Depuis 2007, la Côte d’Ivoire et le Ghana, pays considérés comme locomotives des économies ouest-africaines à l’instar du Nigéria, ont été longtemps en désaccord sur le tracé de leur frontière maritime, avec en cause un important gisement de pétrole et de gaz naturel, respectivement d’environ 2 milliards de barils de réserves et 1,2 billions de pieds que chacun des 2 pays souhaitait exploiter.
Une frontière maritime qui divise
Depuis les indépendances, ces 2 pays sont de gros producteurs d’or et de cacao, principaux socles de leur réussite économique respective. En 2010, le Ghana a commencé à exploiter ses ressources pétrolières dans les champs de l’ouest, zone limite avec les frontières ivoiriennes. Ces gisements qui produisent environ 100 000 barils par jour sont considérés comme l’une des plus importantes découvertes de ressources pétrolières et de gaz en Afrique occidentale et sont exploités par le géant russe Lukoil et son partenaire américain Vanco, mais l’exploitation pétrolière a subi un coup d’arrêt, quand la Côte d’Ivoire a accusé le Ghana de mener des forages offshores empiétant sur ses eaux territoriales.
En effet, la Côte d’Ivoire qui produit à ce jour environ 45 000 barils par jour et ambitionne d’atteindre 200 000 barils / jour a souhaité à son tour, l’exploitation desdits gisements, qu’elle considère comme faisant partie de ses eaux territoriales.
La Côte d’Ivoire a ainsi contesté l’exploitation ghanéenne de ces gisements et a menacé de poursuivre les compagnies pétrolières forant dans les eaux contestées. Cette situation a débouché sur un conflit entre les 2 états avec pour corollaire, la soumission du litige au Tribunal International du Droit de la Mer (TIDM) en novembre 2014, à l’effet d’introduire une procédure arbitrale au titre de l’annexe VII de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer concernant le différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la Côte d’Ivoire.
Une bataille économique à relents politiques
Depuis de nombreuses années, bien des épreuves ont animé les relations ivoiro-ghanéennes. Modèle de développement démocratique en Afrique depuis vingt ans maintenant, le Ghana jouit de cette aura pour attirer investisseurs et bénéficier des aides des bailleurs. Si ce pays peut se targuer d’une grande stabilité démocratique, ce n’est pas le cas de son voisin ivoirien. Ce dernier a connu depuis le décès du président Félix Houphouet-Boigny en 1993, une succession d’évènements qui l’ont fait basculer dans la violence. Et le passage, dans les conditions de conflit armé d’une présidence de Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara en 2011, ont lourdement impacté les relations entre les deux voisins.
Premièrement, la présence des proches du président déchu Laurent Gbagbo à Accra, la capitale ghanéenne, reste un vrai sujet de discordes et de négociations entre les deux Etats. Deuxièmement, le différend frontalier et maritime a été le révélateur de la profonde crise de confiance entre les deux pays.
En effet, après la chute du président Laurent Gbagbo en avril 2011, la quasi-totalité de ses ministres et autres soutiens majeurs, ont passé la frontière pour trouver refuge au Ghana. La dégradation des relations entre la Côte d’Ivoire et le Ghana s’est fortement accentuée à travers les difficultés éprouvées par Abidjan à régler le problème des ex-tenants du pouvoir exilés à Accra. Si de 2012 à 2016, le Ghana a permis l’extradition de quelques opposants au régime ivoirien (le plus connu étant Charles Blé Goude, aujourd’hui acquitté par la CPI au même titre que l’ex-président Laurent Gbagbo), depuis octobre 2017, à la faveur d’une rencontre entre les deux chefs d’Etat à Accra, le président du Ghana a botté en touche la demande de son homologue ivoirien de voir extrader du Ghana, une liste de personnalités de l’ex-régime d’Abidjan.
La présence des exilés ivoiriens au Ghana, un motif d'inquiétude à Abidjan
Si le pouvoir d’Alassane Ouattara a pu bénéficier de l’oreille attentive d’Accra au début des années 2010, cela était avant tout dû à l’existence d’affinités entre des personnalités au sommet des deux Etats. Des conseillers influents autour du président ghanéen John Dramani Mahama (2012-2016) et du président ivoirien Alassane Ouattara ont beaucoup collaboré sur le dossier des proches du président Gbagbo établis à Accra.
A cette époque, les principaux acteurs de ces extraditions ont pu trouver les moyens de profiter de ce système, avec la caution de leurs patrons respectifs. Aujourd’hui, le processus de retour des exilés politiques pro-Gbagbo est à l’arrêt car les présidents et leurs conseillers ont changé, et la volonté politique de poursuivre ces retours forcés vers Abidjan s’est estompée.
