D’un côté des militaires armés, de l’autre une clôture hérissée de barbelés. Au milieu, des centaines de migrants bloqués dans un no man’s land où aucune aide humanitaire ne peut être distribuée : ces images vues sur nos chaînes d’information sont saisissantes. Cette crise migratoire aux portes de l’Union Européenne pousse les différentes parties prenantes à gagner la bataille de l’opinion publique afin de légitimer leurs actions et postures.
Varsovie accuse ainsi Minsk d’avoir organisé, avec l’aval de Moscou, l’arrivée de ces migrants afin de répondre aux sanctions de l’Union Européenne envers la Biélorussie En retour, le Belarus réfute ces accusations et met en garde la Pologne contre l’utilisation de toute provocation. Ces tensions sont le point d’orgue de relations complexes entre les deux pays : l’un ancien pays de l’URSS et l’autre pays satellite proche du bloc de l’Est.
La reconnaissance de la Biélorussie très tôt après son indépendance par la Pologne laissait pourtant présager une entente cordiale entre voisins. L’émergence de nouvelles technologies ont intensifié et créé de nouvelles formes de confrontations informationnelles entre les états complexifiant ainsi les grilles de lecture traditionnelles.
La recherche d'un encerclement cognitif par le choix des images
Un enfant sauvé des eaux par la Guardia Civil à Ceuta, le petit Aylan retrouvé mort sur une plage turque, le croche-pied d’une journaliste hongroise à un migrant, nombreux sont les exemples d’images ayant marqué et influencé l’opinion publique. [1]Pour autant le poids d’une image peut induire des nuances, de la manipulation, des contre-vérités voire des fake-news. A chaque image un point de vue, une histoire, une autre image. Afin d’éviter des images non maitrisées certains optent pour le verrouillage et l’interdiction d’ONG et de journalistes. C’est ainsi que l’état d’urgence décrété en Pologne donne la possibilité au gouvernement de maîtriser les images prises et donc sa communication.
Par ailleurs, la Pologne, qui dispose de l'une des plus grandes forces de garde-frontières d'Europe, dit maîtriser la situation et ne pas avoir invité Frontex, dont le siège est pourtant à Varsovie, à intervenir sur le terrain. [2] Minsk de son côté répond en publiant des images de migrants pris en charge par des soldats biélorusses. [3] Cette "guerre" d'images masque les procédés d'encerclement et de contre encerclement cognitif. Il en s'agit pas seulement de porter le discrédit à l’adversaire en contrôlant les canaux de diffusion et le contenu. L'objectif est de gagner dans les meilleurs délais une position polémique durable, alimentée par des acteurs souvent indirects qui vont se mêler au débat.
Une confrontation géopolitique par les mots
« Terrorisme d’état », voilà comment Le Premier ministre Polonais, Mateusz Morawiecki qualifie les agissements de son voisin Biélorusse. [4] Il affirme que les migrants amassés à la frontière n’étaient pas des demandeurs d’asile légitimes mais « boucliers humains » délibérément amené par Minsk à « déstabiliser » ses voisins et l’ensemble de l’UE. [5] Pour la « Commission des frontières » de la Biélorussie, « les réfugiés ont été poussés à une telle démarche de désespoir par l’indifférence et l’attitude inhumaine des autorités polonaises ».
Le choix des mots est fort. Le but : interpeller, orienter, convaincre (par la raison), persuader (par les émotions) ! Cet usage offensif des mots et des phrases chocs est le terrain de jeu privilégié des diplomates et des dirigeants. Les échanges verbaux peuvent participer à l’embrasement d’un conflit comme à son apaisement.Ainsi, Loukachenko en reconnaissant « qu’il était possible » que ses forces de sécurité aient bien aidé les migrants car « nous avons du cœur », souffle le froid après avoir embrasé les débats en menaçant de couper l’accès au gaz russe en UE. [6]
L'importance de la dimension hybride
Des migrants acheminés par un État pour créer des tensions aux frontières de l'Europe, des soldats sans insigne qui prennent possession d'un territoire sans tirer un coup de feu, des soupçons d'interférence dans une élection présidentielle...Ces trois situations reflètent un nouveau type de conflit : la guerre hybride. [7] Pas d’armes, pas de chars mais des moyens détournés pour atteindre son objectif.
