La France est-elle encore capable d’assumer une démarche géostratégique en Nouvelle-Calédonie ?

La question néocalédonienne n’est plus une problématique purement française. Elle s’internationalise sous l’effet des jeux d’influence souvent antagoniques de puissances étrangères. Le renforcement de la présence américaine et le nouveau traité Aukus, signé entre certains pays anglosaxons sous la pression de Washington, accentue les rapports de force internationaux dans cette partie du monde.

La grille de lecture sur la question néocalédonienne se présente donc sur plusieurs échiquiers :

. L’échiquier local avec une population partagée entre une majorité relative de Kanaks, une population caldoche et la masse des migrants en provenance du Sud-Est asiatique. Comme l’indique l’INSEE, « En 2014, 105 000 personnes, soit 39 % de la population totale, déclarent appartenir à la communauté Kanak. Les Européens représentent 73 200 habitants, soit 27 % des déclarations. Viennent ensuite les Wallisiens et Futuniens avec 22 000 personnes (8 %). Les autres communautés (Tahitiens, Indonésiens, Ni-Vanuatu, Vietnamiens et autres populations asiatiques) rassemblent au total moins de 6 % de la population ».

 . L’échiquier régional qui était dominé jusqu’à présent par les relations très contradictoires entre la France et l’Australie. Très opposée à la présence française, l’Australie s’est rapproché de Paris au cours de la dernière décennie à cause de l’accentuation de la menace chinoise, afin de limiter son isolement diplomatique. La décision de Biden a changé la donne en obligeant Cambera à s’aligner sur la position des Etats-Unis d’Amérique.

. L’échiquier mondial qui est dominé par les tensions entre le monde anglosaxon et les puissances communistes (Chine) ou postcommunistes (Russie) qui dialoguent tout en ménageant leurs propres intérêts.

Quelle est la place de la France dans cet entrelacs d’échiquiers ? Au-delà des mots et des postures plus ou moins contradictoires, il reste à définir non pas une vision mais un système conscient des enjeux et des risques à prendre. Les différentes entités françaises présentes dans la zone (à l’exception des forces militaires et de renseignement) sont peu motivées pour s’investir concrètement. Elles ont déjà bien du mal à appliquer les directives de l’Elysée.

Le contexte historique 

Découverte en 1774 par James Cook, la France prend possession de ce qui avait été nommé la Nouvelle-Calédonie, en 1853, comptant alors une population autochtone, appelée « Kanaks » ou « Canaques », de 50 000 âmes, répartie en tribus éparses. Les îles sont utilisées dans la deuxième moitié du XIXe et au XXe siècles comme terres de bagnards, qui deviennent la main-d’œuvre. Colons, bagnards et autochtones se métissent au fil des siècles qui suivent.

Durant la Première Guerre Mondiale, 1 047 tirailleurs canaques et 978 « Niaoulis » (surnom des soldats néo-calédoniens d’origine européenne) sont envoyés au front. Un quart y perdit la vie pour la France. A la suite de la Deuxième Guerre Mondiale, la France abandonne le terme de colonie et attribue la nationalité française aux Kanaks.

A partir des années 80, la gauche réformiste décide d'élaborer un processus qui doit conduire à l'autodétermination. En septembre 1988, les accords de Matignon-Oudinot sont ratifiés par Michel Rocard. Les Accords de Nouméa sont signés dix ans plus tard, en 1998, prévoyant les référendums dont nous parlons aujourd’hui.

Aujourd’hui, le gouvernement (1) a répondu à l’annonce du troisième référendum par un document de cent pages exposant les conséquences du vote oui ou non. Le gouvernement souligne implicitement le risque d’un vote en faveur de l’indépendance ou autodétermination de la Nouvelle-Calédonie (2). Et il est rappelé à ce propos la dépendance économique, financière, judiciaire et sociale de cette dernière à la France métropolitaine. Le 6 octobre 2021, le Haut-Commissariat de Nouvelle-Calédonie, représentant le gouvernement français, a délivré un communiqué de presse confirmant la tenue de ce troisième référendum.

L'importance des contradictions locales

Depuis les origines de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie, les Kanaks se sentent mis au ban de la société par le statut « d’indigène ». Ce statut disparaît en 1946. Mais ce changement d’approche n’empêchera pas l’émergence de partis indépendantistes.

Il existe désormais une tendance politique d’origine kanak, indépendantiste, s’appuyant sur un argumentaire attaché à son histoire depuis la nuit des temps, et socialiste. Cette vision est portée par les successeurs de Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), fondateur du « FLNKS » en 1984 (« Front de libération nationale kanak et socialiste »). Cette vision de gauche indépendantiste est divisée en plusieurs partis dont l’Union Calédonienne, l’Union Nationale pour l’Indépendance et Palika pour ne citer que les plus connus.

Les partisans du maintien du rattachement à la France ont un discours plus porté sur le libéralisme économique. Ils sont plutôt classés à droite, et restent très attachés aux liens avec la métropole, compte tenu des avantages commerciaux et financiers qui en découlent. Le parti du « Rassemblement », fondé par Jacques Lafleur (1932-2010) en 1977, et allié du parti dit LR (« Les Républicains ») en est la figure de proue.

