La confrontation entre les écologistes et l’industrie aéronautique profite-t-elle au secteur ferroviaire ?
Le secteur de l’aérien est au centre d’une stratégie d’influence bien en place et mise en œuvre par une multiplicité d’acteurs. Cette stratégie repose sur une attaque du secteur aérien par des acteurs de la société civile. Cette offensive informationnelle se situe non pas sur le terrain scientifique mais sur un terrain plutôt subjectif.
Un encerclement cognitif visant à diaboliser le secteur de l'aéronautique
Le mouvement « Flygskam » (honte de prendre l’avion) est né en 2017 lorsque le chanteur suédois Staffan Lindberg annonce sa décision de ne plus prendre l’avion, suivie par d’autres célébrités suédoises comme Malena Ernman (mère de Greta Thunberg) et le biathlète Björn Ferry dont la décision fut plus largement reprise par les médias, dont des médias étrangers comme DW News tweetant en novembre 2018 :
. « This is Bjorn.
. Bjorn is an Olympic gold medalist.
. Bjorn takes trains instead of flying because he cares about the environment.
. Bjorn is smart. Be like Bjorn. »
Ce mouvement fut popularisé par Greta Thunberg à l’occasion de son tour d’Europe pour le climat. Le processus de culpabilisation des utilisateurs de l’avion prenait forme, s’appuyant sur la supposée démesure de l’empreinte carbone générée par un vol. Le « Flygskam » a donné lieu à la création de groupe de pression sur les réseaux sociaux et notamment sur Instagram où l’on a pu observer l’apparition de l’hashtag « #jagstannarpåmarken » (je reste au sol). Les effets n’ont pas tardé à se faire sentir, dès 2018 les ventes de billets de train ont augmenté de plus de 60% avec pour corollaire le nombre croissant de suédois se sentant coupables de prendre l’avion.
L'argumentation pseudoscientifique comme argument provocateur
Ce dénigrement systématique du secteur aérien sur le terrain de l’information se double d’une tentative d’occupation du terrain prétendument scientifique. Certains opposants n’hésitent pas à publier des chiffres erronés quant à la part du trafic aérien dans les émissions de CO2. Mouvement suivi par la convention citoyenne sur le climat qui a annoncé en septembre 2020 que 6% des émissions de CO2 étaient induites par le trafic aérien.
Loin de s’arrêter là, l’ONG Greenpeace connue pour ses actions coup de poing n’a pas dérogé au principe. On se souviendra ainsi de l’irruption faite par des militants de Greenpeace le 5 mars 2021 sur le tarmac de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle afin de peindre en vert un Boeing 777 de la compagnie Air France. Selon eux cette action visait à dénoncer le « greenwashing » (écoblanchiment) que constitue l’avion vert, demandant à l’état d’œuvrer pour une réduction massive du trafic aérien.
Greenpeace n’en est pas à son coup d’essai. A chaque fois que l’ONG intervient le mode opératoire est similaire [i] (cf.dossier Greenpeace contre Shell UK par exemple) :
. Dénonciation du caractère partisan des rapports scientifiques.
. Occupation du terrain médiatique par des actions spectaculaires.
. Publication de rapports peu étoffés soulignant leur point de vue.
Une réponse balbutiante de l'industrie aéronautique
Face à une telle campagne de dénigrement, l’industrie de l’aéronautique ne dispose pas encore d’une stratégie de communication établie, organisée et offensive.
Premièrement, la communication repose sur une multitude d’acteurs faiblement coordonnés du secteur, en tête, Airbus, Safran, le GIFAS (Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales) et l’IATA (International Air Transport Association).
Deuxièmement, la communication de ces acteurs est envisagée sous un prisme défensif axée sur les progrès techniques du secteur. Les acteurs essaient de communiquer sur la production d’avions de dernière génération bas carbone (exemple de l’Airbus A320 NEO équipé des réacteurs LEAP), du développement des carburants alternatifs et sur l’objectif d’une aviation décarbonée d’ici 2035-2050. Les acteurs de l’industrie aéronautique ont été incapables d’entrer en posture offensive de guerre informationnelle alors même que des rapports scientifiques confirmaient la faible part des émissions de CO2 induites par les avions. Depuis le début du mouvement « Flygskam » trois années se sont écoulées avant que des acteurs du secteur s’attaquent aux incohérences des chiffres avancés par les mouvements écologistes (vidéo de Xavier Tytelman, L'aviation : 2 ou 7% de la pollution ? La science a parlé, les lobbies écolo devraient l'écouter !)
