La guerre de l’information sur l’autodétermination des peuples : le cas de la Kabylie

Le droit des peuples à l’autodétermination (ou droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) demeure un pilier du droit international contemporain. Plusieurs nouveaux Etats ont vu le jour sur cette base, depuis l’adoption de la Charte des Nations Unies (1945), rendant ce droit à l’autodétermination actionnable, que ces peuples soient réputés colonisés ou non.

Ce droit à l’autodétermination peut être malencontreusement instrumentalisé, par certaines puissances, qu’elles soient internationales ou régionales. Ainsi, les règles de reconnaissance d’un nouvel Etat sont multiples : reconnaissance par un seul Etat (Ossétie du Sud), par un groupe d’Etats (Kosovo) ou parfois, naissance d’un nouvel Etat même lorsque la majorité de la population s’y oppose (Bosnie-Herzégovine). Il est à souligner que le système international que l’on connait aujourd’hui, permet l’émergence et le maintien de régimes corrompus et totalitaristes, réduisant à néant toute mention de droits humains ou toute tentative d’application de principes démocratiques…

Dans ce cadre, la guerre de l’information voire la stratégie de désinformation initiée à l’encontre de ces peuples autochtones clamant leur droit à disposer d’eux-mêmes, revêt une importance stratégique, pour le maintien du pouvoir central. L’Algérie occupe une place particulière dans ce débat dans la mesure où elle soutient l’autodétermination dans certains cas et qu’elle la renie à la propos de la question kabyle.

Le soutien de l'Algérie au Polisario, pour son droit à l'autodétermination 

Le présent article ne s’attardera point sur le conflit spécifique au Polisario et sur les parties prenantes connues (Maroc, Espagne, Algérie, Lybie, Mauritanie France puis les Etats Unis, depuis peu). Plusieurs articles étayent parfaitement la situation géopolitique de cette partie de l’Afrique du Nord, ainsi que le rôle du Front Polisario, non abordé non plus.

Cette analyse se focalisera sur les éléments prégnants à la posture de l’Algérie vis-à-vis du droit des peuples à leur autodétermination, au travers de l’exemple du Polisario.

Parmi les constantes de la constitution algérienne, l’on retrouve un article spécifique, inhérent à la solidarité de l’Algérie envers les peuples luttant pour leur libération politique et économique. Dans sa révision constitutionnelle de 1996, l’article n° 27 stipule ‘’ L'Algérie est solidaire de tous les peuples qui luttent pour la libération politique et économique, pour le droit à l'autodétermination et contre toute discrimination raciale’’. Les révisions constitutionnelles de mars 2016 et de 2020, viendront confirmer ce même article, via leurs alinéas 30 et 32, respectivement.

L’Algérie est un soutien de longue date des indépendantistes sahraouis dans leur dispute territoriale avec le royaume chérifien. Plusieurs Présidents algériens soutiendront le Polisario… En février 2017, le gouvernement de Bouteflika, renouvela le soutien constant de l’Algérie au peuple sahraoui, en appelant à la tenue d’un référendum sous son égide. Début juin 2021, Abdelmadjid Tebboune s’est rendu au chevet de Brahim Ghali, président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) autoproclamée, dont Alger est le principal soutien chef, lors de son hospitalisation en Espagne. Quelques jours plus tard, il l’accueillera dans un hôpital militaire Algérien, en vue de sa convalescence.

Le 19 juin 2021, une rencontre diplomatique à Alger dédiée à la question sahraouie a mis en avant les positions indéfectibles de l'Algérie en faveur du peuple sahraoui et l'ensemble des causes de libération dans le monde (source Agence Presse Algérie). Le tandem Algérie / Polisario met ainsi en exergue des relations diplomatiques bilatérales historiques et soutenues, dans un contexte de crise sans précédent dans la région.

Le rejet de l'autodétermination du peuple Kabyle

D’aucuns qualifieraient la Kabylie comme étant une ‘’région’’ perpétuellement frondeuse au régime en place. L’histoire de ce Territoire, communément appelé par l’ensemble des Kabyles ‘’Tamurt, i.e Pays’’, est caractérisée par une lutte identitaire qui trouve son essence dans la définition même d’un peuple : Le peuple Kabyle (plus de 12 millions de kabyles, territoire de 40 000 km2)

La définition la plus communément acceptée pour le terme ‘’peuple’’ est tributaire de 2 conditions : la première étant objective et s’attelle à des éléments historiques, ethniques, linguistiques et culturels. La seconde est subjective, caractérisée par le vouloir-vivre ensemble, la vision d'un avenir commun et le sentiment d’appartenance au même groupe. Ce second élément état le plus saillant.

