La confrontation entre l’Algérie et le Maroc (Initiative Atlantique Vs. Transsaharienne)
L’Algérie et le Maroc, en tant que pays voisins disposant d’une façade côtière et d’infrastructure de qualité jouent un rôle crucial dans cette réorientation, chacun avec des motivations économiques et politiques distinctes. Les routes privilégiées sont l’utilisation du corridor de Tamanrasset en Algérie et l’utilisation de la route transatlantique via la Mauritanie et le corridor Nouakchott-Tanger au Maroc pour accéder aux ports méditerranéens
L’Algérie et le Maroc, en tant que pays voisins disposant d’une façade côtière et d’infrastructure de qualité jouent un rôle crucial dans cette réorientation, chacun avec des motivations économiques et politiques distinctes. Les routes privilégiées sont l’utilisation du corridor de Tamanrasset en Algérie et l’utilisation de la route transatlantique via la Mauritanie et le corridor Nouakchott-Tanger au Maroc pour accéder aux ports méditerranéens[i].
Contexte
La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) traverse une période de turbulences géopolitiques marquée par plusieurs défis majeurs. Depuis 2020, plusieurs pays membres ont connu des coups d’État militaires. Ces événements ont fragilisé la cohésion régionale et posé des défis à la gouvernance démocratique[ii].
Burkina Faso ; En 2022, le Burkina Faso a connu deux coups d’État. En janvier, le président Roch Marc Christian Kaboré a été renversé, et en septembre, le capitaine Ibrahim Traoré a pris le pouvoir. Ces événements ont été en partie motivés par l’insécurité croissante due aux attaques jihadistes.
Niger ; En juillet 2023, des militaires ont renversé le président Mohamed Bazoum. Le général Abdourahamane Tiani est devenu le nouvel homme fort du pays. La CEDEAO a menacé d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel, mais privilégie toujours la voie diplomatique.
Guinée ; En septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya a mené un coup d’État contre le président Alpha Condé. Depuis, la Guinée est dirigée par une junte militaire qui a promis une transition vers un gouvernement civil, bien que le processus reste incertain et tendu.
Mali ; Le Mali a subi deux coups d’État en moins d’un an : le premier en août 2020 et le second en mai 2021. Le colonel Assimi Goïta, qui a mené les deux putschs, est actuellement au pouvoir.
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La Sécurité et les tension internes
La région du Sahel fait aussi face à une montée de l’insécurité due aux activités terroristes[iii], exacerbée par la pauvreté et le chômage extrême qui facilitent le recrutement de ces groupes extrémistes[iv]. Parallèlement, des tensions politiques internes émergent, alimentées par des régimes cherchant à se maintenir au pouvoir en modifiant les constitutions ou les échéances électorales, ce qui suscite des protestations. Enfin, tous ces évènements ont lieu dans un contexte international marqué par la guerre en Ukraine et les luttes d’influence entre les anciennes puissances coloniales et d’autres acteurs internationaux.
En septembre 2023, la conjonction de ces facteurs et la menace d’intervention militaire au Niger de la CEDAO avec le soutien de la France pour rétablir l’ordre constitutionnel conduit à la création officielle de l’alliance des États du Sahel (AES) par le Mali, le Burkina Faso et le Niger avec pour objectif principal le renforcement de la coopération en matière de sécurité et de défense entre ces pays.
En réponse aux sanctions économiques et financières imposées par la CEDEAO, les trois pays se retirent de la CEDEAO et proposent à leur population la réorientation des routes commerciales vers le nord (Maroc et Algérie principalement) pour contourner les sanctions notamment la fermeture des ports et maintenir les échanges commerciaux essentiels. Cette réorientation stratégique vise à améliorer leur résilience économique, à diversifier leurs partenaires commerciaux et à renforcer leur position géopolitique dans la région. C’est dans ce contexte de tensions accrus que les états de l’AES et la CEDEAO semblent se livrer à une confrontation informationnelle avec pour objectif principal d’influencer les perceptions des populations cibles pour imposer leur narratif et gagner la bataille des opinions. Nous essayerons de décrypter dans cet article les stratégies et les méthodes utilisés par les différents protagonistes pour influencer les dynamiques commerciales et économiques et leurs impacts sur le public cible pour mieux cerner cette confrontation.
