La mine aurifère d’Amulsar en Arménie, affrontement informationnel entre une société minière et des écologistes

La société minière Lydian Armenia pourrait reprendre ses activités aurifères au mont Amulsar, dans le sud de l’Arménie, selon une déclaration du nouveau ministre de l’Environnement arménien du 7 novembre 2022, au risque de relancer un ancien bras de fer informationnel entre cette société et des militants écologistes farouchement opposés à l’exploitation d’une mine d’or dans cette zone.

Les différents acteurs de la polémique

La société Lydian Armenia (ex GeoTeam) est une société arménienne spécialisée dans les activités minières et filiale de la société Lydian Canada Ventures, dont les actionnaires majoritaires sont Orion Mine Finance (société américaine) et Osisko Gold Royalties (société canadienne). En 2006, grâce aux financements de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (« BERD ») et la Société financière internationale (« SFI »), GeoTeam (alors filiale de la société américano-britannique Lydian International Limited, dissoute en 2021) a procédé à l’exploration d’une mine d’or au mont Amulsar. Le projet de mine a cependant été suspendu en 2018.

Un mouvement contestataire a émergé dès 2012, orchestré par quelques riverains et militants écologistes opposés à l’exploitation de cette mine en raison des enjeux environnementaux y afférents. Leurs réclamations restées sans réponse, ces opposants ont repris espoir avec la révolution dite de « velours » entrainant l’élection d’un nouveau président en 2018. Des Organisations Non Gouvernementales (« ONG ») nationales (Ecolur, ArmEcoFront, Green Armania, etc.) et internationales (International Federation for Human Rights, WWF, etc.) des avocats, des journalistes, des scientifiques, etc.., ont ainsi rejoint les rangs de l’opposition et le mouvement s’est intensifié.

Pour l’État Arménien, l’exploitation de la mine aurifère d’Amulsar par une multinationale constitue un signal fort de l'ouverture économique du pays et participe à sa stratégie d’influence pour attirer d’autres investisseurs étrangers. En effet, l’activité minière représente un secteur crucial pour l’économie arménienne, les minerais constituant 50% des exportations annuelles du pays et 10% du produit intérieur brut (« PIB »). Son développement à partir des années 2000, s’explique notamment par la politique de privatisation du secteur par le gouvernement. Aujourd’hui, plus de 670 mines de minéraux sont actuellement recensées dans le pays et parmi lesquelles 400 mines, sont exploitées et appartiennent à des oligarques arméniens (parlementaires ou proches de l’exécutif) ou à des entités étrangères.

Compte tenu des enjeux politiques, économiques et environnementaux autour du projet de mine, le mouvement d’opposition initie dès 2012 une lutte informationnelle qui atteint son paroxysme en 2018. Adoptant une position offensive, les militants utilisent plusieurs axes narratifs (campagne de discrédit contre Lydian, risques écologiques et inaction du gouvernement) s’appuyant en majorité sur des rapports techniques/scientifiques comme gage de crédibilité et les réseaux sociaux comme relais d’opinion.

Des attaques informationnelles visant à discréditer Lydian

Jusqu’à la révolution de 2018, la corruption était endémique en Arménie de sorte que le nouveau gouvernement s’est engagé dans une lutte implacable contre ce fléau. Dans cette logique, les opposants au projet dénoncent la corruption autour i) des permis délivrés par le précédent gouvernement à Lydian et ii) des transactions foncières réalisées dans certaines villes voisines au projet pour l’acquisition de terrains par Lydian. En réaction, Lydian a engagé de nombreuses poursuites judiciaires pour diffamation, déclarant qu’elle n’avait pas d’autres alternatives pour mettre un terme à ces accusations. A cet égard, le centre de ressources sur les entreprises et les droits de l'homme (Business and Human Rights Ressource Center ou « BHRRC ») a listé quatorze procédures entre 2018 et 2020, que les ONG qualifient de poursuites stratégiques contre la mobilisation publique. Une poursuite stratégique contre la mobilisation publique, ou « poursuite-bâillon » (souvent désignée par l’acronyme anglais « SLAPP ») désigne une procédure judiciaire intentée contre une personne pour avoir exercé son droit à la liberté d'expression dans le cadre de questions d'intérêt public. Le recours aux SLAPPs a pour motivations principales : l’intimidation, la réduction au silence et l’épuisement des ressources financières des personnes visées. Pour le réseau international d’ONG, CEE Bankwatch Network, Lydian a eu massivement recours aux SLAPPs contre des voix dissidentes (société civile, journalistes, experts et avocats), ainsi que certains médias (Skizb Media LLC et Lragir) pour tenter de museler les opposants au projet. Enfin, sur les présomptions de corruption, la société Lydian n’a jamais été condamnée. En revanche, un média indépendant a récemment révélé que certains militants avaient reçu de manière indirecte des fonds d’une société minière rivale, alors que ces mêmes activistes accusent Lydian de corruption.

