Le cuivre est une matière stratégique dont l’importance ne cesse de croître. Ce marché s’annonce très lucratif et les investissements affluent. Au niveau mondial, deux pays font parler d’eux pour dominer le marché du cuivre : l’Australie et l’Angleterre. L’Australie et le Royaume-Uni, bien que très différents en termes de production de cuivre, sont en en concurrence directe pour contrôler l’approvisionnement de ce métal afin d’obtenir une influence accrue sur les marchés internationaux.
L’acteur le plus important dans l’exploitation de cette ressource est l’Australie, l'un des principaux producteurs mondiaux de cuivre, avec des réserves abondantes dans des régions comme l'Outback. Grâce à ses riches ressources minières, l’Australie joue un rôle clé dans l’approvisionnement mondial en cuivre avec ses géants miniers tels que Broken Hill Proprietary Company Limited, BHP, qui domine ce marché en explosion.
Le Royaume-Uni, quant à lui, n'est pas un grand producteur de cuivre mais il peut jouer un rôle important sur le marché mondial via des investissements dans les mines et des alliances commerciales. Londres, en tant que centre financier mondial, sert de plateforme pour des investissements, des fusions et acquisitions dans l’industrie minière. De plus, le Royaume-Uni pourrait utiliser son réseau diplomatique et ses relations commerciales pour sécuriser l'accès au cuivre australien ou d'autres sources stratégiques. A ce titre, le Royaume-Uni a toutes ses chances pour jouer un rôle de leader dans la finance verte.
Un rapport de force s’installe donc entre l’Australie et le Royaume-Uni. D’un côté, l’Australie a un pouvoir économique significatif grâce à ses ressources naturelles. D'un autre côté, le Royaume-Uni, bien qu'il ne dispose pas de grandes réserves de cuivre, pourrait influencer les flux commerciaux via des accords bilatéraux ou via son industrie financière. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (Brexit) pourrait également jouer un rôle dans les stratégies de ces deux pays pour conclure de nouveaux accords commerciaux bilatéraux, notamment sur les matières premières stratégiques comme le cuivre. Ce rapport de force se traduit par une bataille à presque 40 milliards d’euros[i] entre les deux conglomérats géants du secteur miniers : l’australien BHP et le britannique Anglo American.
BHP à l’offensive, la stratégie d’acquisition des mines de cuivre d’Anglo American
A travers leurs deux géants des matières premières, BHP et Anglo American, respectivement l’Australie et le Royaume-Uni sont en plein bras de fer pour les mines de cuivre.
Fondée en 1885, l’entreprise BHP se spécialise dans l’extraction et la transformation de ressources naturelles comme les métaux ferreux (minerai de fer, chrome), les métaux non-ferreux (cuivre, or…), les énergies fossiles (pétrole, gaz) ou encore divers minéraux. La stratégie actuelle de BHP est de se forger une place prédominante dans le milieu de « l’or rouge » à l’heure de la transition verte. Dans cette optique, BHP a choisi d’acheter ses concurrents : son compatriote Oz Minerals en 2023 pour 6,4 milliards de dollars, et vise maintenant l’entreprise anglaise Anglo American.
En l’espèce, BHP lance l’offensive le 16 avril dernier en faisant une offre imposante de 31 milliards de livres sterling, offre revue à la hausse le 13 mai à 34 milliards de livres, ce qui équivaut à 39,5 milliards d’euros, selon l’agence Bloomberg. Bien qu’alléchante, Anglo American qualifie cette proposition de « non sollicitée ».
BHP est prêt à mettre le prix pour deux raisons principales. La première est financière, Anglo American est en difficulté depuis trois ans et vaut trois fois moins que son rival en bourse. Cette situation donne une position dominante pour BHP qui essaie de se placer comme une porte de secours avec une offre présentée comme plus qu’honnête. La seconde raison est stratégique sur le plan industriel. Anglo American dispose de trois gigantesques mines au Pérou et au Chili représentant pas moins de 4% de la production mondiale, une vraie mine d’or pour BHP.