Contexte géopolitique et économique
Historique des Relations AES-CEDEAO
Formation de l’AES : L’AES a été créée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger en réponse à des défis communs, notamment la lutte contre le terrorisme et la nécessité de renforcer la coopération régionale. Cette alliance visait à offrir une alternative aux structures existantes comme la CEDEAO[v].
Sanctions de la CEDEAO : En réaction aux coups d’État militaires dans les pays membres de l’AES, la CEDEAO a imposé des sanctions économiques et financières. Ces sanctions ont été perçues comme injustes par les États de l’AES, exacerbant les tensions entre les deux organisations.
Retrait de l’AES de la CEDEAO : Le 28 janvier 2024, l’AES a pris la décision historique de se retirer de la CEDEAO. Cette décision a été motivée par plusieurs facteurs, dont le sentiment d’ingérence étrangère et l’absence de soutien concret de la CEDEAO dans la lutte contre le terrorisme[vi].
Conséquences du retrait : Le retrait de l’AES a fragilisé la CEDEAO et soulevé des questions sur sa viabilité future. Les États de l’AES cherchent désormais à renforcer leur coopération avec des pays du nord de l’Afrique, comme l’Algérie et le Maroc, pour diversifier leurs partenariats commerciaux et sécuritaires[vii].
Perspectives
La rupture entre l’AES et la CEDEAO ouvre la voie à de nouvelles configurations régionales. L’AES pourrait chercher à créer une nouvelle organisation régionale plus adaptée à ses besoins spécifiques, tandis que la CEDEAO devra se réinventer pour maintenir sa cohésion et son influence[viii].
Introduction du rôle de l’Algérie et du Maroc dans la réorientation des routes commerciales et ses motivations économiques et politiques
| Algérie[ix] | Maroc [x] |
Motivations économiques
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Motivations politiques |
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Méthodes et contenus permettant d’identifier des stratégies de guerre de l’information
Des groupes de discussion et des plateformes d’information en ligne bénéficiant d’une forte audience dans la sous-région à l’instar du club CEDAO (https://clubcedeao.com/cedeao-aes/ ) propagent le narratif suivant lequel « l’Alliance des États du Sahel (AES) a été créé en réponse à l’instabilité croissante dans la région sahélienne, instabilité exacerbée par l’intervention militaire occidentale en Libye en 2011 et qui a par ailleurs conduit entre autres à la prolifération des mouvements terroristes et djihadistes. Ces pays sont donc à la recherche de solutions alternatives pour renforcer leur sécurité et leur développement économique ». Ce narratif soutenant en outre que l’AES vise simplement à offrir une réponse coordonnée et efficace aux défis sécuritaires, tout en bousculant la vision et l’agenda de la CEDEAO, perçue comme inefficace et influencée par des intérêts extérieurs. Ce récit est diffusé par la technique du bombardement médiatique à travers les réseaux sociaux (Facebook et telegram) et repris par tous les médias publics de ces états qui restent dans ces régions faiblement développées la première source d’information.
Pour ce qui est des discours des acteurs politiques, en juillet 2024, le Capitaine Ibrahim Traoré (Burkina Faso) à l’occasion du premier sommet de l’AES a réaffirmé la nécessité d'une alliance forte face aux menaces internes et externes, notamment le terrorisme. Il a insisté sur le retrait de la CEDEAO, déclarant que « les peuples du Sahel ont irrévocablement tourné le dos à la CEDEAO", marquant ainsi un désaveu clair de l'organisation ouest-africaine.
