Le champ d’action de l’aide humanitaire à but non lucratif des Organisations Non Gouvernementale, fédère l’opinion publique autour de principes humanistes et de valeurs universelles sur des territoires variés. Leurs actions lors d'événements à forts impacts émotionnels tels que les catastrophes naturelles, les génocides, les famines, etc. les font paraître intrinsèquement intègres. Elles sont légitimées par un engagement fort et concret, révélant une prise de risque physique. Pour elles, l’enjeu de leur visibilité est de pérenniser leur action par la sensibilisation du plus grand nombre de personnes morales, institutions... susceptibles d’adhérer à leurs causes, et ainsi, lever des financements réguliers sous la forme d’adhésion. Dès lors, les moyens de communication sont un vecteur essentiel au développement de ces entités. L’exemplarité des ONG est remise en question lorsque leurs travaux deviennent des armes informationnelles, décrédibilisant des entités économiques, influençant l’opinion publique ou orientant des organes chargés d’établir des normes
Prenons le cas de l’ONG Oxfam qui s'est récemment fait remarquer à la suite de son action en justice contre l’État dénonçant l'immobilisme français face aux dangers écologiques. La juridiction administrative argumente ainsi sa condamnation contre l’État français : “À hauteur des engagements qu’il avait pris et qu’il n’a pas respecté [...] l’Etat doit être regardé comme responsable [...] d’une partie du préjudice écologique constaté”. Habituée à une forme de communication percutante, OXFAM n’est pas exempte de polémiques concernant ses modes d’action (1) et les affaires qui ont affecté son image dans le passé (2). Cela pose la question plus générale de la légitimité des ONG, dont l’influence peut porter atteinte aux institutions ou à la société civile. Cette légitimité est fondée sur la crédibilité et l’intégrité des organisations, en cohérence directe avec la Charte des Nations Unies (Charte de San Francisco).
Histoire et naissance officielle des ONG
Les premières actions solidaires proviennent des actions caritatives de l’église à partir du V°. Puis le mouvement s'internationalise par l’émergence des différents ordres religieux. Les guerres du 19° siècle sont le théâtre de vocations nouvelles dans l’aide humanitaire, à l’image de Florence Nightingale lors de son déplacement avec 38 autres infirmières à Constantinople lors de la guerre de Crimée en 1854. La création de la Croix Rouge en 1863 comme association d’aide humanitaire trouve sa justification au regard de la sauvagerie de la bataille de Solferino le 29 juillet 1959 pendant la campagne d’Italie.
Ensuite au XXè siècle, les deux guerres mondiales qui d’abord déciment les forces vives des pays belligérants, ensuite provoquent le traumatisme d’un anéantissement total rendu possible grâce à la force nucléaire, obligeront les dirigeants à une réflexion relative à l’escalade des conflits, dont les issues économiques et humaines sont deviennent inacceptables. C’est dans ce contexte que naît l’Organisation des Nations Unies, qui officialise l’existence des ONG, en 1947 à travers les dispositions de l’article 71 du chapitre 10 de la Charte des Nations Unies (ou Charte de San Francisco). Il stipule que le Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations Unies peut ” consulter les organisations non gouvernementales qui s'occupent de questions relevant de sa compétence”, qu’elles soient nationales ou internationales.
Dans sa composition, l’ECOSOC présente quatre comités permanents dont le Comité chargé des organisations non gouvernementales. Il examine la compétence des organisations sur les sujets traités, et “valide” les travaux exécutés qui alimentent les ressources de l’ECOSOC. Les ONG obtiennent alors un rôle officiel dans la gouvernance internationale.
Des textes fondateurs imprécis
La Charte des Nations Unies, ou Charte de San Francisco, a été signée par 51 États le 26 juin 1945 lors de la Conférence des Nations Unies pour l’Organisation Internationale. Il s’agit d’une convention internationale composée de dix-neuf articles fixant les grands principes des relations internationales, notamment l’interdiction d’employer la force dans ces relations. Elle oblige au respect de ses obligations par les États signataires.
Dans son préambule, la résolution 1996/31 du 26/07/1996, l’ECOSOC reconnaît d’office la “compétence et les moyens dont ces ONG disposent pour appuyer l’ONU de ses travaux”. Puis, l’obtention du “statut consultatif” délivré par l’ONU, est conditionné par l’article 2 “ les buts et les objectifs doivent être conformes à l’esprit, aux fins et aux principes de la Charte des Nations Unies”.