BHP est donc sur l’offensive, dominant ce rapport informationnel avec une offre financière alléchante. Cette volonté de racheter les actifs britanniques est dû au fait qu’il est bien plus couteux d’ouvrir une mine que de tenter de racheter celles de ses rivaux. « Ouvrir une nouvelle mine prend au moins cinq à huit ans, estime M. Tamvakis.[ii] Et il n’est pas nécessairement dans l’intérêt des entreprises minières d’augmenter la production mondiale ».[iii]
BHP cherche par ce biais à dominer le marché en encadrant cognitivement tous les potentiels concurrents en se plaçant comme acteur incontournable et indétrônable du marché. Par ses offres financières montrant sa puissance et sa première place dans le secteur minier, BHP veut manipuler Anglo American pour que l’entreprise continue de se focaliser sur ses ressources naturelles de référence : le diamant et le platine. En effet, Anglo American est plutôt réputé pour être sur le secteur du diamant avec sa société De Beers qui lui a valu d’agir comme un quasi-monopole sur le secteur du diamant pendant une longue période.
Ces deux secteurs n’intéressent pas BHP qui se focalise maintenant sur le cuivre, minerai dont la demande a déjà dépassé l’offre depuis dix ans selon le courtier suisse Trafigura. Si Anglo American perd cette guerre informationnelle et délaisse l’or rouge, BHP rachètera ses mines de cuivre.
Le biais cognitif réside dans le fait que le géant australien tente de faire apparaître cela comme une fusion avantageuse alors que ce n’est qu’« une absorption pure et simple »[iv]. En réponse, Anglo American présente un plan de restructuration dans lequel il vendrait d’autres mines dont sa très connue firme diamantaire De Beers. L’invention des diamants artificiels a mis fin à cette domination, et le cuivre devient désormais plus attractif pour Anglo American qui préfère vendre cette société exploitant la mine sud-africaine Kimberley afin de conserver ses mines de cuivre en Amérique latine.
Le géant australien, en bonne position pour gagner la course au cuivre ?
Dans la course mondiale au cuivre, où la demande de métaux critiques ne cesse de croître, l’Australie et le Royaume-Uni déploient leurs stratégies respectives. L’Australie, avec ses capacités de production significatives, pourrait chercher à renforcer ses liens avec la Chine, l'un des principaux consommateurs mondiaux de cuivre, tandis que le Royaume-Uni explore des alliances post-Brexit diversifiées pour sécuriser ses intérêts stratégiques.
Au cœur de cette rivalité, l’australien BHP a émis une offre « non sollicitée » pour l’entreprise britannique Anglo American, préférant une restructuration pour optimiser sa position. Cependant, l’affaire est loin d’être réglée : Anglo American perçoit l’offre de BHP comme « hautement conditionnelle », d’autant que son action a chuté de 12 % en un an suite à une révision de ses prévisions de production. Certains peuvent y voir une « bataille d’actionnaires sans vision stratégique de long terme »[v] mais cela joue cognitivement sur les nerfs d’Anglo American qui doit choisir entre ses perspectives de long terme et cette opportunité de très court terme, tout de même attirante.
En parallèle, BHP doit encore surmonter des obstacles considérables, tels que les réticences de l’Afrique du Sud, où le fonds de retraite est le principal actionnaire d’Anglo American, et les éventuelles restrictions des autorités de la concurrence surveillant de près la multinationale qui pourrait s’approprier 10% de la production mondiale[vi]. Enfin, une possible surenchère de concurrents, notamment de Rio Tinto, pourrait intensifier cette bataille, mettant en lumière la complexité géopolitique et économique des alliances et de la conquête des ressources.