Un troisième parti tente de porter ses propres intérêts et sa vision régionale. Il s’agit de l’Éveil Calédonien.

Dans les accords de Matignon puis de Nouméa, il a été opéré un "rééquilibrage" entre les provinces, qui permet aux provinces Nord et Iles (majoritairement kanaks) d'avoir plus de membres élus, proportionnellement à leur population. Cela se traduit par l’arrivée au pouvoir d’un président du gouvernement calédonien issu du Parti indépendantiste de l’Union Calédonienne, Louis Mapou, depuis le 16 juillet 2021. Une première dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie.

La position distanciée des médias métropolitains

Les troubles qui se produits entre 1984 à 1988 avec comme résultat final, la sanglante prise d’otage d’Ouvéa et l’assaut de la grotte d’Ouvéa au cours duquel les agresseurs furent abattus. La victimisation des agresseurs, procédé de manipulation psychologique habituel dans la guerre d’information, a été repris récemment dans la presse française métropolitaine, dès le premier référendum en 2018, tel que le média Brut dans une vidéo mise en ligne sur YouTube le 3 mai 2018.

Aujourd’hui, du côté des médias régionaux néo-calédoniens, les avis et les positions politiques sur le référendum sont partagés :

. Les Nouvelles Calédoniennes, journal et chaîne de télévision de référence des néo-calédoniens adoptent une posture de neutralité dans le débat.

. La première, branche de France TV, chaîne à tendance est dans le même état d’esprit.

. Caledonia, chaîne locale soutient les indépendantistes ;

. Le blog Calédosphère se présente comme « loyaliste » donc non-indépendantiste.

Les partis politiques passent également principalement leurs messages par les canaux plus informels que les réseaux sociaux, Facebook étant très suivi par les mélanésiens.

Les réseaux sociaux, canaux privilégiés par les partis indépendantistes, plus ou moins actifs

Le FLNKS et leurs opposants ont beau privilégier ces canaux de communication officiels mais non formels, ils n’en restent pas moins relativement peu expressifs. En effet, les publications ne se succèdent pas à moins d’une semaine d’intervalle et n’entraînent la réaction que d’une centaine de personnes sur un corps électoral s’élevant à 185 004 inscrits. Le dernier communiqué du FLNKS datant du 20 octobre 2021 appelle ses électeurs à ne pas voter lors du référendum du 12 décembre 2021, arguant qu’il ne peut y avoir de campagne politique ou débat en période de deuil dû à la crise sanitaire qui a explosé dans les derniers mois.

Dans cette guerre de l’information, les parties prenantes ont recours à la communication institutionnelle ainsi qu’aux réseaux sociaux. L’approche du référendum, fixé au 12 décembre 2021, semble ne pas produire une guerre informationnelle très virulente. Cette atonie s’explique par plusieurs facteurs.

Tout d’abord, le scrutin ne revêt pas d’une importance cruciale pour les métropolitains car trop rapproché des précédents et situé dans une zone géographique dont ils ne mesurent pas l’importance géostratégique actuelle face à une puissance américaine reprenant le flambeau de leader du Commonwealth (dans la logique du pivot de Brzezinski), et à une Chine de plus en plus impérialiste.

De plus, la situation sanitaire en Nouvelle-Calédonie est comparable aux premières vagues qu’a connu la France et qui ont entraîné le report des scrutins municipaux en 2020, et des scrutins départementaux et régionaux en 2021.

Les partis indépendantistes, prédisant une défaite liée au contexte sanitaire et sociale, préfèrent bouder le scrutin pour avoir une chance de référendum situé à une date ultérieure, après le scrutin présidentiel et la fin de la crise du Covid-19.

La perte de la Nouvelle-Calédonie priverait la France d’un dixième de sa superficie de ZEE, qui plus est dans le Pacifique, dans un espace stratégique pour son commerce avec l’Australie.  Dans ce contexte, la stratégie de l’Etat français qui à l’origine était de solder les accords de Nouméa, est aujourd’hui plus ambiguë au-delà de certaines déclarations officielles. L’envoi d’escadrons de gendarmerie mobile est un signal faible sur une potentielle réaction violente de certains milieux indépendantistes. Les messages indirects qui sont diffusés su le net à propos d’une influence chinoise préparant une future coopération très étroite avec une Nouvelle Calédonie indépendante, ne circulent pas par hasard. Le récent rapport de l’IRSEM sur les leviers d’influence chinois abonde dans ce sens. Il existe au sein de l’administration française un courant critique par rapport aux menées chinoises dans cette zone.

 

Louise Monjo
étudiante de la formation initiale SIE25

 

Notes

  1. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-Mer, s’est exprimé sur la volonté de « sécuriser la fin de l’accord de Nouméa »
  2. La Nouvelle-Calédonie est constitué de dizaines d’îles dans le Pacifique Sud, d’une superficie de 18.575 km² et dont la ZEE s’étend sur 1,4 millions de km² soit presque 12% des ZEE françaises.


Sources

Site du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie : www.nouvelle-caledonie.gouv.fr

Site du Ministère des Outre-Mer : outre-mer.gouv.fr/

Site de l’ONU : www.un.org/

Médias :

Réseaux sociaux : Facebook