L’article 9 stipule "l'organisation (ONG) doit avoir une réputation établie dans le domaine particulier auquel elle se consacre ou être représentative".
(Définition du mot "réputation" : honorablement connu du point de vue moral)
Puis, s’applique la note E/2001/ENF/3 du 12/04/2001 visant à restructurer et revitaliser l’ONU qui précise les règles relatives aux relations, aux fins de consultations, entre l’ONU et les ONG :
- -Le statut consultatif général accordé aux organisations “dont le travail concerne la plupart des activités du Conseil et de ses organes subsidiaires[…]”
- -Le statut consultatif spécial accordé aux entités “qui ont une compétence particulière seulement dans quelques domaines d’activité du Conseil et de ses organes subsidiaires…”
- -L’inscription sur la liste accordée à celles qui ne rentrent pas dans le champ des deux statuts précédents mais qui “peuvent apporter occasionnellement une contribution utile”. Elle précise l’organisation et les missions du comité principalement les modes de consultation et de saisine des ONG. Le comité examine les demandes d’obtention des statuts puis transmet les dossiers pertinents à l’ECOSOC qui se charge de l’accréditation.
La régulation des ONG : absence de décision persistante
Dès 1953 le Royaume Uni s’est doté d’une commission de contrôle puisque naissait la “Charity Commission for England and wales” dans le but de réglementer et enregistrer les organismes de bienfaisance. A la suite au scandale d’OXFAM, en 2018 la secrétaire d’État au développement international, Penny MORDAUNT promettait la création d'une nouvelle commission interne visant un contrôle approfondi des ONG. Il semble que ce vœux n’ait pas été exaucé. Cependant, conjointement avec Interpol, le gouvernement britannique a créé une plateforme permettant un meilleur échange d’information entre les 192 pays membres et ainsi lutter contre les prédateurs sexuels.
Depuis 1947 la France ne s’est pas dotée de structure de régulation des ONG qui sont créées sous le statut de la loi 1901 ou celui de la fondation. Elles sont soumises aux obligations afférentes. Néanmoins en 2005, la Commission des Affaires Étrangères enregistrait un rapport en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les ONG françaises. Ce rapport précisait des incohérences, notamment sur le Cambodge où « 100 ONG ont été recensées dans ce pays, dont une cinquantaine de françaises, quel que soit leur champ d'action, déployaient beaucoup d'efforts pour lutter contre le SIDA alors que cette pandémie ne représente, dans ce pays, que 3 à 4 % des pathologies » en fonction des bailleurs internationaux qui financent cette thématique car d’autres thèmes sont « passés de mode ».
Ce document n’évoque aucun mode de contrôle des résultats, il met en évidence l'absence et le manque d’harmonie des modes d'évaluation : si “les ONG ont accepté un contrôle financier de leurs comptes, elles sont peu nombreuses à avoir mis en place des systèmes de suivi et d'évaluation. » « Beaucoup se contentent encore trop souvent de mesurer de manière fiable l'efficacité, c'est-à-dire de comparer les résultats obtenus par rapport aux objectifs planifiés » et « rares sont celles qui tentent d'apprécier la pertinence et la durabilité de leurs actions, de mesurer l'impact. »
Enfin, la commission reprenait les propos même des OSI (Organisation de Solidarité Internationale, autre appellation) évoquant la concurrence féroce entre elles pour l’obtention de fonds mais aussi pour exister médiatiquement. Elle déplorait l’absence d'évaluation faite par un tiers indépendant.
La même année, le 25 octobre 2005, le ministère des Finances enregistre, à son tour, un rapport remis par la commission des finances. Il disséquait plusieurs difficultés : la faiblesse du contrôle, l’observation de pratiques contestables et le caractère discutable de l’évaluation des fonds attribués par le ministère des affaires étrangères.
En 1989, une poignée d’ONG créait le Comité de la Charte dans le but d’établir des règles éthiques et de transparence. L’appartenance à ce comité permet d’afficher une probité certifiée, car, membre du ICFO ((International Committee on Fundraising Organizations).
