La posture diplomatique française face aux discours panafricains sur la situation malienne

Depuis le 16ème siècle avec le commerce triangulaire, en passant par la colonisation, la présence française est prépondérante dans l’histoire récente du continent Africain. Cette relation particulière avec le continent, explique une présence qui s’est perpétuée sur la période post-coloniale, dont la France a du mal encore à s’extirper aujourd’hui. La France se veut incontournable en Afrique, en revendiquant un leadership du développement et de la coopération.

Les raisons de la présence française au Sahel et particulièrement au Mali

Par raport au Mali, la diplomatie française justifie sa présence, par des objectifs visant à stopper militairement l’avancée des terroristes0 à la suite de la guerre avec la Libye. Mais aussi, en communiquant sur la sécurisation du territoire malien et des populations maliennes, avec une présence dite dissuasive ou en intervenant militairement. Une assistance qui est aussi légitimée du fait de l’appartenance du Mali à la Cedeao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), qui demeure une organisation dépendante de l’hexagone.

Cependant, la présence, le leadership et l’influence française se trouvent contestés par des prises de position de personnalités panafricaines1, au vu des résultats obtenus au bénéfice des populations de l’Afrique francophone en général et particulièrement au Mali. Ces voix discordantes se font entendre en ayant des approches et des analyses différentes des déclarations officielles françaises. Selon elles, la présence française est aussi motivée par des intérêts stratégiques qui sont à la fois politiques, mais aussi économiques pour les entreprises de grands groupes. Il s’agit pour les autorités françaises, de maîtriser des ressources naturelles dans cette zone du Sahel.

Le potentiel important de ressources non exploitées2 dans cette partie du Sahel nécessite un indispensable contrôle de ces territoires. Les discours panafricanistes mettent beaucoup en exergue cette ambition française, qui s’intéresserait beaucoup plus à ce potentiel du sous-sol malien en termes de minerais (or, uranium…) et de ressources3 tel que l’hydrogène liquide pur, le pétrole…, qu’à une mission de protection et humanitaire.

Comment expliquer une présence aussi longue de militaires français en opération dans un pays souverain ?

Après l’opération Serval (2013), l’opération Barkhane (août 2014) se présente dans les médias français comme une opération menée principalement au Sahel, par les armées françaises et alliées, afin de contenir et de contrer des groupes djihadistes.  Des groupes en provenance du conflit syrien, et pouvant passer par la Libye, en raison du renversement du leader Libyen Mouammar Kadhafi. Afin de conserver son influence dans cette région, la France impose la nécessité de sa présence en continu, en se présentant comme le dernier rempart pouvant maintenir la paix, face aux risques de déstabilisation.

La longévité de cette présence est légitimée dans une communication mettant en avant l’incapacité du Mali à sécuriser par lui-même son territoire et sa population4, notamment dans le Nord du pays. Une zone où précisément se trouvent des entreprises telles que Total, Orano au Niger… Cependant, les principaux échos que nous avons de ce conflit, sont les dramatiques pertes humaines françaises au Mali et au Sahel. Cette présence d’une dizaine d’année, s’explique-t-elle par la complexité de la mission, ou alors répond-elle à des sous-objectifs tactiques et d’influence ? C’est face à cette logique que diffère l’analyse panafricaine. Une analyse qui soulève un certain nombre de questions.

Pourquoi la présence française se prolonge, alors que les résultats obtenus sont perçus comme assez mitigée ?

La pensée panafricaine développe un raisonnement qui appelle les autorités françaises à prendre en compte les attentes d’une Afrique du 21ème siècle. Il ne s’agit plus de l’Afrique de 1884, de l’Afrique de 1960 ou encore de l’Afrique d’avant la chute du mur de Berlin. Les discours moralisateurs ne passent pas5, ou ne passent plus. Ces discours qui sont adressés aux états, tout en soutenant des dirigeants corrompus, en ne respectant pas le droit, à condition que les intérêts français soient préservés. Ils soutiennent aussi l’idée qu’en s’appuyant sur une crise interne au Mali, la diplomatie française travaille à une déstabilisation, devant mener à la scission du Mali6. Une scission qui créerait d’un côté le Nord Mali administré par une population nomade et le sud par l’état central. Cette séparation du pays est orchestrée afin de favoriser les intérêts français.

