La bataille de l’information entre l’Islande et la Namibie dans le scandale « FISHROT »

Du nom de ‘’fishrot’’ qui signifie ‘’poisson pourri’’, le scandale financier qui a secoué la Namibie et l’Islande restera la plus grande histoire de corruption portant sur les quotas de pêche dans ce pays d’Afrique australe dont la pêche constitue une des rentrées de recettes les plus importantes. Ce scandale financier portant sur 20 millions de dollars a impliqué différents acteurs dans une joute informationnelle avec d’énormes conséquences sur plusieurs échiquiers.

Ce scandale n’a pas fini de livrer tous ses secrets car les audiences judiciaires sont prévues courant 2024 avec des témoignages attendus.

Le déclencheur de l'affaire

En novembre 2019, Wikileaks publie plusieurs documents obtenus d’un lanceur d’alerte au sein d’une société multinationale implantée en Islande et qui est liée à un scandale de corruption présumée relative à l’industrie très lucrative de la pêche en Namibie, destination privilégiée des chalutiers venus des terres lointaines.

Ce scandale financier qui a laissé des traces aussi bien sur l’échiquier politique, diplomatique, économique a donné lieu à une joute informationnelle entre les différentes parties prenantes de cette affaire.

Le scandale qui secoue la Namibie et l'Islande.

Tout commence le 12 novembre 2019 quand Wikileaks publie environ 30 000 documents dont des courriels de l’entreprise SAMHERJI, des contrats, des présentations et photos dans le scandale financier intitulé "Fishrot files », Fishrot voulant dire en anglais « Poisson pourri". Ces dossiers sont divulgués par Johannes STEFANSSON, ancien directeur des opérations de SAMHERJI et pièce maitresse de ce scandale. La société SAMHERJI 

Plusieurs hommes politiques et hommes d’affaires namibiens sont accusés d’avoir mis en place des méthodes pour prendre le contrôle des quotas de pêche à l’instar de ceux détenus par la société FISHCORP, la société nationale de pêche de Namibie.  Ces quotas sont ainsi détournés vers la société de pêche islandaise SAMHERJI en échange de pots de vin qui avoisinent 20 millions de dollars.

Les enjeux : des quotas de pêche bon marché

Avec 1600 km de côtes dans l’Atlantique Sud, la pêche est l’une des principales activités de la Namibie représentant 20% des recettes d’exportation.

Pour réglementer ce secteur clé, la Namibie a mis en place des quotas de pêche censés profiter majoritairement aux entreprises locales. En vertu de la loi namibienne, seules les entreprises détenues majoritairement par les namibiens peuvent bénéficier des quotas de pêche dans les eaux nationales. Ces quotas ont été détournés par des hauts responsables politiques namibiens au profit des sociétés étrangères. Ces entreprises ont ainsi récupéré les quotas des sociétés namibiennes à des prix inférieurs à ceux du marché.

Les acteurs de la polémique :

Selon Johannes STEFANSSON, ancien directeur des opérations de SAMHERJI devenu lanceur d’alerte dans cette vaste affaire de corruption : « C’est de cela qu’il s’agit, fondamentalement de la corruption officielle, il s’agit de ce grand accès aux quotas de pêche à travers cette corruption avec des hommes d’affaires et des politiciens connectés. Normalement ce sont les populations locales des pays qui ont les droits de pêche qui obtiennent les quotas de pêche et les vendent à des entreprises comme SAMHERJI. Les droits de pêche ne devraient pas être versés aux politiciens ».

La crise politique namibienne

À la suite de ces déclarations de Johannes STEFANSSON dans les médias lors d’un enregistrement, une cascade de démissions des membres du gouvernement namibien a été enregistrée dont les principales sont celles des ministres de la pêche et de la justice.

Réagissant à la diffusion de cette accusation de son ancien employé, la société SAMHERJI a nié toute acte répréhensible affirmant qu’elle n’avait « rien à cacher ». Dans un communiqué, le PDG de SAMHERJI, Thorsteinn Mar Baldvinson a déclaré : « Nous sommes profondément choqués par le fait que Johannes STEFANSSON non seulement admet sa participation à des activités illégales, il porte également des accusations contre ses collègues ». Il a conclu en disant : « ce n’est pas notre façon de faire les affaires. Ce n’est pas SMHERJI ».

