La guerre de l’information sur les carburants de synthèse

Le 27 octobre 2022, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen se sont accordés sur une série de normes visant à renforcer les objectifs d’émission de CO2 pour les voitures et camionnettes neuves dans le cadre du paquet « Fit for 55 ». « Fit for 55 » est un ensemble de propositions dévoilées par la Commission de l’union Européenne en juillet 2021 pour la mise en œuvre du pacte vert et afin de permettre à l’Europe d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050. Des mesures de grandes ampleurs destinées à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre sont ainsi proposées. Ces mesures portent entre autres sur la fixation des normes d’émission de CO2 plus strictes dans le secteur du transport routier, la refonte du marché carbone, la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, la promotion des énergies renouvelables, la création d’un fonds spécial pour le climat, etc.

Dans le cadre du processus législatif interne à l’Union Européenne et en attendant la formalisation de la décision, les ministres regroupés au sein du Conseil de l’Europe et le Parlement ont convenu notamment de réduire de 100 % des émissions de CO2 tant pour les voitures neuves que pour les camionnettes neuves d'ici à 2035. Ce qui suppose de façon pratique, qu’à partir de 2035, il ne sera plus possible de vendre sur le marché européen des véhicules à moteur thermique. Seuls les véhicules électriques ou ceux fonctionnant à l’hydrogène pourront être mis en circulation.

Toutefois, au regard des enjeux, l’accord laisse entrevoir une porte de sortie pour les carburants de synthèse sensés permettre aux véhicules à combustion de continuer de rouler tout en respectant les nouvelles normes. Selon le communiqué du Conseil de l’Union Européenne[i] « après consultation des parties prenantes, la Commission présentera une proposition concernant l'immatriculation après 2035 des véhicules fonctionnant exclusivement avec des carburants neutres en CO2 en application du droit de l'Union, en dehors du champ d'application des normes applicables aux flottes de véhicules, et conformément à l'objectif de neutralité climatique de l'Union ». A cet égard, il est prévu un réexamen des objectifs en 2026 à la lumière « des évolutions technologiques, y compris au regard des technologies hybrides rechargeables et de l'importance d'une transition viable et socialement équitable vers le zéro émission ». Ces différents aménagements obtenus sous l’effet de la pression des lobbies[ii] relancent le débat sur les vertus écologiques des carburants de synthèse avec en toile de fond la disparition des véhicules à combustion.

Les carburants de synthèse : des hydrocarbures aux propriétés certaines

Les carburants de synthèse encore appelés électro-carburants ou e-carburants sont des hydrocarbures non-fossiles produits par divers procédés chimiques à partir de l’oxyde carbone et de l’hydrogène vert. Historiquement, les carburants de synthèse ont été développés pour la première fois en Allemagne au cours de la deuxième guerre mondiale. Ne disposant pas alors de ressources gazières ou pétrolières, les industriels allemands avaient développé la production d’hydrocarbures liquides à partir de charbon, dont le pays était riche. L’Afrique du Sud s’est également intéressée à la technologie dans les années 1950-1960, en raison des sanctions économiques imposées par les Nations unies suite à la politique de l’apartheid. Manquant de pétrole, ces pays avaient alors développé la production de carburants liquides mais la technologie était assez polluante et très gourmande en électricité.

Les recherches démarrées depuis quelques années dans le cadre de la transition énergétique permettent de produire des technologies beaucoup propres. Ainsi, contrairement aux carburants issus de ressources fossiles, « les e- carburants s’inscrivent dans une approche circulaire dans laquelle le CO2 émis lors de la combustion du carburant est aussi utilisé pour synthétiser ce dernier. Le CO2 est considéré ici comme une matière première et non comme un déchet. Il peut être collecté sous une forme concentrée auprès des activités industrielles (cimenteries, aciéries, chimistes) ou de transformation de la biomasse et des déchets (incinérateurs, méthaniseurs, fermenteurs). Il peut aussi être directement capté dans l’atmosphère »[iii].

Toutefois, les techniques de productions des e-carburants peuvent être gourmandes en énergie. Le CO2 étant une molécule stable et dépourvue d’énergie, il ne peut être transformée en l’absence d’une source d’énergie. Il faudrait donc veiller à les produire à partir des sources d’énergie non polluante.

Sur le plan théorique, les avantages des carburants de synthèse paraissent indéniables. Ils permettraient de réduire de réduire l’impact carbone du secteur des transports de 70% tout en maintenant l’infrastructures existantes[iv]. Leurs spécificités chimiques leurs permettraient d’être directement utilisés dans les moteurs existants sans grand changement. Du fait de l’élimination des déchets inhérents au processus d’extraction des ressources fossiles et de la possibilité de ne faire y figurer que les produits qui brûlent réellement, les e-carburants auraient la possibilité de rendre les moteurs plus propres. Des études faites par le consortium allemand Namosyn -intégrant Bosch, BMW, Audi, BP, BASF, Schaeffler... -ont montré une réduction d’au moins 50 % des particules et NOx[v].