Troisièmement. Les acteurs du secteur aéronautique n’ont qu’une très faible visibilité sur les réseaux sociaux et très peu de relais. Pour exemple, un tweet d’Airbus concernant le 1er vol d’un Airbus A319 avec des carburants alternatifs n’a été retweeté que 133 fois.
De même, le Groupe ADP illustre parfaitement cette incapacité du secteur aéronautique à communiquer efficacement. Ils ont en effet publié une interview de Xavier Tytelman concernant les défis du transport aérien et des aéroports, vidéo qui se retrouvera perdue entre une vidéo portée sur la recette de la soupe à l’oignon et le dressing parisien à l’aéroport Paris CDG.
On note cependant quelques bonnes initiatives, le GIFAS a essayé de rassembler des acteurs du secteur aéronautique (Air France, Airbus, FNAM et le Groupe ADP) afin d’éditer une infographie contre les idées reçues sur le transport aérien, mais malheureusement ce document n’est que très peu visible, publié uniquement sur les sites des rédacteurs.
Une promotion du rail au détriment de l'aéronautique
De cette guerre de l’information un secteur semble sortir grand gagnant : le rail. Le 24 juin 2021, le Sénat a voté l’une des dispositions essentielles de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoyant que :
« II. Sont interdits, sur le fondement de l'article 20 du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 précité, les services réguliers de transport aérien public de passagers concernant toutes les liaisons aériennes à l'intérieur du territoire français dont le trajet est également assuré sur le réseau ferré national sans correspondance et par plusieurs liaisons quotidiennes d'une durée inférieure à deux heures trente. »
Jugeant cela insuffisant, le 27 octobre 2021 l’ONG Greenpeace a enjoint l’Union Européenne d’interdire les vols pour lesquels un trajet en train de moins de six heures serait disponible ainsi que de développer les lignes ferroviaires. Cette idée est similaire à celle formulée par un think tank du nom de The Shift Project qui, dans son rapport « Pouvoir voler en 2050 » publié le 3 mars 2021 préconise à court terme de tout simplement supprimer l’offre aérienne lorsqu’une alternative ferroviaire de moins de 4h30 existe. Toutefois, il convient de rappeler que ce think tank est financé par la SNCF, EDF, Bouygues, Vinci, Thalys ou encore Enedis, autant d’acteurs ayant des intérêts certains à développer le secteur du ferroviaire.
Quant à la SNCF, elle n’hésite pas à jouer sur le terrain de la communication moralisatrice avec des slogans comme « Choisir le train fait de vous un voyageur responsable ! » En d’autres termes, ne pas prendre le train ferait de vous un voyageur irresponsable.
Les limites du rail
Le bilan écologique du rail semble être plus mitigé qu’il n’y paraît. Dans son rapport, la Cour des comptes européenne souligne un bilan carbone relatif concernant le développement des infrastructures ferroviaires. Ainsi, lors de son analyse de la construction de la ligne Lyon-Turin, elle estime (basée sur les prédictions du gestionnaire à propos des d’émission de CO2 liées à la construction de la ligne soit dix millions de tonnes de CO2) que cette infrastructure ne verrait son bilan carbone compensé que 25 ans après son entrée en service et uniquement si le trafic est conforme aux prévisions des experts. Dans le cas contraire, il faudra 50 ans après son entrée en service pour compenser les émissions de CO2.
Le secteur européen de l’aéronautique quant à lui a adopté une feuille de route pour parvenir à la neutralité carbone en 2050 (Airbus a déjà annoncé l’entrée en service d’avions neutre en carbone dès 2035) par une série de mesures comme augmenter la production des carburants alternatifs, développer les avions à hydrogène et électriques et en optimisant les infrastructures aéroportuaires.
Notons que le 15 décembre 2020, le parlement européen a approuvé la proposition de la Commission Européenne visant à désigner 2021 comme « année européenne du rail ». Dès avril 2021, la Communauté des Entreprises Ferroviaires et d’Infrastructures Européennes, les Gestionnaires d’Infrastructure Ferroviaires Européens et l’Association Européenne des Industrie Ferroviaires ont demandé une extension de l’Année Européenne du Rail. Certains députés européens ont déjà soutenu que l’année 2022 devrait être l’Année Européenne de l’Aviation. L’enjeu est important, cette année pourrait impliquer une augmentation des voyages aériens. Nul doute que cette décision donnera lieu à des jeux d’influence au sein des instances européennes.
Manyl Benredouane