En Pologne, le nouveau gouvernement de Donald Tusk, succède à celui de Mateusz Morawiecki et des conservateurs du PiS. Alors que tous les opposent en apparence, cette alternance est un bon marqueur pour analyser la continuité startégique polonaise dans sa quête pour redevenir une puissance.
Malgré les anticipations d'un virage pro-européen, le nouveau gouvernement semble maintenir une ligne de conduite similaire à celle de ses prédécesseurs, notamment dans ses positions fermes sur des enjeux tels que l'importation de produits agricoles ukrainiennes et la politique migratoire. Cette continuité suggère une stratégie « d'euro-réalisme » et semble être une constante dans la politique post-soviétique polonaise. À travers le concept « d'accroissement de la puissance par l'économie » de Christian Harbulot, il convient s’intéresser à la stratégie économique et politique de la Pologne pour s’imposer comme un acteur incontournable en Europe.
Le succès économique de la Pologne ; un « miracle » ou une évidence ?
Le développement économique de la Pologne au cours des dernières décennies, souvent qualifié de « miracle », devrait plutôt être analysé comme le fruit d'une série de politiques et de réformes économiques judicieuses.
L'ouverture aux investissements étrangers a été un moteur clé de la croissance économique de la Pologne. Dès les années 1990, le pays a adopté une posture accueillante envers les capitaux étrangers, créant des Zones Économiques Spéciales (ZES) sur son territoire pour stimuler l'investissement et la production. Ces ZES, offrant des avantages fiscaux et des conditions favorables aux entreprises, ont attiré des investissements significatifs, représentant une part importante de son PIB. Cette stratégie a été renforcée par son entrée dans l'Union Européenne en 2004, attirant des entreprises mondiales grâce à sa position stratégique en Europe et à un environnement économique favorable. Cette ouverture économique a également catalysé une croissance impressionnante de l'industrie polonaise. Pendant que d'autres nations de l'ex-bloc communiste se sont désindustrialisées, la Pologne, elle, apparaît comme la cinquième puissance industrielle européenne. Son industrie, qui représentait 21,9% du PIB en 2021, a bénéficié de l'intégration dans l'UE, exploitant le marché unique pour étendre son influence. Avec des secteurs variés, allant de l'électroménager à la sidérurgie, la Pologne a su préserver ses industries historiques tout en innovant dans de nouveaux domaines. L'emploi industriel a augmenté de 10% depuis 2010, reflétant la robustesse et la diversité de ce secteur clé de l'économie polonaise.
La compétitivité de la main-d'œuvre, avec des coûts salariaux relativement bas et une main-d'œuvre qualifiée, a rendu la Pologne attrayante pour les entreprises internationales. Cela s’est illustré à travers sa relation économique étroite avec l'Allemagne. Ces liens ont notamment permis de renforcer la position de la Pologne dans la chaîne de valeur européenne. Les gouvernements polonais ont habilement équilibré les politiques de l'offre et de la demande, avec des mesures telles que les allocations familiales pour stimuler la demande intérieure, tout en favorisant un environnement propice à l'investissement et à l'entrepreneuriat. La lutte contre la corruption a été un élément central. Avec plus de succès que dans d’autres nations de l'ex-bloc communiste (Hongrie, Roumanie, …), elle a renforcé la transparence et la confiance des investisseurs. De plus, la Pologne a opté stratégiquement pour le maintien de sa monnaie nationale, le złoty, plutôt que d'adopter l'euro, une décision guidée par le souhait de préserver sa souveraineté monétaire. Cette autonomie a permis au gouvernement polonais de gérer efficacement sa politique monétaire, lui offrant la flexibilité nécessaire pour répondre aux fluctuations économiques, notamment en ajustant les taux d'intérêt et en contrôlant la valeur de sa monnaie. Cette indépendance monétaire s'est avérée cruciale, en particulier durant la crise financière de 2008, où la Pologne, grâce à la dévaluation du złoty, a stimulé ses exportations et renforcé la compétitivité de ses produits sur le marché international. Cette capacité à dévaluer sa monnaie en période de ralentissement économique, une option indisponible pour les pays de la zone euro, a non seulement aidé la Pologne à éviter la récession, mais a également consolidé sa position en tant que puissance économique régionale.
