier.
Pour les industries vertes, le risque de greenwashing est un manque de confiance des consommateurs. S'il y a beaucoup d'éco-blanchiment, les consommateurs ne feront tout simplement pas confiance aux affirmations écologiques - y compris les industries légitimement vertes - car ils ne sauront pas à qui faire confiance.
Cette diversité de pratiques sur le champ de bataille informationnel conduit à la multiplication des affaires et scandales faisant état d’allégations de « blanchiment vert », où les entreprises font des déclarations fausses ou trompeuses sur leurs références environnementales, que ce soit involontairement ou dans le cadre d'une stratégie de marketing délibérée et agressive.
Au cœur de l’affrontement sur le terrain du greenwashing, plusieurs typologies d’acteurs se distinguent :
. Les acteurs privés engagés dans des campagnes de communication publicitaires et développant un argumentaire autour de références en matière de développement durable et de responsabilité environnementale au nom d’une marque, d’un produit ou d’une activité. Les fédérations d’entreprises, groupements d’intérêt économiques, et multinationales communiquent de plus en plus sur les enjeux de développement durable et les initiatives à impact ce qui amène à un questionnement général sur la sincérité de leurs pratiques.
. Les acteurs publics impliqués dans la mise en œuvre et l’application de la réglementation sectorielle et le contrôle des pratiques commerciales pour endiguer le marketing frauduleux et les publicités mensongères (organes de législation, autorités de régulation)
. Les acteurs de la société civile défendant une idéologie et des valeurs fondamentales par conviction ou par représentation d’intérêt. C’est le cas par exemple des organisations non-gouvernementales et associations de consommateurs vigilantes sur la transparence des pratiques en matière d’information verte.
. Les acteurs indépendants spécialisés dans la conduite d’action pour la promotion et la sensibilisation aux bonnes pratiques sociales et environnementales. C’est le cas notamment des organismes spécialisés au niveau international et des agences de notation à échelle régionale fournissant des instruments et supports pour conseiller et soutenir les entreprises de marque dans leur communication ESG.
Le Green Deal : un terrain d'affrontement sur le "greenwashing" en Europe
À une époque où un nombre croissant de consommateurs ainsi que de gouvernements souhaitent prendre des mesures respectueuses de l'environnement, l'accent a été mis de plus en plus sur l'environnement, le social et la gouvernance (ESG). Cette nécessité nouvelle de démontrer systématiquement les efforts ESG réalisés a amené de nombreuses organisations à faire du greenwashing.
Un rapport de la Commission européenne de 2021 a révélé que 42 % des allégations écologiques faites par les organisations étaient trompeuses ou exagérées d'une manière ou d'une autre. Pour la plupart, les exagérations provenaient de l'utilisation d'énoncés généraux par des organisations revendiquant la durabilité ou le respect de l'environnement, sans fournir de preuves réelles pour étayer leurs allégations.
Dans ce contexte de multiplication des pratiques de greenwashing donne lieu à des actions de la part des autorités législatives et organismes de régulation. Les questions environnementales deviennent un élément central de la stratégie de l’UE, la commission européenne a engagé dans ce sens un programme d’investissement ambitieux s'engageant à atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre d'ici 2050. La bataille climatique n’est plus réservée aux militants écologistes. Elle s’est imposée comme un élément incontournable du débat public. Face à ces risques, les thèmes environnementaux sont sortis en tête des enjeux de l’élection européenne de 2019. Tous les partis politiques, même conservateurs, ont été forcés d’aller sur le terrain des politiques environnementales.
En Europe, les mobilisations pour le climat dans le prolongement de la conférence sur le climat et de l’accord de Paris en 2015, plusieurs initiatives politiques dans le domaine de l’énergie, du transport et de la logistique ont abouti au lancement du Green Deal européen en décembre 2019 par la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Il s’agit du plus grand programme de réformes jamais connu en Europe visant à parvenir à un objectif de réduction des émissions carbones de 55% d’ici 2030 afin de faire de l’Europe un continent climatiquement neutre à l’horizon 2050.
Ce changement de ton s'est incarné dans le Green Deal européen par des actions concrètes déclinées par secteur d’activité : une stratégie de baisse des émissions de gaz à effet de serre, un fonds d’investissement dirigé vers la protection de l’environnement, un plan de croissance porté par les technologies vertes. Le programme appelé « Green Finance Strategy » a pour objectif de canaliser les investissements privés et leurs flux financiers dans des secteurs économiques contribuant à la promotion d’entreprise verte.