Dans le même ordre d’idée, le général Abdourahamane Tiani, le leader nigérien, a appelé le 6 juillet 2024 « à construire une communauté éloignée de la mainmise des puissances étrangères ». Il a aussi affirmé que « les peuples des trois pays avaient irrévocablement tourné le dos à la CEDEAO", rejetant les appels du bloc à rentrer dans les rangs ; appels formalisés par les propos du président sénégalais Bassirou Diomaye, négociateur mandaté par la CEDEAO qui avait déclaré quelques jours après : "Nous devons tout faire pour éviter le retrait des trois pays frères de la Cédéao. Ce serait le pire des scénarios et une grande blessure au panafricanisme que les pères fondateurs nous ont légué"
Par ailleurs, l’activiste de renom Nouhou Arzika, président du Mouvement pour la promotion de la citoyenneté responsable – un mouvement de la société civile persécuté sous les régimes précédents et désormais proche de la junte – a déclaré le 18 décembre 2023 sur le media en ligne public Nigérien zammagazine.com : « Maintenant, tout le monde parle du Niger », satisfait, quelques semaines seulement après de grandes célébrations antifrançaises et prorusses qui ont secoué la capitale, Niamey, et la deuxième ville du pays, Agadez, où les foules dansaient sur le tube du chanteur ivoirien Alpha Blondy : « Armée française ! Laissez-nous… Nous ne voulons plus de vous… Nous ne voulons plus d’une fausse indépendance sous surveillance étroite… »[xi]
Propagande Positive : Diffusion de contenus mettant en avant les succès économiques et politiques de la coopération avec le Maroc et l’Algérie.
Dans une allocution prononcée, par visioconférence, à l’occasion de la 41e réunion du Comité d’orientation des chefs d’état et de Gouvernement du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le président Tebboune annonce que « l’Algérie connaîtra, en 2024, la création de zones franches avec des pays frères, à commencer par la Mauritanie, puis les pays du Sahel tels que le Mali et le Niger, outre la Tunisie et la Libye »[xii]
Dans le même cadre, il déclare : « Mon pays est déterminé à atteindre les objectifs de développement économique et d’intégration continentale et souligne l’importance d’œuvrer pour améliorer le niveau d’efficacité des processus d’intégration économique africaine »
Le journal en ligne HESSPRESS qui est basé au Maroc et qui est un des médias en ligne les plus consultées dans le Maghreb a publié en aout 2024 un article sur l’inauguration par le groupe CIMAF et le Capitaine Ibrahim Traoré d’un projet de plus de 50 millions de dollars au Burkina Faso. Ce projet ambitieux comprend la construction d’une usine de production de ciment à base d’argile calcinée, ainsi qu’une centrale solaire. Le secrétaire général du Centre marocain de recherche pour la globalisation « NejMaroc », Yassine El Yattioui a déclaré à cette occasion : “ le Maroc affirme ainsi sa position de catalyseur de développement et acteur clé dans le renouveau économique du continent africain car cette initiative s’inscrit dans une vision plus large de renforcement des relations Sud-Sud, qui a culminé avec l’initiative Afrique Atlantique” ; par ailleurs, il souligne que “le Maroc a toujours eu des relations historiques avec les pays du Sahel, mais ces relations se sont intensifiées avec la montée en puissance de la politique africaine du Roi Mohammed VI”
En 2022, rappelle M. El Yattioui, « le Maroc a annoncé un investissement de 150 millions d’euros dans la construction d’un corridor routier reliant Niamey à la côte atlantique marocaine. Ce projet est crucial pour le désenclavement du Niger, un pays enclavé qui dépend fortement de ses voisins pour accéder aux marchés internationaux ».
Le Burkina Faso est également un partenaire clé du Maroc dans le Sahel. “Le Maroc a investi dans le secteur de la santé au Burkina Faso, avec la construction d’hôpitaux et la formation de personnel médical. En 2023, le Maroc a également annoncé un projet de construction d’une université à Ouagadougou, en collaboration avec le gouvernement burkinabé. Ce projet, d’une valeur de 100 millions d’euros, vise à renforcer les capacités éducatives du pays et à former une nouvelle génération de leaders africains”, déclare-t-il par la même occasion.
