En France, les dépenses de santé représentent environ 12%[1] du PIB[2]. Bien que le financement des hôpitaux représente une part importante des dépenses en matière de santé, cette dernière reste la part la plus maîtrisée du budget de l’État. Les dépenses hospitalières ont été réduites de 7% entre 1983 et 2019, passant ainsi de 43% du budget étatique à 36%.
Des remaniements successifs du financement de la santé mais toujours inadaptés
Le financement du système de santé a connu trois grandes périodes. Avant 1980, ce dernier était basé sur le nombre de patients admis et sur la durée des séjours, sans plafonnement. Ce mode de financement, jugé inflationniste, avait tendance à allonger le temps de séjour des patients et une sur-évaluation des tarifs des soins dispensés. Comme le mentionne Jean de Kervasdoué « payer l’hôpital à la journée, c’est reconnaître que l’hôpital ne sait pas soigner. (...) c’est admettre uniquement la fonction sociale de l’hôpital (hospice) et non sa fonction de soins ».[3]
Entre 1980 et 2004, le système de santé était financé selon le principe de l’enveloppe globale, c’est-à-dire que chaque établissement de santé se voyait allouer un montant annuel, quelle que soit son activité. Ce mode de financement était fondé sur un système obligeant les établissements à ne pas dépasser cette dotation et était, par conséquent, inadapté à la variabilité des activités hospitalières. Ce mode de fonctionnement « étrangle les hôpitaux ayant une politique de soin dynamique et représente une rente pour les autres ».[4] À partir de 2004, Jean Castex, dans le cadre du plan « Hôpital 2007 » et en sa qualité de directeur de l’Hospitalisation et de l’Offre de soin au Ministère de la santé, a réformé le mode de financement du système de soins et a mis en place la tarification à l’activité (T2A).
La T2A, équité ou égalité ?
La T2A repose sur la mesure et l’évaluation de l’activité effective des établissements de santé. Le but initial de ce dispositif était, d’une part, d’équilibrer l’attribution des ressources financières entre tous les établissements de santé en organisant un cadre uniforme - tant pour les acteurs de santé publics que pour les acteurs privés - en matière de facturation et de rémunération des activités hospitalières et, d’autre part, de responsabiliser les acteurs de santé. « Le régulateur doit encourager les hôpitaux à répondre aux besoins, sans induire d’activité injustifiée. Il doit inciter les établissements à l’efficience, c’est-à-dire à fournir les soins au moindre coût, sans sacrifier la qualité ni sélectionner les patients ».[5]
Or, près de 15 ans plus tard après la mise en place de ce nouveau mode de financement, force est de constater que ce modèle montre ses limites et sa perversion. En effet, chaque acte, chaque soin dispensé ou chaque pathologie prise en charge se voit attribuer un prix fixe et identique sur tout le territoire. Ce qui, en soi, pourrait relever de l’égalité des territoire incite certains établissements de santé à rechercher la meilleure productivité possible. Puisque certains actes médicaux ou prise en charge de certaines pathologies deviennent plus « rentables » que d’autres, certaines structures de soins tentent à développer ces activités plus rétributrices (chirurgie, obstétrique, etc), et en délaissant des soins ou des prises en charge au long court (psychiatrie, maladies chroniques, veilleuse, etc), moins rémunérateurs, ce qui plonge le personnel médical, médecins et chirurgiens compris, dans une monde où la technique pure est reine et où le versant humain, le « care »[6] n’a plus sa place.
Et c’est ainsi que la LOLF[7] et sa « Nouvelle gouvernance hospitalière »[8] introduit des mécanismes de marché, plonge le système de soin dans un principe de rentabilité. L’hôpital est passé d’une logique de moyens (dotation globale) à une logique de résultats (T2A). La gestion l’hôpital - qui, rappelons-le a une mission de service public - devient une gestion d’entreprise comme une autre. Or, peut-on considérer l’hôpital comme une entreprise comme les autres ?
« L’impérialisme d’une approche technicienne de la tarification hospitalière »[9]
Avec la T2A et sa logique de marché, les établissements de santé ont privilégié la productivité et la rentabilité de certaines activités de soins sans pour autant prendre en considération les variations démographiques (augmentation de la densité de population dans les zones urbaines et périurbaines, désertification médicale du fait de l’âge des médecins, etc) et les pathologies (affections de longue durée, maladies chroniques, vieillissement de la population, etc). Également, l’articulation entre la médecine hospitalière, la médecine de ville, les soins de proximité et la prévention en matière de santé est la grande perdante de ce modèle de financement. Agnès Buzin[10] déclare, en 2017, alors qu’elle est Ministre de la Santé que « ce système a fait croire à l’hôpital public qu’il devait se concentrer sur des activités rentables, qu’il devait se sentir une âme d’entreprise. (...) Nous avons risqué de faire perdre le sens de la mission de l’hôpital aux équipes en leur faisant croire qu’elles ne devaient faire que de la rentabilité ». Ce qui est sous-jacent dans ce discours est que la T2A a rayé du prisme la mission de service public tout comme la qualité des prestations de soins proposées, comme le souligne Jean-Marc Aubert - Directeur de la DRESS[11] - « la T2A ne favorise ni la qualité des soins, ni la prévention et elle peut même inciter à la réalisation de soins non pertinents ».[12] La T2A, qui avait pour vocation première la rationalisation des dépenses en matière de santé se révèle plutôt être un mode de financement inflationniste.