La naissance des nouveaux Etats se fait principalement dans la violence (à quelques exceptions près). Or, depuis quelques années, les Nations sans Etats, à l’image de la Kabylie, ont su innover pour tirer profit des voies légales et pacifiques, en s’appuyant sur le droit international. Les prérequis à cette autodétermination sont multiples, dont celui de la légitimité.  En outre, un peuple autochtone exprime son souhait de se séparer du pays que lorsqu’il est renié dans son existence et dans ce qui le définit : sa langue et sa culture. La langue demeure, de fait, le facteur déterminant dans la résistance d’un peuple ayant perdu sa souveraineté.

L’histoire récente de la Kabylie (dernier siècle) a été marquée par la revendication identitaire (1949 crise dite berbériste – 1963 – 1980 - 1994/1995 – 1998 - 2001 le Printemps noir de Kabylie, 2019 à nos jours) Le Printemps Noir (Avril) 2001, théâtre de l’assassinat de plus de 120 jeunes manifestants pacifistes kabyles par la Gendarmerie algérienne, au moyen de balles explosives (plus de 5000 blessés dont plus d’un millier d’handicapés) marque un tournant décisif dans la relation Algérie - Kabylie.

Il s'en suit un divorce politique de près de trois années, période durant laquelle le territoire kabyle vécut en quasi autonomie, en s’appuyant sur l’organisation politique kabyle ancestrale, connue sous le nom de ‘’Archs’’ En juin 2001, le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK) voit le jour et porte le projet de l’autonomie régionale, pour mettre un terme à cette confrontation permanente entre le pouvoir algérien et la Kabylie.

Ce mouvement évoluera quelques années plus tard vers l’Autodétermination avec un objectif exprimé : L’indépendance. La mise sur pied du Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK - Anavad) en exil, eut lieu le premier juin 2010. Son Président est Mr Ferhat Mehenni, fervent défenseur des droits de l’homme depuis plus de 40 ans (co-fondateur de la ligue algérienne des droits de l’homme), homme politique, écrivain et poète-chanteur Kabyle et lauréat du prix de la paix Gusi en 2013

Les stratégies d'attaque informationnelle

Les autorités algériennes ont développé plusieurs stratégies de guerre de l’information pour contrer l’opposition kabyle.

Le durcissement des éléments de langage

Le ‘’Colloque de Conscientisation’’, du 18 au 20 août 2020, qui a eu lieu à une cinquantaine de kilomètres de Mostaganem et sous haute protection de la gendarmerie algérienne, a réuni plusieurs dizaines de participants, tous animés par le même dessein. Dès lors, la Kabylie fera face à une répression administrative, économique, judiciaire et physique sans précédent. Les militants souverainistes kabyles sont les premières cibles. 

Durant la période 2019 – 2021, plusieurs appels à caractère raciste anti-kabyle de la part de députés et de membres du gouvernement algérien ont été émis, sans qu’aucune sanction ne soit prononcée :

. 4/03/2020 : A l’exemple de Naima Salhi, député et Présidente du Parti de l’équité et de la proclamation, -déversant en toute impunité sa haine et son racisme en appelant à exterminer les Kabyles et de qualifier les kabyles ‘’de juifs de la pire espèce’’.

. 24/07/2020 : le leader du parti Rachad, Mohamed Larbi Zitout, appellera depuis Londres à « prendre les armes contre les kabyles séparatistes du MAK ».

. 20/04/2021 : Le Sénateur Abdelouahab Benzaïm qui s’évertuera à qualifier la Kabylie de tumeur dangereuse et de conclure « un jour, qui n’est pas loin, nous allons éradiquer toutes ces tumeurs cancéreuses qui rongent le corps d’une nation unie’’.

. 20/04/2021 : Said Bensdira, journaliste influenceur depuis Londres prônera l’extermination des kabyles : ‘’  Si jamais j’ai du pouvoir, je lancerais un appel lors du JT de 20h et je dirai aux kabyles, surtout ceux de Tizi Ouzou et de Béjaïa : les citoyens et les citoyennes qui se démarquent et rejettent les idées et l’idéologie des séparatistes du MAK, je leur demanderai de quitter la Kabylie durant 24h seulement en laissant les séparatistes et ceux qui les soutiennent » Et de poursuivre : « Je vais par la suite faire exterminer tous ceux qui resteront en Kabylie ».

Les politiques et acteurs sociaux algériens auront commis 14 déclarations aux relents anti-kabyles en une année. Il est intéressant de noter que tous ces appels resteront impunis, à l’heure où des centaines de militants politiques sont emprisonnés pour un simple post Facebook, dénonçant les pratiques du régime algérien.