La Biélorussie, via les tensions à sa frontière avec la Pologne, cherche à cristalliser le caractère conflictuel de sa relation avec l’UE. La domination, par la mise en place d’un encerclement informationnel, reste l’objectif. Nous sommes dans un cas concret de culture d’affrontement du faible au fort. La Biélorussie « la faible » use de moyens à sa portée afin de rivaliser avec l’Union Européenne « la forte ». Ainsi Minsk renvoie l’UE à ses contradictions : comment se déclarer humaniste et garant des droits de l’homme lorsque l’arrivée de migrants déstabilise ?
Le point faible de la société civile
Dans ce conflit informationnel entre la Biélorussie et la Pologne, les ONG sont une cible de choix puisqu'elles vont intervenir dans le débat, en mettant en avant les principes humanitaires sans se préoccuper de la manière dont sont arrivés les migrants sur zone. Peu importe pour elles que ces migrants aient été encouragés à venir par des opérations de communication menées dans certains pays du Moyen Orient par exemple. Il en va de même sur l'absence de questionnement à propos des moyens d'acheminement, du financement caché des compagnies aériennes qui ont amené ces migrants et le rôle très directif des autorités biélorusses pour les acheminer près de la frontière polonaise. Dans ce cas de figure, rien interdit aux ONG de prendre la parole pour dénoncer la manipulation des migrants. Leur silence sur ce sujet porte une atteinte sérieuse à leur crédibilité dans la mesure où rien ne les empêche de venir en aide aux personnes en difficulté tout en adoptant une posture lucide sur un sujet qui les dépasse.
Le grand écart de l'Europe
Coincé entre les partisans de l'ouverture des frontières aux flux migratoires et les Etats de l'Union qui refusent d'entrer dans cette logique, l'Union Européenne est piégée par ses contradictions. Les jeux d'influence qui la pressent de faire entrer les migrants se sont télescopé avec les rapports de force de nature géopolitique entre les Etats-Unis et la Russie, par Biélorussie interposée.
Autrement dit sur ce point précis, l'idéologie portée notamment par des individus tels que Georges Soros, crée de facto un court-circuit avec la manière dont les Etats-Unis d'Amérique gèrent leurs affaires dans cette partie du monde. Washington ne peut se permette de perdre un allié local comme la Pologne. La détermination du gouvernement polonais a obligé Washington à "ouvrir les vannes" et les Européens ont suivi le mouvement. C'est ce qui explique pourquoi dans la confrontation informationnelle avec la Biélorussie, il n'a pas été possible de cacher l'évidence, c'est-à-dire une problématique migratoire instrumentalisée de toute pièce par un pays très proche de la Russie. Les médias occidentaux, habituellement très accommodants sur la question migratoire, ont dû révéler le stratagème biélorusse et admettre qu'il s'agissait d'une fausse ruée migratoire.
En proposant la construction d’un mur à sa frontière avec la Biélorussie, La Pologne accentue la fracture européenne sur le délicat sujet de sa politique migratoire : le mur c’est la défaite de la frontière. Les fractures internes au sein de l’UE, en particulier la relation conflictuelle entre Bruxelles et Varsovie, a permis à Minsk de répondre aux sanctions économiques infligées par l’Europe de manière asymétrique. Ce conflit montre une nouvelle fois l’utilisation de l’information comme arme de guerre. « Le champ informationnel (…) est un lieu de compétition stratégique, a justifié la ministre des armées, Florence Parly. L’information fausse, manipulée ou subvertie, c’est une arme. »
Radouane Bouhafs
Auditeur de la 38ème promotion MSIE
Liens
https://www.challenges.fr/monde/l-ue-demande-a-la-pologne-d-autoriser-frontex-a-la-frontiere-bielorusse_782045 [2]