La dépense énergétique autour des cryptomonnaies, entre mythe et réalité

La révolution digitale[i] influe bien évidemment sur nos comportements et participe à la modification de nos modèles établis. Comme l’ensemble de la société, les systèmes bancaires et financiers ont également dû apprendre à composer avec des nouveaux acteurs issus de cette métamorphose. Il est alors apparu un nouvel écosystème nommé Fintech[ii] engendrant de nouveaux rapports de force.   Si certaines évolutions sont accueillies chaleureusement par les acteurs financiers traditionnels, l’apparition de la Blockchain et sa monnaie le Bitcoin furent moins appréciés. D’autant plus que cette première monnaie digitale non régulée par une autorité compétente donnera naissance à près de 5 606 cybermonnaies actives sur le marché.

Par conséquent, comme toutes problématiques susceptibles de provoquer une redéfinition des positions dominantes, des gouvernements, des politiques publiques et des acteurs en place (plus précisément ici les systèmes bancaires traditionnels), les échanges autour du Bitcoin sont vifs et les luttes s'intensifient entre les différents acteurs notamment lors des bull run.

Mécanismes d'influence autour des cybermonnaies

S’agissant d’une thématique émergeant du monde digital, il est captivant d’observer que ces échanges ont essentiellement lieu au travers des médias, des lieux publics ouverts aux conférenciers, des réseaux sociaux ; engendrant ainsi une vedettisation de la thématique. Néanmoins, cette façon d’interagir de manière publique et de manière unilatérale, permet aux investisseurs potentiels de vérifier la véracité des informations quelle que soit la ligne éditoriale sur le sujet. A priori, cette stratégie adoptée par les soutiens au développement des cryptomonnaies semble porter ses fruits car malgré de nombreuses attaques, cette nouvelle organisation économique connaît tout de même un franc succès.

En observant l’un des nombreux classements sur les idées reçues autour des cryptomonnaies et leurs mécanismes de validation, il n’est pas surprenant de constater que les thématiques environnementales reviennent régulièrement. Le développement durable étant un sujet préoccupant massivement les potentiels investisseurs, il n’est donc pas surprenant que les attaques reposent en grande partie sur ces aspects afin de toucher un large public. Comme pour tous les secteurs[iii], il est demandé aux mineurs d’intégrer à l’échelle mondiale dans leurs business plans, les thématiques sociales et environnementales.

L’une des critiques largement relayée dans la sphère médiatique est celle reposant sur la consommation électrique de la preuve de travail. L’attaque la plus dévastatrice repose essentiellement sur une étude de l’Université de Cambridge qui compare la consommation électrique utilisée par la blockchain et la consommation électrique de pays ; Outre une méthodologie d’analyse contestable aboutissant à un référentiel non officiel[iv], l’impartialité des chercheurs soulève également des interrogations. La renommée de l’établissement donne du crédit à l’index et la majorité des articles, reportages ou interventions à charge y font référence. Les défenseurs ont bien tenté de démontrer, via de nombreuses tribunes, que ces comparaisons étaient inappropriées[v].  Mais face à la surabondance des articles accusateurs, ceux-ci passent souvent inaperçus. 

Un autre acteur de la communauté scientifique prolifique sur les réseaux sociaux et de l’Internet a amplement contribué aux attaques du secteur. Alex de Vries, auteur notamment du site Digiconomist contribue à la diabolisation du minage sur le plan environnemental, mais comment ne pas s’interroger sur l’intégrité de ce leader d’opinion face à l’approximation de ses études et ses importantes accointances avec le secteur bancaire traditionnel [vi] .

A partir de ses deux principales sources d’informations, on peut observer une importante récupération du sujet par des personnalités, des journalistes ou de chercheurs bénéficiant parfois d’appuis prestigieux telle que la revue Nature rendant auparavant la riposte inaudible. Mais de récents soutiens telle que l’ONU, viennent crédibiliser les contre-analyses de la crypto-sphère.

Pourquoi cette focalisation autour des impacts environnementaux ?

L’environnement préoccupant l’opinion publique à l’échelle mondiale. Il s’agit donc d’un levier important qui permettrait en fonction de la manière dont il est actionné de susciter l’adhésion ou le rejet de cette nouvelle économie par la société. Cette jeune industrie saisit rapidement l’importance d’innover sur le plan technique afin de survivre à cette cabale médiatique. Nous voyons alors apparaître depuis 2020 de considérables évolutions technologiques moins énergivores, telles que des protocoles de paiement de second niveau construits au-dessus des chaines de bloc principales comme le Lightning Network pour Bitcoin, ou Polygon pour Ethereum, en plus de l'adoption de la preuve d’enjeux comme mécanisme de consensus ou des monnaies prônant des valeurs environnementales.