Dans son rapport du 24/06/2021, Amnesty international rappellera que le droit à la liberté d'expression recouvre l’expression en ligne et hors-ligne. Elle pointera également l’illégalité des restrictions promues par l’Algérie et les condamnations lourdes qui en découlent.

L’invocation du terrorisme et la diabolisation de l’opposition kabyle

Le 20/04/2021, la Kabylie commémore le 20ème anniversaire du printemps noir de 2001 ainsi que le 41ème anniversaire du Printemps berbère de 1980. La Kabylie se revêt de son drapeau Jaune et bleu, et des milliers de militants indépendantistes (MAK et autres mouvements) et sympathisants défilent dans les rues de Kabylie.

Une tentative de répression notamment à Tizi Ouzou se soldera par un échec, résultat de la volonté de ces militants de clamer haut et fort le droit à l’autodétermination de la Kabylie puis, de la solidarité de quelques militants politiques kabyles d’autre obédience, ayant rebroussé chemin pour prêter main fort à leurs compagnons de lutte.

Cette vision d’une Kabylie unie et n’ayant pas arboré les couleurs du drapeau algérien sera un énième indicateur au pouvoir central, de l’implantation du MAK et de l’idéologie indépendantiste Kabyle populaire. Le 20 avril 2021 est  aussi la date du lancement du référendum d’autodétermination pour l’indépendance de la Kabylie (par voie électronique), par le MAK-Anavad. Le 25 avril 2021, le ministère algérien de la Défense Nationale (MDN) publie un communiqué dans lequel il informe que ses services de sécurité ont permis à la fin du mois de mars, le démantèlement d'une cellule criminelle composée de partisans du "MAK", des ‘’séparatistes’’ impliqués dans la planification d'attentats et d'actes criminels

Ce communiqué ajoute que l’armée algérienne a procédé à la saisie d’armes de guerre et d’explosifs destinés à l’exécution de plans criminels. En guise de preuve pour ses allégations, le ministère fait référence à des aveux d’un dénommé « H. Nouredine », présenté comme un ex-membre du MAK. Ce communiqué a été repris  par l’AFP (Agence France Presse) et un grand nombre de médias français et internationaux.

Le 26 avril 2021, le mouvement MAK-ANAVAD contre-attaque. Un démenti sera communiqué par le MAK-Anavad au lendemain du communiqué du MDN, au travers de l’AFP qui accordera un droit de réponse à ce mouvement. Le Président du MAK-Anavad, dans son allocution, mit au défi le pouvoir algérien, d’apporter les preuves de ses accusations et de présenter l‘identité de ce fameux H. Noureddine et une quelconque preuve de l’accusation proférée contre le MAK. La ligne de conduite du MAK depuis 20 ans, repose sur la lutte politique et pacifique pour le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». A date, aucun événement de violence ne peut être rattaché à cette lutte, ni en Kabylie et encore moins à l’étranger.

La conséquence de ce droit de réponse sera que l’AFP sera accusée par l’Ambassadeur d’Algérie à Paris, Mohamed-Antar Daoud de complaisance et de sympathie envers le MAK : ‘’ L’AFP a habitué ses lecteurs et usagers à davantage de professionnalisme et d’éthique dans ses couvertures médiatiques malgré une posture éditoriale critique négativiste à l’égard de mon pays. Force est de constater aujourd’hui que le fait d’ouvrir son fil aux responsables de ce mouvement, revêt une forme de légitimation, voire de sympathie en direction des responsables de ce mouvement séparatiste qui planifie, selon les informations vérifiées du ministère de la Défense nationale, des actions criminelles et attentats terroristes contre les marches populaires pacifiques’’

Le 26 avril 2021, la télévision publique algérienne diffuse l’interview du prétendu ex-membre du MAK, qui livre au spectateurs une histoire rocambolesque, qui manque cruellement de précision. Ce dernier ‘’tomberait littéralement’’ sur des armes en se promenant, qu’il revendrait 2 fois leurs prix et saurait estimer la fortune du MAK a ‘’entre 180 à 186 milliards de dinars’’. Les soutiens au mouvement MAK évoquent une énième tentative de manipulation de l’opinion publique sur fond de propagande anti-kabyle.

L’organisation socio-politique kabyle étant ce qu’elle est, le village kabyle dont il est issu a mis un point d’honneur à rétablir la vérité : ses concitoyens attesteront qu’il n’a jamais fait partie du MAK et qu’il s’agissait d’un trafiquant et repris de justice, connu. Les accusation graves et l’amateurisme flagrant de ce témoignage ont été également dénoncés par la société civile kabyle. 