En ce qui concerne le Mali, il poursuit en déclarant : “ En 2018, le Maroc a financé et réalisé le projet de réhabilitation de la route Bamako-Dakar, qui est un axe vital pour le commerce intra-africain. Ce projet, d’une valeur de 250 millions d’euros, a non seulement amélioré la connectivité entre le Mali et ses voisins, mais a également facilité le transport de marchandises, réduisant ainsi les coûts logistiques de près de 30 % pour les entreprises locales”[xiii].Réunis à Marrakech le 23 décembre 2023, les représentants de l’AES ont unanimement salué ces initiatives du Maroc et de l’Algérie. Le ministre nigérien des affaires étrangères Bakary Yaou Sangaré a déclaré à cette occasion : « C’est dans la difficulté que l’on reconnaît ses vrais amis »[xiv].
Dans tous les discours et contenus des acteurs de l’AES, nous pouvons identifier un narratif de souveraineté récurent visant à convaincre leur population que l'utilisation des infrastructures autres que celles de la CEDEAO renforcerait leur indépendance économique et politique en les libérant de l'influence de la CEDEAO, perçue comme soumise à des influences étrangères, notamment celle de l'ancienne puissance coloniale. Parallèlement, les États de l'AES ont lancé des campagnes de sensibilisation pour informer les populations locales sur les avantages économiques et logistiques de la réorientation des routes commerciales vers l'Afrique du Nord. Ces campagnes visent à accroître l'adhésion populaire, à créer un soutien national en faveur des politiques initiés par l’AES dont la mise en place de nouvelles alliances économiques stratégiques.
Diffusion de contenus mettant en avant les risques économiques des réorientations économiques éventuelles
Lors du sommet de la CEDEAO à Abuja le 7 juillet 2024, à propos du retrait des états de l’AES, Omar Alieu Touray le président de la commission de la CEDEAO déclare :"Ce retrait affectera les conditions de voyage et d’immigration des citoyens de ces trois pays. Le retrait des trois États membres pourrait entraîner l’arrêt ou la suspension de tous les projets et programmes dont la valeur est estimée à plus de 500 millions de dollars américains", Attirant ainsi l’attention sur les conditions de vies et la situation légale des millions des citoyens de ces états qui vivent et travaillent dans les états de la CEDEAO et qui expédient chaque année des montants non négligeables vers leur pays qui restent pour certains parmi les plus pauvres d’Afrique.
Il semblerait que cette déclaration marque le début d'une campagne de déstabilisation. En effet, après cette déclaration nous avons constaté une augmentation significative de plus de 300% des contenus en rapport avec cette confrontation sur la plateforme Sindup le même mois[xv]. Cette déclaration, adressée aux populations des États de l’AES et diffusée par les médias mainstream ainsi que sur les réseaux sociaux, soulève indirectement des questions sur la situation monétaire des États de l’AES, étant donné que la CEDEAO est associée à une union monétaire, l’UEMOA, à laquelle ces pays appartiennent. La communication du président de la commission de la CEDEAO suggère que l'expulsion des États de l’AES de l’UEMOA et de l'accord de libre circulation qui en découle pourrait entraîner des conséquences dramatiques pour les populations et dont les moindres sont :
- L’augmentation des prix : l'orientation vers l'Afrique du Nord entraînerait une augmentation des prix des produits de première nécessité car le cout de transport sera plus élevé.
- Les Pertes d’emplois : les entreprises locales pourraient faire face à une concurrence déloyale et être contraintes de licencier.
- La dégradation des conditions de vie : les populations les plus vulnérables seraient les premières à souffrir de cette nouvelle orientation économique.
- La dépendance a de nouveaux partenaires pour l’accès aux débouchés maritimes.
Efforts pour obtenir et/ou discréditer le soutien des partenaires internationaux.