Les opposants à cette révolution industrielle voient peu à peu leur ligne de défense se fissurer. Il semblerait qu’ils aient sous-estimé la capacité d’innovation des acteurs de la Fintech concernés. Comme leurs homologues industriels, en mettant en place un processus d’amélioration continue afin d’optimiser leurs performances (la productivité, la qualité, les délais et les coûts), ils ont rapidement su maximiser la valeur globale de leurs produits tout en intégrant en sus le développement durable.

Les mineurs, acteurs non philanthropes mais essentiels aux producteurs d'énergie.

Du côté des mineurs, pour garantir la rentabilité de leurs entreprises, ils doivent acquérir une électricité autour de 0,01 à 0,03 dollars par kW/h (de moins d’1 centime à 2,5 centimes d’euros), or cela n’est possible qu’en rachetant des excédents de production.

Les détracteurs du minage de monnaies virtuelles amalgament à tort l'électricité aux ressources limitées telles que l'eau, le gaz ou le pétrole. Il s’agit en réalité d’une transformation de ressources qui fonctionne en fait comme une charge énergétique difficile à transporter et à stocker. Dès lors qu'un réseau existe et qu'une production est lancée, les producteurs d’énergie doivent avoir suffisamment de demandes pour la distribuer le plus rapidement possible et à proximité.

Ainsi est née la collaboration entre les producteurs d’énergie et le monde du minage.

Si jusqu’à récemment une majeure partie de la production se situait en Chine à proximité de mines de charbon, ces dernières années, les mineurs ont choisi de s’implanter préférentiellement dans des zones géographiques où la production d’électricité serait excédentaire, tout en s’offrant la flexibilité de déménager leurs installations grâce à des fermes mobiles en fonction des disponibilités du marché. De manière pragmatique, les sites proposant les plus bas coûts de production étant le secteur des énergies renouvelables[vii], les mineurs bénéficient ainsi des avantages économiques du secteur tout en valorisant leur impact médiatique dans le domaine du développement durable.

L'interdiction de la Chine : une opportunité pour les mineurs qui voulaient une transition énergétique du minage ?

En juin 2021, le gouvernement a définitivement fait fermer les fermes opérant sur son territoire en motivant sa décision sur son engagement à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2060. Cette mesure gouvernementale a incité une grande partie des mineurs à faire migrer leurs installations vers de nouveaux territoires proposant des énergies décarbonées, ce qui a eu pour effet de booster les projets en cours dans le monde. La situation actuelle en Chine est une opportunité pour les entreprises de minage de Bitcoin mais il semblerait que Pékin ait derrière la tête d’autres ambitions.

Si pour le moment avec la fermeture de celles-ci, le taux de hachage a diminué considérablement, minorant ainsi la difficulté des calculs demandés aux mineurs à travers le monde pour réaliser les vérifications des transactions et diminuant ainsi leur facture énergétique ; il semblerait que la décision soit réellement motivée par le lancement de l’e-Yuan. Notamment lorsque l’on observe la censure des mots-clés des plateformes d’échanges Huobi, OKEx et Binance sur les services internet chinois Baidu et Weibo.

Une nouvelle guerre de l’information sur fond de protection environnementale se jouerait-elle du côté des dirigeants chinois ?

 

 

Aurélie Gonzales
Auditrice de la 36ème promotion MSIE

Notes

[ii] Ecosystème Fintech : il est constitué de cinq acteurs majeurs : les startups, les développeurs et fournisseurs de technologies (ex : le cloud computing ou les crypto-monnaies), les gouvernements et instances de régulation des marchés financiers, les clients et les acteurs financiers traditionnels (banques, fonds d’investissement, sociétés boursières).

[iii] Tous les secteurs d'activité sont concernés par le développement durable : l'agriculture, l'industrie, l'habitat, l'organisation familiale, mais aussi les services (finance, tourisme, etc.).

[iv] le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index (CBECI)

[v]  « Quel est l’impact écologique réel de Bitcoin ? », de Cyril Fievet dans Usbek & Rica, ou un exemple parmi tant d’autres.

[vi]Profil Linkedin officiel : Professionnel expérimenté dans le domaine des technologies financières et du secteur des services financiers. Influenceur mondial, conférencier et spécialiste du bitcoin et de la blockchain. Orateur public lors de conférences telles que Consensus et CEBIT. Connaissance approfondie des procédures AML/KYC. A pris le contrôle de la mise en place d'une fonction d'analyse de données à la Dutch Central Bank. A mené une enquête systématique et rédigée des articles sur la durabilité de l'exploitation minière du bitcoin.

[vii] Rapport de l’IRENA.