Le 11 mai 2021, la loi régissant le scrutin du référendum pour l’autodétermination de la Kabylie est promulguée et rendue publique, sur le site du Journal Officiel de l’Anavad (modalités, conditions, garanties et processus du scrutin…). Une semaine plus -tard, le Haut Conseil de Sécurité (HCS) de l'Etat Algérien classe le MAK sur la « liste des organisations terroristes » et de « les traiter comme telles». Le même jour, Mr Ferhat Mehenni, Président du MAK-Anavad est placé en garde à vue à Paris. 

La communauté Kabyle se mobilisera illico et se rendra devant le Tribunal de Grande Instance du 17ème afin de manifester son soutien au Président du MAK-Anavad. En effet, la convention d’extradition bilatérale France-Algérie, ratifiée en mars 2021 pourrait être instrumentalisée, en agitant le ‘’spectre’’ du terrorisme du MAK et en demandant l’extradition d’un supposé leader de mouvement terroriste.

 Lors de la conférence de presse du 19 mai 2021, Gérald Pandelon avocat de Mr Mehenni, a précisé que l’audition portait sur une affaire de blanchiment d’argent en bande organisée (PMU) avec une dizaine de personnes d’origine chinoise. Mr Mehenni serait la victime dans cette affaire au travers du piratage de sa carte bancaire. Aucune charge ne sera retenue à la suite de ces quelques heures de garde à vue.

Le 24 mai 2021Mr Mehenni saisit l’ONU, au travers de son secrétaire général António Guterres, auquel il adresse une lettre dénonçant la classification du mouvement pacifiste MAK en tant que mouvement terroriste. Il rappellera que l’autodétermination ne relève pas du domaine militaire mais du domaine politique et que : « Pour assumer nos responsabilités, nous avons demandé à nos cadres et partisans de ne jamais verser dans la clandestinité et d’assumer en femmes et en hommes de paix nos choix politiques et pacifiques, et ce, quelle que puisse être la férocité de la répression. ». Le Président du MAK-Anavad concluera par une proposition de ‘’soumettre à la Commission des Droits Humains de l’ONU l’étude des faits pour déterminer qui du MAK ou du pouvoir algérien devrait être mis au ban de la communauté internationale’’.

Le 27 mai 2021, est publié le décret portant classification de l’État algérien en tant qu’État terroriste au Journal Officiel de l’Anavad. Il s’appuie sur les éléments historiques ayant caractérisé les relations Alger-Kabylie, arguant qu’un État terroriste est celui qui exerce la terreur contre ses populations et ses opposants par le recours à l’assassinat et la torture. 

Le 2 juin 2021 : Le Point diffuse un entretien avec le Président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui renchérit au sujet du MAK ‘’ Le MAK a tenté d’agir avec des voitures piégées ».

Le 10 juin 2021, le code Pénal algérien est modifié et la définition de l’acte terroriste est élargi et stipule  « Est considéré comme acte terroriste ou sabotage, tout acte visant la sûreté de l’Etat, l’unité nationale et la stabilité et le fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet de : […] œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ; porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit ». Le 12 juin 2021 : au troisième Zéro vote Kabyle, le président algérien rétorquera ‘’ Le taux de participation ne m’importe pas ». Fin juin 2021 : les leaders politiques kabyles du MAK et autres mouvements souverainistes kabyles (AKAL, RPK) ainsi que leurs militants ont été emprisonnés, au motif d’appartenance à une organisation terroriste et d’atteinte à l’unité nationale. Un nouveau délit semble apparaitre : ‘’le délit de kabylité’’ Moins de 2 moins après la saisine de Mr  António Guterres, l’Anavad adresse une demande d’intervention à l’ONU, contre la répression politique en Kabylie, en revenant sur la charte des Nations Unies qui consacre la liberté d’opinion, d’expression et d’organisation.

La légifération des lois liberticides

Cette stratégie est intimement liée à la stratégie précédente dans la mesure où des sanctions pénales ont été introduites dans les articles 294 à 313 de la loi organique portant régime électoral. Ainsi « des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 20 ans, notamment pour les actes de destruction ou d’enlèvement d’urnes, d’atteinte au déroulement du scrutin et troubles aux opérations de vote ». Lorsque l’on connait l’historique de la Kabylie vis-à-vis des élections algériennes, est-il opportun de se demander si cette loi est érigée contre la Kabylie ?  La situation fin juin 2021 mettre en évidence une cabale contre les militants du MAK qui seront débusqués, à leurs domiciles, au motif qu’ils auraient empêché les élections de se dérouler.