Peu après la déclaration du président de la commission de la CEDEAO, le commissaire de l’Union Africaine en charge des affaires politique, paix et sécurité, s’exprimant au nom du président de la Commission de l’UA invité au sommet de la CEDEAO, a déclaré le 8 juillet à Abuja que «le retrait des trois pays de cette organisation est inacceptable pour l’UA et nous croyons en une seule CEDEAO», suscitant immédiatement la réaction de ces trois pays qui par un communiqué conjoint «désapprouvent et condamnent avec la dernière rigueur cette attitude, contraire au devoir de réserve et à l’obligation d’impartialité dus par un fonctionnaire de l’UA » en outre ils déclarent que «toute appréciation de leur décision souveraine de quitter la CEDEAO constitue une ingérence dans leur affaires intérieures»[xvi]
La déclaration du commissaire de l’union Africaine cherche à conforter la position de la CEDEAO au niveau continental mais malheureusement, l’inaction de la CEDAO et l’activation par l’AES de relais locaux soutenant sa position comme le GPS (Générations et peuples solidaires) le parti de l’ex-président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro qui dispose d’une certaine notoriété dans la région et qui a déclaré dans une tribune publié le 16 juillet 2024 : « il est incontestable que le Président Alassane Ouattara et son Gouvernement ont été à l’avant-garde des sanctions illégales et illégitimes qui ont frappé durement les pays membres de la Confédération des États du Sahel. Fermeture des frontières, interdiction de commercer, confiscation des avoirs de ces pays à la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pour disloquer leurs économies, blocus terrestre et aérien, même les médicaments à destination de ces pays étaient soumis à un embargo. Ces sanctions inhumaines ont causé larmes et désolation au sein des populations de ces État »[xvii] ; cette déclaration et sa propagation semble avoir diluer cette action de la CEDEAO.
Auparavant, et ce le 31 janvier 2024, une vidéo sortie de son contexte et dans laquelle on aperçoit le président Français Emmanuel Macron suscite des réactions. La séquence de quelques minutes postées sur un compte Instagram dénommé ankamali223 et partagée sur Facebook, prétend montrer une réaction d’Emmanuel Macron qui « condamne la décision collective du Mali, du Burkina Faso et du Niger de se retirer de la CEDEAO ». La publication a été largement commentée et partagée par les internautes alors qu’il s’agit en réalité d’un extrait d’une conférence de presse donnée par Emmanuel Macron à Aubervilliers le 18 mars 2022. Les propos d’Emmanuel Macron, sortis de leur contexte, sont issus d’une réponse à la question d’une journaliste de RFI concernant la suspension de RFI et France 24 au Mali à ce moment-là. Le sujet est abordé à partir de 3:59[xviii].
Cette pseudo vidéo de soutien a fragilisé d’avantage la position de la CEDEAO car la France fait l’objet d’un rejet presque unanime dans cette région à la suite d’une accumulation de frustrations liées à l'histoire coloniale, à la présence militaire française perçue comme néocoloniale, et à une perception croissante d'ingérence dans les affaires intérieures de ces pays. Les populations de l'AES reprochent en outre à la France de ne pas avoir suffisamment soutenu leurs efforts pour lutter contre le terrorisme et d'avoir privilégié ses propres intérêts économiques et stratégiques.
Les efforts de lobbying à l’international auprès des organisations internationales et des dirigeants politiques et la campagne de déstabilisation engagé contre les états de l’AES à travers l’annonce des sanctions, semblent confirmer qu’il y a eu une volonté de la CEDEAO d’influencer les populations de l’AES en mettant l’accent sur les conséquences possibles du retrait de la zone de libre-échange de la CEDAO. En réponse, nous avons identifié une autre dynamique constituée de la publication de la vidéo de soutien qui est une opération d’intox et par l’intervention opportune de Guillaume Soro qui agit ici comme un influenceur d’opinion à la suite de la déclaration du président de la commission de la CEDEAO. Cette dynamique vise à discréditer la CEDEAO et à promouvoir les intérêts stratégiques et économiques des autres acteurs (AES, Maroc et Algérie).
