Depuis le mois d'août 2022, les médias français se font quotidiennement l'écho de «l'opération spéciale : déposez les armes » du gouvernement. Celle-ci permet aux français de déclarer ou de céder pour destruction leurs armes et munitions trouvées ou héritées sans poursuites judiciaires. Officiellement, il s’agit entre autres de réguler les armes détenues illégalement par les citoyens lambdas et d’empêcher leur hypothétique transfert vers des usages criminels, de potentiels accidents ou des violences domestiques.
Le gouvernement, par la voix de son ministre de l’intérieur, considère cette opération comme un succès « historique ». En effet, le dispositif, fort de 5000 agents de la gendarmerie, de la police nationale et des différentes préfectures, déployés dans 300 « Armodromes », aurait permis de retirer environ 150000 armes, dont 140 000 armes à feu et 4 millions de munitions du territoire. Similairement, environ 50000 armes auraient fait l’objet d’une régularisation via leur inscription au Système d'Information sur les Armes (SIA).
Cette opération oscille entre dissimulation intellectuelle, influence médiatique, idéologique et politique. Cette entreprise n’est pas sans relancer la guerre de l'information contre les armes à feu, profondément utile à certains intérêts que nous expliquerons.
Contexte
Historiquement, la France a très longtemps été un pays en armes. L'apogée de cet état fut la période révolutionnaire, où les armes représentaient un objet du quotidien dans la culture française. Ainsi, il ne fut pas jugé utile, à l'époque, de doter la France d'un amendement constitutionnel sur le sujet contrairement aux USA. Cependant, la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, la constitution française ainsi que de nombreux textes de loi incluent des articles pouvant être mis en relation ou impliquant la détention ou le port d’armes à feu comme des moyens ou des prérequis d’application.
Il faut attendre 1939, avec l'interdiction du port d'armes par le régime de Vichy, pour observer un début de désarmement de la population française. Ce désarmement, depuis les divers changements de lois et transpositions de directives européennes (1991, 1995, 2017 et 2022) n'a cessé de s'accentuer.
Nous pourrons évoquer les chiffres suivants concernant la situation française :
- En 2015, le ministère de l’intérieur estimait qu'il y avait près de 10 millions d'armes illégales et environ 4 millions d’armes légales en circulation sur le territoire (1,4 million de chasseurs et 160000 tireurs sportifs). Le chiffre des armes illégales inclut les armes dites «de famille » (cible de l'opération du gouvernement, estimant que 2 millions de français détiennent des armes sans titre, principalement de chasse ou issues des deux guerres mondiales) ainsi que les armes dites « importées » à des fins criminelles.
- Au niveau de la répartition des armes à feu par habitant, la France était à la 23ème place mondiale en 2017, loin derrière les USA (1ère), de l’Allemagne (8ème) et à quelques places derrière la Suisse (17ème).
- Il y a environ 8000 armes volées par an en France qui basculent dans les réseaux criminels et en 2014, les services de sécurité ont saisi 5871 armes dont 175 armes dites « de guerre ».
- En 2021, l’Office français de la Biodiversité (OFB) a recensé 90 accidents de chasse, dont 8 mortels. La tendance est à la baisse depuis 20 ans.
- En 2017, les statistiques du ministère de l’intérieur dénombrent 8500 vols ou tentatives de vols avec armes. Les vols avec armes à feu représentent un tiers d’entre elles. Les vols avec violence sans armes s’élèvent quant à eux à 86755.
- En 2021, le ministère de l’intérieur constate une légère baisse des vols avec violence et des augmentations concernant : les violences sexuelles, du nombre de victimes de coups et blessures volontaires, du nombre d’homicides.
- En 2014, l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) comptabilisait au total 1594 décès par armes à feu (avec la répartition suivante : 24 accidents, 89 homicides, 1102 suicides, 379 décès « indéterminés »). Ce total est en baisse par rapport à la période de 2005 à 2010.
- D’après l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), sur la période de 2016 à 2020, le nombre d’homicides enregistrés par les services est resté relativement stable à environ 1000 par an (avec la répartition suivante : règlements de comptes 8.6%, homicides à l'occasion de vols 2.7%, attentats terroristes 2.3%, coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner 14.5%, autres homicides intentionnels 71.9%).
