La Belt and Road Initiative : l’autre aspect de la guerre de l’information chinoise en Afrique
La belt And Road Initiative (BRI) de la Chine, parfois appelée la nouvelle route de la soie, est l’une des stratégies de mise en place d’infrastructures les plus ambitieuses du XXIème siècle.
Ce projet a été annoncé par Xi Jinping comme un modèle géoéconomique et stratégique permettant de connecter l’Asie de l’Est et l’Europe par ce qu’on appelle le corridor terrestre. Le corridor marin quant à lui, englobe l’Afrique, l’Océanie, l’Amérique Latine et même le Nord de la Russie et L’antarctique par un corridor marin et de la route maritime du Nord, censé reproduire le collier de perles chinois .
Au-delà de son aspect économique, la Nouvelle route de la soie est aussi un outil d’expansion de l’influence politique chinoise, en l’occurrence en Afrique, contient sur lequel les yeux du monde sont rivés pour ses richesses en ressources minières, mais aussi les possibilités exponentielles d’exploitation agricole.
Au cœur de la guerre économiques que mène la Chine aux différents acteurs positionnés en Afrique, la guerre informationnelle qui accompagne l’établissement des infrastructures de la Belt and Road Initiative sur le continent semble donner une certaine avance à l’Empire du milieu par la mise en place d’organismes intermédiaires permettant de relayer une information dirigée dans le sens du narratif chinois.
Rappel du contexte de la naissance de la BRI :
En 2012, Xi Jinping est élu secrétaire général du Parti Communiste Chinois, s’ensuit alors son élection comme président de la République populaire de Chine en 2013.
L’ambition du président fraichement élu est d’abord une stabilité politique ainsi qu’une croissance économique.Dix ans plus tard, la Chine est la deuxième puissance économique mondiale.
Le choix du nom déjà, nouvelles routes de la soie est en soi une communication politique et stratégique, faisant écho à l’historique de la route de la soie, du temps de la grandeur de l’empire chinois, commerçant et prospère tant par les mers que par les terres.
Pékin annonce via cette initiative un renforcement des échanges et de la connectivité de la Chine avec l’Afrique, l’Eurasie, l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est.
Même si une bonne partie de ce projet reste pour le moment sur le papier, la communication autour de la BRI est devenue un bon moyen de guerre informationnelle que Pékin peaufine afin de déstabiliser ses adversaires occidentaux.
En effet, le discours de Pékin attire par les moyens colossaux annoncés les entreprises et États se trouvant sur cette route, en l’occurrence en Afrique, véritable terreau mondial en termes de ressources naturelles, et grand terrain d’influence disputé par de différents acteurs géopolitiques, qu’ils soient opposés ou alliés. (1)
L’annonce officielle de ce projet eut lieu au Kazakhstan en 2013, lors de la visite de Xi jinping.
Officiellement lancée en 2013 à l’occasion de la visite de Xi Jinping au Kazakhstan, le projet chinois des nouvelles routes de la soie n’a cessé de faire parler de lui au cours de la dernière décennie.
Perçu comme une menace à un ordre établi ou à leurs intérêts par certaines puissances, notamment les États-Unis, l’Inde ou le Japon ; ou comme une occasion de développement ou d’émancipation d’une certaine tutelle occidentale par d’autres, ce projet s’est inscrit dans la durée avec comme objectif des transformations du paysage économique, politique et diplomatique en Asie, et même au-delà. (2)
La bataille de l’opinion publique
Selon l’armée populaire de libération, la guerre de l’opinion publique se fait par l’utilisation intégrée des journaux, de la radio, des télévisions, mais aussi d’internet et tout autre média d’information.
Cette utilisation se fait dans le cadre d’une stratégie planifiée et ciblée afin de remonter le moral des troupes au combat de son propre camp, tout en faisant effondrer la volonté de riposte du camp adverse, pour ce faire, l’orientation de l’opinion publique en la faveur du narratif chinois est un atout indispensable.
En 2011, le Dictionnaire de terminologie militaire chinois expliquait qu’elle consiste à « créer un environnement d’opinion publique favorable à l’initiative politique et à la victoire militaire par l’utilisation de divers moyens médiatiques et ressources informationnelles pour combattre l’ennemi ».
Les Chinois parlent autant de “la guerre de l’opinion publique” que de “guerre de consensus”.
L’APL a aussi travaillé sur les moyens les plus efficaces d’orienter l’opinion publique sur le net.