En effet, Nana Akufu-Addo et son parti (le National Patriotic Party) défendent une vision souverainiste de l’Etat. Sous cet angle, ils perçoivent les demandes ivoiriennes d’extradition comme une atteinte à la souveraineté du Ghana. Enfin, certains soutiens de Nana Akufu-Addo, comme l’emblématique ex-président Jerry Rawlings, ont toujours épousé les idées panafricanistes de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo. Cette redéfinition du paysage politique ghanéen justifie donc le fait que les demandes d’extradition des proches de Laurent Gbagbo à l’initiative de la Côte d’Ivoire sont devenues plus rares, et sont sources de discordes.
Cette tension politique entre les deux pays est par ailleurs accentuée par la bataille de positionnement comme numéro deux de la zone ouest-africaine, derrière le leader incontesté qu’est le Nigéria.
L'offensive ivoirienne
La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao avec 40% de parts de marché et pays influent dans l’espace ouest-africain, eu égard au changement d’attitude de son voisin dans le dossier des ex-tenants du pouvoir ivoiriens réfugiés au Ghana, a décidé de tout mettre en œuvre, y compris une guerre informationnelle afin d’affaiblir sur le plan international et économique, son voisin immédiat.
Plusieurs fronts sont alors ouverts, notamment des accusations portant sur la fuite de produits agricoles ivoiriens vers le Ghana, et aussi, l’exposition au grand jour « d’une volonté manifeste de violation des eaux territoriales ivoiriennes » par la partie ghanéenne.
En effet, la Côte d’Ivoire fait ressortir à travers les médias, un phénomène observé depuis des années sans réelles inquiétudes, celui de la fuite de plusieurs milliers de tonnes de cacao et de la noix de cajou issues des plantations ivoiriennes et venant de ce pas, accroître de façon anormale et non conventionnelle, les productions annoncées et déclarées par l’Etat ghanéen. La Côte d’Ivoire dénonce la porosité des frontières ghanéennes et le manque de volonté politique des autorités de ce pays, de contrer cette « fraude », « facilitant et encourageant ainsi cet exode des produits ivoiriens ». La télévision publique (la RTI) et les journaux locaux en ont fait leurs choux gras sur une longue période. C’est dans cette atmosphère que la Côte d’Ivoire décide de façon immédiate, de la fermeture de ses frontières terrestres, aériennes et maritimes avec le Ghana en septembre 2012, à la suite d’une attaque armée du poste de Noé, attaque que les autorités ivoiriennes attribuent aux anciens dignitaires ivoiriens en exil au Ghana, une première dans l’histoire des deux pays.
Par ailleurs, des informations sont aussi diffusées sur les mêmes supports, faisant état de la violation des eaux territoriales ivoiriennes par les pêcheurs traditionnels ghanéens au vu et au su de leurs autorités. Plus tard, lors de l’édition 2013 de la plus connue des conférences pétrolières d’Afrique (Africa Oil Week) organisée chaque mois de novembre au Cap en Afrique du Sud, la délégation ivoirienne représentée par M. Daniel Gnangni, Directeur Général de la société nationale PETROCI, va plus loin en projetant devant l’assemblée, une carte des eaux maritimes entre les deux pays, indiquant la présence de plusieurs sociétés exploratrices internationales ayant reçu l’accord des autorités ghanéennes, alors que cette zone, sujette à polémique, ne devrait être ni explorée, ni exploitée avant un accord entre les deux parties. La délégation ghanéenne, présente lors de cette conférence pétrolière, découvrit avec effarement cette carte. Plusieurs ministres ghanéens comme celui de la justice, Martin AMIDU, et celui de la défense, John Henry-Smith furent immédiatement dépêchés à Abidjan pour faire revenir la Côte d’Ivoire à de meilleures intentions.
La Côte d’Ivoire pointait ainsi du doigt, l’Etat ghanéen auprès des instances internationales de commercialisation du cacao et de la gestion des frontières maritimes dans l’espoir de freiner l’accroissement des volumes de produits agricoles ghanéens et surtout, d’espérer par cette posture, accroître ses réserves pétrolières et gazifières par cession d’une partie des gisements découverts aux larges des 2 pays.
Une riposte ghanéenne qui déstabilise la Côte d'Ivoire
Accusant le coup, la réaction du Ghana ne s’est cependant pas fait attendre. De grands moyens ont donc été mis en œuvre d’abord pour polir l’image du pays auprès de la filière cacao, ensuite pour contre-attaquer la démarche ivoirienne.
Ainsi, pour empêcher la vente du cacao ivoirien au détriment du cacao ghanéen, le Ghana s’est appuyé sur la reprise d’informations relatives aux conditions de production du cacao Côte d’Ivoire, que beaucoup de média et d’ONG affichaient au grand jour.
