« Un classement politique, pas écologique » ayant pour objectif de « répondre aux seuls intérêts économiques des chasseurs et des agriculteurs » c’est ainsi que Richard Holding - chargé de communication chez l’ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages) - qualifiait la liste des Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts » (ESOD), dans les colonnes de Ouest France le 4 août 2023. Cette liste officielle des espèces « nuisibles » créée en 1988 (et renommée ESOD en 2016), fait l’objet d’une guerre informationnelle entre d’un côté des mouvements écologistes comme l’ASPAS et de l’autre des représentants des chasseurs et des agriculteurs. Cet affrontement informationnel a connu un récent point d’orgue lors de la révision triennale de la liste ESOD de 2023, où une attention particulière a été portée au traitement du renard roux en France.
Le contexte français des animaux dits « nuisibles »
Le cadre réglementaire.
En France le traitement des animaux dits « nuisibles » est encadré par un Arrêté du Ministère de la Transition Ecologique et de la cohésion des territoires, « fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts ». Parmi cette liste, le groupe 2 indique les espèces d'animaux indigènes classées susceptibles d'occasionner des dégâts dans chaque département, y figurent le renard, la belette, la fouine, la martre, le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde, le geai des chênes et l'étourneau sansonnet. Par un décret du 21 juin 2022 cette liste est arrêtée pour une période de trois ans, courant du 1er juillet de la première année au 30 juin de la troisième année, prenant en compte en particulier l’avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (CNCFS) et les propositions des préfets qui président les commissions départementales de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS). Deux instances dans lesquelles les représentants des chasseurs et des agriculteurs sont majoritaires.
Figure 1- Processus du classement ESOD.
source : Figure 1 – « La classification ESOD du renard : Nécessité ou catastrophe ? » - Les controverses Mines Paris 2023
Selon l’article R.427-6-II du Code de l’environnement l’inscription d’une espèce doit être justifiée par l’un des quatre motifs suivants :
dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique ;
pour assurer la protection de la flore et de la faune ;
pour prévenir les dommages importants aux activités agricoles, forestières, et aquacoles ;
pour prévenir les dommages importants à d’autres formes de propriété.
Le renard, symbole de l’affrontement de deux mondes
Dans ce cadre français des animaux dits « nuisibles », la situation du renard est hautement symbolique. Sa présence sur la liste ESOD est continue depuis sa création sur quasiment tout le territoire national. Plusieurs motifs (au sens de l’article R.427-6-II du Code de l’environnement) sont invoqués pour justifier son inscription sur cette liste. Il s’agit du mammifère carnivore le plus répandu et le plus tué en France (entre plus de 400 000 prises par an selon l’office français de la biodiversité (OFB) et plus de 600 000 par an selon l’ASPA).
A noter également que sa classification de gibier et de « nuisible » en fait une cible de jour comme de nuit, toute l’année, pour tous types de chasses et de piégeages. Il est donc une cible pour tous les types de chasseurs et un symbole pour tous les protecteurs des animaux sauvages.
« Le problème quand on additionne tous ces types d’abattages, c’est qu’on voit que le renard n’a pas un seul moment de répit tout au long de l’année » résumait Ariane Ambrosini juriste à l’ASPAS au micro de Reporterre le 17 mai 2017.
Les acteurs de l’affrontement informationnel sur la chasse au renard
Les chasseurs
Ce sont des acteurs centraux dans la détermination des espèces « nuisibles ». Au niveau local, les 94 Fédérations Départementales des Chasseurs en France (FDC) sont chargées de coordonner les activités de chasse, de promouvoir la chasse et de prévenir le braconnage. Elles participent aux CDCFS. A l’échelon national, c’est la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) qui représente les chasseurs en France. Elle est impliquée dans des actions de lobbying en faveur de la chasse et joue un rôle majeur dans la coordination des activités des chasseurs à l'échelle nationale. Elle est membre du CNCFS. Son premier représentant est Willy SHRAEN son président depuis août 2016, Thierry COSTE est son médiatisé lobbyiste et Jean-Michel DAPVRIL son directeur délégué, chargé des affaires juridiques.
Les ONG
Opposants les plus visibles à la réglementation sur les ESOD, les ONG sont nombreuses à s’être mobilisées à travers le territoire national. Les actions informationnelles ont principalement été menées par les ONG suivantes.