Deux termes différents sont ici utilisés pour renvoyer à l’idée générale d’opinion publique, (yuqing) et (yulun).
Le yuging consiste en l’interprétation subjective de certaines réalités sociales, le yulun, quant à lui, traite l’idée de l’attitude socio-politique générée par les interactions sociales. L’émotion publique peut donc être individuelle quand l’opinion publique est l’opinion collective majoritaire ; l’émotion publique peut être de nature implicite, quand l’opinion publique est explicite ; une émotion publique ne se transforme pas nécessairement en opinion publique et celle-ci ne repose pas toujours sur une émotion publique, il est donc indéniable que le contrôle des émotions publiques est indispensable dans le travail d’orientation de l’opinion publique.
Par conséquent, l’APL développe les techniques qui permettent de manipuler les opinions et les émotions.
La bataille psychologique
Selon le Dictionnaire de terminologie militaire de 2011, la guerre psychologique consiste avant tout à « utiliser des informations spécifiques et des médias pour des actions de combat qui affectent la psychologie et le comportement du public cible ». Elle comporte plusieurs aspects dont la dissuasion (encourager un adversaire potentiel à la prudence avant de se lancer dans une guerre ou, idéalement, l’encourager à s’opposer au fait de faire la guerre) et la tromperie (nuire à sa prise de décision en utilisant de fausses informations) (3)
Les acteurs :
Le Parti Communiste chinois
En Afrique, le Parti communiste chinois investit énormément dans le financement des médias locaux, et en fait des canaux de diffusion du narratif chinois, via le partage de contenu, ou la prise en charge et formation de journalistes africains afin de mieux affiner et propager le récit, les politiques et les normes chinoises sur le continent et d’en faire l’éloge. (4)
Ce récit glorifie la supériorité du modèle politique, social et culturel chinois, œuvre sur l’existence de points communs et de valeurs partagées entre les pays africains et la Chine, le parti structure de manière méthodique sa politique de communication en Afrique, et les nouvelles routes de la soie avec les projets qu’elles portent en font un bon exemple de cette “bienveillance chinoise”. (5)
Au cours de la dernière décennie, La Chine a considérablement augmenté ses investissements dans l’espace médiatique africain, cette augmentation qui fait partie de la stratégie du PCC, vise à étende l’influence de ce dernier dans les pays africains tout en en façonnant progressivement les contours et les récits.
Pour le PCC, les médias sont considérés comme un terrain de guerre privilégié pour bien raconter l’histoire de la Chine, expression inventée par Xi Jinping en 2013 lors de la conférence nationale sur la propagande et l’idéologie du parti. Le parti au pouvoir en Chine, selon ses propres politiques, considère les médias comme une arène de combat pour promouvoir ses récits et ses politiques et pour discréditer ceux de ses adversaires sans recourir à la force militaire. (6)
Les médias
La Chine a déployé sa présence médiatique sur le continent africain via trois médias d’État : Radio Chine Internationale (RCI), la China Global Television Network (CGTN) et Xinhua, l’agence de presse officielle.
En Afrique de l’Ouest, des versions françaises de ces médias ont été développées afin de mieux cibler le public francophone de la région.
Xinhua à elle seule possède 37 bureaux en Afrique, un chiffre bien supérieur à celui de toutes les autres agences de presse, africaines soient-elles ou non, cette augmentation spectaculaire du nombre d’agences Xinhua s’est faite en parallèle avec la progression des projets de la BRI dans la région et sont un moyen assez éloquent pour faire l’éloge de l’avancement des travaux pharaoniques chinois.
L’autre géant médiatique chinois est StarTimes, il s’agit du plus grand acteur de la télévision numérique africaine, deuxième sur le continent après la DSTV sud-africaine. L’enseigne installe des antennes paraboliques dans 10000 foyers ruraux de 20 pays africains, les reliant à la télévision numérique chinoise, ce qui lui permet de s’implanter davantage sur le continent.
La Chine a amorcé son emprise médiatique en signant des accords avec plusieurs États de la région, à titre d’exemple le Sénégal et le Niger. Ces accords stipulaient l’organisation de forums sur les médias sino-africains, la stratégie étant la promotion de la vision chinoise dans le journalisme de l’Afrique de l’Ouest, en plus de formations et de séminaires prodigués aux professionnels du secteur afin de leur permettre de découvrir la Chine et ses médias et d’encourager les échanges de contenus.