Pour l’Algérie et le Maroc : campagnes de Communication et visites officielles comme relais d’influence
La proximité géographique de l’Algérie et son soutien politique constant tendent à faire d’elle le partenaire privilégié pour le contournement des sanctions car le Maroc reste perçu comme un allier stratégique de l’ancienne puissance coloniale dans son conflit contre le front Polisario et l’Algérie pour le contrôle du Sahara occidental. Toutefois, les relations de l’Algérie avec certains membres de l’AES, en particulier le Mali[xix], se sont tendues au fil du temps. Ces tensions sont illustrées par des divergences politiques et sécuritaires, l’Algérie adoptant une approche parfois jugée intrusive par les nations du Sahel comme le confirme la déclaration du colonel Assimi Goïta, en date du 31 décembre 2023 qui confirme la mise en place d’un « dialogue direct intermalien », donc sans médiation internationale contrairement à l’accord d’Alger[xx].
Malgré ces désaccords, le président Tebboune à l’occasion de la 41e réunion du Comité d’orientation du NEPAD le 12 février 2024, annonce que : « l’Algérie connaîtra, en 2024, la création de zones franches avec des pays frères, à commencer par la Mauritanie, puis les pays du Sahel tels que le Mali et le Niger… » ; Cette déclaration fait suite à l’organisation par le Maroc le 23 décembre 2023 à Marrakech d’un conclave avec les pays enclavés du Sahel au cours de laquelle son ministre des affaires étrangères Nasser Bourita déclare : « être prêt à mettre ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires au service de ces pays…», entrant ainsi en compétition ouverte avec l’Algérie.
Au sortir de cette rencontre de Marrakech, le ministre des affaires étrangères du Niger Bakary Yaou Sangaré a été reçu à Alger trois jours après ; au sujet de cette rencontre, la diplomatie algérienne indique sur son site officiel : « Les deux ministres se sont, longuement, entretenus sur l'évaluation des relations de coopération entre les deux pays dans différents domaines, notamment la route transsaharienne, au regard de son rôle dans le désenclavement et le développement du sahel».[xxi] Le 16 janvier 2024, l’Algérie tente de contrer le Maroc en se rapprochant de la Mauritanie et en proposant au chef de la diplomatie mauritanienne Mohamed Salem Ould Merzoug le port de Nouakchott comme alternative ; ce dernier « a souligné, la profondeur des relations "séculaires", établies sur la base des liens de "sang et de l'histoire" qui unissent l'Algérie et la Mauritanie » selon la diplomatie Algérienne[xxii]. Les résultats de la nuisance algérienne ne se sont pas fait attendre puisqu’aussitôt, la Mauritanie a imposé des taxes douanières sur les produits importés du Maroc[xxiii] dans une optique de discrédit du projet marocain.
Nasser Bourita, déclare ensuite le 21 juin à Rabat lors d’une conférence de presse avec son homologue burkinabè M. Karamoko Jean Marie Traoré: « le Maroc est contre l’ingérence étrangère dans les affaires des pays du Sahel et "les politiques des donneurs de leçons et de ceux qui considèrent que, étant donné qu’ils ont des frontières avec le Sahel, ils peuvent opter pour une politique de chantage », mettant ainsi en avant la politique du Maroc basée sur le principe de non-ingérence et critiquant ouvertement les ingérence, principalement celles de l’Algérie[xxiv].
Par ailleurs, les travaux de la 7e édition du Morocco Today Forum se sont tenus le vendredi 5 juillet 2024 à Dakhla qui est une ville Portuaire du Sahara Occidental et considéré comme « territoire disputé et non autonome » selon l'ONU. Cette conférence internationale qui réunissait décideurs, diplomates, opérateurs économiques et experts du Maroc et du reste du continent africain autour du projet royal d’inclusion régionale a bénéficié d’une forte exposition médiatique; Afrimag publie ainsi en date du 7 juillet une déclaration de Mohamed Methqal l’Ambassadeur-Directeur Général de l’Agence Marocaine de coopération internationale -AMCI [xxv]: « L’opérationnalisation de l’adhésion des pays du Sahel à l’Initiative Atlantique est d’ores et déjà entamée » Ces contenus ont été repris par les médias spécialisé (notamment the Economist)[xxvi].
