Quelques semaines seulement après l'entrée en vigueur du traité d'interdiction des armes nucléaires (TIAN), avant la conférence d'examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), 10 ans après l'incident nucléaire de Fukushima, en pleine crise sanitaire planétaire, quelques mois après sa sortie définitive de l'union européenne et au cœur d’une décennie marquée, entre autres mouvements pacifiques, par le développement des causes écologistes à travers la terre, le Royaume Uni contre-attaque et largue une bombe diplomatique le 16 mars 2021 sur un sujet où on ne l'attendait pas.
Effectivement qui aurait pu imaginer dans le monde feutré de la « diplomatie militaire » que le Royaume-Uni décide unilatéralement d'augmenter son arsenal nucléaire de 45 % et de lancer une opération de communication largement relayée par la presse internationale ?
Quelques repères historiques
C’est en 1896 que Henri Becquerel découvre la radioactivité naturelle. Les scientifiques ne le savent pas, mais l'arme atomique est née. La radioactivité artificielle est découverte en 1938 et le principe de fission nucléaire est mis au jour ouvrant la porte à un usage militaire. Dès lors, une compétition internationale entre l’Allemagne nazie et les États Unis est lancée pour détenir en premier l'arme nucléaire.
Les deux premières bombes nucléaires à visée « diplomatique » sont lancées par les Etats-Unis d'Amérique contre le Japon en août 1945. Après la seconde guerre mondiale, un demi-siècle de guerre froide provoque une course effrénée à l’armement nucléaire du duopole américano-soviétique, sur équipé, mais qui évitera néanmoins toute nouvelle attaque nucléaire nonobstant des crises successives comme celles de Cuba, de Formose, de la guerre de Corée ou en 1958 entre Taïwan et la Chine.
Depuis la fin de situation d’hostilité américano-soviétique de nombreux traités internationaux sont venus tentés « d’encadrer » le développement et « d’organiser même » une forme de réduction des armes nucléaires. La Federation of American Scientists estime en 2020 le nombre total d’ogives nucléaires détenu par les pays ainsi : 6372 pour la Russie, 5800 pour les États-Unis, 320 pour la Chine, 290 pour la France, 195 pour le Royaume-Uni, 160 pour le Pakistan, 150 pour l’Inde, 90 pour Israël et 35 pour la Corée-du-Nord.
Depuis le 22 janvier 2021, et dix ans après sa rédaction, plus de 50 pays ont ratifié le TIAN ouvrant ainsi la voie à « un futur libre des risques que l'armement atomique fait peser sur la sécurité de l'humanité » selon les instigateurs du projet, membres de l’organisation non gouvernementale Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN).
Le 16 mars 2021, le monde diplomatique a été pris de vitesse par le Royaume Uni. Boris Johnson et son gouvernement annoncent donc le renforcement de la dissuasion nucléaire britannique dans un document de plus de 140 pages qu’ils justifient en ces termes : « C'est la garantie ultime, la police d'assurance contre les pires menaces d'États hostiles. » Le rapport mentionne aussi le spectre d’une Russie qui y est qualifiée de « menace directe la plus aiguë contre le Royaume-Uni », d’une Chine qui « représente la menace d’État la plus importante pour la sécurité économique du Royaume-Uni ». Enfin le rapport précise « qu'une dissuasion nucléaire minimale, crédible et indépendante, affectée à la défense de l’OTAN, reste essentielle pour garantir notre sécurité ».
Guerre informationnelle contre la décision de l'exécutif britannique
Ces affirmations britanniques sont appuyées par plusieurs entretiens diffusés par CNN qui présente la Russie comme concepteur et réalisateur depuis que le président russe Vladimir Poutine ait demandé à son ministre de la Défense, d'accélérer le programme pour réaliser des essais dès 2021 d’une torpille nucléaire capable de générer une tsunami radioactif grâce à son missile furtif hypersonique POSEIDON 2M39 capable de se glisser à la surface des fonds marins et d’anéantir la calotte glaciaire.
Ces exposés britanniques sont étayés, pour la Chine, par la presse internationale qui évoque le renforcement régulier année après année de l’arsenal nucléaire chinois de l’ordre de 10% par an justifié aux yeux des experts militaires de l'Empire du Milieu par l’intensification de la menace stratégique américaine. Le Pentagone estime pour sa part que la Chine doublera son arsenal nucléaire dans avant 2030.
Cette décision anglaise a été immédiatement critiquée dans un communiqué de l’ICAN qui précise que « La décision du Royaume-Uni d’augmenter son stock d’armes de destruction massive en plein milieu d’une pandémie est irresponsable, dangereuse et viole le droit international », a martelé Beatrice Fihn, la directrice de cette ONG, l’ICAN s’appuyant donc sur l’entrée en vigueur de TIAN depuis le 22 janvier 2021.
En réponse le Royaume uni explique que la portée du traité TIAN ne s’étend pas au-delà de ses membres, le Royaume uni n’étant pas signataire et se sent d’autant plus renforcée dans sa position que les États membres de l’OTAN ont déclaré leur opposition au traité TIAN le 15 décembre 2020 par un communiqué de presse : « Nous n’acceptons aucun argument selon lequel le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires refléterait le développement du droit international coutumier ou y contribuerait de quelque manière que ce soit. Ce traité ne changera en rien les obligations juridiques de nos pays en ce qui concerne les armes nucléaires ».
Une autre attaque informationnelle est menée par le groupe Campaign for nuclear disarmament (CND) qui voit dans le projet britannique un « premier pas vers une nouvelle course à l’armement nucléaire », qualifiant la décision du Royaume-Uni « d’énorme provocation sur la scène mondiale ». « Alors que le monde se débat avec la pandémie et le chaos climatique, il est incroyable que notre gouvernement choisisse d’augmenter l’arsenal nucléaire britannique », a souligné sa secrétaire générale Kate Hudson, pour qui « attiser les tensions mondiales et gaspiller nos ressources est une approche irresponsable et potentiellement désastreuse ».
Le Royaume Uni affirme sa puissance.
L’armement nucléaire demeure un fondement dans les rapports stratégiques et diplomatiques mondiaux. En choisissant d’augmenter sa capacité nucléaire militaire le Royaume Uni choisit d’affirmer sa puissance face à l’incapacité relative de l’UE d’organiser une stratégie militaire dissuasive, pour être plus agile et répondre en cela, par exemple, au défi de la Chine qui, non comptant d’augmenter son arsenal le modernise pour rattraper son retard.
Si la doctrine d’emploi de l’arme nucléaire est particulièrement claire : non emploi en premier et utilisation uniquement en cas de menace sur leurs intérêts vitaux et employée durant la Guerre froide comme arme de dissuasion réputée non conventionnelle, l’arsenal nucléaire britannique ne deviendra-t-il pas dans les prochaines décennies une méthode de pression plus conventionnelle pour s'affirmer dans des dossiers internationaux très sensibles ?
Jean-Louis Carou
Auditeur de la 37ème promotion MSIE