La guerre d’information menées par le lobby des climato-sceptiques

En 1988, le chercheur James Hansen, directeur de laboratoire à la NASA, annonce au monde que les émissions de CO2 générés par les énergies fossiles sont responsables du réchauffement climatique. Le constat est clair : le lien est scientifiquement prouvé.

Dès l’hors, les communautés scientifiques et politiques s’emparent du sujet. A l’image de Margaret Thatcher, qui a été à l’origine[i] du « Sommet de la Terre » en 1992. Le GIEC[ii] (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), toujours actif aujourd’hui, voit le jour la même année sous l’impulsion des Nations Unis. Tout semblait alors bien parti, mais la situation en 2021 nous rappelle que le chemin a été particulièrement long et tortueux pour que ces questions environnementales soient prises en compte. La COP26 vient de s’achever et là encore le bilan est mitigé, l’urgence ne semble pourtant plus être à prouver. Que s’est-il donc passé depuis les années 80 ?

Une stratégie simple et efficace : semer le doute

Sur le modèle utilisé par l’industrie du tabac quelques années plus tôt, les groupes pétroliers organisent leur riposte, par l’intermédiaire de l’American Petroleum Institute (API[iii]).  La stratégie est simple, faire douter l’opinion publique sur les faits scientifiques expliquant le réchauffement climatique. Ce doute laissant alors la place à tout autre discours, surtout s’il est appuyé par un plan médiatique.  Au printemps 1998, et à la suite du protocole de Kyoto[iv], un rapport[v] de l’API est rédigé et explique en détails la stratégie à suivre pour discréditer le discours scientifique.

Les objectifs sont clairement affichés :

climat 2

 

Le premier est de faire « comprendre » au citoyen américain « moyen » que la science climatique est incertaine. Ce rapport liste par ailleurs les stratégies et tactiques à déployer pour atteindre ces objectifs. Il s’agit ici de stratégies d’influences clairement identifiées.

Des Think Tanks influents missionnés par les compagnies pétrolières

Au cœur de cette stratégie globale d’influence de l’opinion, l’API met en œuvre un programme national de relation presse. L’objectif est d’occuper le terrain médiatique, encore source d’information centrale dans les années 1990 et 2000. Pour mener à bien cette mission, des Think Tanks influents sont sollicités et leurs prétendus experts ne tardent pas à envahir l’espace médiatique. Plateaux TV, spots publicitaires ou encore influence directe de journalistes (John Stossel[vi] est explicitement cité dans le rapport de 1998), rien n’est laissé au hasard.

Leur action est méthodique pour décrédibiliser les scientifiques. Envoyer des communicants chevronnés face à des scientifiques de laboratoires, le match était déséquilibré dès le début. Les arguments factuels timidement présentés ne faisant pas le poids face à des professionnels de la rhétorique. Ainsi, trois Think Tanks sont les fers de lance de cette campagne de désinformation : le CATO Institut[vii], le CFACT[viii] et le Competitive Enterprise Institute[ix] (CEI).

Des grands noms du débat américains prennent alors la parole et se présentent comme experts. C’est le cas de Patrick Michaels[x], directeur scientifique du CATO à l’époque, qui alimentait le débat de discours alternatifs. Il a été de nombreuses fois remis en question depuis[xi]Une autre personnalité s’illustre dans la sphère climato-sceptique, il s’agit de Myron Ebell[xii], plus connu aujourd’hui pour avoir été l’un des conseillers de Donald Trump lors de son mandat présidentiel. Nous connaissons aujourd’hui les conséquences de certaines décisions de l’ancien président dans la lutte contre le changement climatique[xiii].

Fred Singer[xiv], autre lobbyiste sera à l’origine de la « Leipzig declaration[xv] », une pétition rassemblant plus de 100 scientifiques signataires. Cette pétition cherchant à réfuter le fait qu'il existe un consensus scientifique sur le réchauffement climatique. Il a été par la suite démontré que la plupart des signataires avaient reçu de l’argent, ou bien n’étaient tout simplement pas des scientifiques[xvi].

Plus largement, cette stratégie du doute n’est pas de remettre en question l’exactitude des faits scientifiques exprimés par les comités scientifiques, mais de mettre en évidence les points difficilement vérifiables. C’est d’ailleurs à la suite d’un débat télévisé face à un scientifique, que Jerry Taylor[xvii], porte-parole du CATO, ouvre pour la première fois le rapport du GIEC. Il réalise alors que les faits scientifiques sont fondés. Il deviendra ensuite un acteur de la défense face au changement climatique. Cela montre à quel point la stratégie d’influence de l’API était avancée, jusqu’au choix de ses porte-voix.

Les meilleures universités ciblées pour relayer les opérations d'influence cognitive

Le deuxième axe majeur de la stratégie des pétroliers pour semer le doute dans leur responsabilités liées au changement climatique a été d’investir les bancs des meilleures universités des États-Unis. En diffusant leurs idées aux élites de demain, ils assuraient une longue durée de vie à ces dernières et de nouveaux intellectuels prêts à les défendre.  Ainsi, un « programme national d’éducation et de sensibilisation sur le terrain » est explicitement décrit dans le rapport de l’API.  Il se matérialisera sous plusieurs formes.

Geoffrey Supran[xviii], étudiant à Harvard est surpris de voir une projection d’un film prônant la dépendance aux énergies fossiles lors de ses cours. Il apprendra que le film en question est réalisé par la société pétrolière Shell, qui finance par ailleurs l’école et certains intervenants.  Sa thèse[xix] portera donc sur l’implication des compagnies pétrolières au sein du monde universitaire américain.  Ses travaux montrent notamment que le groupe ExxonMobil finance[xx] le projet d’étude global sur le climat et l’énergie de l’université de Stanford (GCEP[xxi]).  D’après Geoffrey Supran, le pétrolier BP est impliqué dans les projets universitaires de l’université de Berkeley.

Les efforts mis en œuvre illustrent comment l’API a influencé étudiants et enseignant pendant de nombreuses années.  Naomi Oreskes[xxii], enseignante chercheuse à Harvard, prend conscience qu’aucune des déclarations des prétendus experts climato-sceptique ne fait l’objet d’une publication scientifique officielle. En mettant en lumière ce fait dans un article scientifique[xxiii], elle sera la victime d’une autre stratégie d’influence, plus frontale cette fois. Pendant des années, l’enseignante fera l’objet de campagnes visant à la discréditer directement en tant que professionnelle. Elle sera même victime d’harcèlement moral. Elle décrit cette stratégie dans son livre « Les marchands de doutes[xxiv] ».

Depuis 1980 et jusqu’à nos jours, d’immenses moyens ont été déployés pour soutenir une stratégie d’influence de grande envergure. Les compagnies pétrolières internationales ont construit cette campagne globale de désinformation à tous les niveaux : médias de masses, universités et même attaques personnelles si nécessaire.  Tous ces efforts ont été déployés afin de semer le doute dans l’opinion publique, retardant ainsi les prises de décision politique dans la protection de l’environnement. Cette volonté et intention s’illustre parfaitement par la compagnie ExxonMobil, qui a mené une étude[xxv] montrant les dégâts des gaz à effet de serre dès 1982. La compagnie n’aura cependant communiqué que sur « l’incertitude[xxvi] » de cette science.

Jérémy Grandillon

Notes