Au vu des discours et des contenus qui ont été relevés supra, il apparait que ces deux nations, l'Algérie et le Maroc, se mènent une confrontation informationnelle ciblée. En diffusant des messages ciblés, l'Algérie et le Maroc cherchent à attirer les États enclavés en mettant en avant les avantages économiques de leurs offres respectives et en diminuant l'attractivité des alternatives concurrentes, tout en influençant les perceptions régionales pour servir leurs intérêts stratégiques.
Échiquiers stratégiques représentants les postures, les attaques et influences des acteurs dans cette guerre informationnelle
H3 - Tableau des impacts des stratégies des guerres de l'information décelée sur la perception des différentes parties et les conséquences économiques et logistiques associées
Impacts | Algérie et Maroc | États de l’AES | CEDEAO |
Perception des Populations | Amélioration de la perception comme partenaire économique fiable. | Sentiment accru de souveraineté et d’indépendance économique. | Risque de perte d’influence. |
Conséquences Économiques et Logistiques | - Potentiel d’augmentation des échanges commerciaux | Défis logistiques liés à la transition vers les infrastructures algériennes. | - Impact potentiel des sanctions. |
Récapitulatif des principales stratégies et impacts de la guerre de l’information.
La possibilité de réorienter les routes commerciales des États de l'Afrique sahélienne (AES) a engendré une confrontation informationnelle complexe entre la CEDEAO et les États de l’AES, ainsi qu’entre l'Algérie et le Maroc. Les États de l’AES déploient un narratif centré sur la souveraineté pour convaincre leurs citoyens que le recours aux infrastructures en dehors de la CEDEAO renforce leur indépendance économique et politique. En mettant en avant les influences étrangères pesant sur la CEDEAO, notamment celles de l'ancienne puissance coloniale, ils cherchent à valoriser les alternatives offertes par l'Afrique du Nord.
Parallèlement, les États de l’AES, l’Algérie et le Maroc mènent des campagnes d’informations visant à informer les populations locales des avantages économiques et logistiques de ces nouvelles routes commerciales vers l’Afrique du Nord. Ces campagnes ont pour but de susciter l’adhésion populaire et de soutenir les nouvelles alliances économiques qu'ils souhaitent établir.
En réponse, la CEDEAO tente de préserver son influence par le biais de lobbying international et par des stratégies de communication. Cependant, les tentatives de déstabilisation, telles que la diffusion de contenus trompeurs et l’intervention de figures influentes comme Guillaume Soro, révèlent une volonté coordonnée de remettre en question la crédibilité de la CEDEAO et de promouvoir les intérêts des autres acteurs.
Quant à l'Algérie et le Maroc, ils utilisent des stratégies de guerre de l'information assumée pour renforcer leurs relations avec les États de l’AES. En mettant en avant leurs infrastructures portuaires et routières à travers des partenariats locaux, des conférences et des publications, ils cherchent à influencer les perceptions des décideurs sahéliens. En promouvant leurs zones franches et alternatives logistiques comme les meilleures options, ils tentent de capter l'attention des États enclavés tout en diminuant l'attrait des offres concurrentes.
Réflexion sur les évolutions possibles de cette confrontation informationnelle et ses implications pour la région.
À long terme, cette bataille pour les perceptions pourrait entraîner une révision des axes commerciaux et des alliances régionales, augmentant le poids des États sahéliens sur la scène internationale. Cependant, les tensions avec des acteurs majeurs comme l'Algérie, pourraient compliquer ces changements et potentiellement entraver les mutations de l’ordre régional. L’avenir de la coopération régionale au Sahel dépendra de la capacité des nations concernées à gérer ces relations tendues, en formulant une stratégie inclusive qui respecte les aspirations à l’autonomie tout en favorisant la stabilité régionale. Le risque d’un maintien durable du statu quo, entretenu par les guerres répétées de l’information, reste non négligeable. Le statu quo, ainsi alimenté, aura pour vocation de protéger les gouvernements issus de putschs et affaiblit par le progressif manque de légitimité.