Dix suspects sont mis aux arrêts et placés en détention. Certains nient leur implication. Le ministre de la pêche Bernard ESAU a déclaré : « je ne suis pas corrompu et je ne tolèrerai jamais la corruption nulle part ». Et d’ajouter qu’il s’agit tout simplement d’une « campagne médiatique soutenue contre sa personne dans ses fonctions politiques ».

Quant au ministre de la justice SHANGALA, contacté pour avoir sa réaction, il a affirmé : « désolé vous avez le mauvais numéro » et a raccroché sans répondre. 

Ce qui fait dire au journaliste islandais d’investigation Helgi SELJAN qu’il s’agit d’un « cas classique de pillage des caisses de l’Etat ».

D’après lui, SAMHERJI n’a versé que la moitié des recettes de pêche à l’Etat, le reste étant allé dans les poches des « requins » véreux. 

  James KLENFELD, journaliste d’investigation à Aljazeera qui a conduit l’enquête avec Wikileaks déclare : « l’unité d’investigation d’Aljazeera a consulté les documents qui démontrent à quel point Maurice, à travers les traités de non double imposition, facilite la corruption entre le conglomérat islandais de la pêche, SAMHERJI et les puissantes figures de l’élite politique namibienne ».

Les conséquences du scandale

Sur l’échiquier politique : 

En Namibie :

Outre l’implication de plusieurs ministres du gouvernement namibien qui ont démissionné, le parti au pouvoir la SWAPO a enregistré ses pires résultats aux élections locales. « Politiquement, ils sont aux soins intensifs » dira plus tard l’analyste RUI TYITENDE.

En Islande :

Le PDG de SAMHERJI, Thorstein Mar Baldvinson s’est retiré avant de revenir aux affaires en 2020. Et la société a cessé ses activités en Namibie.

En plus, ce n’est pas seulement la réputation de l’une des plus importantes entreprises qui est remise en question, mais l’image du pays entier qui a reculé dans l’indice international de corruption. L’Islande a donc perdu 6 points sur l’indice de perception de la corruption.

Sur l’échiquier économique :

Le scandale de corruption qui secoue la Namibie et l’Islande a couté plus de 20 millions de dollars.

Des emplois ont disparu en Namibie à la suite de cette affaire et le secteur de la pêche a pris un coup.   Une partie de l’argent détournée est censée être affectée aux programmes sociaux tels que l’aide aux victimes de la sècheresse et du chômage.

Selon les investigateurs, SAMHERJI aurait également contourné la fiscalité namibienne en enregistrant ses opérations dans des paradis fiscaux tels que Maurice et Chypre.

L’étendue de la corruption dans le secteur de la pêche en Namibie a eu pour conséquence la surpêche et aussi la raréfaction des ressources halieutiques.

En Islande, les accords de coopération dans le domaine de la pêche ont été annulés.

Sur le plan médiatique :

L’affaire ‘’Fishrot’’ a révélé la collaboration entre un lanceur d’alerte, ancien directeur des opérations de SAMHERJI et des médias tels que Aljazeera, Wikileaks, le quotidien the Namibian et le journal islandais STUNDIN. Ces publications ont donné lieu à plusieurs enquêtes qui ont été lancées par plusieurs institutions en Norvège, en Islande et en Namibie dont la commission namibienne de lutte contre la corruption.

 L’ONG Transparency International a, de son côté aussi dénoncé les menaces proférées à l’endroit des journalistes et des membres de la société civile qui ont investigué sur cette affaire de corruption. Elle a appelé à une large coalition pour sauvegarder la démocratie et la liberté d’expression en Islande.

En Namibie, le Président de la République a signé une loi protégeant les lanceurs d’alerte. En 2020, le PPLAAF (1) a publié un rapport sur la protection des lanceurs d’alerte en Namibie.

Sur le plan judiciaire :

La Namibie lance en 2021 son premier grand procès pour la corruption. Plusieurs condamnations dont HATUI KULIPI, président de FISHCOR condamné à 52 ans de prison. D’autres audiences ont été programmées pour 2023 et reportées encore pour courant 2024. Les autorités namibiennes ont porté plainte contre 3 responsables de SAMHERJI qui ont fui la Namibie.

 

 

Neldji Ismael kondol,
étudiant de la 42ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)

 

Note

1PPLAAF : Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique.

Sources :

www : whistleblowersblog.org

www : ng.co.za

www : web.archive.org

www : express.mu

www : afrikinternew.com

www : bbc.com

www : voaafrique.com

www : PPLAAF.org

www : wikileaks.org

www :transparency.org