Comme nous le verrons par la suite, les sources d’information sur le sujet sont majoritairement « partisanes », avec un niveau de confiance et de fiabilité discutables, ces statistiques étant dès lors à prendre avec précaution.
Rappels sur la législation française
En France, la législation sur les armes est extrêmement restrictive. Celle-ci répartit les armes en 4 grandes catégories en fonction de leur dangerosité (A, B, C et D). Toutes sont interdites de port pour les civils (hors exception à des fins de défense personnelle en cas de risques exceptionnels d’atteinte à la vie ou de l’exercice de fonctions professionnelles spécifiques pour une durée de 1 an renouvelable et encadré par le ministère de l’intérieur) et ce même pour les armes de catégorie D, quand bien même celles-ci seraient neutralisées ou non létales.
Hors catégorie A, dont la détention est strictement interdite pour les civiles, il est possible après un parcours plus ou moins long, complexe et contraignant de détenir des armes de catégories B et C à des fins de pratique de chasse (encadré par l’obtention du permis de chasse), du tir sportif (encadré par l’obtention d’une licence de tir sportif délivrée par la Fédération française de TIR et soumis pour les armes de catégorie B à autorisation préfectorale) ou de collection. Les sanctions encourues pour le port d’une arme, peu importe sa catégorie, ou un abus de détention peuvent aller jusqu’à 10 ans de prison et 500000€ d’amende (sanctions rarement appliquées même en tant que circonstance aggravante d’une action criminelle ou de proximité avec le pouvoir en place).
Dans ce contexte, la détention n’est pas égale à la propriété. En effet, un citoyen français possédant une autorisation de détention pour une arme à feu de catégorie B, la détient pour une durée de 5 ans, renouvelable. Si celui-ci manque à ses obligations ou ne souhaite pas poursuivre son activité «sportive», il a l’obligation de se dessaisir de ses armes sous peine d’application des poursuites précédemment évoquées et de son inscription au Fichier National des personnes Interdites d’Acquisition et de Détention d’Armes (FINIADA).
On notera ici l’importante divergence entre la sévérité de la législation française et son droit naturel, ce qui rend potentiellement celui-ci inopérant, inefficace ou injuste pour la part non criminelle de ces citoyens.
Echiquier des parties prenantes
Au-delà du discours simpliste et politiquement correct, qui nous présente un combat informationnel entre les « ANTI » et « PRO » armes à feu, ce sont deux conceptions de la société et surtout deux philosophies qui s'affrontent.
Philosophiquement parlant, on distinguera donc :
- Une pensée d’inspiration « française », dont on attribue la paternité à Jean-Jacques Rousseau, reprenant une partie de l'idéologie des «Lumières» et partant du principe que «L'Homme naît naturellement bon et que c'est la société qui le pervertit». S’illustrant par un optimisme assez béat quant à la nature humaine, cette pensée considère la sécurité comme une fonction régalienne, attribuant le monopole de la violence légitime et de la force armée à l’État ;
- Une pensée d’inspiration «Anglo-Saxonne» dont on attribue la paternité à Thomas Hobbes, évolution de la locution latine « Homo homini lupus est » autrement dit «l'Homme est un loup pour l'Homme». Se caractérisant par une idéologie plus libérale, pragmatique et individualiste, cette pensée considère que la sécurité est l'affaire de tous et qu'il faut encadrer les champs d'applications des fonctions régaliennes ainsi que le rôle de l'État quant aux domaines liés à la sécurité et laisse plus de place et de libertés aux individus dans ce domaine.
Dans le premier groupe, que nous qualifierons par simplification d’« ANTI » et dans lequel nous pouvons grossièrement catégoriser :
- L’État et le gouvernement français, qui souhaite conserver leur monopole de la violence légitime, se donner bonne figure quant à sa capacité à assurer son devoir de sécurité et maintenir le contrat ainsi que la paix sociale (contrôle des populations en vue maintenir son autorité sous-entendant une perte de libertés individuelles).
- L’Union Européenne et ses divers satellites, qui cherchent à asseoir sa domination sur la France par l’imposition de normes et réglementations (pertes de souveraineté et de libertés au sens large).
- Les lobbies écologistes, majoritairement anti-chasse dans un but officiel de protection de la faune et de la flore mais plus vraisemblablement à des fins de déstabilisation idéologique (recherche du pouvoir).