Isaure Bedin (SIE 28 de l’EGE)
Points de repère sur le cuivre
« Si l’acier fournit le squelette de notre monde et le béton sa chair, alors le cuivre est le système nerveux de la civilisation, les circuits et les câbles que nous ne voyons jamais mais sans lesquels nous ne pourrions pas fonctionner. » [vii]
D’après l’International Copper Association, l’Association internationale du cuivre : « Le cuivre est essentiel à la vie moderne et constitue un élément clé des technologies vertes. Métal extrêmement polyvalent qui maximise les performances, le cuivre permet d'économiser de l'énergie, de réduire les émissions nocives et d'améliorer la qualité de vie. »
« Le cuivre est le plus anciennement utilisé des métaux usuels »[viii]. C’est aujourd’hui un métal crucial pour les industries modernes et donc un acteur important pour l'économie mondiale, et ce pour plusieurs raisons.
C’est tout d’abord un élément clé pour la transition énergétique. Le cuivre est essentiel dans les technologies plus vertes comme les énergies renouvelables et les véhicules électriques, car il sert dans la fabrication des câbles, batteries électriques et moteurs. Ces derniers sont des composants des installations solaires et éoliennes par exemple.
Ensuite, les initiatives de décarbonisation et d’électrisation des transports se faisant de plus en plus nombreuses et le cuivre participant à la réduction des émissions de CO2 en tant qu’élément clé dans la fabrication des technologies modernes, sa demande ne cesse de croitre.
Selon les estimations de l’Automotive cells co (ACC), la demande de cuivre pour les matériaux des batteries devrait être multipliée par 15,3 en 2031 par rapport à 2020.
Source : Le Monde, « Ruée sur le cuivre, matière première de la transition énergétique », mars 2024
Enfin, le métal rouge est dit stratégique aussi pour sa rareté. Les risques de pénurie du cuivre sont aussi bien pour des raisons de quantité que pour des raisons géopolitiques. D’une part, les réserves sont limitées et la production ne peut pas suivre l’augmentation de la demande, et d’autre part la production de cuivre est concentrée dans certains pays comme le Chili ou le Pérou ce qui rend la chaîne d’approvisionnement vulnérable aux fluctuations géopolitiques et aux conflits. Les réserves de cuivre, en plus d’être limitées, se trouvent dans des gisements qui sont difficiles à découvrir et exploiter.
Pays comptant les plus grandes réserves de cuivre dans le monde en 2023 (en millions de tonnes)
Source : Statistica
Cette rareté et cet essor de la demande fait augmenter son prix, le rendant si stratégique que beaucoup viennent à se demander : « Les diamants sont-ils désormais moins intéressants que le cuivre ? »[ix].
Le diamant, l’une des ressources naturelles les plus convoitées, pourraient être laissé à la traine derrière la matière minérale phare actuellement : le cuivre. Alors que la majorité des ressources naturelles voient leurs prix diminuer, le cuivre, quant à lui, devrait voir le prix de sa tonne passer de plus de 10 000 dollars à 15 000 dollars d’ici 2030 selon un rapport de Goldman Sachs. Cette hausse des prix s’explique aussi par la hausse de sa demande, qui, selon un rapport des Nations unies, augmenterait de 60 % d’ici à 2040.
L’exploitation et la gestion de cette matière plus que stratégique soulèvent des questions tant économiques, géopolitiques qu’industrielles menant à des rapports de forces conséquents afin de se placer sur ce marché florissant.
Pour répondre à ces défis, les acteurs économiques et les gouvernements cherchent à développer de nouvelles sources de cuivre, à améliorer l’efficacité des mines existantes et à promouvoir le recyclage et la substitution du cuivre. Les investissements stratégiques dans le cuivre sont donc considérés comme essentiels pour garantir l’approvisionnement en matières premières nécessaires à la transition énergétique et à la croissance économique durable menant à une compétition accrue entre les différents acteurs.
Les gouvernements et les entreprises cherchent à développer de nouvelles mines et à améliorer l’efficacité des mines existantes, notamment en Amérique du Sud et en Afrique, lieux où sont concentrés la majorité des gisements de cuivre. Les initiatives de recyclage du cuivre sont également envisagées et encouragées pour réduire la dépendance à la production primaire et minimiser les risques de pénurie.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, AIE, il faudrait ouvrir 80 nouvelles mines avant deux ans pour répondre à l’explosion de la demande, ce qui sera loin d’être le cas.