Réaction de l'opinion internationale

Depuis avril 2021, les autorités algériennes retiennent des charges de ‘’terrorisme’’ et de ‘’complot contre l’état’’, en raison d’un discours ou d’une participation à des manifestations. Amnesty International, dans son rapport du 24 Juin 2021, insiste sur le fait que les restrictions au droit d’association et de réunion sont uniquement légales si elles sont conformes aux principes de nécessité et de proportionnalité Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a par conséquent déclaré que l’État doit mettre en évidence la nature précise de la menace et démontrer que les restrictions « sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale.  Et le rapporteur spécial sur la lutte antiterroriste de signaler que le fait qu’une association cherche à atteindre par des moyens pacifiques des objectifs qui sont contraires à l’intérêt de l’État n’est pas suffisant pour qualifier cette association de terroriste. 

Résultat de cette série d'affrontements informationnels

Une réponse politique constante et sans équivoque, de la Kabylie s’est exprimée dans les urnes. Il est inutile de rappeler la crise profonde vécue en l’Algérie depuis 2019 et la violation des droits humains les plus élémentaires qui s’en est suivie (résolution 2020/2880 RSP du Parlement Européen sur la détérioration de la situation des droits de l’homme en Algérie) Cette crise a exacerbé les pratiques du pouvoir central, en réponse à la posture politique de la Kabylie, sous forme d’affrontement informationnel sans précédent, allant même jusqu’à une campagne de propagande internationale en qualifiant son mouvement pour l’autodétermination, MAK de terroriste, comme décrit plus haut.

Quelles sont les réponses politiques ?

Elections présidentielles : si les suffrages dans les régions autres que le territoire kabyle, frôlaient les 40%, ils étaient bel et bien de 0% en Kabylie. Les Kabyles n’élisent plus leur Président depuis plus de 40 ans. Le 12 décembre 2019 , le jour des élections présidentielles, la Kabylie vit une journée de répression sanglante qui selon des sources locales du mouvement pro-kabyle, évalue à le nombre de victimes à plusieurs dizaines de jeunes kabyles. Il est aussi dénombré des dizaines d’éborgnés.

Référendum Constitutionnel algérien (01/01/2020) : moins d’un an plus tard, la Kabylie répondra à ces évènements hostiles par un second ‘’0 vote’’. En effet, la constitution dénie au peuple kabyle son existence. Une première vague d’arrestations a lieu. Des militants et responsables du MAK sont emprisonnés sans motif juridique valable. Certains attendent à ce jour, leur procès (détenus politiques accusés d’atteinte à l’unité nationale et de terrorisme en raison de leur engagement politique)

Elections législatives (12/06/2021) : La Kabylie persiste et signe avec un O Vote. Ainsi, La Kabylie ne sera pas représentée au parlement algérien

Cet affrontement informationnel a permis de révéler les contradictions de l’Algérie à l’encontre des mouvements souverainistes kabyles et de s’appuyer sur une propagande sur fond de diplomatie publique : désinformer pour décrédibiliser sur la scène internationale, avant de légiférer en faisant fi des principes fondamentaux des droits humains les plus élémentaires, ratifiés par ce même gouvernement pour finalement justifier toute répression existante et à venir.

L’Algérie n’a pas une position simple devant la communauté Internationale à propos notamment d’un article de loi inscrit dans la constitution, réputé immuable, tel que le droit à l’autodétermination. Cet article de loi sert à la fois de soutien à une diplomatie extérieure panarabe (pro-autodétermination envers la Palestine et le Polisario), mais aussi de prétexte pour brimer les différents peuples berbères autochtones qui la constituent, en leur déniant ce même droit à l’autodétermination.

En écho à cette contradiction, on peut s’interroger sur l’interprétation à donner à la réponse politique de la Kabylie - qui n’est pas uniquement circonscrite au mouvement du MAK ou aux souverainistes - avec l’inscription trois fois de suite, d’un 0 vote aux rendez-vous électoraux organisés par le gouvernement algérien (Présidentielles, Référendum Constitutionnel et élections législatives) ?

 

Jeanne Printaloup

Pour aller plus loin :

Ferhat Mehenni, Kabylie Mémorandum pour l’Indépendance, Paris, éditions Fauves, 2017.

Ferhat Mehheni, Algérie, La question Kabyle, Paris, Michalon, 2004.

Yassine Temlali, La genèse de la Kabylie, aux origines de l’affirmation berbère en Algérie (1830-1962), Editions La découverte, 2016.