Cette transformation verte pose la question de l’accès aux financements. Le plan de relance européen, 750 milliards d’euros sur les deux prochaines années, en réponse à la crise de la COVID19 est venu compléter le programme de transformation du Green Deal en ajoutant un volet financement important. Le Parlement européen comme le Conseil se sont mis d’accord pour flécher 37 % de son enveloppe vers les objectifs de transition écologique, obligeant dans le même temps les États-membres à s’aligner et investir massivement dans l’atteinte des objectifs européens en matière de climat.
Au niveau communautaire, les réactions contre le greenwashing et l'éco-blanchiment en Europe
En réaction à ce Pacte vert ambitieux face à l’urgence climatique, les vieux réflexes restent tenaces au sein du jeu politique européen, à commencer par la défense des industries nationales polluantes mettant en cause la soutenabilité de la stratégie et des objectifs affichés. La percée des lobbies dans le nucléaire, le gaz et l’industrie automobile est particulièrement forte en Europe.
Alors que des études montrent que les investissements dans les infrastructures gazières menaceraient l’atteinte de l’objectif de baisse des émissions de gaz à effet d’au moins 55 % en 2030, les industries du gaz fossile ont réussi en parallèle le tour de force de se faire passer pour “une énergie de transition”, gagnant notamment à leur cause le Parlement sur l’orientation des fonds européens.
Les récents recours devant la justice des géants de l’énergie fossiles contre des États de l’Union Européennes en faveur du libre-concurrence visent à contrer et ralentir les efforts de transition vers les énergies renouvelable.
De ce point de vue, le projet Nord Stream II, soutenu par l'Allemagne malgré l'opposition de la France et de la Pologne démontre que les États et leurs intérêts nationaux dominent toujours la construction d'une Europe du climat.
Si l’importance des allégations environnementales en nombre et en termes d’enjeux écologiques ne cessent de croître, il n’existe pas pour l’heure de cadre juridique communautaire au niveau européen pour les encadrer et garantir aux consommateurs et aux décideurs économiques une information qui leur permette de faire des choix éclairés.
Les différents États de l’UE disposent à ce stade de leur propre réglementation sur le sujet ce qui ne permet pas une harmonisation du cadre général et des règles applicables dans les pratiques commerciales.
Néanmoins, depuis le 30 mars 2022, la commission européenne a présenté plusieurs propositions de textes dans le cadre d’une directive pour renforcer la protection des consommateurs et favoriser la transparence des pratiques commerciales.
Parmi les réponses envisagées contre l’éco-blanchiment de l’information dans le cadre campagnes publicitaires et de communications publiques, la commission propose de créer une définition de la notion d’allégation environnementale dans le droit de l’Union Européenne :
. Il s’agit de tout message et toute déclaration non obligatoire en vertu du droit de l’Union ou du droit national, notamment concernant le texte, l’image, la représentation graphique, le symbole ou sous quelque autre forme que ce soit, y compris un label, une marque, une dénomination dans le cadre d’une communication commerciale ;
. Il s’agit de tout type d’expression faisant état d’une allégation trompeuse concernant le contexte ou le contenu d’un produit ou d’une profession qui a une incidence positive ou nulle sur l’environnement ;
. Il s’agit de tout type de support, quel que soit le champ d’application et le message véhiculé s’agissant d’une affirmation ou d’une suggestion à caractère générique ou suffisamment explicite.
La proposition de texte pour la directive définit également une pratique commerciale trompeuse selon les caractéristiques et circonstances suivantes :
. Si elle contient des informations fausses et qu’elle est donc mensongère ou que d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur, même si les informations présentées sont factuellement correctes en ce qui concerne un ou plusieurs aspects, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ;
. Si elle omet sciemment une information substantielle dont le consommateur aurait besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause ;
. Lorsqu’un professionnel compare ou dissimule une information substantielle ou la fournit de façon peu claire, intelligible, ambiguë ou à contretemps, ou lorsqu’il n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas du contexte et que dans l’un ou l’autre cas, susceptible de faire prendre au consommateur une décision qu’il n’aurait pas prise autrement.
