La conquête du marché de la 5G en Afrique subsaharienne

Portée par une population au-delà du milliard d’habitants qui croit rapidement avec un âge médian d’environ 20 ans, l’Afrique subsaharienne a connu un taux de pénétration du mobile de 46% en 2020 et représente en cela un vaste marché pour les sociétés de télécommunications qui commercialisent également l’internet. L’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA) estime que les opérateurs télécoms investiront 45,2 milliards $ dans le réseau mobile en Afrique subsaharienne d’ici 2025. Le marché des télécoms s’est accru à un rythme accéléré de 30% par an sur les cinq dernière années.  Il faut dire que l’usage de l’internet dans cette région du monde s’est encore fortement accéléré avec l’avènement des réseaux sociaux et plus récemment à l’occasion de la crise sanitaire. S’il génère beaucoup de revenus, le domaine de télécommunications reste un domaine stratégique pour les Etats comme en témoigne cette affirmation de Ren Zhengfei, fondateur de Huawei : « Les télécommunications sont une affaire de sécurité nationale. Pour une nation, ne pas posséder ses propres équipements dans ce domaine, c’est comme ne pas avoir d’armée.

Des manœuvres sur plusieurs échiquiers

Les Pays africains sont de plus en plus engagés dans leur transition numérique par la couverture de leur territoire avec du haut débit comme enjeu de développement. Lancé pour la 1ère fois le 25 août 2018 en Afrique du Sud et suivi par le Nigéria en janvier 2022, la 5G est encore embryonnaire en Afrique subsaharienne et représente en ce sens un enjeu structurant pour leur économie et leur industrie. Les investissements dans cette technologie sont effectués au travers d’opérateurs télécoms qui ambitionnent d’étendre leur offre de service. Leur champ de conquête couvre entre autres la vente des terminaux, l’équipement des plateformes des sociétés de télécommunication, la construction des réseaux et relais, la pose des câbles sous-marins à fibre optique ou encore le déploiement des backbones.  Ils se livrent déjà en ce sens une guerre dans la conquête des marchés nationaux. Au vu des coûts colossaux et des infrastructures spécifiques nécessaires au développement de la 5G, ces opérateurs télécoms s’associent et collaborent avec des fournisseurs internationaux qui représentent plus ou moins les intérêts nationaux ou régionaux sur fond de rivalité économique entre la Chine et les Etats-Unis. Les principaux fournisseurs des équipements télécoms en Afrique sont pour l’Union européenne « Nokia » et « Ericsson », puis « Huawei » et « ZTE » pour la Chine.  

La bataille autour de la 5G en Afrique subsaharienne succède à celle de la 4G.  Si elle se déroule entre les compagnies de télécoms implantés en Afrique subsaharienne (Vodacom, Rain, Orange, MTN, Airtel, Moov, etc.) au travers des licences accordées par les Etats, elle se situe ainsi sur le terrain de la rivalité géopolitique entre les pays européens représentés principalement par Nokia, Ericsson, Alcatel ? et la Chine représentée par « Huawei » et « ZTE ». Cette rivalité technologique qui se déroule depuis quelques années sur le territoire européen se déporte ainsi sur le territoire africain.

L'affrontement multi-dimensionnel entre les équipementiers chinois et européens

Peu connu sur les marché africains il y’a une vingtaine d’années, les géants chinois en équipements de télécommunications ont développé une stratégie qui a produit des effets dans la durée. Arrivé en Afrique en 1999, le 1/5ème du chiffre d’affaires de Huawei en 2020 provient de l’Afrique et le groupe continue d’annoncer des investissements colossaux afin de maintenir sa position actuellement dominante des équipementiers chinois sur ce marché.   Les géants chinois ont ainsi misé sur « la politique du moins cher » pour évincer les occidentaux.  Les produits chinois ont ainsi acquis la réputation du bas de gamme au détriment de la qualité. Ils ont cependant l’avantage de s’adapter au mieux au portefeuille de la majeure partie des populations africaines disposant de revenus modestes. Cette stratégie est désormais suivie par les équipementiers européens qui ont fortement révisés leurs politiques tarifaires mais ont du mal à défaire la réputation du « Low cost » chinois dans l’opinion publique africaine.

Cette affrontement s’étend aussi dans le domaine de la communication. Le Vendredi 24 Septembre 2021, Karl Song alors Vice-Président Corporate Communications du groupe annonçait lors du « Huawei Connect 2021 » un investissement de 150 millions de dollars dans des programmes de transformation numérique en Afrique sur ces mots : « Nous sommes déterminés à faire un bond en avant dans le processus de construction d’une Afrique mieux connectée. Huawei poursuivra sa contribution à la croissance du secteur des télécoms en Afrique et à la libération totale du pouvoir des TIC ».

Comme réponse du berger à la bergère, le 19 Novembre 2021, le Secrétaire d’Etat Américain Anthony Blinken en visite au Nigéria célébrait la signature d’un accord d’aide au développement de 2,1 milliards de dollars qui soutiendrait la collaboration dans les domaines fondamentaux dont 20% seraient consacré à la transition numérique en disant : « Prenez ce qu’a fait le Nigeria en matière de technologie financière, avec les paiements électroniques, la cryptomonnaie et les services bancaires numériques. Et imaginez ce que nous pourrions accomplir ensemble en construisant notre avenir économique ».

