« C’est à l’Etat qu’il incombe de bâtir la puissance nationale ». (Charles de Gaulle)
Au sortir de la guerre, Charles De Gaulle, qui dirige le gouvernement provisoire depuis sa création en juin 1944, déclare que c’est à l’Etat qu’il incombe de bâtir la puissance nationale. Pour ce faire, le conseil national de la résistance posa la création d’Electricité de France, établissement public regroupant 1450 entreprises de production, de transport et de distribution de l’énergie électrique, originellement à partir des centrales hydroélectriques et thermiques à charbon. En 1950, Marcel Boiteux bâtit la tarification de l’électricité, visant à doter la France d’une souveraineté énergétique pour lui permettre de relever les défis de la modernisation à venir et fournir à tous les Français un approvisionnement en électricité fiable et bon marché.
Face aux chocs pétroliers, la décision de l’orientation nucléaire de la production électrique s'est traduit par le plan Messmer de 1973 prévoyant la construction de « 200 réacteurs pour l’an 2000 ». En août 1994, le magazine Capital titrait « Comment la France prépare son avenir » mettant ses points forts en avant pour le siècle prochain : l’énergie ; les transports et le secteur agroalimentaire.
Fin 1999, la France, avec ses 58 réacteurs nucléaires, disposait d’une maitrise technologique enviée jusqu’à nos jours par nos partenaires économiques à commencer par le premier d’entre eux, l’Allemagne. Combinée aux réacteurs nucléaires allemands, la production électrique européenne était excédentaire, ce qui allait entraîner à terme une perte de compétences dans la conduite et la réalisation des grands projets industriels civils nucléaires…un « effet falaise » au bord de laquelle se trouve aujourd’hui la France.
La dérégulation irresponsable du marché de l'énergie
Prise dans un paradoxe écologique de réduction d’émission de CO2 et d’une absolue nécessité d’approvisionnement en gaz, l’industrie allemande gagne du temps, et développe une rhétorique séduisante pour la promotion des énergies renouvelables. Il s’agit d’une politique rusée et habile synthétisée en un mot typiquement allemand ENERGIEWENDE. Sous la pression d’opérations d’influence hostiles à fort résonnance médiatique animées par des organisations non gouvernementales comme Greenpeace ou Sortir du nucléaire, la volonté politique de soutenir le nucléaire civil baissa. Le point de bascule se situe en 1997 avec la victoire de la gauche plurielle aux élections législatives où un accord entre le parti socialiste et les écologistes sur la fermeture de la centrale Superphénix est conclu.
Précurseur dans une technologie de surgénération du plutonium, le glas de Superphénix devait signer 30 ans plus tard, et malgré sa relance en 2006 par Jacques Chirac et 2010 par Nicolas Sarkozy, celui d’Astrid, un ambitieux programme de recyclage de l’uranium, sous l’influence de l’éphémère ministre de l’Écologie Nicolas Hulot. Les alertes climatiques augmentant la pression de la nécessité écologique, la présidence Hollande élabora un accord programmatique et électoral entre le parti socialiste et Europe Ecologie Les Verts sur une éventuelle sortie du nucléaire.
En 2012, le Grenelle de l’environnement a abouti à un projet de loi adoptée en mai 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte avec comme objectif de réduire de 50% la part du nucléaire dans la consommation d’électricité française d’ici 2050. Derrière ce nom flatteur se cache dans la lumière la fermeture de 20 réacteurs en l'espace de seulement 10 ans. La fermeture de Fessenheim symbolisa le début de ce processus. Installée à la frontière allemande, la fermeture de la plus ancienne centrale nucléaire française, en état de fonctionnement attesté par l’Autorité de sûreté nucléaire, impliquant l’importation d’électricité allemande fortement carbonée, démontre l’efficacité de la guerre informationnelle menée par les ONG en dépit du paradigme-paradoxal écologique allemand sur lequel il nous faudrait nous aligner.
Si l’industrie nucléaire française souhaitait conserver sa maitrise et son avance technologique, il eut fallu qu’elle continue de progresser or force est de constater qu’elle a fait pire que de se reposer sur ses acquis, elle a régressé et perdu une partie de ses compétences. En sus des assauts informationnels de ses opposants, l’industrie nucléaire a aussi été au menu des prédateurs financiers. L'année 1989 a sonné le départ d’une vague de libéralisation tous azimuts. Depuis cette date un patient travail de persuasion d’extension des règles de fonctionnement du marché intérieur à tous les secteurs économiques est à l’œuvre, réalisé par toute une armée de lobbyistes souhaitant profiter des bénéfices de ce secteur.
Mais la crise énergétique résultant de la guerre en Ukraine remet les pendules à l'heure. Le 10 novembre prochain, EDF aura de nouveau un actionnaire unique via offre publique d'achat sur les 16 % du capital de l'électricien encore cotés. L'opération coûtera 9,7 milliards d'euros.