- Les mouvances et lobbies d’influence de type « Woke » qui s’identifient comme de perpétuelles victimes innocentes, voire qui se complaisent dans cet état, et de ce fait, demandent entre autres l’abolition des forces de police et ou des forces civiles armées (paradoxal, mais compréhensible car servant les même objectifs que lesdites mouvances mais en plus extrêmes).
- Les « naïfs et autres idiots utiles plus ou moins dangereux », qui sont dans la dénégation, la formation réactionnelle ou victimes d’hoplophobie voire dans une hybridation avec les mouvances et lobbies précédemment mentionnés (sans but de guerre propre, mais servant potentiellement plus ou moins volontairement ceux des dites mouvances).
Dans la seconde catégorie, que nous qualifierons par simplification de « PRO » (qui n’ont pas nécessairement de but de guerre, mais se retrouvent ciblés par les « ANTI » ou potentiellement en opposition malgré eux avec ceux-ci), et dans laquelle nous pouvons grossièrement catégoriser :
- Les chasseurs, les tireurs sportifs et les collectionneurs, qui possèdent des armes à feu à des fins culturelles, sportives, de passion, de préservation du patrimoine.
- Les mouvances dites libérales, libertariennes, les survivalistes, certaines mouvances d’extrême gauche, les lobbies d’influence tel que l’Association pour le Rétablissement du Port d’Arme Citoyen (ARPAC), l’Union Nationale des Propriétaires d'Armes de Chasse et de Tir (UNPACT) et l’Union Française des Amateurs d'armes (UFA), qui possèdent ou militent pour la détention ou le port d’armes à feu, les libertés des citoyens dans des buts politiques, idéologiques ou philosophiques.
- Les manufacturiers et vendeurs d’armes, qui pour certains défendent des intérêts économiques et ce qu’il reste d’industrie armurière française.
- Les détenteurs d'armes à feu à des fins de sécurité personnelle ou professionnelle, qui sont les seuls à pouvoir accéder au port d’armes à feu en France.
- Les professionnels de la sécurité publique ou privée (ASR), qui représentent ou se substituent à l’État dans le domaine de la sécurité.
Ces deux pensés antagonistes, extrêmement clivantes dans des contextes de sécurité intérieure et internationale plus qu’instables et chaotiques, ne laissent que peu de place à la modération et à la sérénité du débat. Débat somme toute complexe touchant à des sujets aussi brûlants que la pratique du tir, le port d’arme, la légitime défense, la sécurité individuelle, les capacités de résilience citoyennes, etc.
On remarquera la non-implication et la neutralité de la FFTIR, comme l’extrême timidité de la majorité de ce qu’il reste de manufacturiers et de vendeurs d’armes français dans ce débat (impacts économiques).
Par ailleurs, le sujet de la guerre de l’information autour de la chasse et des chasseurs faisant déjà l’objet de plusieurs analyses, notamment sur les stratégies de ripostes employées, le point suivant ne traite pas de ce sujet même si celui-ci suit globalement le même schéma.
Les différents champs de batailles informationnels
Comme évoqué précédemment, l’un des principaux champs de bataille informationnels consiste à manipuler les statistiques. Les études sur le sujet sont majoritairement biaisées de manière plus ou moins marquées en fonction de leurs commanditaires.
En effet, bon nombre des chiffres produits par les différents ministères, institutions ou organismes financés par l’État sont plus ou moins volontairement :
- Macroscopiques, inclusifs ou floues : via par exemple, le regroupement dans la même catégorie des armes à feu et des armes autres, la dissimulation des natures ou des statuts des armes employées.
- Orientés idéologiquement ou biaisés à des fins d’influence politique : via par exemple, la mise en lumière de sous-catégories d’homicides tels que les «féminicides» ou l’affichage de chiffres bruts sans parler du contexte général comme pour « l’opération spéciale » du gouvernement.
Une très grande partie des médias, des associations et autres organismes non gouvernementaux sont majoritairement dans le camp des « ANTI » et ont plus que tendance à utiliser des subterfuges tels que la globalisation. Ceux-ci servent donc de relais d’influence à divers intérêts, occultant par la même occasion la complexité du débat. Nous constaterons aussi que l’absence de statistiques ethniques, certaines contraintes de sécurité nationale ou de vraies études objectives sur les thématiques connexes, n’aident pas à la construction d’une opinion libre et éclairée ainsi qu’à la levée du brouillard de guerre qui entoure le sujet.