Cet affrontement entre équipementiers ne se limite pas à une concurrence commerciale mais se poursuit également sur le champ géopolitique.

Sur fond de rivalité entre la Chine et l'alliance Etats-Unis et pays occidentaux

Les dirigeants Africains s’inquiètent des limites qui s’imposeraient aux économies africaines sur fond de rivalité entre les États-Unis et la Chine. Les géants technologiques chinois, implantés dans plus d’une soixante de pays, fournissent déjà environ 70% du réseau 4G sur le continent et se positionne naturellement comme leader sur la 5G. Huawei est ainsi devenu un acteur incontournable en Afrique à tel point que les sanctions américaines contre l’intégrité du géant chinois, depuis mai 2019 semblaient ne pas impacter la confiance de ses partenaires africains. Cependant, les sanctions américaines à l’égard de Huawei ont mis un frein aux plans de plusieurs grands fournisseurs internet à travers le continent africain. De grandes entreprises de télécommunications africaines ayant des liens financiers avec des pays occidentaux ont commencé à diversifier leurs partenariats. Safaricom qui est la plus grande compagnie de télécommunication d’Afrique de l’Est, annonçait en janvier 2020 qu’elle suspendait le déploiement de la 5G au Kenya, arguant d’un changement de stratégie. Le détour de ce partenaire classique de Huawei vers les équipementiers européens vise plutôt à limiter la prédominance chinoise sur le secteur des nouvelles technologies en Afrique subsaharienne. Lorsqu’ils sont éjectés d’un marché, les équipementiers chinois réagissent en s’affiliant à des groupes locaux pour défendre leur position. C’est ainsi que Huawei s’est affilié à RAIN lorsqu’ils ont été éjecté d’Afrique du Sud pour le déploiement de la 5G.

Cette bataille se poursuit également dans le champ de l’influence. L’Etat chinois veille et soutient toutefois fortement « Huawei » et « ZTE » malgré les soupçons d’espionnage évoqués par les pays occidentaux (1) sur ces compagnies. C’est toujours à Huawei qu’est confiée la construction des réseaux télécoms pour lequel des pays africains décrochent un financement auprès du gouvernement chinois.

Les équipementiers européens espèrent ainsi que les accusations d'espionnage et les sanctions américaines changeront la donne et que cela freinera l’engagement des Etats africains avec les Chinois sur la construction du réseau 5G en Afrique.

En revanche, Nokia et Ericsson bénéficie d’un appui politique en Europe et compte sur la vielle garde européenne en Afrique pour renforcer leur positionnement.  Ainsi, deux experts de l’institut Montaigne (Mathieu Duchatel et François Godement) estiment que l’Europe devrait disposer d’un champion dans le secteur des hautes technologies. Ce think tank libéral recommande fermement aux Européens d’exclure Huawei à titre préventif en Europe, pour des raisons de sécurité et aussi pour de bonnes raisons économiques.  Ainsi, le soutien des européens associé à la politique américaine vis-à-vis des opérateurs chinois aurait une conséquence sur l’expansion de la haute technologie chinoise en matière de télécommunication en Afrique.

La position neutre de l'Afrique subsaharienne

Les équipementiers télécoms quelle que soit leur appartenance revendiquent également cette proximité avec les gouvernements africains.  Au cours des quinze dernières années, tous ont signé de nombreux contrats avec divers gouvernements.  

 Le 15 juin 2020, Ericsson finalisait un accord avec l’Union Africaine des Télécommunications (UAT) sur le déploiement efficace du haut débit sur le continent. Ericsson se positionnait ainsi comme partenaire privilégie de plus de 25 Pays dans le déploiement de la 5G. L’équipementier européen prenait ainsi une longueur d’avance sur son rival chinois en devenant l’interlocuteur privilégié des régulateurs et des opérateurs pour faciliter l’adoption de sa technologie.

Il a été vite rattrapé en juin 2021 par Huawei qui signait également un accord de partenariat avec l’UAT, puis par Nokia le 15 septembre 2021.

Bien que nécessitant des investissements importants, la mise à disposition de la 5G se heurte cependant à la faible couverture des réseaux télécoms sur le continent, un accès au haut débit encore cher et une faible transformation numérique des pays. Au-delà de la technologie que peut procurer les équipementiers européens ou chinois, les pays africains ont du mal à suivre la ligne préconisée par Washington, ses alliés et continuent de faire affaire avec les compagnies chinoises car ces pays bénéficient d’un soutien important en termes d’aide économique de la Chine. Dans cette guerre de l’information et même économique entre les Etats-Unis et la Chine, le contrôle de la 5G est une arme clé en ce sens que cette technologie permet le contrôle de données y compris à caractère sensible, au regard de la montée en puissance de l’internet des objets et l’intelligence artificielle.  Pour la Chine, gagner le marché africain s’intègre dans une stratégie plus large d’affaiblissement de la puissance occidentale et de renforcement de son positionnement actuel. Toutefois, l’on peut dire que cette bataille est loin d’avoir été gagné par un camp, la technologie de la 5G étant encore embryonnaire en Afrique subsaharienne.

Armand Pandong

 

Note

  1. Dans une enquête publiée en janvier 2018, le journal « Le Monde » révélait l’espionnage par Pékin du siège de l’Union Africaine en mentionnant un transfert massif de données de l’institution à Shangaï et n’excluant pas le rôle joué par les compagnies chinoises opérant sur le continent. 

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