Concernant les actions françaises, la plus marquante est l’annonce d’investissement de Stellantis à compter de 2027 dans la société McEwen Copper afin de répondre à la demande prévisionnelle en cuivre. Cet apport de 155 millions de dollars dans le projet de cuivre durable Los Azules en Argentine va dans le sens de l’engagement de l’entreprise d’atteindre la neutralité carbone en 2038.
Notes
[i] ALBERT Eric, Le Monde, « BHP-Anglo American : bataille entre géants des matières premières pour des mines de cuivre », 15 mai 2024.
[ii] Professeur d’économie des marchés de commodités et de finance, Directeur du MSc en énergie, commerce et finance.
[iii] Stratégie utilisée pour de nombreuses ressources rares (comme le pétrole) : augmenter la production mondiale reviendrait à faire baisser les prix.
[iv] ESCANDE Philippe, Le Monde, « Mines : « Le géant BHP veut racheter Anglo American non pas pour ses diamants mais pour son cuivre » », 25 avril 2024.
[v] Ibid.
[vi] Ibid.
[vii] CONWAY Ed, Material World. A Substantial Story of Our Past and Future., W.H. Allen 2023.
[viii] LERAT Serge, Les Cahiers d’Outre-Mer n°50, « Le cuivre dans le monde », avril-juin 1960, pp 200-226.
[ix] Citation tirée du Monde « BHP-Anglo American : bataille entre géants des matières premières pour des mines de cuivre » du 15 mai 2024.
Sources
Ouvrages :
CONWAY Ed, Material World. A Substantial Story of Our Past and Future., W.H. Allen 2023
LERAT Serge, Les Cahiers d’Outre-Mer n°50, « Le cuivre dans le monde », avril-juin 1960, pp 200-226. https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1960_num_13_50_2159
SCHERNER Jonas, Une victoire impossible ? L’économie allemande pendant la Première Guerre mondiale « Chapitre 4. La politique métallurgique : le cas du cuivre, matière première stratégique », p.87-96
https://books.openedition.org/septentrion/107585?lang=fr
Rapports :
Cercle CyclOpe, 38ème édition du rapport sur les matières premières.
Articles et communiqués de presse :
ALBERT Eric, Le Monde, « BHP-Anglo American : bataille entre géants des matières premières pour des mines de cuivre »
ANDILL Trader Inside, « Guide des matières premières : le cuivre »
https://www.andlil.com/guide-des-matieres-premieres-le-cuivre-165955.html
CESSAC Marjorie, Le Monde, « Ruée sur le cuivre, matière première de la transition énergétique »
ESCANDE Philippe, Le Monde, « Mines : « Le géant BHP veut racheter Anglo American non pas pour ses diamants mais pour son cuivre » », 25 avril 2024
GOETZ Etienne, Les Echos, « Le cuivre au centre de toutes les convoitises », 14 mai 2024
GOETZ Etienne, Les Echos, « Les cours du cuivre s'emballent », 10 avril 2024 https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/les-cours-du-cuivre-semballent-2088125
JACQUE Muryel, Les Echos, « Le Top 50 du secteur minier coté pèse autant qu'Apple », 7 juillet 2017
LIBERTEX, « Prévisions du prix du cuivre : que peut-on attendre de l'un des métaux les plus utilisés et les plus polyvalents ? », 23 octobre 2024
MANN Nathan, L’Usine nouvelle, « Le cuivre est en pleine forme mais les mines ne suivent pas » 31 mars 2023
ONU, « Un groupe d’experts réuni par l’ONU publie des recommandations à l’intention des gouvernements et de l’industrie pour guider la transition énergétique mondiale »
https://press.un.org/fr/2024/en332.doc.htm
PWC, « L’industrie minière mondiale en 2022 »
https://www.pwc.com/ca/fr/industries/mining/global-mine.html
STELLANTIS, communiqué de presse
Sites :
Anglo American https://www.angloamerican.com/
International Copper Association https://internationalcopper.org/