Les attaques informationnelles contre les carburants de synthèse

En décembre 2021, au lendemain de la publication par la Commission européenne du programme « Fit for 55 » et dans le sillage des discussions inhérentes à la modification de législation, l’ONG « Transport & Environment » a publié une étude réalisée par l’IFP Energies Nouvelles (IFPEN) qui montre le faible impact des carburants de synthèse sur l’environnement. Sur la base des tests effectués sur trois échantillons de carburants de synthèse produits en laboratoire, les émissions des particules polluantes ont soit augmenté, soit resté stable avec l’utilisation des e-carburants. Ainsi, la production d’oxyde d’azote (Nox) serait similaire à celle de l’essence classique. Les e-carburants produiraient trois plus de monoxyde carbone que les carburants fossiles. De même, les émissions d’ammoniac pourraient doubler selon le type de mélange. En conséquence, l’utilisation des carburants de synthèse dans les voitures perpétuera les problèmes de pollution de l'air en Europe. Compte tenu de certaines émissions de gaz à effet de serre non comptabilisées, les carburants de synthèse ne peuvent être considérés comme climatiquement neutre. Surfant sur les résultats ci-dessus présentés, Transport & Environment et les partisans du tout électrique mettent en avant les insuffisances de la technologie de production gourmande en électricité, l’indisponibilité du produit sur le marché, le niveau actuel des prix des carburants de synthèse très élevé pour discréditer davantage le produit.

En réaction, FuelsEurope, un regroupement de 38 compagnies productrices et distributrices de produits pétroliers, regrette dans un communiqué publié en décembre 2021, l'approche adoptée par l’ONG Transport & Environment qui consiste à sélectionner certains résultats et les mettre hors contexte, ce qui conduit sans surprise à des conclusions erronées. S’appuyant l’analyse scientifique du rapport par Concawe, leur branche scientifique, ils affirment que l’étude de l’IFPEN montre clairement que l'utilisation de carburants synthétiques dans les voitures entraîne une réduction spectaculaire des émissions de CO2 et aucun effet significatif sur les émissions polluantes par rapport aux carburants fossiles. Cherchant à discréditer l’étude de l’IFPEN, ils estiment que les e-carburants utilisés pour la réalisation des tests sont des produits hors spécifications. A cet égard, John Cooper, directeur général de FuelsEurope, a déclaré que "Bien qu'il soit parfaitement acceptable de tester des carburants hors normes à des fins scientifiques, comme le fait régulièrement Concawe, l'extrapolation des résultats de ces tests potentiellement à des fins législatives n'est pas acceptable ».

Quelle pourrait être la conduite des décideurs européens ?

Selon la Commission de l’Union Européenne, les transports sont le seul secteur où les émissions de gaz à effet de serre (GES) n’ont pas diminué. Ces émissions représentent près de 20 % des émissions totales dans l’Union européenne (UE). L’industrie automobile représente plus de 7 % du PIB de l’UE et fournit des emplois directs ou indirects pour 14,6 millions de personnes. A ce jour, tous les acteurs s’accordent sur la nécessité de réduire l’impact carbone de ce secteur tout en préservant la mobilité des citoyens. Le basculement à l’utilisation exclusive des véhicules électriques dans l’espace de l’Union constitue d’ailleurs une opportunité de développement et de structuration du secteur de l’automobile. Ce qui est susceptible de favoriser de gros investissements et générer de nouveaux emplois. Les principaux constructeurs s’y sont d’ailleurs engagés. Toutefois, il convient de ne pas occulter le risque de dépendance à une seule technologie. En effet, à l’instar de ce qui s’était produit dans les années 1970, un choc sur les prix des matières premières pour les batteries par exemple pourrait compromettre la disponibilité de voitures abordables pour de nombreux citoyens et retarderont donc le renouvellement du parc automobile. Dans ces conditions, sans position dogmatique, il serait utile d’encourager la recherche sur toutes les technologies permettant de préserver l’industrie automobile sans transiger sur les principes liés à la protection de l’environnement.

 

Abdou Rafiou Bello (MSIE 41 de l’EGE)

 

Sources complémentaires

FuelsEurope, Joint Letter to European Policymakers on CO2 standards for cars and vans, September 2022

Transport & Environment, Magic green fuels, Why synthetic fuel in cars will not solve Europe’s pollution problems, December 2021

 

Notes

[i] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/10/27/first-fit-for-55-proposal-agreed-the-eu-strengthens-targets-for-co2-emissions-for-new-cars-and-vans/

[ii] Voir la lettre ouverte de l’Association FuelsEurope https://www.fuelseurope.eu/publications/publications/joint-letter-to-european-policymakers-on-co2-standards-for-cars-and-vans

[iii] CEA, Carburants de synthèse : une solution pour la mobilité durable, https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/10/27/first-fit-for-55-proposal-agreed-the-eu-strengthens-targets-for-co2-emissions-for-new-cars-and-vans/ espace presse, Octobre 2021

[iv] CEA, Carburants de synthèse : une solution pour la mobilité durable, espace presse, Octobre 2021

[v] Etude relayée par le site www.automobile-magazine.fr : Tout comprendre sur les carburants de synthèse en 6 questions.