Une réaction controversée de la société minière

Le manque d’expérience et d’expertise de la société minière, largement véhiculé par les militants, ressort d’un rapport réalisé par trois consultants indépendants. L’étude relève en effet des omissions, négligences et inexactitudes dans les études de faisabilité de Lydian. En réponse, Lydian nomme un expert indépendant qui réfute ces allégations. La société adapte par ailleurs sa stratégie de communication et s’affiche comme une société respectable et responsable, soucieuse et consciente des risques liés à l’exploitation minière. Ainsi, de nombreux articles sont publiés sur son site internet et relayés dans la presse spécialisée sur la qualité de ses rapports, sa conformité aux normes internationales (application du Code du cyanure et des principes de l'Équateur), et son financement par des investisseurs reconnus internationalement (BERD et SFI) lesquels quitteront toutefois le projet.

Enfin, les opposants à la mine dénoncent les méthodes d’intimidation utilisées par Lydian telles que le harcèlement sur internet ou le recours à une société de sécurité privée usant de la force pendant les manifestations. A titre d’exemple, plusieurs activistes auraient été espionnés par des employés de Lydian et de fausses informations auraient été propagées via de faux comptes afin de décrédibiliser leurs propos. Des plaintes ont été déposées contre ces employés, mais en dépit de leur culpabilité, aucune charge n’a cependant été retenue contre eux. Interpellé par le BHRCC sur ces affaires, Lydian a déclaré qu'il s'agissait d'un autre exemple évident de désinformation visant à entacher sa réputation.

La catastrophe environnementale comme argument principal du narratif anti-mine d'or

En s’appuyant sur de multiples rapports réalisés par des ONG et des écologistes, les activistes dressent un constat alarmant des menaces environnementales afférentes à l’exploitation de la mine d’Amulsar et des retombées sociaux-économiques. La contamination des ressources en eau, du sol et de l’air constitue la principale inquiétude des opposants au projet. Le site minier, situé près de rivières alimentant le lac Sevan, risque de polluer la principale source d'eau potable du pays laquelle deviendra impropre à la consommation.  Dans la ville de Jermuk, connue pour sa station thermale et ses eaux curatives, certains hôtels et sanatoriums craignent que la pollution engendrée par la mine nuise à l’industrie du tourisme et détruise des emplois. Par ailleurs, les terres agricoles contaminées deviendront inexploitables privant ainsi les communautés d’une source majeure de revenu. Selon une autre étude, des effets négatifs sur la santé en raison de la pollution de l’air auraient déjà été observés (crises d'asthme, maladies pulmonaires, sécheresse de la peau, maux de tête et insomnie).  En outre, les activistes invoquent les risques accrus de contamination liés aux gisements d'uranium, confirmés dans la zone du projet. Enfin, un rapport pointe également les impacts dévastateurs d’un tel projet sur la biodiversité : plusieurs espèces figurent sur la liste rouge des espèces menacées et le site minier se trouve dans une zone d’intérêt spécial pour la conservation telle que définie par la Convention de Berne signée en 1979. Une plainte a d’ailleurs été déposée par deux ONG contre l’État arménien auprès du Conseil de l’Europe.

L'implication de la société civile

L’inquiétude entourant ces menaces et les dommages irréparables associés, relayés massivement sur les réseaux sociaux et par la presse locale, a entrainé une mobilisation générale de la société civile, des riverains, des militants écologistes, ONG, etc. sous forme de pétitions, lettres, rapports, manifestations (y compris à Erevan, la capitale), et  barrages des routes pour accéder au site minier. Les intentions des manifestants sont clairement affichées : mettre un terme définitif à toute activité minière au mont Amulsar. « Jermuk ne deviendra pas une mine », « Sauvez Amulsar » ou encore « la loi du droit moral est au-dessus de toute autre loi, y compris la Constitution » font partis des éléments de langage adoptés par les manifestants. En réaction, Lydian adopte la même stratégie : manifestation de plus de 200 employés et dirigeants à Erevan pour dénoncer ce blocus et exiger une action gouvernementale urgente, barrage de l’autoroute principale menant à la ville de Jermuk.

