La stratégie allemande d’affaiblissement de la France sur la question de l’Energie s’étend en Afrique du Nord

Pour donner de l’élan à sa volonté de puissance, l'Allemagne prend comme point d’appui le Maroc. Elle y accède depuis une brèche stratégique délaissée par la France, allié historique du Maroc : l’Énergie. La brèche est devenue une voie royale pour les bureaux d’études et les industriels allemands. La crise diplomatique récente entre l’Allemagne et le Maroc offre à la France[i] l’opportunité de relancer son offre énergétique.

La zone de confrontation : la stratégie énergétique marocaine

La prise de conscience du défi énergétique au Maroc, pays sans ressources pétrolières, et de l’exigence d’identifier des solutions « out of the box » a été initiée par la branche marocaine de l’Association des Anciens de l’Ecole Centrale de Paris en 2007. En 2008 à l’occasion d’un discours à la nation, le Roi du Maroc annonce vouloir renforcer localement la capacité de production d'énergie du pays en ouvrant la possibilité  aux investisseurs privés et place les énergies renouvelables (EnR) comme clé de voûte de la politique énergétique nationale.

En effet la situation énergétique au Maroc[ii] constituait un handicap devant sa volonté d’émergence et questionnait la durabilité de son modèle de développement[iii].    La feuille de route découlant de la Stratégie Energétique Nationale s’est fixée comme objectif à l'horizon 2020 de porter la part des EnR à 42% (actualisé en 2015 à 52% à horizon 2030) de la puissance électrique installée. Plusieurs lois ont été votées pour permettre l’activation de cette stratégie dont la création de MASEN : l’agence d’exécution de la politique publique en Energies Durables.

En juin 2020, le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) du Maroc a rendu un avis sur la transition énergétique intitulé « Accélérer la Transition Énergétique pour installer le Maroc dans la croissance verte ». Cet avis rappelle à plusieurs égards ENERGIEWENDE, la stratégie allemande de transition énergétique : aucune mention n’y est faite du nucléaire, l’ambition d’une électricité presque 100% renouvelable, l’introduction de l’hydrogène vert et surtout la place du « Green Deal » européen dans la structuration de la vision et des objectifs.

L'occupation du terrain marocain pour les intérêts allemands

  1. Les médias : l’Allemagne tire en premier et le montre

Dès l’annonce de la stratégie énergétique marocaine en 2008, l’Allemagne s’est assurée d’être aux premières lignes pour la déclinaison de la vision royale. Elle invite la ministre marocaine de l'Énergie à prendre la parole lors du baptême de l’Agence Internationale des EnR (IRENA) à Bonn le 26 janvier 2009.

L’Allemagne s’est assurée d’être visible pour cet accompagnement du Maroc dans la mise en œuvre de sa stratégie énergétique. Ainsi l’agence de presse officielle marocaine (MAP) a fait part de la visite de Mme la ministre à Bonn et l’information a été relayée par tous les médias marocains.

Le modèle allemand a continué à être mis en avant, dans les médias marocains, tout au long des dix dernières années. Cet article produit par l’envoyé spécial de la MAP (agence officielle) démontre l’activisme de l’Allemagne pour créer un encerclement cognitif sur la thématique des EnR au Maroc.

  1. La coopération au développement : une offensive structurée

La diplomatie allemande met en avant la priorisation du secteur de l’énergie dans sa politique de coopération avec le Maroc en assurant l'accompagnement institutionnel et le financement des projets. Cette priorisation a débouché sur un partenariat institutionnel entre les 2 pays institué par une déclaration d’intention signée en 2012 au niveau ministériel.

La plateforme publique de ce partenariat qualifie les 2 pays de « leaders de la transition énergétique dans leurs continents respectifs ».

  1. GIZ assure L’évangélisation et l’accès au marché

GIZ, entreprise publique allemande en charge de la mise en œuvre des politiques publiques d’aide au développement, a trusté la production de connaissances dans le domaine de l’énergie solaire et de l’efficacité énergétique au Maroc. Cela a été possible grâce au projet « Accompagnement Plan Solaire Marocain » financé par la coopération allemande.

