Guerre économique : la polémique autour de l'amendement de l'article 30 relatif à l’appel d'offre des médicaments
La révision constitutionnelle du 22 février 1996 a introduit dans les missions du Parlement le contrôle des finances sociales de la Nation et avec lui les Lois de financement de la sécurité sociale. Un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est un texte officiel qui établit chaque année en France les dispositions budgétaires relatives à la Sécurité sociale ; c’est-à-dire qu’il détermine les conditions générales de son équilibre financier et fixe ses objectifs de dépenses pour l’année à venir. Une fois le projet voté par le Parlement, il devient une loi publiée au Journal officiel en décembre de chaque année.
Le 26 septembre 2022, le PLFSS 2023 est présenté en conseil des ministres. Une mesure de l’article 30 (L. 162‑17‑1‑3)1 prévoit en effet de donner la possibilité à l’exécutif de subordonner la prise en charge de médicaments, notamment les génériques, à un référencement périodique pouvant durer jusqu'à dix-huit mois. En pratique, il s’agit pour l’assurance maladie de référencer par appels d’offres national réguliers quelques médicaments distribués en officine pour une classe thérapeutique donnée. Ce qui lui permettrai de dérembourser les médicaments non retenus. L’objectif est « de renforcer la concurrence entre les acteurs, et ainsi de générer des économies pour l'Assurance Maladie ».
Le risque de brader notre système pharmaceutique au profit des firmes indiennes et chinoises
A l’annonce du PLFSS, cette mesure de l’article 30 a eu l’effet d’un séisme chez les acteurs de la profession. Pour les industriels, le risque est que ces appels d'offres favorisent les acteurs les moins chers, indiens ou chinois et conduiront à la destruction de l’appareil de production français et à la perte d’emploi. Pour les officines, cela mettrait à mal le maillage pharmaceutique, puisque 30 à 50% du résultat des pharmacies sont constitués par les remises sur le générique. Pour les patients, la réduction du nombre de médicaments remboursées augmentera la dépendance d’approvisionnement vis-à-vis des fournisseurs sélectionnés et augmentera donc le risque de rupture au vu de la réduction de l’offre2. Dans une mobilisation exceptionnelle, Les syndicats de pharmaciens d’officine (USPO et FSPF), Groupements de Pharmacies (Fédergy et UDGPO), les industriels (LEEM, GEMME, G5 santé ainsi que les grossistes répartiteurs (CSRP) ont joint leurs voix pour demander une annulation de cette mesure.
La forte mobilisation protestataire des professionnels de la santé en France
Le 29 septembre plusieurs syndicats d’officine et industriels du générique réagissent par le biais d’un Communiqué de presse pour dénoncer la mesure et demander son retrait.Ce mode de fonctionnement est déjà utilisé à l’étranger notamment aux Pays Bas et l’inspection Générale des Affaires sociales (l’IGAS) en France avait rendu un rapport en 2012 pointant les effets néfastes de cette pratique, telles que des ruptures de stock fréquentes et des délocalisations, les producteurs non retenus se retirent du marché et de nombreux patients subissent des changements de médicaments non voulus qui peuvent entrainer des risques de confusions, d’erreurs et d’effets secondaires3,4,5.
Pour Philippe Besset, le président de la Fédération des Syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) qui s'est exprimé sur le sujet lors de son Live hebdomadaire du 7 octobre, « on parle ici de remplacer l’achat de génériques par les pharmaciens par un système où il n’y aurait plus qu’un seul médicament générique remboursable que vous achèteriez chez le grossiste-répartiteur et qui aurait un prix très inférieur à celui qui existe aujourd’hui… et bien sûr sans remise ». Auditionné le 5 octobre par un groupe de députés au sujet de l'accès aux soins, il en a profité pour rappeler que le maillage pharmaceutique français fonctionnait parfaitement bien mais qu'il « risquait de disparaître si on ne faisait pas attention aux moyens alloués au réseau », pointant du doigt cette mesure sur le référencement qu'il n'hésite pas à qualifier de « scélérate »6.
La FSPF a affirmé qu’elle n'envisage rien d'autre que le retrait de la mesure et menace de faire grève si tel n'est pas le cas à l'issue de son examen en commission des Affaires sociales qui aura lieu entre le 10 et le 12 octobre. Le président de la FSPF, n’a pas exclu lors du congrès Giropharm qui s’est tenu à Antibes du 6 au 9 Octobre 2022 un mouvement gradué à partir du 13 Octobre 2022. A cela, La Chambre Syndicale de la répartition pharmaceutique par le biais de son président a déclaré que les répartiteurs mettront à disposition des pharmacies dans les caisses de livraison des affiches reprenant des éléments de communication à l’intention des patients7.