Considérant que ces études manipulent l’information, Lydian tente de relativiser les impacts écologiques par le biais de publications et de rapports sur son site internet. La société insiste au contraire sur le fait qu’un tel projet aura des retombées économiques et sociales fortes pour l’Arménie. En effet, environ 1 000 emplois pendant la phase de construction puis 750 emplois permanents pendant toute la période d’exploitation de la mine devraient être créés, sachant que le taux de chômage avoisinait les 15% en 2021.  Lydian estime que le projet devrait représenter près de 1 % du PIB total et les exportations d’or devraient représenter environ 6,5 % des exportations totales de l'Arménie, ce qui n’est pas négligeable. Enfin, Lydian indique que plus de 4 millions de dollars américains auraient déjà été investis auprès des communautés avoisinantes dans des programmes sociaux (infrastructure rurale, éducation, arts, agriculture et santé), et un soutien financier aurait même été apporté aux familles de militaires victimes de la guerre du Haut-Karabakh de 2020. Outre l’image vertueuse recherchée par Lydian, ses actions visent manifestement à compenser la perte financière des communautés locales voire à acheter leur approbation quant au projet. Notons que l’argument relatif à la pureté de l’eau de Jermuk, qui a donné son nom à la plus célèbre marque d’eau minérale d’Arménie, mérite une approche plus nuancée. En effet, la presse américaine révèle que selon une analyse réalisée en 2007 par l’Agence des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drug Administration), l’eau minérale de la marque Jermuk contiendrait une concentration excessive d’arsenic, justifiant son interdiction. Finalement, le recours à la désinformation semble être l’apanage tant de Lydian et de ses partenaires que des activistes et de leurs partisans.

Un gouvernement arménien dans l'impasse et sous pression étrangère

L’inaction du gouvernement arménien manifestement dans une impasse fait l’objet de vives critiques des activistes. Ainsi, le Premier ministre arménien, nouvellement élu décide de suspendre le projet en 2018. Il diligente une enquête et mandate un audit auprès d’un cabinet indépendant libanais Earth Link & Advanced Resources Development (« ELARD ») afin d’évaluer les impacts du projet sur la qualité des ressources en eau et sur le développement futur de Jermuk. Sur la base de cette expertise, le Comité d’enquête conclut qu’aucun motif ne justifie la poursuite d’une action pénale contre Lydian. Cependant, les activistes ont émis des réserves sur l’objectivité de l’enquête et de ses conclusions, dans la mesure où le rapport ELARD préconise des mesures pour minimiser l’impact environnemental et souligne l’imprécision des données fournies par Lydian. Ce rapport servirait donc de prétexte au gouvernement pour afficher sa préoccupation pour les questions environnementales tout en satisfaisant Lydian (et surtout ses investisseurs étrangers). Les discussions ont repris entre Lydian et le gouvernement pour rouvrir la mine mais la résurgence du conflit armé opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour du Haut-Karabakh a de nouveau interrompu le projet.

Les détracteurs du projet accusent par ailleurs le Gouvernement arménien de complicité avec l’industrie minière en raison notamment i) d’une règlementation favorable (amendement en 2022 au Code minier en faveur de Lydian), ii) de l’impunité dont jouit Lydian quant à la violation présumée de la législation arménienne (Loi relative au lac Sevan, Code de l’eau, Code foncier, Lois environnementales, etc.), et iii) d’une politique avantageuse pour les sociétés étrangères (exemple : aucune taxe sur les déchets dangereux, aucune restriction à la délivrance de permis aux entreprises étrangères, versement d’une redevance variable en fonction de la rentabilité de l’entreprise ).

Enfin, le gouvernement arménien aurait été soumis à une forte pression politique et économique par les gouvernements américain et britannique du fait de leur implication dans le projet (via la société Lydian International Limited) et par la menace en 2019 d’un recours à une procédure d’arbitrage qui aurait permis à Lydian d’obtenir jusqu’à 2 milliards de US$ à titre compensatoire, soit 27% du PIB de l’Arménie.

Vers une reprise su projet au mont Amulsar

Pour le Gouvernement arménien, deux raisons principales militent en faveur de la reprise du projet : i) la croissance économique du pays qui ne peut pas se permettre de perdre des investisseurs étrangers et ii) le contexte géopolitique actuel : conflit avec l’Azerbaïdjan, blocage du corridor de Latchine et abandon du pays par ses partenaires historiques. Cependant, l’implication de Lydian semble aujourd’hui compromise : i) ses principaux investisseurs (BERD et SFI) ont quitté le projet jetant un lourd discrédit sur la société, ii) l’arrêt de l’exploitation minière a occasionné de lourdes pertes financières entrainant la dissolution de Lydian International limited, et iii) la société Chaarat Gold Limited (enregistrée dans un paradis fiscal et déjà impliquée dans des projets aurifères en Arménie et en République kirghize) a confirmé que des négociations avaient été amorcées pour le rachat de Lydian Armenia. Du côté de l’opposition, aucune nouvelle action n’a été entreprise à ce jour. Nul doute cependant qu’en cas de reprise du projet, des voix de protestation s’élèveront à nouveau du mont Amulsar.

 

Aurélie Poquet

Auditrice de la 41ème promotion MSIE de l’EGE

 

Sources :