La T2A est contre-productive en matière de santé publique
Lorsqu’une action ou un dispositif est mis en place, celui-ci doit être évalué afin de s’inscrire dans un processus d’amélioration continue, dans le but de rester efficient et performant. La mise en place de la T2A n’a prévu aucun outil de mesure ou d’évaluation.
Aussi, la mise en place de « groupes homogènes de malades » (GHM) - toujours plus nombreux - pour définir les tarifs des actes est également profondément inégalitaire car des patients présentant une même pathologie n’évoluent pas dans le même contexte socio-familial, par conséquent, ne se rétablissent pas au même rythme ni avec la même consommation de soin. Cette pathologie n’aura pas le même retentissement, et, finalement, pas le même coût de prise en charge. La T2A ne prend pas en compte « les besoins de soin et de santé des malades »,[13] cela déshumanise la personne malade en la dissociant de son affection et crée de l’inégalité sociale. « Avec ce mode de tarification, on veut rompre définitivement avec la mission historique de l’hôpital d’hébergement des pauvres et d’instrument de politique sociale. On lui privilégie une mission technique où le séjour ne doit plus être motivé par des raisons sociales ».[14]
La standardisation des soins, une décision politique
À travers la T2A, la vision politique était de standardiser, d’homogénéiser les soins et les prises en charge, même si l’objectif de cette standardisation des soins peut être louable dans son ambition de corriger, voire supprimer, la variation de qualité des soins proposés aux patients présentant la même pathologie. Cela est présomptueux car chaque individu a ses propres particularités mais aussi car les soins doivent être a priori des biens singuliers[15] et non des biens homogènes.
En mettant la pathologie au-dessus de l’individu, la T2A met à mal « l’art médical [qui] nécessite de la souplesse et une adaptation à la singularité et la complexité des cas »[16].Cette standardisation tend à laisser de côté les patients atteints de pathologies complexes ou longues, patients qui ont besoin de singularité dans leur prise en charge par les soignants. Ce temps non-technique mis en œuvre par les soignants, qui fait pourtant toute la qualité des soins et de la prise en charge, est mis à l’écart par la T2A.
Après une quinzaine d’années de T2A, d’optimisation budgétaire et de standardisation des soins, le déficit hospitalier se creuse encore, la prévention n’est pas légion et la communication entre médecine hospitalière et médecine de ville encore balbutiante. Le nouveau plan de transformation du système de santé français « Ma Santé 2022 » prendra-t-il en compte ces aspects ?
Amandine Mamelin
Auditrice de la 35ème promotion MSIE
Références :
[1] Insee Références, édition 2020 - Santé - Handicap - Dépendance
2 Produit intérieur brut
3 De KERVASDOUE J., « Histoire du PMSI », conférence invitée, Adelf, 22/04/2010
4 https://www.vie-publique.fr/eclairage/272716-entre-t2a-et-ondam-quel-financement-pour-lhopital, consulté le 18/03/2021
5 MILCENT C., « Premier bilan de la tarification à l’activité sur la variabilité des coûts hospitaliers », Économie & prévision, Direction générale du Trésor, 2017/210, pp.45-67
6 NOEL-HUREAUX E., « Le care : un concept professionnel aux limites humaines ? », Recherche en soins infirmiers, 2015/3, n° 122, p. 7-17.
7 Loi organique relative aux lois de finances : texte juridique qui fixe le cadre des lois de finances en France
8 Fait partie des mesures du plan « Hôpital 2007 » et ses 3 objectifs principaux sont la responsabilisation du personnel soignant et non soignant, l’élargissement de l’autonomie des établissements de santé ainsi que l’instauration de contrats entre les différents acteurs de santé
9 TABUDEAU D., « Déserts médicaux : un révélateur des contradictions des politiques de santé. Chronique 1. Organisation sanitaire, politiques de santé », Journal de droit de la santé et de l’assurance maladie, 2, 49, 2015
10 Interview du 11/12/2017 pour le journal Libération
11 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques
12 Rapport Task Force « Réforme du Financement du système de santé », plan « Ma santé 2022 »
13 BATIFOULIER P., all, « La tarification à l’activité : une complexité contre-productive pour la santé des populations », Les Tribunes de la santé, Presses de Sciences Po, n°54 2017/1, pp.61-
14 Ibidem,
15 KARPIK L., L’économie des singularités, Bibliothèque des sciences humaines, Gallimard, 2007
16 BATIFOULIER P., all, « La tarification à l’activité : une complexité contre-productive pour la santé des populations », Les Tribunes de la santé, Presses de Sciences Po, n°54 2017/1, pp.61-