L’intérêt d’une intervention du législateur sur la question favorise la régulation de l’information et fournit une protection juridique et commerciale contre le poids des fausses informations sur l’image et l’activité des sociétés dans un contexte d’affrontement commercial. La transposition de la directive européenne dans le droit national, permet d’encadrer les pratiques commerciales des entreprises. En cas de greenwashing, les entreprises concernées et leurs représentants peuvent être punies de deux ans de prison et d’une amende de 300 000 euros. Le montant de l’amende peut être majoré, jusqu’à 80 % des dépenses engagées pour la réalisation de la pratique constituant le délit.
Au niveau national, l'évolution du contexte réglementaire sur les pratiques commerciales en matière environnementale dans le cadre de la loi sur le climat
L'Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe) et l'Autorité de Régulation des Professionnels de la Publicité (ARPP) travaillent conjointement sur une identification des pratiques de greenwashing pour limiter l'utilisation abusive des arguments "verts" dans les publicités.
Dans la lignée, plusieurs normes ou guides de bonnes pratiques peuvent aider en ce sens les entreprises à définir leurs messages de communication, de publicité ou de marketing en matière environnementale :
. La norme ISO 14021:200611 - Marquage et déclarations environnementaux -- Autodéclarations environnementales;
. Le guide « anti-greenwashing » de l'ADEME ;
. Le guide pratique des allégations environnementales publié par les ministères chargés de l'environnement et de l'économie en janvier 2012.
Selon le guide anti-greenwashing publié par l'Ademe en 2012, les pratiques d'éco-blanchiment recouvrent :
. Le mensonge pur et simple ;
. La promesse disproportionnée ;
. L’usage de termes vagues ;
. Le manque de transparence, d'informations ;
. Des visuels trop suggestifs par rapport au produit réel ;
. Le faux écolabel (autoproclamé et ne correspondant à aucun référentiel) ;
. Une mise en avant de pratiques durables sans rapport avec le produit ;
. Des allégations sans preuves ;
. Une fausse exclusivité, alors que l'entreprise ne fait que respecter la loi.
Depuis 2021, dans le cadre de la loi Climat, le Code de la consommation intègre un amendement sanctionnant les pratiques commerciales trompeuses, et notamment en matière « d’impact environnemental », la fiabilité de la source et l’exactitude de l’information transmise au consommateur étant désormais mentionnée explicitement comme une caractéristique essentielle d’un produit ou d’un service.
En matière de réglementation, l’article 90 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte stipule en l’espèce qu'« afin de garantir la qualité de l’information environnementale mise à la disposition du consommateur, les producteurs réalisant volontairement une communication ou une allégation environnementale concernant leurs produits sont tenus de mettre à disposition conjointement les principales caractéristiques environnementales de ces produits. »
Les polémiques et controverses autour du "greenwashing" en Europe : une arme de guerre économique
L’exemple de scandales et affaires autour du greenwashing sont nombreuses dans les différents pays européens. Certaines plus que d’autres ont fait l’objet de la lumière médiatique amenant les États de l’Union Européenne à rechercher des solutions face aux problématiques récurrentes.
Plusieurs controverses ont ainsi émergé telles que :
. L’approche globale et transversale sur le financement de la stratégie industrielle européenne pose question sur l’attribution des fonds. L’association Réseau Action a dénoncé le Green Deal comme une vaste opération de greenwashing menée par les lobbies visant à modifier le cadre de référence et les critères d’attribution des financements verts en fonction des secteurs et des régions.
. La mise en cause de la transparence et de l’indépendance des institutions européennes ou de leurs représentants sur la question. Le problème se situe dans les campagnes de lobbying orchestrées au niveau de l’Union Européenne par les multinationales et groupements d’entreprises privés auprès de Franz Timmermans qui influencent la définition du cadre de référence et des critères des initiatives labellisées vertes ou durables.
. La polémique autour de la création d’une certification environnementale avec l’écolabel européen pour la promotion des énergies non-polluantes. L’ONG Greenpeace met en cause son élargissement aux activités des groupes industriels dans l’énergie fossile et nucléaire.
. La demande d’affranchissement des mesures sur le changement climatique avec la paralysie économique engendrée par l’épidémie de coronavirus puis par la guerre en Ukraine. Plusieurs États européens et groupements d’entreprises ont exigé un report des règles européennes sur les émissions de gaz à effet de serre afin de garantir une continuité d’activité dans un contexte de tension sur les chaînes d’approvisionnement.