Le pas en arrière ambigu du gouvernement
Le 6 octobre 2022, en ouverture du colloque du « G5 santé », le rassemblement des plus grandes entreprises françaises de la santé (Sanofi, Biomérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre Fabre, Théa, Servier), le ministre de l’industrie, Roland Lescure, déclarait aux industriels « Le gouvernement a entendu vos craintes que cette mesure raréfie l'offre » et « Nous déposerons donc, dans le cadre du projet de loi pour le financement de la Sécurité sociale, un amendement gouvernemental pour transformer cette procédure en simple expérimentation »8.
Le ministre de la Santé François Braun, déclarait pour clôturer les 11emes rencontres du G5 Santé le 7 octobre 2022 « Nous avons entendu les difficultés du secteur sur les difficultés posées par le PLFSS et nous travaillons à des évolutions. Plusieurs amendements au texte sont déjà prévus, comme de faire du référencement périodique « une mesure expérimentale et cadrée »9. Le PLFSS 2023 prévoyait que le référencement débute par une opération test au quatrième trimestre 2023, sur une classe thérapeutique où « de nombreux laboratoires (4 et plus) avec plus de 5 % de part de marché sont déjà présents et avec un montant remboursé important », expose le projet de loi en prenant l’exemple les médicaments anti-ulcères (287 millions de coûts pour l’Assurance Maladie) qui comptent plus de 8 acteurs sur le marché et où l’objectif de l’appel d’offres serait d’économiser 97 millions.
Le 12 octobre, la mesure inscrite a passé le filtre de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et a été maintenu. Le dépôt de nombreux amendements de suppression par près d’une centaine de députés n’aura donc pas réussi à faire retirer un texte unanimement rejeté par tous les acteurs de la chaîne du médicament, des industriels aux pharmaciens d’officine, en passant par les groupements et les grossistes-répartiteurs10.
La contre-attaque informationnelle des syndicats professionnels
Le 13 octobre 2022, Une Conférence de presse est organisé par le LEEM avec différents syndicats d’industriels (dont le GEMME) pour dénoncer la mesure et la menace à l’accès du médicament. Le 14 octobre, les syndicats des officines11 ont mis à exécution la mobilisation qu’ils avaient annoncé au début de la même semaine en appelant les pharmaciens à informer la population via une affiche sur la menace que représente cette mesure pour la pharmacie mais aussi pour leurs traitements et les inviter à rejoindre le mouvement de protestation en signant une pétition en officine et en ligne. Aussi, Les syndicats ainsi que les groupements ont mis à disposition des informations précises pouvant être reprises à destination des patients. Cette mobilisation « vise à ce que tout le monde comprenne bien le sujet avant l’examen du texte à l’Assemblée nationale », au cas où cette phase de pression ne suffirait pas, « une action de grève avec fermeture des officines et manifestations est d’ores et déjà actée », prévient le président de la FSPF lors du live hebdomadaire du 14 octobre 202212. Parallèlement les pharmaciens ont continué à maintenir la pression sur les pouvoirs publics notamment en sollicitant maires, députés et sénateurs pour le dépôt d’amendements de suppression de cette disposition.
Amendement de l'article 30 : le gouvernement cède devant l'ampleur de la mobilisation
À la suite de la mobilisation des patients et des élus à l’échelle nationale, le lundi 17 octobre 2022 au soir, le gouvernement publie un amendement qui modifie l’article 30 qui ne mentionne plus désormais que la réalisation d’un rapport visant à « évaluer l’intérêt, la faisabilité et les potentielles limites d’un dispositif de référencement périodique en vue d’en proposer une disposition dans un prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale ». Ce rapport devra être remis au Parlement avant le 1er juillet 2023. Il devra précisément « mettre en avant l’impact qu’une telle mesure pourrait avoir sur les pénuries et ruptures de médicaments et sur les éventuels effets sur les prix attendus (en s’inspirant notamment) des dispositifs existants à l’étranger et de leur bilan ». Enfin, ce travail « se concentrera également sur le levier qu’un tel dispositif pourrait représenter pour favoriser le retour de la production de médicaments sur le territoire national ». Lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale mardi 18 octobre, la rapporteure du PLFSS, Stéphanie Rist, a tenu à souligner que le gouvernement avait été « à l’écoute des pharmaciens et des industriels » en décidant d’amender la mesure sur ce projet d’appels d’offres13.
Quelle politique de souveraineté sanitaire ?
Cet épisode nous démontre l’écart entre les ambitions et la vision du président de la République et la réalité avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023, mais aussi il met en lumière la nécessite de fédérer tous les acteurs de la chaine du médicament autour d’une politique robuste de relocalisation et d’un modèle économique durable de l’officine, un des derniers remparts contre la désertification médicale.
Ghedbane El Mahdi
Auditrice de la 40ème promotion MSIE de l’EGE
Sources :
(1) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0274_projet-loi#D_Article_30
(5)https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/RM2012-115P_-_DEF_sans_sign.pdf
(6)http://www.lepharmaciendefrance.fr/actualite-web/tolle-generalise-contre-le-referencement-periodique