Il y a une partie des journalistes qui est formée en Chine et rémunérée par des médias chinois. À titre d’exemple, au Kenya, il y a plus 500 journalistes et correspondants locaux employés par les agences de presse chinoise, la moyenne de leurs publications peut atteindre les 1800 par mois.
La BRI a été aussi le moyen pour la Chine de construire des infrastructures pour ses médias, à savoir des relais FM dans plusieurs villes africaines qui permettent la diffusion du signal de Radio Chine Internationale (RCI).
En 2015, un bâtiment qui regroupe plusieurs médias chinois en Afrique de l’Ouest a été inauguré à Dakar. Ce bâtiment démontre l’intérêt de la Chine pour la région. Le bâtiment abrite l’équipe de RCI Sénégal, formée d’une rédaction locale, ce qui est une première en Chine.
Dans le jeu de la guerre informationnelle, ces moyens ont permis à La Chine de concurrencer d’autres médias internationaux et d’y imposer petit à petit son narratif, en l’occurrence ce que la Chine accomplit pour ses partenaires signataires de la BRI : construction d’infrastructures pour aider au développement de ses partenaires ouest-africains, collaboration institutionnelles, mise en place d’institut Confucius, etc... (7)
Les manipulations de l’information
L’utilisation de la manipulation des représentations par les médias chinois est monnaie courante, en effet, la politique du parti impose à ces derniers d’en véhiculer le récit afin de répondre aux projets géopolitiques de Pékin.
En Afrique, la Chine est présentée dans les contenus diffusés comme un pays en développement, ce qui instaure l’idée d’une horizontalité des rapports avec l’Afrique, le souci de Pékin d’un rapport gagnant-gagnant avec les différents États dans le cadre de la Bri, ainsi qu’une communauté des valeurs et du destin, chose qui est en contradiction totale avec l’image impériale véhiculée par les dirigeants chinois. RCI, CGTN et Xinhua ne ratent aucune occasion pour affirmer que les traditions et l’histoire chinoise ont beaucoup de points communs avec celles de l’Afrique, ce qui permet à la Chine d’assimiler une meilleure compréhension des pays, de leurs populations, aspirations et besoins.
La Chine se veut par ce récit se placer comme étant cette grande alliée qui œuvre par les projets de la BRI au développement économique des pays africains par la construction d’infrastructures qui présentent les actions chinoises comme des actions de solidarité, alors qu’en réalité, il n’en est rien. Il ne s’agit point d’aides ou de dons mais des édifices payés via des prêts bancaires par lesquels la Chine plonge souvent ces pays dans une cercle vicieux d’un endettement exponentiel.
L’autre récit phare de la guerre de l’information chinoise est bien entendu le colonialisme : en effet, la Chine n’eut de cesse de rappeler le passé colonial lourd et souvent mal assimilé par certains pays africains vis à vis de leurs partenaires traditionnels (France, Royaume-Uni), et par le truchement de RCI, Xinhua et CGTN, le gouvernement fait valoir que la Chine, elle, n’a jamais eu d’ambitions colonialistes et aide plutôt ses partenaires et amis à se développer.
Séduire et subjuguer
L’opération séduction chinoise est basée sur cette recherche de points communs et de souci d’égalité avec les pays africains face à “l’adversité des attaques occidentales”... Comme ce fut le cas pour les peuples africains.
En fait la Chine se dit pays du tiers-monde en développement grâce à la volonté et la discipline du peuple chinois, attaché à ses valeurs et ses traditions et non corrompu par les déviations morales occidentales... Tout comme les peuples africains.
Et comme les peuples africains, malgré ses avancées, la Chine peine à trouver sa place dans le panthéon des grandes nations, dominé par un “occident décadent et vieillissant, vivant surtout sur ses gloires passées d’anciens empires coloniaux”.