L’ASPAS est une association sans but lucratif qui revendique 40 ans de combat pour faire évoluer la perception du renard auprès du grand public. La tête de renard est son emblème. Acteur central de la lutte contre la liste ESOD, son action se situe à deux niveaux. D’une part son service juridique « Maitre Renard » mène des actions en justice pour la protection des espèces sauvages. D’autre part de multiples actions pédagogiques et militantes sont menées pour changer l’opinion publique sur le Renard. Les personnalités de l’ASPAS les plus visibles sont Richard Holding, chargé de communication et Ariane Ambrosini, juriste.
La LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) a mené une campagne de défense des espèces du groupe 2 des ESOD en 2023 «Présumés coupables ». A noter que plus de la moitié des espèces listées sont des oiseaux. Pour l’année du renouvellement de la liste, elle s’est engagée dans plusieurs actions communes avec l’ASPAS.
La SFEPM (Société Française pour l’Etude et la Protection des Mammifères) a notamment produit en 2022 et envoyé au ministère un argumentaire qu’elle décrit comme « scientifique et objectif » en prévision de la révision de l’arrêté ministériel fixant la liste des ESOD pour la période 2023-2026. Sa publication a servi de base à sa rencontre avec le secrétariat d’Etat en charge de l’écologie et sa tribune publiée dans le Monde du 6 mai 2023 « Comment se fait-il qu’on encourage encore le piégeage de ces oiseaux et mammifères dits “nuisibles”, au mépris des données scientifiques ? » .
La sphère politique
Entre les chasseurs et les ONG, on relève une implication centrale de l’administration, des institutions juridiques et des politiques dans cette classification du renard. Ils interviennent par la réglementation, les arrêtés préfectoraux et ministériels, ou les arrêts du Conseil d’Etat.
Au niveau des parlementaires, un mouvement de l’opposition s'est initié le 4 avril 2023 à l’initiative de Manon MEUNIER, députée de Haute-Vienne : 28 députés de la NUPES ont interpellé le Ministre au sujet du renouvellement de la liste des ESOD sous la forme de questions écrites. Ce dernier a répondu sur le principe général de cette liste.
Les scientifiques
L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a été saisie le 1 er mars 2022 par la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et la Direction générale de la santé (DGS) pour la réalisation de l’expertise suivante : évaluer les impacts sur la santé publique de la dynamique des populations de renards. Elle a rendu son avis en juin 2023.
La société civile
Il ne ressort pas d’autres sous-ensemble avec des positions communes catégorisées au sein de la société civile, les pros et les contres sont présents dans toute la société.
Par exemple au sein des éleveurs avicoles ou des éleveurs ovins - a priori les plus visés par la prédation des renards sur leurs élevages - les positions sont partagées entre amis et ennemis du renard comme s’est attaché à le démontrer l’ASPAS : «Parole d’éleveuse de poules : “J’apprécie la présence des renards” ! » un témoignage publié en mars 2022.
Les différents échiquiers de cet affrontement
L’échiquier socio-culturel
Dans la culture populaire française, on associe péjorativement l’intelligence du renard à la malice et la tromperie, comme dans « Le Corbeau et le Renard » de Jean de la Fontaine (1668) et dans nombre d’autres contes traditionnels encore.
Cette image négative héritée du XVIIe siècle s’est trouvée confortée au XXe siècle car en France entre 1968 et 1998, sévissait la rage vulpine, infectant dans 80% des cas le renard roux, qui contaminait à son tour les animaux domestiques (bovins principalement, petits ruminants, chats, chiens…) ». C’est à cette époque que commençât une destruction de l’espèce à grand renfort de tirs de jour comme de nuit, de piégeage, de gazage des terriers ; des primes furent également allouées par l’État pour chaque queue de renard rapportée.
Le dernier cas français de rage vulpine a été enregistré le 23 décembre 1998. La France a été officiellement déclarée indemne de rage en 2001.
Toutefois le risque sanitaire porté par le renard est encore mis en avant, que ce soit pour l’échinococcose alvéolaire dont le renard est vecteur mais porteur rare, ou bien pour la maladie de Lyme transmise par les tiques et notamment celles présentes sur des campagnols et des mulots.
Pourtant en 2017, des chercheurs danois Hofmeester et al. publient une étude réalisée dans 19 territoires du Pays-Bas dans laquelle ils montrent qu’en régulant la population de rongeurs (hôtes des zoonoses), les renards participent à la diminution de la prévalence de la maladie de Lyme.