En effet, nous avons assisté à une escalade d’accusations contre la Côte d’Ivoire, basées sur l’utilisation des enfants dans la chaîne de production du cacao. La stratégie du Ghana s’est axée sur un tapage médiatique mené au premier plan, par plusieurs ONG américaines, représentées au Ghana. Conscient de la force et de l’influence internationale des ONG telles que Corporate Accountability Lab et International Rights Advocates and Civil Rights Litigation Clinic at University of California at Irvine School of Law, le Ghana s’est appuyé sur celles-ci pour donner du crédit à sa réplique à Washington et à Londres, principaux marchés de commercialisation du cacao.
Le Ghana a fait relayer par le canal des ONG et médias internationaux, la présence d’enfants travaillant dans les plantations ivoiriennes. Il a par ailleurs justifié la production d’un cacao de qualité supérieure à celle de la Côte d’Ivoire par le fait que son « cacao est produit par des experts aguerris et rompus aux métiers du cacao, contrairement à celui de son voisin qui est médiocre, à cause non seulement de l’inexpérience des "gamins" appelés à le cultiver, mais aussi à cause du travail illégal et forcé qui leur est imposé ».
En effet, en juin 2019, le Washington Post a publié un article « Cocoa’s Child Labours », sur le trafic d’enfants venus du Burkina Faso (un autre pays voisin de la Côte d’Ivoire, au nord) et destinés à travailler dans les plantations de cacao ivoiriennes. L’objectif de cette démarche était de bloquer l’entrée sur le marché américain, du cacao ivoirien présenté comme fruit du travail forcé d’enfants mineurs. Cette campagne est tombée comme un véritable coup de massue sur la Côte d’Ivoire avec un risque de déstabilisation de son économie.
Les activistes ghanéens et américains, dans une volonté de guerre commerciale avec pour objectif de contrer les attaques ivoiriennes et surtout, pour paralyser la rivalité faite par la Côte d’Ivoire à l’Etat ghanéen, ont poussé les autorités ivoiriennes à sortir de leur réserve et à réagir.
Par ailleurs, alors que les présidents Gbagbo et Atta-Mils avaient pourtant adopté dès 2009, une posture de négociation et de conciliation en cherchant à éviter le recours aux tribunaux internationaux, l’attitude de la Côte d’Ivoire lors de la conférence pétrolière du Cap en Afrique du Sud tel qu’évoquée plus haut, a poussé l’Etat ghanéen à formellement demander en septembre 2014, l’intervention de la juridiction internationale de la mer pour trancher son différend maritime avec la Côte d’Ivoire. Le 23 septembre 2017, le tribunal, garant de la bonne application de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, a conclu que le Ghana n’avait pas violé la souveraineté de la Côte d’Ivoire en exploitant le pétrole dans cette zone, située à la limite des frontières maritimes entre les deux pays. Cette décision a été une grosse désillusion pour Abidjan, qui rêvait d’accroitre sa production d’or noir.
La défense et les justifications ivoiriennes, moyens de pression sur le marché mondial
La bataille sur la guerre maritime étant désormais définitivement perdue, il fallait une réaction rapide des autorités ivoiriennes pour un repositionnement dans la sphère cacaoyère. Face aux menaces d’embargo sur l’exportation du cacao ivoirien, les réactions des autorités se sont multipliées pour apporter la lumière sur les accusations dont la filière était victime.
Ainsi, des missions internationales ont été conduites par plusieurs ministres du gouvernement ivoirien à Londres et aux Etats-Unis. En première ligne, l’épouse du président ivoirien qui a elle-même conduit une mission d’urgence aux Etats-Unis en septembre 2019, mission au cours de laquelle elle a affirmé que « 85% des enfants impliqués dans la culture du cacao vont à l’école, ils vivent avec leurs parents et vont occasionnellement au champs ».
Par ailleurs, la Côte d’Ivoire a ouvertement dénoncé un rapport d’enquête sur le travail des enfants dans les plantations ivoiriennes. Madame Dominique Ouattara, première dame de Côte d’Ivoire, et le Comité National de Surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants (CNS), réfutent catégoriquement les conclusions de l’enquête diligentée par l’institut de recherche NORC de l’université de Chicago.
En guise de protestation, la Côte d’Ivoire, avec ses 40% de parts du marché mondial, par la voix de son premier représentant, le président Alassane Ouattara, a proclamé de façon inattendue que la récolte ivoirienne 2020-2021 ne serait pas vendue à moins de 2 600 dollars la tonnes, dans le but de déstabiliser les cours mondiaux du cacao. Face à cette menace, la Fondation Mondiale du Cacao (World Cocoa Foundation, WCF) est montée au créneau pour dénoncer la position radicale des Etats-Unis. Le président du WCF, Richard Scobey a appelé le gouvernement américain à proscrire l’interdiction des importations du cacao ivoirien dans une déclaration parue dans le Washington Post et reprise par The Seattle Times.
Bertrand Kpla