Des promesses ont été faites aux communautés Touaregs et aux Peuls du Nord Mali, les poussant à demander l’autonomie, malgré un rapprochement dangereux avec des groupes islamistes identifiés comme des menaces pour l’intégrité du pays.  Une sortie de crise de ce conflit interne, ne serait pas une négociation avec ces Maliens du Nord ? En affichant clairement leur opposition, et en y associant une campagne donnant une mauvaise image des forces armées françaises7, tant au niveau des résultats, que comportemental, l’opinion publique devient la principale opposition de la diplomatie française.

Une diplomatie française d’une part et les idées panafricaines d’autre part, qui se livrent à un affrontement sur l’image en utilisant leurs réseaux et canaux de communication (TV, Internet, presse papier, radio…), pour rallier chacun de leur côté des partisans. La population française et sa classe politique pour la diplomatie française, et la société civile du Mali et leurs dirigeants pour les représentants panafricains. La décision du pouvoir malien de brider cette communication française par l’interdiction des médias RFI et France 24, rend bien compte de cet affrontement sur le terrain de l’image et de la propagande.

La rupture diplomatique à la rupture tout court (en 2022)

Le Président de la République Française Emmanuel Macron et son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ont annoncé l’arrêt des opérations militaires Barkhane et Takuba8, du fait de la dégradation des relations avec ce qu’ils qualifient dans leur communication de « junte de Bamako ». Après l’expulsion de l’ambassadeur de France par la junte, le responsable de la diplomatie française estime que « les conditions politiques, opérationnelles et juridiques n’étaient plus réunies pour se maintenir », tout en souhaitant rester au Sahel dans les pays voisins.

Le discours panafricain dénonce le storytelling de la diplomatie française et des organismes internationaux, pour qui le premier acte est de brandir « la carte élection »9, en invalidant le nouveau pouvoir en place. Ce premier acte a pour objectif, l’organisation rapide d’une élection, en la présentant comme le salut d’une situation socialement, économiquement, militairement ingérable par les autorités en place. Cette approche, contestée par les populations locales, est affichée et présentée comme étant une manœuvre bien connue et souvent utilisée en Afrique par les occidentaux, en amenant à se présenter un candidat « bien choisi »9b. Ce procédé de manipulation n’a pas franchement réussi, car le pouvoir malien a refusé l’organisation express de ces élections en les repoussant de plusieurs mois.

La France poursuit alors une opération de communication et d’actions visant à la marginalisation du Mali10. L’une de ses actions est l’arrêt de toute activité commerciales et économiques entre la Cedeao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) et le Mali. La volonté d’étendre ces mesures d’exclusion pour l’ensemble de l’Union européenne à l’égard du Mali, a été évoquée par le ministre des Affaires étrangères français. Ensuite, en gelant les avoirs monétaires détenus par le trésor public français dans le cadre de l’administration du franc CFA, qui est un autre axe de critiques importantes11.

Trois éléments du concept DIME (diplomatie, information et économie) sur quatre (hors militaire) sont clairement déployés par la diplomatie française. Avec en premier lieu l’ordonnancement de l’isolement diplomatique et la marginalisation du pays, en y associant l’organisant d’une campagne d’information discréditant la junte et avec enfin la planification de l’asphyxie économique.  Le traitement de la situation malienne est perçu par la population du pays comme un deux poids, deux mesures. Pourquoi le coup d’état au Tchad n’a pas été contesté par la diplomatie française, ou encore le coup d’état constitutionnel du président actuel de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara n’a suscité aucune contestation.