Les arguments sanitaires contredits par les scientifiques, les ONG ont communiqué pour déconstruire l’idée largement répandue du risque sanitaire porté par les renards. En 2017 l’ONG OneVoice avait construit un « rapport d’étude » visant à réhabiliter le renard qui servira de base à son action. De même le Collectif RENARD Grand Est regroupant plus de 60 structures liées à la protection de la nature, dont l’ASPAS et la LPO, a été actif de 2016 à 2019 pour tenter de réhabiliter le renard au moyen d’un dossier pédagogique , de dossiers de presse et de courrier à la classe politique. L’ASPAS a organisé un grand colloque les 12 et 13 mai 2017 pour révéler la vie secrète des renards et a même collaboré à l’écriture d’une BD reprise dans le journal en ligne Reporterre en décembre 2017.
Toutefois ces travaux de recherche et de construction documentaire n’ont pas abouti à sortir le renard de la liste ESOD en 2020.
En effet, bien que le motif sanitaire soit contesté par le monde scientifique, le motif des dommages importants causés par le renard est suffisant pour le classement ESOD. Cet argument est d’ailleurs renchérit par l’idée que le renard est un “est un super prédateur opportuniste” qui n’a pas de prédateur naturel en France et que “Les chasseurs ne menacent pas la pérennité de la population de renards, ils ne font que limiter l’accroissement annuel des populations” défendait Jean-Michel Dapvril, directeur délégué de la Fédération Nationale des Chasseurs chargé des affaires juridiques, au micro de Brut le 1er juin 2022. Pourtant l’étude du Luxembourg qui a interdit la chasse au renard depuis 2015 et du canton de Genève encore avant en 1974, démontre qu’il n’y a pas de surpopulation de renard dans ces territoires, le nombre de renard se régule naturellement.
Depuis 2020, l’ASPAS a renforcé son dispositif contre les ESOD. Notamment au niveau de la sensibilisation de l’opinion : une couverture plus large est visée comme en atteste la vidéo Youtube du 1er mars 2023 « Comment un animal est classé "nuisible" (avec l'ASPAS) - AMI DES LOBBIES #24 » avec plus de 64 000 vues à date. Une fois l’information sanitaire sur les renards diffusée, l’objectif est de démonter les arguments économiques des chasseurs.
L’échiquier économique,
Pour justifier des dommages importants causés aux activités agricoles, chaque fédération départementale de chasse collecte des déclarations de dégâts. Contrairement aux déclarations faites pour les dégâts causés par le loup ou l’ours, elles n’ouvrent pas droit à indemnisation, mais elles ne nécessitent pas non plus de confirmation par une autorité. Ces déclarations se font donc à charge et sans contrôle.
Pour contrer l’impact de ces déclarations dans les CDCFS, l’ASPAS a mis en place depuis septembre 2021 un formulaire de déclaration de non dégât, à destination des professionnels et particuliers : «Afin de montrer que la cohabitation avec le renard est possible, voire souhaitable et nécessaire, nous vous proposons de remplir un formulaire détaillé avec la description de votre élevage, la qualité de votre protection, votre milieu d’habitation, accompagné de votre témoignage. »
L’ASPAS réussit ainsi à montrer que tous les exploitants agricoles de volailles et d’ovins ne sont pas contre le renard et que des solutions de cohabitation existent. En atteste un témoignage mis en avant : « Depuis 15 ans, nous avons un élevage de 3500 poules pondeuses, en Label Rouge et plein air, dans le Tarn & Garonne.(…) , nous n’avons JAMAIS eu à nous plaindre des renards. »
A contrepied de l’image négative du renard pour les agriculteurs, C. Gatineau un agronome qui défend le renard, précise que « 80 % de l’alimentation des renards est constituée de petits rongeurs (…) soit 3.000 têtes (…) qu’il ingurgite tous les ans. ( …), le service agronomique rendu par un renard à l’agriculteur peut être estimé à 2.400 euros de dégâts économisés »
Pour les chasseurs, l’enjeu économique est autre : le renard est un concurrent. En effet, les chasseurs financent des élevages de petits gibiers qui sont élevés en captivité et relâchés avant la chasse. «C'est un redoutable prédateur qui chasse le petit gibier. Il s'en prend aux perdrix, faisans, lapins... » expliquait Jean-Pierre Gaillard, patron de la fédération de chasse dans l'Hérault dans un article du Midi libre.
