Au début des années 2000, la Chine part à la conquête de nouveaux marchés. Elle profite de la « marée rose » [i] (virage vers des gouvernements à gauche, ou vers le centre gauche) en Amérique du Sud et du désengagement des États-Unis - alors en guerre au Moyen-Orient - dans la région. La Chine pose les bases d’une coopération « Sud-Sud » mettant en avant les promesses de respect de la souveraineté, et de non-ingérence. Le pays fait l’acquisition de concessions minières, inonde le marché sud-américain de produits manufacturés « made in China », et met en place sa diplomatie du prêt.
La Chine s’est depuis profondément ancrée dans l’économie argentine, couvrant tous les secteurs de l’économie, des activités bancaires, au financement des infrastructures en passant par le secteur minier et les télécommunications.
Les conséquences du changement de cap électoral de 2023
L'élection de Javier Milei à la présidence de l'Argentine le 19 novembre 2023 a provoqué des réactions vives et a surpris de nombreux observateurs. Candidat ultra-libéral, il a été élu sur un programme prônant une « thérapie de choc ». Il est le président le mieux élu depuis le retour de la démocratie en Argentine en 1983, il est arrivé en tête des scrutins dans 21 des 24 provinces que compte le pays avec réunissant 55,6% des voies.
Parmi ses promesses de campagne figurait la rupture définitive avec la « Chine communiste », et ce malgré les très nombreux investissements chinois dans le pays, notamment dans le secteur minier où elle a multiplié les achats de concessions minières dans le nord-ouest du pays, et également pris des participations dans des sociétés minières canadiennes implantées de longue date dans le pays. Les attaques répétées du candidat Milei ont eu pour conséquence pour conséquence le gel de l’accord signé par son prédécesseur portant sur un échange de devises entre les deux pays (pour un montant total de 18 milliards de dollars), le swap.
Ainsi, le nouveau président argentin a également annulé l'adhésion de son pays aux BRICS qui devait être effective à partir du premier janvier 2024, décidant ainsi de recentrer sa diplomatie sur les alliés prioritaires de son gouvernement : les États-Unis et Israël.
L’Argentine, le Chili et La Bolivie forment le long de la frontière andine « le triangle du lithium », qui représente près de 60% des réserves mondiales de ce minerai. Les États-Unis et la Chine se livrent une concurrence féroce dans d'autres pays pour contrôler l'extraction et la transformation de ce minerai rare, essentiel à la fabrication des batteries électriques éléments clés dans la transition énergétique. L’Argentine fournissant près de 55% du marché américain du lithium.
La toile de fond de la présence chinoise
La Chine et l’Argentine entretiennent des relations diplomatiques depuis 1972.Ces relations ont été mises à rude épreuve par les discours du président Milei qui n’a cessé de multiplier les attaques à l’égard de la Chine alors qu’’il était en campagne présidentielle, répétant sa vision binaire du monde, entre les communistes décadents et le monde libre où il place son pays. Face à son discours hostile, la Chine a dès le résultat de l’élection présidentielle opéré des changements au sein de sa représentation diplomatique à Buenos Aires remplaçant son dynamique ambassadeur qui était parfaitement hispanophone, par Wang Wei, qui parle italien, ce qui est interprété comme un signe discret de la dégradation des relations par Pékin. Javier Milei a fini par tempérer ses propos tant la dépendance économique de l’Argentine vis-à-vis de la Chine est grande. Lors d’un entretien accordé à Bloomberg il déclare “ Nous avons toujours dit que nous sommes des libertaires, si les gens veulent faire des affaires avec la Chine, ils le peuvent”.
Ce discours s’ajoute à la visite de la cheffe de la diplomatie argentine, Diana Mondino, qui s’est rendue en Chine à la fin du mois d’avril 2024, qui a déclaré que « quels que soient les changements politiques intérieurs en Argentine, il n’y aurait aucun changement dans la politique de l’Argentine visant à poursuivre son amitié avec la Chine ». Visite ayant pour but de dégeler le swap de devises négocié par les gouvernements précédents, permettant à l’Argentine d’échanger sa monnaie contre des devises, nécessaires à la survie immédiate de l’économie argentine, l’empêchant ainsi de faire défaut sur sa dette de 44 milliards de dollars auprèsès du Fonds Monétaire International
Dans ce contexte, le partenariat Chine/Argentine dans l'industrie du lithium en Amérique du Sud est-il voué à perdurer à l’ère de la concurrence stratégique et de la sécurisation des approvisionnements ?