En résumé, la Pologne a habilement exploité les avantages offerts par son appartenance à l'Union Européenne et le contexte libéral post-soviétique, tout en adoptant une approche stratégique prudente. Elle a su éviter de trop se dévoiler ou de faire des concessions excessives, équilibrant ainsi avec succès ouverture économique et préservation de ses intérêts nationaux.
Le plan polonais d’accroissement de la puissance par l’économie
Dans la trajectoire économique de la Pologne, on observe une transition notable vers une phase plus offensive à partir de 2015 et de l'ascension au pouvoir du parti PiS. Après une période initiale de reconstruction de son économie, la Pologne a su maintenir sa croissance tout en engageant des rapports de force de plus en plus affirmés avec l'UE.
Le Plan Morawiecki, mis en œuvre durant cette période, illustre cette orientation stratégique. Il visait à stimuler la demande intérieure à travers une politique familiale généreuse, centraliser certains secteurs économiques stratégiques ainsi que « repoloniser » une partie du secteur bancaire. Ces mesures s'inscrivent dans une logique de patriotisme économique, visant à renforcer le contrôle national sur les leviers économiques clés, tout en préservant une marge de manœuvre dans les négociations avec l'Union Européenne, quitte à se priver temporairement de certaines aides européennes. Cette stratégie polonaise présente des parallèles intéressants avec le « Gaullisme social » en France, où la politique de puissance et la quête d'indépendance constituaient un pilier essentiel. À l'instar de la France sous De Gaulle, la Pologne, sous l'égide du PiS, semble rechercher un équilibre entre l'affirmation de sa souveraineté nationale et participation active au projet européen. Cette stratégie économique doit nécessairement impliquer un volet énergétique. La Pologne a ainsi pris des mesures décisives pour renforcer son indépendance énergétique, tout en s'orientant vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette démarche inclut un virage vers la nucléarisation, en collaboration avec les États-Unis et la Corée du Sud, visant à remplacer progressivement le charbon, pilier historique de son économie énergétique.
La Stratégie Énergétique de la Pologne (PEP2040) met l'accent sur la sécurité énergétique pour répondre à la dépendance historique envers les importations de gaz naturel et de pétrole russe. La Pologne avait déjà commencé à diversifier ses sources d'approvisionnement, avec le projet Baltic Pipe, opérationnel depuis septembre 2022, connectant les champs gaziers norvégiens à la Pologne. Ces choix pourraient s’avérer payants quand on voit que l’Allemagne se retrouve aujourd’hui sans énergie nucléaire et privée de l’énergie russe sur laquelle reposait sa stratégie économique. On peut également noter que la Pologne essaye de se positionner activement pour adopter les innovations de « l'Industrie 4.0 », une démarche essentielle pour maintenir sa compétitivité dans la quatrième révolution industrielle. Cette transition vers une industrie plus connectée, automatisée et intelligente est cruciale pour renforcer les capacités de défense du pays et sécuriser ses alliances, notamment par l'adoption de technologies avancées dans le secteur de la défense. L'intelligence économique joue d’ailleurs un rôle majeur dans ce processus, soutenant les intérêts stratégiques de la Pologne dans un environnement de plus en plus compétitif.