De plus, il est à noter que le camp des « PRO », principalement représenté par l’ARPAC, l’UNPACT et l’UFA, utilise les mêmes statistiques (contrainte de moyens du groupe minoritaire). Ces derniers remettants rarement celles-ci en question mais essayant surtout de contrer leurs adversaires par des stratégies principalement axées sur la pédagogie et n’usent que rarement de stratégies de diplomatie publique ou de contre influence offensives.
Au-delà de cette « guerre des chiffres », vient se superposer une désinformation massive à la limite de la propagande de guerre et de la « PSYOPS », servant les buts de guerre des «ANTI». Ceci, dans le but d’un encerclement cognitif total, en ciblant surtout la catégorie des « naïfs et autres idiots utiles plus ou moins dangereux » ainsi que la population de manière générale à des fins d’influence ou de déception et le camp des « PRO » à des fins de déstabilisation.
Les vecteurs d'exploitation de biais de confirmation ou cognitif de cette désinformation
Ils sont extrêmement variés, mais l'on retiendra surtout les ponts suivants :
- Exagération du danger des armes à feu : confusion entre les catégories d’armes à feu, de leurs usages, de leurs capacités.
- Minimisation de la dangerosité de la criminalité : sentiment d’insécurité, surexposition médiatique de faits divers avec usage d’armes à feu par rapport aux autres types d’armes, euphémisation de ces derniers ou psychiatrisation de la criminalité.
- Instrumentalisation de faits divers liés aux détenteurs d’armes légales : surexposition médiatique des incidents liés à des armes légales par rapport aux nombreux faits divers liés à la criminalité.
- Maintien du brouillard de guerre sur la législation existante et usage de « fake news » : afin d’empêcher la réflexion ou l’établissement d’une opinion.
- Diabolisation, criminalisation et psychiatrisation des adversaires : usage de « tazers » idéologiques, amalgames avec la criminalité voir au terrorisme.
- Usage massif de l’exemple des Etats-Unis d'Amérique : imposition d’une vision biaisée et romancée de la situation, des mœurs, de la culture, des lois, de l’histoire des Etats-Unis d'Amérique comme d’une vérité absolue et une fatalité.
Un auditeur de la 41è promotion de la MSIE de l’EGE
Sources complémentaires
https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/divers-tendances_conditions/evolution-homicides/
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/05/06/en-20-ans-les-meurtres-et-assassinats-ont-baisse-de-65-en-region-parisienne_4628097_4355770.html
https://www.vice.com/fr/article/akv5p4/les-armes-fantomes-impossibles-a-tracer-se-multiplient-aux-etats-unis
https://jpfo.org/filegen-n-z/ragingagainstselfdefense.htm
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N287
https://www.gunpolicy.org/firearms/region/france
https://alliance.opposantschasse.org/wp-content/uploads/2021/02/LETTRE-OUVERTE-FINIADA.pdf
https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763555?sommaire=5763633
https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/279727.pdf
https://www.contrepoints.org/2018/10/02/326456-comment-letat-compte-desarmer-detenteurs-darmes-a-feu
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/tuerie-des-alpes-les-pistes-126228
https://www.senat.fr/lc/lc57/lc57_mono.html
https://www.lepoint.fr/societe/trafic-d-armes-internet-boite-noire-difficile-a-penetrer-pour-les-autorites-11-11-2015-1980788_23.php
https://rmc.bfmtv.com/actualites/police-justice/qui-sont-les-78-000-francais-sous-le-coup-d-une-interdiction-de-posseder-une-arme_AV-202106010573.html
https://www.contrepoints.org/2022/01/10/197878-port-darmes-le-malentendu
https://www.lunion.fr/id436497/article/2022-12-12/le-fusil-geant-de-14-18-decouvert-par-les-gendarmes-ne-sera-pas-detruit
https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/drome/attaque-terroriste-de-romans-sur-isere-une-nouvelle-expertise-conclut-a-l-irresponsabilite-penale-du-tueur-presume-2675528.html
https://www.contrepoints.org/2012/07/16/90435-armes-feu-cette-bien-pratique-prohibition