La stratégie d'expansion chinoise en Argentine
Dès 2004, Pékin a reconnu l’Argentine comme un des trois pays stratégiques dans la région aux côtés du Brésil et du Venezuela. La Chine et l’Argentine ont conclu une « alliance stratégique intégrale » en 2014 sous la présidence de Cristina Kirchner lors de la visite de Xi Jinping dans le pays. Cette alliance a ouvert la voie à une série d’accord de coopération sur le nucléaire civil, la station d’observation spatiale de Neuquen ou encore l’ouverture d’Instituts Confucius dans plusieurs universités du pays, ainsi qu’une vingtaine d’autres traités.
Bien que les gouvernements péronistes aient toujours été jugés plus perméables aux demandes de Pékin. Le président Macri (libéral) , qui avait fait de la renégociation des accords de coopération jugés trop favorables à la Chine une promesse de campagne, les a finalement maintenu, tout en dénonçant l’activité économique prédatrice de la Chine en Amérique Latine, en marge du sommet du G20 (2018)[ii]. C’est en janvier 2022, sous la présidence d’Alberto Fernandez (péroniste) que l’Argentine a officiellement rejoint les routes de la soie, et ce même si le pays avait déjà très largement bénéficié des investissements chinois en termes d’infrastructures et de prêts.
Les enjeux miniers
L’Argentine est actuellement le troisième producteur mondial de lithium dont il possède près 15 % des ressources mondiales[iii]. Le pays ambitionne de devenir d’ici 2027 le deuxième producteur mondial en dépassant le Chili. Afin d’attirer les investisseurs, le pays a mis en place à travers une loi sur l’investissement minier dotée d’une politique fiscale très avantageuse pour les entreprises investissant dans le secteur prévoyant une très faible redevance sur l’exploitation des mines (3%) alors que celles-ci peuvent atteindre les 40% dans les pays voisins (Chili et Bolivie), ainsi que la possibilité pour les exploitants de conserver 70% de leurs bénéfices.
Dès 2017, les entreprises chinoises ont massivement investi dans l’exploitation des mines de lithium en exploitant de nouvelles mines, rachetant les concessions existantes, ou en s’associant avec d’autres entreprises (joint-venture de l’entreprise minière française Eramet et Tsinghan[iv],le plus grand producteur mondial de nickel dans la province de la Salta.) et cela dans les trois provinces du nord-ouest du pays ( frontalières du Chili et la Bolivie) : Jujuy, Salta, et Catamarca regorgent de « Salar » ( sur une superficie totale de 400 000 hectares ) comptant des dizaines de lacs salés soit autant de gisements potentiels. Alors que la production de batteries électriques était en pleine croissance il y eu une véritable course à l’or blanc. En septembre 2021, GanFeng Lithium, troisième plus grande entreprise minière chinoise a pris le contrôle d’un projet d’extraction dans la province de la Salta.
CATL (entreprise de production de batteries) a racheté pour quelques centaines de millions d’euros la société canadienne Millenial Lithium, et Neo Lithium autre société canadienne a été rachetée par la société d’État chinoise Zijin Mining Group. Rachat qui a soulevé les inquiétudes sénateurs républicains américains qui, dans une lettre ouverte, accusent le gouvernement canadien de sous-estimer le Parti Communiste Chinois et de trahir le plan d’action établi entre les États-Unis et le Canada concernant l’approvisionnement en minéraux critiques [v] .
Quelques mois plus tard, en juillet 2022, Ganfeng Lithium prend possession de la société Lithea Inc, qui est une société argentine filiale du groupe pétrolier YPF et qui possède les droits d’exploitation sur deux lacs dans le province de Salta . Ce rachat concentre un peu plus le précieux minerai dans les mains des entreprises chinoises. Malgré l’effondrement du cours du lithium de 80% entre décembre 2022 et décembre 2023, les entreprises chinoises continuent de prospecter et d’investir dans les mines de lithium[vi].
La mainmise de la Chine sur le lithium argentin (entre autres) en a fait en quelques années le plus grand fabricant de batterie lithium-ion au monde (75% des batteries électriques au lithium) et près de 60% du raffinage de la production mondiale de lithium[vii]. On estime que la moitié des plus grandes mines de lithium au monde mises sur le marché depuis 2018 appartiennent désormais à des entreprises chinoises, et démontre bien la stratégie mondiale de Pékin pour contrôler le marché de l’or blanc et en fait un acteur incontournable de la transition écologique[viii].