Ces différents événements amènent à des accusations sur le manque d’intégrité des institutions de l’Union Européenne et de leurs représentants.
L’exemple de l’industrie automobile
Le secteur de l’automobile est un marché fortement impacté par le greenwashing. Alors que de nombreux constructeurs et équipementiers automobiles prétendent fournir des solutions vertes avec des moteurs ou des batteries particulièrement économes en carburant en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Ces entreprises oublient de signaler l'origine (rarement verte) de l'électricité qui recharge les batteries, les problèmes de recyclage des batteries lithium-ion très polluantes. En réalité, elles continuent d'investir dans des sources d'énergie non vertes pour la production des composants de véhicules.
Le mythe de la « voiture propre » est utilisé par de nombreux constructeurs automobiles pour inciter leurs consommateurs à acheter leurs véhicules. Les constructeurs automobiles affirment que leurs voitures (qu'elles soient électriques, hybrides ou diesel) sont plus respectueuses de l'environnement alors que ce n'est pas la réalité.
Certains constructeurs, comme Volkswagen, ont été accusés de pratiques commerciales trompeuses et de tricheries lors d’essais techniques réalisés en laboratoire visant à mesurer les émissions des moteurs diesel. Ce test de pollution permettait au groupe Volswagen de fournir des chiffres et données "améliorés" pour appuyer le lancement marketing d’un de ses produits. Ce « dieselgate », impliquant Volkswagen, a été révélé pour la première fois en 2015 par l'Agence américaine de protection de l'environnement et a sensibilisé à la pollution réelle des moteurs diesel, malgré les affirmations selon lesquelles ils pourraient être plus propres que les moteurs à essence.
En Europe, la campagne publicitaire « Clean Diesel » de Volkswagen visait à démystifier la théorie selon laquelle le diesel émettait plus de polluants atmosphériques que l'essence sans plomb, et s'est déroulée sur une période de six ans jusqu'en 2015. Il s'est avéré plus tard que Volkswagen avait truqué 11 millions de ses voitures diesel avec un logiciel antipollution. En réalité, ses voitures diesel émettaient 40 fois le niveau de dioxyde d'azote légalement autorisé. Volkswagen a payé des amendes de plus de 26 millions d’euros dans le monde pour sa tromperie.
Un élargissement du phénomène à de nouveaux secteurs d’activité
Aujourd’hui les scandales et polémiques se multiplient et s’étendent à de nombreux secteurs d’activité.
C’est le cas par exemple dans le domaine de l’énergie. Tous les grands acteurs mondiaux de l'énergie communiquent leurs intentions volontaires de développer leurs réseaux d'énergies renouvelables. Néanmoins, la réalité des faits est que beaucoup adoptent des positions opposées. Au cours de leurs processus de recherche et d'obtention d'investissements, ils choisissent de soutenir et de promouvoir les énergies basées sur les combustibles fossiles et l'énergie nucléaire. L’État américain du Massachusetts poursuit le géant pétrolier ExxonMobil pour éco-blanchiment en raison des dommages causés par ses produits pétroliers et gaziers. La promotion par Exxon de ses investissements dans des solutions énergétiques à faibles émissions, tout en continuant à investir des sommes importantes dans les opérations liées aux combustibles fossiles, a été particulièrement critiquée. Par conséquent, quatre compagnies pétrolières – ExxonMobil, Chevron, BP et Shell – ont été convoquées devant le Congrès américain l'année dernière pour discuter d'allégations de désinformation sur le climat.
C’est le cas également dans le domaine informatique. Les nouvelles technologies en général et l'informatique en particulier, sont présentés comme un allié majeur de l'environnement. De nombreuses entreprises vantent les mérites de la technologie verte permettant d'économiser du papier, de réduire les émissions de CO2 en autorisant le travail en ligne et à distance. Pour autant, les composants technologiques composant les appareils technologiques sont constitués de minéraux et de terres rares dont l'exploitation est très nocive pour l'environnement.
Les scénarios de résolution contre le greenwashing dans le cadre de la guerre économique entre superpuissances
Le travail d’encadrement de l’Union Européenne et des différents États membres sur la formulation des allégations environnementales, représente une première étape très importante dans la construction d’un cadre juridique européen de l’éco-blanchiment.