Sur les 354 projets réalisés par GIZ couvrant le Maroc, 32 portaient sur le secteur de l’énergie. D’autres études s’intéressaient à l’impact de l’énergie dans différents secteurs d’activités ou territoires. Ces études traduites en allemand sont une source d’informations inestimable pour les opérateurs économiques allemands.

GIZ a également mis en place une plateforme d’orientation et de conseil des opérateurs économiques marocaines pour « être leader en transition énergétique ». Elle embarque ainsi les opérateurs économiques dans la vision souhaitée par les Allemands. GIZ accompagne de façon très dynamique la Cluster Solaire marocain en finançant certaines de ses activités, particulièrement la communication. L’encerclement des acteurs économiques est total.

  1. Les ONG Allemandes ciblent les acteurs non institutionnels

Heinrich-Böll-Stiftung, fondation politique proche des verts fut extrêmement active pour « l’éducation politique ». Son site explicite de façon très didactique la transition énergétique allemande et l’intérêt de mobiliser les citoyens autour de la cause de la transition énergétique. Il est intéressant de relever que la première publication (aout 2014) de cette ONG au Maroc traitant de l’énergie s’intitule « le mythe du nucléaire ».

Konrad-Adenauer-Stiftung, proche de la CDU qui cible dans son action au Maroc la sphère politique et estudiantine, a consacré plusieurs de ces actions à la thématique Climat et Énergie. Lors de la 9ième rencontre Euro-méditerranéenne ; coorganisée avec une puissante ONG locale sur la thématique « Maroc – UE : perspectives pour un partenariat énergétique » ; il ressort que tous les intervenants du côté de l’EU étaient allemands. Une façon de dire que le dialogue entre Maroc et l’UE sur le partenariat énergétique se fera en allemand !

The German Marshall Fund of the United States (GMF), GMF est un Think Tank américain crée à l’initiative de l’Allemagne et qui est très proche des milieux de l’intelligence américaine. Dans un rapport publié en 2012, les experts du GMF ont développé une option Atlantique pour le positionnement géopolitique du Maroc. Ils ont évoqué la possibilité de mettre en place un « Atlantic Energy System ».

Une note d’orientation de 2013 du GMF recommande que le sujet des EnR devrait figurer en bonne place dans l’agenda des relations bilatérales entre le Maroc et les USA. Elle propose même que le Maroc devienne un vecteur de l’initiative du président Barack OBAMA « Power Africa ». En 2020, GMF reprend sur son blog un article publié par un institut italien pour expliquer pourquoi la Russie s’intéresse à la méditerranée et y évoque le partenariat stratégique signé en 2016 entre le Maroc et la Russie dans le domaine de l’énergie. Enfin le 24 juin dernier, GMF organise un évènement en ligne qui interroge la compétition entre l’UE et la Chine dans le domaine des EnR en méditerranée.

La conquête commerciale allemande

Le bureau d’études allemand FLAGSOL est choisi par MASEN pour les études de conception. La KfW (la banque de développement allemande) prend la part du lion dans le financement. Sur les 3 phases des projets solaires marocains (NOOR), KfW et GIZ financent 39% alors que l’AFD ne finance que 7 %.

Siemens devient en plus le fournisseur attitré pour toute projet éolien au Maroc et en Europe du Sud grâce à la compétitivité de son usine au nord du Maroc. Cette usine a bénéficié d’un tapis rouge de la part des autorités marocaine, même si elle faisait partie des engagements pris par le groupement Siemens-Enel-Nareva pour décrocher le marché de 1,3 Milliards d’euros pour les 850 MW éoliens, devant EDF et Alsthom.

L'Allemagne dans l'œil de la tempête diplomatique avec le Maroc

En mars 2012, le ministre marocain des affaires étrangères annonce la rupture de tout contact avec l’ambassade d’Allemagne et ordonne la suspension de toute interaction avec l’Allemagne et avec les fondations politiques allemandes présentes au Maroc.

Craignant que la crise diplomatique avec l’Allemagne, ne pénalise son plan de transition énergétique et particulièrement les aspects liés à l’hydrogène vert, le Maroc se tourne vers IRENA. Bien que IRENA soit une agence intergouvernementale, la partie marocaine semble oublier que son parrain est le gouvernement allemand et que bien que son siège soit à Abu Dhabi, le centre d'innovation et de technologie d’IRENA est toujours à Bonn.