La Pologne comme nouvelle puissance européenne
La Pologne, en tant que nouvelle puissance européenne, a su habilement se positionner sur l'échiquier géopolitique et géoéconomique, exploitant sa situation stratégique en Europe. Initialement, le pays a utilisé le Triangle de Weimar, une plateforme de coopération avec la France et l'Allemagne, pour s'ouvrir à l'Europe et se positionner comme un acteur clé à l'Est pour ce binôme influent. Cette approche a permis à la Pologne de jouer un rôle de pont entre l'Europe occidentale et orientale, renforçant ainsi son influence et sa visibilité sur la scène européenne. Par la suite, la Pologne a orienté son attention vers le groupe de Visegrad, comprenant la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie, pour consolider son leadership en Europe centrale. Cette alliance régionale a permis à la Pologne de renforcer sa coopération économique et politique avec ses voisins, tout en affirmant son rôle de leader régional. Le groupe de Visegrad a également servi de plateforme pour la Pologne pour défendre ses intérêts et ceux de ses partenaires dans des domaines tels que la sécurité, l'énergie et les politiques migratoires. Enfin, la Pologne a pris l'initiative dans le cadre de l'Initiative des Trois Mers (ITM), visant à devenir le leader d'une Europe orientale et à établir une sorte contre-poids à l'Europe occidentale. L'ITM, qui regroupe 12 pays situés entre la mer Baltique, la mer Adriatique et la mer Noire, vise à stimuler la coopération économique, notamment dans les domaines de l'énergie, des transports et des infrastructures numériques. Soutenue par les États-Unis, cette initiative reflète la volonté de la Pologne de jouer un rôle central dans le renforcement de la cohésion et de la résilience économique en Europe orientale. La stratégie de l'ITM met l'accent sur la création de liens transfrontaliers et le développement d'infrastructures, contribuant ainsi à réduire les disparités économiques entre l'Est et l'Ouest de l'Europe et à renforcer la position géoéconomique de la Pologne.
La Pologne a réussi à se positionner comme un centre de production, fabriquant des produits qui sont non seulement vendus et exportés vers l'Allemagne, mais aussi distribués à travers l'Europe Centrale, du Sud et de l'Est. Cette dynamique économique fait de la Pologne un acteur incontournable dans la chaîne de valeur régionale. Bien que des pays comme la Roumanie puissent émerger comme des concurrents directs, ils sont actuellement dans une phase de développement où leurs besoins en biens et services sont en augmentation. La Pologne, avec son infrastructure industrielle avancée et sa capacité de production, est idéalement placée pour répondre à ces besoins. Ainsi, même si ces nations peuvent rattraper la Pologne à terme, dans l'immédiat, elles représentent des marchés en expansion pour les exportations polonaises. Malgré tout, la Pologne reste pour l’instant confrontée à l'isolement des marchés internationaux.
La stratégie polonaise de hub se retranscrit également dans les domaines militaire et énergétique. La Pologne, en développant son industrie militaire, notamment à travers des partenariats avec des fabricants d'armements sud-coréens, aspire à devenir un hub militaire régional. Cette orientation stratégique vise à renforcer la capacité de défense de la Pologne tout en offrant des solutions de sécurité à ses voisins européens. Dans le secteur énergétique, la Pologne envisage de devenir un hub gazier pour l'Europe de l'Est. L'exploitation du gaz norvégien via le projet Baltic Pipe et l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) américain sont des éléments importants de cette stratégie. Ces initiatives visent à réduire la dépendance énergétique de la région vis-à-vis de la Russie, tout en renforçant la sécurité énergétique et la diversification des sources d'approvisionnement.
Il faut noter que la stratégie polonaise repose de manière significative sur l'alliance stratégique avec les États-Unis. Washington, en promouvant activement l'ITM, voit en la Pologne un partenaire clé dans la région, s'appuyant sur sa position géopolitique et son engagement envers les objectifs communs. Bien que cette stratégie ait permis à la Pologne d'obtenir des succès notables et de renforcer sa position en Europe, elle soulève également des questions sur la dépendance de la Pologne vis-à-vis des choix politiques et économiques américains. Cette interdépendance met en lumière la nécessité pour la Pologne de naviguer habilement dans ses relations internationales, en équilibrant son alliance avec les États-Unis tout en cherchant à diversifier ses partenariats et à renforcer son autonomie dans la sphère européenne et mondiale.
Jules Basset,
étudiant de la 27ème promotion Stratégie et Intelligence Économique (SIE)
Pour aller plus loin :
- Comment relancer la relation de défense franco-polonaise dans le domaine de l’armement ?
- Le corridor Grèce-Bulgarie-Roumanie : un miroir des mouvements géoéconomiques européens
- Le blé ukrainien : le dilemme de la solidarité ou du sauvetage du secteur agricole d’Europe de l’Est
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En Pologne, le nouveau gouvernement de Donald Tusk, succède à celui de Mateusz Morawiecki et des conservateurs du PiS. Alors que tous les opposent en apparence, cette alternance est un bon marqueur pour analyser la continuité startégique polonaise dans sa quête pour redevenir une puissance.