La défaite de la rhétorique antinucléaire
Mais en 2020 a lieu un renversement de tendance que les détracteurs du nucléaire n’avaient pas prévu. L’opinion publique redevenait pronucléaire à cause de l’appréhension de deux menaces :
. Le risque de pannes d’électricité en raison de la production intermittente des énergies renouvelables.
. La crainte de la hausse du coût de l’énergie.
C’était deux années avant la guerre en Ukraine et la guerre économique autour du gaz russe…
L’année 2022 marque la fin d’une première bataille informationnelle perdue entre le "greenwashing" et le "nuclear bashing". Forcée par les impératifs du réel, la volonté politique de répondre aux besoins énergétiques, s’affiche de nouveau comme support de l’industrie nucléaire. Le rapport Folz (2019) a souligné les manquements de l’industrie nucléaire en particulier les problèmes de soudure dus à la disparition de l’industrie mécanique en France. Son constat est accablant. Le besoin des ressources métiers est de 400 postes soudeurs non pourvus en 2021 pour le département de la Manche…7000 au niveau national…il manque 70% des ressources métiers. Son objectif est de multiplier par 6 les effectifs entre 2020 et 2026, sans tenir compte des ressources supplémentaire requises pour faire face aux problèmes de corrosion rencontrés sur les réacteurs à l’arrêt.
Sommer de réagir, EDF produit le plan Excell qui vise à retrouver l’excellence de sa filière en renforçant sa qualité industrielle, ses compétences et la gouvernance des grands projets nucléaires. Un de ses maitres d’œuvre est le groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (GIFEN) cherchant à corriger le déficit d’attractivité du nucléaire par la revalorisation de ses métiers (soudeurs ; tuyauteurs ; chaudronniers).
En parallèle de la mise en place de convention EDF et école d’ingénieurs pour former 4000 ingénieurs, une action de séduction de la CCI Normandie à destination des lycées et collèges pour la revalorisation des métiers et la réduction des temps de formations passant de 7 à 4 ans. Désormais, l’EPR finlandais Olkiluoto produit à pleine puissance, fournissant 40% de la production électrique finlandaise en 2022, la France peut lancer un programme ambitieux de construction de 6 nouveaux EPR 2 d’ici 2035 plus 8 en option.
Le futur du nucléaire français passe par une action informationnelle offensive
Longtemps ITER a été le programme de référence pour la recherche sur la fusion nucléaire et les promesses d’une énergie illimitée à partir d’un combustible sans déchet. Début 2022, le laboratoire américain Lawrence Livermore National Laboratory (Californie) a pour la première fois réussi à produire un plasma proche de l’allumage, c’est à dire le moment où le combustible peut continuer à brûler sans apport extérieur d’énergie, et fixant ainsi le seuil de rentabilité. La technologie utilisée est similaire au laser mégajoule du programme miliaire français de simulation nucléaire depuis l’arrêt définitif des essais nucléaires. Parmi ces expériences militaires, 20 % sont destinés à la recherche civile et en 2020, 80 faisceaux étaient montés pour conduire de nouvelles expériences destinées à la recherche académique.
S’opposer à la rhétorique Greenpeace et sa recherche de processus « harmless » pour la planète, passe par la mise en avant de coopérations publiques-privées avec le même succès observé dans l’industrie spatiale faisant référence au partenariat Nasa-Space X.
Repenser la communication du secteur de l’industrie nucléaire française est indispensable en contrant pied à pied les différents arguments du "nuclear bashing". Le modèle énergétique allemand consiste aujourd’hui en la mise en place de centrales à gaz de production basse ou semi-basse, complémentaires des énergies renouvelables au détriment de leur efficacité énergétique, le temps de la transition énergétique, rappelant par la même occasion le risque nucléaire mais faisant fi des émissions de CO2.
La force de la guerre informationnelle est de parler de gaz naturel, vertu qu’il n’a pas, et moins de gaz de schiste, destructeur et pollueur de l’environnement.
Déconstruire la rhétorique du "greenwashing", c’est rappeler la nécessité d’une souveraineté énergique électrique décarbonée en démythifiant le 100% renouvelable qui implique frugalité, productions aléatoires et intermittentes.
Ce faisant, de telles actions informationnelles offensives, pourraient aider à gommer le caractère trop étatique de l’industrie nucléaire et apparaître plus démocratique, voire même artistique et écologique. Sur l’une des tours aéroréfrigérantes de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse, l’œuvre de Jean-Marie Pierret intitulée « Le Verseau » allie mythologie et écologie. C’est une référence à la présence de l’eau dans le schiste ardéchois, à l’idée d’évaporation et de refroidissement du cycle de l’eau. Au-delà de la fresque (1991), la centrale nucléaire se convertit pour partie au vert avec l’installation de panneaux photovoltaïques sur le site en complément d’éoliennes et la mise en place de 170 bornes de recharge pour véhicules électrique en 2021. L’illustration de ce que l’industrie nucléaire a su et peut faire pour rassurer et redorer son image complémentaire des énergies renouvelables.
Loik JAMON
Auditeur du MBA Executive Management Stratégique et Intelligence Economique MSIE40