Les données du gouvernement argentin montrent que les entreprises chinoises auraient investi près de 3,2 milliards de dollars entre 2020 et 2023 dans les mines du pays ( 7 projets lithium sur les 12 projets miniers dans le pays) soit 4 de plus que les Etats-Unis ( 3 projets lithium) . Elles montrent aussi que 43% du lithium est exporté vers la Chine et seulement 11% vers les États-Unis.
L’enjeu du port de la Terre de Feu
Le 16 août 2022, dans la plus grande discrétion, le gouverneur de la province de la Terre de Feu (province la plus méridionale du pays ),Gustavo Mellela, a signé un mémorandum d’entente avec la société chinoise Shaanxi Chemical Group pour la construction d’un port près de Rio Grande permettant à la société de produire et d’exporter de l’ammoniac synthétique et du glyphosate, ainsi qu’un terminal portuaire permettant l’amarrage de navires de 20 000 tonnes, pour un investissement total d’1,2 milliards USD[ix] .
Ce projet soulève de nombreuses questions quant aux motivations réelles de l’implantation chinoise dans cette zone. En effet, Rio Grande se situe sur la façade atlantique du détroit de Magellan, fait face aux iles Malouines, et se projette directement vers l’Antarctique (revendiqué par l’Argentine, le Chili et le Royaume-Uni). Ce port donnerait à la Chine une chance d’accroitre sa présence en Antarctique (ou le pays possède déjà 5 stations d’observation), élargirait encore plus sa zone de pêche, et surtout un contrôle sur un point d’entrée de deux océans. Enfin, pour la Chine, le détroit représente une voie de substitution pour les routes commerciales chinoises en cas de fermeture ou de restriction d’accès du canal de Panama par les États-Unis.
Face aux réticences, Pékin compte bien faire pression sur le gouvernement local (lors du vote de l’assemblée législative provinciale) pour la réalisation de ce projet jugé vital et ce malgré les soupçons de double usage systématique [x] entourant certaines installations chinoises sur le continent. En 2009, le projet Tierra del Fuego Energia y Quimica, avait déjà démontré l’intérêt chinois pour l’installation d’un port polyvalent dans la province, la société, avait investi 170 millions de dollars sur le 300 prévus et s’était soldé par un fiasco judiciaire sur fond de corruption. La firme chinoise n’ayant pas, selon la justice de la province, respecté les termes du contrat.
L’enjeu de la station d’observation Espacio Lejano
L’installation de la station d’observation spatiale de Lejano, dans la province de Neuquen, est le résultat d’un accord passé en 2014, entre la présidente Cristina Kirchner et du président Xi Jinping dans un contexte de crise économique argentine. La station est gérée par le China Satellite Launch and Tracking Control (CTLC), installée sur une surface totale de 200 hectares loués par la Chine pour une durée de 50 ans et pour un montant de 50 millions de dollars. Elle est officiellement un centre d’observation spatiale (Deep Space Radar[xi]), et permet de recueillir des données scientifiques et d’analyser la face cachée de la lune. L’accès est donné aux scientifiques argentins pour 10% de temps d’antenne, les 90% restants étant à l’usage exclusif des scientifiques du CTLC.
Depuis l’installation de l’antenne, la base n’a cessé de nourrir les suspicions, principalement en raison du refus de la présidente Kirchner de révéler les engagements pris avec la Chine concernant l’installation ou la supervision de la station. L’accord signé autoriserait notamment, la libre circulation de la main d’œuvre chinoise, soumise au droit du travail chinois. Elle serait gérée par l’Armée Populaire de Libération (APL) ce qui en ferait une installation militaire et non civile, contrairement à la station de l’Agence Spatiale Européenne, également installée dans le pays.
Politique de « containment » économique vis-à-vis de la Chine en Argentine
Lors du sommet des Amériques en juin 2022, le président Biden a annoncé la création d’un partenariat dénommé America Partnership for Economic Prosperity (APEP). Il a pour objectif de tracer une voie à suivre pour lutter contre les inégalités économiques, favoriser l’intégration économique et restaurer la confiance dans la démocratie en aidant les travailleurs de la région.
L’APEP ambitionne de mettre en place des chaines d’approvisionnement résilientes, et de stimuler la croissance intra-américaine. Le partenariat sera financé en partie par la banque interaméricaine de ddéveloppement) il est clairement décrit comme une réponse directe à la diplomatie économique chinoise sur le continent.