Les nouvelles autorités maliennes se rapprochent de partenaires ayant un prisme de lecture du multilatéralisme différent de celui de la France.  L’Afrique est présentée à la Russie comme un « pré-carré européen » par Josep Borrell (émissaire Européen des Affaire Etrangère)12. C’est dans ce contexte, que la diplomatie française interpelle la Russie, qui nia tout lien entre les autorités russe et le groupe militaire Wagner intervenant au Mali.  Même si le Mali joue le jeu d’influence de la Fédération de Russie et de la Chine en Afrique, sa population partage la vision et les orientations prises par le président intérimaire du Mali, Assimi Goïta.

Le positionnement de la Russie en Afrique, est-il une réponse à la politique menée par l’OTAN en Europe ?  L’arrivée de la junte au pouvoir, se fait dans un climat social particulier vis-à-vis de la France. Le discours panafricain prend le soin de préciser qu’il ne s’agit aucunement du rejet du peuple français, mais de « l’impérialisme français et de son oligarchie »13. Un climat défavorable, auquel s’ajoute une perception négative des interventions militaires depuis la décolonisation, n’apportant aucun bénéfice aux populations14.

Le panafricanisme a en son sein plusieurs sensibilités. Cependant, l’aspiration principale est une évolution vers un modèle africain qui diffère de celui de l’occident, où le « consumérisme est la boussole » de l’ensemble. Ils prônent un modèle qui devrait se reposer sur une implication de représentant traditionnel, une représentation politique respectueuse du droit, un projet économique raisonnable et la connaissance des enjeux par les citoyens. Le Mali doit renouer avec ses traditions et ne pas calquer son modèle sur celui imposé par l’Occident, car ce modèle ne correspond pas à une structuration sociétale africaine. L’ambition exprimée par ce courant est un Mali libre de ses choix et apte à suivre son propre chemin. C’est une aspiration que la diplomatie française doit intégrer dans son approche d’influence, si elle souhaite rester un partenaire dans le futur des pays d’Afrique francophone.

 

Marc Morvany

 

Sources :

Sud-Ouest – Chronologie. Retrait de la France du Mali : neuf années de Barkhane et de présence française (Cathy Lafon, 2022).

Le Monde Afrique – En Afrique, la France déçoit (Laurent Bigot, 2016).

Centre de Ressources sur les entreprises et les Droits de l’Homme – Les richesses du sous-sol malien (Fred Méon, 2013).

Ganfouda – Présentation du sous-sol malien (Abidine Ahmed, 2012).

CNEWS – Pourquoi la France est-elle toujours engagée au Mali ? (A. Estève, 2019).

Mamadou Koulibaly – Décolonisation / Françafrique en marche (2020).

RFI – Choguel K. Maïga : « Pourquoi je parle de trahison... » (Alain Foka, 2021).

GreatGameIndia – La France forme-t-elle des terroristes au Mali ? (2021).

Sud-Ouest – E. Macron annonce la fin de l’opération Barkhane au Sahel (2021).

TV5 Monde – Mali : les élections du 27 février sont décalées (S. Charpentier, 2022).

Thinkerview - Aminata Dramane Traoré : Afrique, Gilets Jaunes depuis 150 ans ? (Aminata Dramane Traoré, 2019).

Le Figaro (Jean-Yves Le Drian) – Mali : La France veut appliquer les sanctions de la Cedeao au niveau européen (Jean-Yves Le Drian, 2022).

Sortir l’Afrique de la servitude monétaire : A qui profite le franc CFA (Kako Nubukpo, 2016).

Histoire et société – Lavrov révèle que Borell lui a dit de « il vaut mieux que vous ne travailliez pas en Afrique, parce que cet endroit est à nous » (D. Bleitrach, 2021)

Thinkerview – Kémi Séba : Panafricanisme 2.0 (Kémi Séba, 2018).

TV5 Monde Afrique : Retrait de Barkhane : quelles réactions au Mali ? (Kaourou Magassa, 2022).