Ce narratif tiers-mondiste des années 1960-1970 fonctionne toujours. Les peuples et une partie des élites africains continuent d’y adhérer. Les nouvelles « routes de la soie » viennent de l’enrichir et le moderniser. Ce narratif permet à la Chine de se faire des alliés pour se positionner à l’international, surtout face aux États-Unis. (9)
D’un autre côté, l’autre aspect de cette guerre de l’information/séduction est la diffusion rampante de la culture chinoise par le biais de productions culturelles, tels que les films, les séries télévisées, la musique, la littérature, l’Histoire... Une influence s’exerce aussi sur les productions culturelles étrangères, notamment sur le cinéma, avec l’exemple d’Hollywood : pour ne pas contrarier Pékin et maintenir leur accès au gigantesque marché chinois, beaucoup de studios de cinéma américains pratiquent l’autocensure, coupant, modifiant des scènes, voire font du zèle, en donnant aux personnages chinois le « bon » rôle. Le déni d’accès au marché chinois est une pratique généralisée pour tous les artistes critiquant le Parti-État. Par d’autres types de pressions, Pékin espère également inciter les artistes à modifier leurs œuvres, ou ceux qui les montrent ailleurs dans le monde à cesser de le faire, voire à faire le travail des censeurs chinois.
Infiltrer et contraindre
En plus de la manipulation de l’information, Pékin fait en sorte d’avoir de plus en plus de parts dans des groupes médiaux locaux de pays africains, afin d’avoir un œil constant sur le contenu et de le modifier si nécessaire pour mieux l’aligner avec l’idéologie du parti.
À ce titre, l’exemple le plus connu est celui de l’entreprise de médias publics chinoise (China International Television Corporation), qui s’est associée au Fonds de développement sino-africain (CADF, contrôlé par Pékin), et qui a réussi à mettre la main sur 20% des parts du second plus grand groupe de presse indépendant en Afrique du Sud, Independant Media.
En 2018, Reporters sans frontières (RSF) avait alerté sur la censure d’une chronique d’un journal appartenant au groupe suscité, dans laquelle l’auteur rapporte la persécution de la minorité musulmane ouïgoure Chine.
Azad Essa, l’auteur de la chronique hebdomadaire, s’est vu retirer sa chronique et dépublier son article, le journal ayant évoqué des “craintes de déplaire aux investisseurs chinois du journal”, RSF y a vu une atteinte à la liberté de la presse et à l’indépendance rédactionnelle des médias dans lesquels ont investi les entreprises chinoises.
L’autre moyen qu’utilise la Chine pour infiltrer les sociétés africaines sont l’ensemble des intermédiaires comme la diaspora, les think tanks, l’éducation, les centres de recherches dans les universités.
la stratégie chinoise dans ce domaine étant duale, Pékin cherchant à implanter à l’étranger des antennes de think tanks chinois, et à exploiter des relais locaux qui peuvent être eux-mêmes des think tanks, avec trois cas de figure : les partenaires ponctuels servant de caisse de résonance sur les marchés des idées locaux, les alliés de circonstance qui diffusent les récits du PCC de manière régulière, et les complices qui partagent avec lui une vision commune du monde et dont les intérêts sont convergents. (10) (11).
Si la Chine a élu domicile en Afrique, non seulement cela ne date pas de la décennie des nouvelles routes de la soie, mais c’est aussi une stratégie qui mue au gré de l’évolution de son contexte géopolitique loco-régional (Mer de Chine et Taïwan entre autres), mais aussi de celle d’un contexte mondial, où tout le monde est entré dans une phase de turbulence géopolitique assez sérieuse pour que l’on parle d’une redistribution des cartes et des rôles de chacun.
Mais aujourd’hui, la Chine de Xi Jinping, a compris que dans cette confrontation des différents adversaires, non seulement il n’y a pas d’alliés mais que des intérêts, mais qu’une confrontation c’est aussi une guerre de basse intensité, où la manipulation de l’information en plus du soft power sont des piliers d’une occupation douce et ferme à la fois d’un terrain tant convoité tel que l’Afrique.
Rym Robin (MSIE 44 de l’EGE)
Pour aller plus loin
:
1/ https://ceim.uqam.ca/db/IMG/pdf/_o_d90_mottet_lasserre.pdf
3/ P. Charon et J.-B. Jeangène Vilmer, Les Opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien, rapport de L’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), Paris, ministère des Armées, 2 e édition, octobre 2021
(7) https://www.revueconflits.com/pekin-et-les-medias-africains-le-soft-power-chinois-en-marche-entretien-avec-selma-mihoubi/
(8) https://larevuedesmedias.ina.fr/chine-afrique-influence-medias-covid-19
(10) https://www.la-croix.com/Monde/Comment-Chine-cherche-influencer-monde-2021-09-20-1201176352
(11) https://www.irsem.fr/rapport.html
(12) https://eng.yidaiyilu.gov.cn/p/83166.html (portail de la BRI)