« Nous voulons que nos voisins les plus proches sachent qu’ils ont le choix entre le piège de la dette et des approches transparentes de haute qualité en matière d’infrastructures en renforçant la compétitivité régionale, la prospérité partagée et la bonne gouvernance » a déclaré Joe Biden.
Le gouvernement américain qui avait, dans un premier temps, fraichement accueilli l’élection Javier Milei, soutient l’agenda de réformes libertaires que le président argentin est en train de tester, les qualifiant de “très ambitieuses”. Le gouvernement américain conditionne son aide à l’Argentine, à l’adhésion à l’APEP, dont le premier sommet s’est tenu en novembre 2023.
Au cours de ce sommet, Janet Yellen , secrétaire d’État au Trésor américain a déclaré que les États-Unis favoriseraient le “friend shoring” en invitant les pays a prendre les mesures nécessaires pour en bénéficier. Promettant aux États rejoignant l'APEP de ne plus être cantonnés au rôle de fournisseurs de matières premières, mais plutôt comme des pays développant des produits à forte valeur ajoutée. L’Argentine est l’un des rares pays du continent qui ne bénéficie d’aucun accord de libre-échange avec les États-Unis.
En février 2024, la Chambre Argentine de Sociétés Minières (CAEM) et le sous-secrétaire US pour la région se sont rencontrés pour discuter des possibilités de coopération en matière de minéraux critiques de manière à favoriser une collaboration. Les États-Unis ayant fait passé dans l’Energy Act de 2023 le lithium de “proche critique” à “critique”
Le réflexe protectionniste nord-américain
Le 3 mai 2024, le Department of Energy (DOE) a publié le “Foreign Entity Of Concern “ (entité étrangère préoccupante). Ce décret vise principalement la Chine, l’Iran, la Russie et la Corée du Nord. Si les batteries de ces véhicules contiennent des minéraux critiques “traité, extrait, ou recyclé” par les nations citées et que ces nations contrôlent, de manière directe ou indirecte, ou encore possède des droits de vote l’entreprise fournissant les minerais dans une proportion de 25% ou plus, cela entraine l’annulation de crédit d’impôts[xii] accordé pour l’achat de véhicules électriques (Inflation Reduction Act de 2022, allant de 3750 USD à 7500 USD par véhicule). Les États-Unis prévoient de durcir le dispositif à l’horizon 2028, en faisant passer de 25% à 10%, la part de contrôle direct ou indirect par un FEOC.
Les entreprises américaines demandent des clarifications sur l’application du FEOC, on estime qu’il touchera de manière directe 80% des modèles de véhicules électriques commercialisés aux États-Unis, les entreprises Ford et Tesla jugent pour l’instant que l’avantage en termes de coûts en utilisant la technologies chinoises valent plus que l’économie apporté par l’Inflation Reduction Act.
Les États-Unis font néanmoins une exception pour le graphite tout aussi essentiel à la fabrication de batteries, mais dont la Chine a le quasi-monopole d’approvisionnement, ce minerai ayant été délaissé par les entreprises minières australiennes et américaines après l’effondrement de son cours[xiii].
Les États-Unis souhaitent également faire une exception pour les entreprises chinoises installées dans des pays amis, comme l’Australie ou l’Indonésie, qu’elles ne jugent pas sous le contrôle du gouvernement chinois. L’objectif affiché de cette loi, est d’obliger les constructeurs à se fournir sur le marché intérieur ou dans un pays ami bénéficiant d’accords de libre-échange avec les États-Unis, avec un seuil minimum d’intégration de 30% et qui pourrait passer à 80% dès 2027.