Jean-Luc Beteba Moum (MSIE44 de l’EGE)
Notes
[i] https://storymaps.arcgis.com/stories/7d3a7a1492564cb2aabea79287566745
[ii] https://www.bbc.com/afrique/region-68275589
[iii] https://www.lesahel.org/analyse-menaces-securitaires-au-sahel-enjeux-et-perspectives/
[iv] https://issafrica.org/fr/iss-today/securite-au-sahel-une-multitude-de-strategies-mais-peu-de-progres
[v] https://maliactu.net/retrait-de-laes-de-la-cedeao-le-debut-de-la-fin-de-la-cedeao/
[vi]https://pscc.fes.de/fileadmin/user_upload/images/publications/2024/FES-PSCC-NoteAnalyse02-A4-FR-LowRes.pdf
[vii] https://maliactu.net/retrait-de-laes-de-la-cedeao-le-debut-de-la-fin-de-la-cedeao/
[viii]https://pscc.fes.de/fileadmin/user_upload/images/publications/2024/FES-PSCC-NoteAnalyse02-A4-FR-LowRes.pdf
[ix] https://storymaps.arcgis.com/stories/7d3a7a1492564cb2aabea79287566745
[x] https://www.imf.org/fr/Publications/REO/MECA/Issues/2024/04/18/regional-economic-outlook-middle-east-central-asia-april-2024
[xi] https://dakartimes.net/hotel-kremlin-mali-burkina-faso-niger-au-sahel-bye-bye-paris-bonjour-moscou/
[xiii]https://www.courrierinternational.com/article/economie-l-algerie-et-le-maroc-rivalisent-d-initiatives-a-destination-du-sahel
[xiv]https://www.actuniger.com/politique/19782-cooperation-sud-sud-a-marrakech-le-ministre-yaou-sangare-salue-linitiative-du-roi-mohammed-vi-pour-favoriser-lacces-des-pays-du-sahel-a-locean-atlantique.html
[xv] https://app.sindup.com/#folders-news-398461-0.html
[xvi]https://afrique.le360.ma/politique/les-regimes-militaires-saheliens-denoncent-une-ingerence-de-lua-dans-leur-crise-avec-la-cedeao_GHUWU35LRJAR7L3WHMXMND2GNA/
[xvii]https://www.wakatsera.com/aes-cote-divoire-navons-nous-pas-objectivement-cree-lenvironnement-dhostilite-et-de-belligerance-avec-nos-voisins-gps/
[xviii]https://lejalon.com/2024/01/31/cedeao-emmanuel-macron-sest-il-prononce-sur-la-decision-de-retrait-des-pays-de-laes/
[xix]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/26/mali-la-junte-annonce-la-fin-avec-effet-immediat-de-l-accord-d-alger_6213138_3212.html
[xx] https://lanouvelletribune.info/2024/06/aes-au-maghreb-les-deux-rivaux-sopposent/
[xxi]https://www.mfa.gov.dz/fr/press-and-information/news-and-press-releases/mr-attaf-receives-minister-of-foreign-affairs-cooperation-and-nigeriens-abroad
[xxii]https://www.aps.dz/algerie/165365-la-profondeur-des-relations-historiques-entre-l-algerie-et-la-mauritanie-soulignee
[xxiii] https://www.challenge.ma/maroc-mauritanie-les-exportateurs-marocains-face-a-une-hausse-spectaculaire-de-171-des-taxes-douanieres-au-passage-de-guergarat-274549/
[xxiv]https://fr.le360.ma/politique/les-pays-du-sahel-nont-pas-besoin-de-tuteurs-ni-de-recevoir-de-lecons-estime-nasser-bourita_WWPHWQSKXFAUFPJUKMEBZMGJXU/
[xxv]https://afrimag.net/morocco-today-forum-loperationnalisation-de-ladhesion-des-pays-du-sahel-a-linitiative-atlantique-est-dores-et-deja-entamee-m-methqal/
[xxvi] https://www.leconomiste.com/article/1122595-afrique-atlantique-repondre-aux-defis-des-pays-du-sahel