L’argument de la régulation a d’ailleurs fait long feu depuis que Willy Shraen, président de la FNC, déclarait «Tu penses qu’on est là pour réguler? Mais t’as pas compris que, pour nous, c'est une passion? T'as pas compris qu’on prend du plaisir dans l’acte de chasse? Tu crois qu'on va devenir les petites mains de la régulation? Mon métier, ce n'est pas d'être chasseur. J’en ai rien à foutre de réguler...» dans l’émission « Les Grandes Gueules » sur RMC le 9 novembre 2021.
L’échiquier politique,
Les arguments sanitaires et économiques établis, la bataille se joue ensuite au niveau politique. S’agissant d’un texte réglementaire, la finalité est donc d’impacter les acteurs en capacité de le modifier.
Au niveau national, dès 2017, le président Macron avait défendu la chasse française lors du Congrès annuel de la FNC, une position qui s’est par la suite traduite en actes puisque les subventions publiques attribuées par l'État aux chasseurs sont passées de 27 000 euros en 2017, à plus de 11 millions d’euros en 2021. Cette proximité avec les chasseurs se retrouve sur le terrain électoral, à la Présidentielle 2022 : Willy Schraen, avait annoncé son soutien à Emmanuel Macron « dès le premier tour ». Fin 2023, Willy Schraen présentait une liste pour les prochaines élections européennes qui se tiendront le 9 juin 2024. L'omniprésence dans les préparatifs de cette liste du lobbyiste Thierry Coste, réputé proche d'Emmanuel Macron, laisse penser qu'elle serait téléguidée par le chef de l'État pour affaiblir le Rassemblement national, très ancré dans le monde rural. La proximité entre le chef de l’Etat et le président de la FNC et leur entente sur des enjeux électoraux parait manifeste.
Dans l’opposition, des députés EELV et FI ont posé depuis avril 2023 des questions écrites au Ministre de la Transition écologique pour demander à sortir le renard de la liste ESOD.
En parallèle, un sondage IFOP a été réalisé en mai 2023 pour 6 associations (ASPAS, LPO, SHF, SNPN, SFEPM, Humanité et Biodiversité) établit que 65% des Français est contre le classement des animaux nuisibles et 71% s’opposent à la persécution du renard.
Par la suite l’ANSES, saisi par l’Etat en 2022 a rendu son avis en juin 2023 sur les Impacts sur la santé publique de la dynamique des populations de renards : « l’Anses considère que le motif sanitaire ne justifie pas le classement ESOD des renards ».
Par ailleurs deux pétitions ont été lancées. L’une, portée par l’ASPAS, One Voice et Anymal, demande le déclassement du renard de la liste des “ESOD”. Elle a obtenu près de 500 000 signatures. La seconde, lancée par Animal Cross et soutenue par une cinquantaine d’associations dont l’ASPAS, demande une évaluation objective de la réglementation relative aux ESOD et de la façon dont celle-ci s’applique sur le terrain. Elle a obtenu près de 75 000 signatures.
Les résultats obtenus
C’est dans ce contexte, avec un avis de l’ANSES défavorable au classement ESOD du renard et une mobilisation populaire sans précédent que l’Arrêté ESOD a été reconduit pour 3 ans avec le renard, excepté dans certains départements d’Ile-de-France (91, 95, 78) et dans certaines zones des Vosges (88).
L’ASPAS a par la suite saisi le Conseil d’Etat, toutefois n’ayant pas constaté de situation d’urgence pour aucune des espèces listées ESOD, la suspension de cette décision n’a pas pu être prononcée (décision du 20 novembre 2023).
En octobre 2023, l’ASPAS résumait ainsi le bilan de cette campagne: « La très forte mobilisation des associations, citoyens, scientifiques et autres influenceurs n’y aura rien fait : en dépit de 70% d’avis négatifs déposés dans le cadre de la consultation publique, les 9 mêmes espèces ont reçu leur nouvel arrêt de mort valable jusqu’au 30 juin 2026, dans tous les départements où les lobbies de la chasse et de l’agro-chimie tiennent les préfectures à leurs bottes. »
De fait, la fédération nationale des chasseurs semble avoir obtenu gain de cause sur le plan politique malgré des arguments scientifiques et une opinion exprimée massivement contre cette décision.
Les actions de l’ASPAS se poursuivent à l’échelon local à présent pour définir toujours plus de territoires où par exception le renard n’est pas traité comme nuisible.
La prochaine révision triennale se tiendra en 2026, prochaine échéance majeure pour la chasse au renard.
Matthieu Delille,
étudiant de la 42ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)
Pour aller plus loin