Les États-Unis souhaitent contrer la domination chinoise en développant leurs propres chaines d’approvisionnement en dehors du contrôle de Pékin. Lors d’une récente visite en Argentine, Anthony Blinken a déclaré « L'Argentine est sur le point de jouer un rôle essentiel dans la construction de chaînes d'approvisionnement pour les minéraux essentiels qui seront le moteur de l'économie du 21e siècle, en particulier pour des produits comme le lithium ». Le DOE (Département Américain de l’Energie) a déclaré le lithium « essentiel à la sécurité économique ou nationale des États-Unis ». Le secrétaire d’État réaffirmant son soutien et sa confiance au gouvernement argentin invitant l’Argentine à participer au Mineral Securities Partnership (MSP [xiv]), organisation transnationale qui inclut les États-Unis, l’Union Européenne, ou encore l’Australie et l’Inde, dont l’objectif est de « est de garantir que les minéraux critiques sont produits, traités et recyclés d'une manière qui soutient le capacité des pays à tirer pleinement parti de leurs richesses géologiques en matière de développement économique »
Coopération militaire américano-argentine pour freiner les ambitions de la Chine
Jusqu’à l’élection de Javier Milei, l’Argentine semblait se diriger vers une alliance militaire avec la Chine, Pékin se montrant assez insistant pour fournir le pays en matériel militaire (véhicules blindés et avions de combat), ce qui lui aurait donné un accès direct à l’infrastructure de défense du pays, menaçant frontalement les intérêts américains dans la région.
Afin de freiner la volonté expansionniste de Pékin dans la région et de se prémunir d’un cas tel que le port de Hambanota au Sri Lanka. La générale Laura Richardson, cheffe du commandement sud des USA, s’est rendue dans la région le 04 avril 2024 ou elle a été reçue par le président Milei, qui a associé la défense de la souveraineté de l’Argentine à l’alignement sur les USA en décidant de partager l’usage de la base la plus méridionale du pays[xv](la base navale d’Almirante Berisso située à Ushaïa) avec les militaires américains pour la création d’une base commune.
Durant cette visite la générale a annoncé que les États-Unis fourniront 250 véhicules blindés Stryker[xvi] (avec a possibilité d’installer un centre de maintenance de ces véhicules en Argentine), mais également des avions de patrouille maritime P-3 et King Air. L’ambassade des États-Unis a également annoncé une aide de 40 millions de dollars pour « soutenir la modernisation de la défense argentine »[xvii] faisant bénéficier ainsi de FMF ( Foreign Military Financing)[xviii] pour la première fois depuis 2003 . Cette visite et ces déclarations montrent que les États-Unis et le gouvernement de Milei font front commun contre l’implantation de la Chine sur la côte occidentale du Détroit de Magellan. Ces déclarations finalisent des pourparlers commencés plus de 30 ans plus tôt.
A la suite à cette visite, l’Argentine a officialisé son intention de rejoindre l’OTAN[xix]. L’Argentine ayant une flotte d’avions de chasse quasi obsolète, le président Fernandez avait longtemps hésité avec les JetFighters JF-17 (de conception sino-pakistanaise), dans le cadre de cette acquisition, Pékin avait fait des concessions à Buenos Aires en accordant de très larges remises sur le prix de vente et en promettant la construction d’une ligne de production dans le pays avec transfert de technologie. Cet arbitrage entre les avions de combat chinois et américains a suscité de vives réactions du Congrès américain, décrivant l’achat d’avions chinois par un pays allié comme un « pacte avec le diable » [xx]. Au lendemain de la visite de la Générale Richardson, les Argentins ont sans surprise opté pour les avions américains, les F-16 d’occasion achetés au Danemark[xxi] et réarmés par les États-Unis.[xxii].Le F-35, étant hors de portée budgétaire pour l’Argentine. De plus, celui-ci contient des composants britanniques, qui du fait de l’embargo britannique décidé au lendemain de la guerre des Malouines, en interdit la vente de matériel militaire à l’Argentine.
Concernant la station d’observation spatiale de Las Lejanos. Depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, les États-Unis expriment de manière de plus en plus audible leurs inquiétudes et leurs doutes face à la station chinoise. Se faisant écho des inquiétudes américaines le gouvernement de Milei a entrepris de réétudier les contrats qui en ont permis l’installation et n’excluant pas une visite physique de la station.
Et cela alors même que le gouvernement précédent avait déjà visité la base en compagnie de diplomates américains en 2019, face aux inquiétudes que son activité suscitait déjà puis une deuxième fois en 2022. Les États-Unis s’inquiétant de la stratégie chinoise de militarisation de l’espace et considérant qu’elle porte atteinte à la souveraineté de son pays hôte. Comme le souligne le Buenos Aires Times une troisième inspection a été menée au mois d’avril 2024 sous l’impulsion directe de l’ambassadeur des États-Unis à Buenos Aires et de la générale Richardson[xxiii] , inspection au terme rien de laquelle rien de “suspect” n’a été trouvé. Pour les médias chinois les États-Unis encouragent ces rumeurs dans le but a terme de faire fermer la station de priver la Chine, d’un atout stratégique, l’observatoire, afin de porter atteinte au programme spatial chinois[xxiv]. Durant sa visite dans le pays, la générale américaine a également évoqué la construction d’un centre d’opération d’urgence dans la province du Neuquen.