L’interdiction et la sanction de l’utilisation d’informations abusives permettra une harmonisation du cadre et des règles de droit au niveau communautaire bénéfique à plusieurs niveaux :
. Elle favorise le développement d’une éthique et une responsabilité des acteurs politiques, économiques, sociaux sur les pratiques de greenwashing et d’éco-blanchiment
. Elle préserve l’image et maintien le positionnement d’acteurs de référence dans un certain nombre de secteurs d’activités
. Elle engage les États dans une dynamique de réflexion sur la détection des risques, l’anticipation des menaces et la protection des intérêts contre les tentatives de déstabilisation à l’échelle nationale et régionale (interventionnisme des ONG, ingérence financière des grandes puissances étrangères)
Edouard Mayran
Auditeur de la 40ème promotion MSIE de l’EGE
Sources:
1. Le phénomène de l’éco-blanchiment : du « brainwashing » au « greenwashing »
Liang H., Sun L., et al. Greenwashing. https://dwtyzx6upklss.cloudfront.net/Uploads/i/w/e/priacademicweekpaper10greenwashing_851760.pdf
Farron A., Ghoulam, I., et al. La résistance face au greenwashing.
https://m2mkgurca.wordpress.com/2019/12/15/__trashed/
Terrisse L. Publicité : comment lutter contre le greenwashing ?
http://agence-limite.fr/wp-content/uploads/2012/04/InterventionLaurentTerrisse.pdf
2. L’histoire du « greenwashing » : une évolution du concept au fil des années
Novethic. Greenwashing.
https://www.novethic.fr/lexique/detail/greenwashing.html
What Is. Greenwashing.
https://www.techtarget.com/whatis/definition/greenwashing
3. Les déclinaisons du « greenwashing »: différentes formes d’allégations et de pratiques frauduleuses
BusinessNewsDaily. What is greenwashing?
https://www.businessnewsdaily.com/10946-greenwashing.html
Forbes. What is greenwashing?
https://www.forbes.com/uk/advisor/investing/what-is-greenwashing/
You Matter. Greenwashing definition – What is greenwashing?
https://youmatter.world/en/definition/definitions-greenwashing-definition-what-is-greenwashing/
4. Le Green Deal : un terrain d’affrontement sur le « greenwashing » en Europe
Makaroff, N. L’Europe au temps du Green Deal : renouer avec la capacité d’action.
5. Au niveau communautaire, les réactions contre le greenwashing en Europe
Réseau Action Climat. Green Deal européen ou Greenwashing ? Telle est la question.
https://reseauactionclimat.org/green-deal-europeen-ou-greenwashing/
Les Echos. Coronavirus : Bruxelles se divise sur le Green Deal.
Gossement Avocats. Eco-blanchiment : la commission européenne propose un cadre juridique européen pour les allégations environnementales.
Europa-Eu. Économie circulaire : la Commission propose de nouveaux droits des consommateurs et une interdiction de l’éco-blanchiment
6. Au niveau national, l’évolution du cadre réglementaire sur les pratiques commerciales dans le cadre de la loi sur le Climat
Figaro. L’étau se resserre contre le greenwashing.
https://www.lefigaro.fr/medias/l-etau-se-resserre-contre-le-greenwashing-20220907
LSA-Conso. Greenwashing : un nouveau décret pour encadrer les allégations publicitaires.
Ouest France. Cop27. L’Onu met en garde les entreprises en décrétant les « lignes rouges » du greenwashing.
7. Les polémiques et controverses autour du « greenwashing » : une arme de guerre économique
France TV. Greenwashing ou engagement sincère ? A la COP15 biodiversité, la présence des multinationales accueillie avec circonspection.
Sénat. "Tromperie" sur les investissements verts ? les interrogations de la délégation aux entreprises confirmées.
https://www.senat.fr/presse/cp20221201.html
TF1. Greenwashing, hold-up… le label vert de Bruxelles pour le gaz et le nucléaire fait polémique.
Greenly.Earth. Label vert et nucléaire : greenwashing ou véritable avancée ?
Carbo Academy. Greenwashing : 5 exemples des pires pratiques en la matière.
https://www.hellocarbo.com/blog/communaute/greenwashing-exemples/
Zero Waste France. A vos marques, prêts, attaquez : Zero Waste France porte plainte contre Adidas et New Balance pour greenwashing.
https://www.zerowastefrance.org/zero-waste-france-plainte-adidas-new-balance-greenwashing/