Il veille à ce que la collecte et l’utilisation de fonds servent à des fins caritatives au travers de 150 points de contrôles répartis sur 4 axes qui sont : Le fonctionnement interne par une gestion désintéressée, la rigueur de la gestion, la qualité de la communication et des actions de collecte de fond et la transparence financière. Aucun axe n’est dédié à l’évaluation des process ou des résultats.
Des mesures de contrôle des financements ne peuvent à elles seules justifier de l’intégrité et de l’exemplarité. Ces valeurs, au même titre que le discernement ne doivent servir qu’à une production saine devant alimenter les organes consultatifs. Il doit s’agir d’une doctrine globale, d’une déontologie définie et acceptée, dont les valeurs de la Charte de San Francisco en sont le guide pour une autonomie financière mais aussi dans un cadre normatif neutre d'exécution des missions.
Structurer pour renforcer
Bien que des conclusions similaires négatives ont été émises par les différentes commissions, il semble que les pouvoirs publics n’ont pu ou su mettre en place des structures de régulation quant à l’aspect productif des organisations.
Malgré des textes encadrants la création des ONG, leur participation à l’émergence, l’évolution et l’effectivité des politiques publiques, par des travaux qui sont sources d’inspiration pour les pouvoirs publics producteurs de normes nationales et internationales, en France, il persiste un manque de clarté relatif au statut national ou international, qu’il soit associatif promouvant la neutralité, ou du type fondation militante.
Un manque de contrôle est dénoncé par les institutions françaises, des dérives sont constatées. Plutôt que d’autoriser des formes juridiques propres à chaque pays, il semble nécessaire de définir un statut international précis encadrant le fonctionnement, délimitant le périmètre d’évolution et d’action tant sur le plan coopératif que celui de la neutralité politique. Les principaux axes à suivre seront ceux d’une déontologie commune, normaliser des méthodes de travail afin de privilégier la transparence des résultats, évitant que les productions d’une ONG n'aient, comme aspect normatif, que la réputation de cette dernière. Ce statut doit répondre à un standard reconnu par tous limitant ainsi les risques d’accusation d’ingérence ou de profits tirés sur la détresse des autres.
Nicolas Cerdan
Auditeur de la 36ème promotion MSIE
Notes
1) A titre d’exemple, le rapport d’OXFAM titré “ le virus des inégalités”, de janvier 2021, affirme que le Ministre marocain de l’agriculture, en plein développement du plan “Génération Green” visant à moderniser le secteur du royaume, a augmenté sa richesse personnelle grâce à la crise sanitaire. Cette affirmation se base sur le rapport de Forbes US réalisant le palmarès des hommes les plus riches d’Afrique, où le ministre Aziz AKHANNOUCH apparaît au 12ème rang possédant une fortune estimée à 2 milliards $US. Aziz AKHANNOUCH, ministre depuis 2007, a joué un rôle non négligeable dans la réussite de la politique agricole marocaine. Le rapport affirmant que cet homme politique était devenu plus riche grâce à la crise actuelle, le forçait à contre attaquer par une campagne de justification de ses ressources, contredisant les propos d’OXFAM.
2) Des exemples de « faux pas » d’Oxfam.
- Le 13 février 2018, Madame Penny LAWRENCE, directrice générale adjointe d’OXFAM, démissionne de son poste et déclare assumer sa responsabilité quant au scandale sexuel qui touche son ONG. Elle se dit “triste” et exprime la “honte”qui est la sienne devant les soupçons des comportements du directeur pays en Haïti, incompatibles avec les valeurs de l'organisation. Roland Van HAUWERMEIREN directeur d’OXFAM Haïti, en compagnie d’autres cadres auraient loué les services de prostituées et dont les rassemblements se seraient tenus dans des locaux et chambres d’hôtel payés par OXFAM.
- Le 24 mars 2020 le directeur général d’OXFAM, Danny Sriskandarajah, devait présenter ses excuses à l’ambassadeur d'Israël Mark REGEV en poste à Londres après que celui-ci ait tweeté : “Pourquoi Oxfam vend-elle de la littérature antisemite?”. Il avait été alerté par la vente sur le site de l’ONG d’exemplaires de l’ouvrage “le protocole des sages de Sion”. (7) Pour rappel, édité en 1903, ce “faux” ouvrage rédigé par les services secrets russes, visait à discréditer la diaspora juive suspectée d’avoir établi, conjointement avec la franc-maçonnerie, un plan de conquête du monde.