La France en retrait dans l'attente d'un faux pas allemand

La CFCIM (la Chambre Française de Commerce et d’Industrie au Maroc) ; délégataire de service public de Business France depuis 2012 et de Team France Export depuis 2019 ; n’a traité dans sa revue mensuelle du sujet des EnR que 3 fois. Les dossiers y sont conçus dans une logique de diffusion d’information et non de production de connaissance.

La France a privilégié le nucléaire pour réduire sa dépendance énergétique et a développé tout un écosystème industriel et d’ingénierie nucléaire ce qui explique en grande partie son désintérêt pour l’EnR.  D’ailleurs la France n’est que le 58e pays à ratifier son adhésion à l’IRENA qui est pourtant le lieu de production des connaissances dans le domaine des EnR .

Au Maroc l’intérêt de la France pour l’EnR se matérialise par le niveau de sa représentation de lors du séminaire de lancement du jumelage Maroc – Union Européenne « Appui au renforcement de l’énergie ».  La république française y était représentée par le premier secrétaire de l’ambassade, aux côtés du ministre marocain de l’Energie et de l’ambassadeur de l’Union Européenne au Maroc et de l’ambassadeur d’Allemagne.

Notons au passage que certains économistes français très écoutés au Maroc, font la promotion du modèle marocain, fortement inspiré du modèle allemand.

Une contre-offensive timide française

Le site www.lemondedelenergie.com, portevoix du secteur énergétique français, annonce que le désastre énergétique allemand va s’amplifier après l’adoption de ENRGIEWENDE. Son audience au Maroc est trop faible pour espérer donner quelques éléments de langage aux acteurs marocains.

Le rapport « La géopolitique du Green Deal européen », rédigé par le think tank Bruegel, a permis d’identifier les impacts négatifs du « Green Deal » sur certains pays voisins de l’Europe (Algérie par exemple) et des risques que cela engendre pour les pays européens. Le journal Le Monde donne tribune à 4 experts pour analyser ce rapport et démontrer que les décideurs européens devraient adapter la vitesse d’accélération de leur transition énergétique.

La disgrâce du PDG de MASEN donne un nouveau souffle à la contre-offensive française 

Profitant d’une enquête judiciaire sur le président de MASEN, le journal le Monde fait le procès de la stratégie solaire marocaine. Aucune référence n’y fait à l’Allemagne, mais la technologie CSP recommandée par le bureau d’études allemand FLAGSOL est mise à l’index. Le journal Jeune Afrique, installé à Paris, consacre un long article à la disgrâce du PDG de MASEN et la relie aux choix technologiques qu’il a fait et à la forte influence de l’Allemagne dans ces choix.

Un site qui cible la diaspora marocaine francophone va jusqu’à dire que les turpitudes du PDG de MASEN sont dues à des soupçons d’intelligence avec un Etat étranger et cite l’Allemagne comme hypothèse. La crise diplomatique avec le Maroc, soulève en Allemagne des questions sur le choix du partenaire producteur d’hydrogène et met en relief un des risques géopolitiques du choix « 100% EnR »

La France prendrait elle sa revanche en propulsant le nucléaire comme option énergétique pour le Maroc surtout que le phosphate marocain contient de l’uranium. Les discussions entre OCP et AREVA initiées depuis 2007 et l’ancien de AREVA qui a rejoint l’équipe dirigeante d'OCP en 2015 renforcent cette option. .

L’autre option pour la France serait de se positionner de façon plus proactive sur les technologies hydrogène comme en fait la promotion la Revue de l’Energie, éditée par Conseil Français de l’Énergie. Cette option permettrait à l’industrie française de l’hydrogène de s’exporter vers un pays future producteur d’hydrogène vert et remettrait la France sur les tablettes des pays cherchant à développer les énergies de demain.

 

Hamid Ben Elafdil
Auditeur de la37ème promotion MSIE

[ii] Programme d’Appui Analytique à la Stratégie Changement Climatique du Maroc – Décembre 2013 – Banque Mondiale

[iii] La durabilité du modèle de développement marocain : l’option de l’économie verte – Juillet 2012 – Institut Royal d’Etudes Stratégiques