Un nouveau champ d’action de la guerre économique
L'Argentine est aujourd’hui un théâtre d’affrontement économique entre la Chine et les États-Unis, en raison du contrôle des approvisionnements en minerais critiques et de la domination des points de passage stratégiques. La Chine, avec sa culture du temps long, a su, pendant deux décennies, tirer profit de la faiblesse économique de l’Argentine en jouant le rôle de bailleur de fonds et d’investisseur providentiel, transformant chaque crise en opportunité pour multiplier les accords entre les deux pays. Elle a également su exploiter le découragement des entreprises américaines et européennes face à la volatilité économique et politique de l’Argentine.
L’élection de janvier constitue une opportunité pour les États-Unis de contrer l’influence chinoise grandissante en Argentine et sur le continent sud-américain. À travers des organisations telles que l’Americas Partnership for Economic Prosperity (APEP) et le Mineral Security Partnership (MSP), les États-Unis cherchent à initier ou consolider des partenariats stratégiques, qu’ils dominent, pour former un bloc contre l’expansion chinoise. Ces initiatives visent à renforcer la coopération économique, sécuriser les approvisionnements en minerais critiques et promouvoir la stabilité politique dans la région, au détriment des investissements chinois.
Washington utilise également l’aide militaire en Argentine et le partage de la base militaire d’Ushaia afin d’empêcher la Chine d’accéder au détroit de Magellan et d’étendre son influence dans l'Atlantique Sud. Enfin, ils déploient l'outil législatif Foreign Entity of Concern (FEOC) est utilisé afin de limiter ou entraver les ventes chinoises de lithium aux entreprises automobiles américaines. Ces mesures complètent les efforts américains pour contenir l’influence chinoise en Amérique du Sud et protéger leurs intérêts stratégiques dans la région. Les États-Unis cherchent ainsi à garantir que leur propre influence reste prépondérante dans cette région clé, en équilibrant la présence chinoise par une série de mesures économiques, militaires et diplomatiques concertées.
Anis Arrar,
étudiant de la 44ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)
Notes
[ii] https://www.infobae.com/america/g20-summit-2018/2018/11/30/venezuela-china-and-argentina-us-commerce-in-private-talks-between-donald-trump-and-mauricio-macri-at-g20/
[iv] https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/09/eramet-concretise-son-projet-d-usine-de-lithium-en-argentine_6101498_3234.html
[vi] https://www.scmp.com/business/banking-finance/article/3265126/chinas-cngr-looks-snap-more-lithium-projects-argentina
[viii] https://www.afr.com/companies/mining/china-buys-half-of-the-lithium-mines-on-the-market-20230825-p5dzhc
[ix] https://www.uscc.gov/sites/default/files/2023-11/Chapter_1_Section_2--U.S.-China_Security_and_Foreign_Affairs.pdf)
[xii]https://www.energy.gov/articles/doe-releases-final-interpretive-guidance-definition-foreign-entity-concern
[xv] https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20240516-base-navale-conjointe-javier-milei-poursuit-son-rapprochement-avec-washington
[xvi] https://www.voanews.com/a/analysts-argentina-f-16-naval-base-decisions-halt-china-s-momentum-/7577507.html
[xvii] https://ar.usembassy.gov/es/eeuu-anuncia-subsidio-de-40-millones-de-dolares-en-financiamiento-militar-extranjero-fmf-para-argentina/?_ga=2.144143541.1890938276.1718955802-1147098144.1718955802
[xix] https://legrandcontinent.eu/fr/2024/04/20/largentine-veut-devenir-un-partenaire-global-de-lotan/
[xx] https://www.larazon.es/internacional/alerta-eeuu-operacion-argentina-comprar-china-cazas-jf17_20230325641eb0567262e50001c7dcbb.html
[xxi] https://www.reuters.com/business/aerospace-defense/argentina-buys-24-f-16-jets-air-force-president-says-2024-04-16/
[xxii] https://www.cronista.com/economia-politica/tension-medio-oriente-compra-de-aviones-alianza-con-la-otan-y-un-contundente-mensaje-de-milei-en-plena-escalada-entre-israel-e-iran/