Guerre de l’Information par le Contenu entre les Organisations de l’Extrémisme Violent et les Etats de la CEDEAO
« Al-Qaïda nourrit un projet d'expansion vers le golfe de Guinée, en particulier la Côte d'Ivoire et le Bénin » annonçait Bernard Emié, patron du Renseignement Extérieur Français le 1er février 2021. S’appuyant sur une vidéo de Ben Mocktar, cette déclaration faite lors d’un point de presse conjoint avec la Ministre Française des Armées, a eu pour effet de créer une psychose généralisée en Côte d’Ivoire. Au-delà de la menace militaire, il existe une conflictualité informationnelle par le contenu entre les Groupes Armés Terroristes affiliés à l’Etat Islamique et à Al-Qaïda, et les Etats de l’Afrique de l’Ouest notamment ceux de la CEDEAO.
L'argumentaire religieux
Loin du terrain des attaques armées, les Groupes Armés Terroristes (GAT) ont lancé une offensive sur le terrain de la guerre informationnelle à l’effet de prendre une avance psychologique dans l’affrontement qui les oppose aux États. Les Organisations de l’Extrémisme Violent (OEV) ont entre 1990 et 2005 engagé une propagande basée sur une vision binaire du monde et un message de conquête contre les "impies".
Durant plus de 15 années, elles ont exhorté les musulmans à la croisade contre les mécréants afin de gagner du terrain et s’enraciner dans les sociétés à travers essentiellement des prêches. Dans le Sahel, cette propagande s’est faite via des campagnes de prêches dans les mosquées des zones rurales avec des prédicateurs souvent ambulants qui partageaient leur vision rigoriste de l’Islam.
Cette remise en cause de l’Islam tel qu’il était pratiqué par les populations locales a contribué à radicaliser certaines parties de la population qui idéologiquement ont apporté leurs soutiens à ces GAT. Accompagnés de dons et actions sociales, ces derniers ont pu ainsi gagner en estime et crédibilité auprès des populations locales. Ainsi selon un rapport publié par la FIDH, "Dans les années 1990-2000, les enregistrements des prêches du chef djihadiste malien Amadou Koufa s'arrachaient" parmi les jeunes Peuls, séduits à la fois par sa connaissance du Coran et le fait qu'il s'exprime dans leur langue, mais aussi par sa remise en cause de l'ordre social.
L'encerclement cognitif par la décrédibilisation des Etats et des armées
Au fur et à mesure de leur implantation dans les zones peu réceptives à l’argumentaire religieux, il s’est opéré de la part de ces groupes un changement de stratégie, avec cette fois l’état comme cible principale. Au travers de la désinformation, d’actions de décrédibilisations et autres artifices, ils martelaient aux populations loin des capitales qu’ils avaient été oubliés par les pouvoirs centraux. Cette réalité due à un choix de développement des centres au détriment des périphéries a été utilisée avec pour objectif de révolter les populations.
Toujours poussant plus loin et surfant sur un sentiment anti-impérialiste grandissant, les GAT de la bande sahélo-saharienne ont lancé des offensives informationnelles depuis leurs positions ou depuis l’Extérieur sur la légitimité de ces États en les qualifiant de valets de leurs « maîtres occidentaux » tels que la France et les États-Unis. D’abord, ces derniers sont présentés comme véhiculant des valeurs contraires à la religion et aux traditions africaines (homosexualité, égalité des sexes, etc.). Ensuite, les initiatives de ces pays occidentaux dans la lutte contre le terrorisme sont taxées d’être intéressées, de soutien et complicité à des régimes corrompus, avec pour objectif final de piller les ressources du peuple.
Les questions de probité morale et d’éthique des agents de l’état dans ses zones reculées où ils s’adonnent à toutes sortes d’abus, de corruption ont été aussi un argumentaire très fréquemment utilisé. Plusieurs vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux en Afrique montrant des scènes de brutalités, des exactions de militaires engagés dans la lutte antiterroriste (LAT).
Face à toutes ces offensives, les États toujours absents sur le terrain de la guerre informationnelle, ne mesurant certainement pas son impact, ont laissé libre-cours aux OEV qui s’en sont donné à cœur joie au point de devenir les maîtres du jeu. Les populations se sont donc retrouvées dans une dépendance cognitive avec l’information venant que d’un seul acteur et ne trouvant pas de contradicteurs.
Au contraire, ces groupes ont profité du climat de méfiance qui règne au sein de la société africaine à l’égard de leur élite et mis en évidence par des actions des sociétés civiles, des ONG, des oppositions politiques. De façon très incisive, des publications et même des vidéos ont montré des soirées arrosées de gouvernants africains, pendant que les populations croulent sous le poids de la misère. Plus grave, sont les faits de détournements des budgets de défense ou de corruption dans le cadre des contrats d’armements.
Les opérations d'influence
En plus chercher à décrédibiliser les Etats, les GAT mènent des opérations d’influence en direction de leur base et des populations. L’un des objectifs étant de remobiliser leur troupes et soutiens, mais aussi de s’assurer un recrutement croissant de nouveaux adeptes à leurs causes. Des vidéos de propagande, avec des troupes bien équipées et des messages religieux sont régulièrement mis en ligne.
Dans un registre plus idéologique, un groupe comme la Katiba de Macina du chef terroriste Amadou Koufa a remis à jour la splendeur passée de la civilisation Peule et de l’empire du Macina. Le nom de son groupe armé fait d’ailleurs référence à cette glorieuse époque. Ce rappel historique vise à redonner un sentiment de fierté à ces populations qui se sentent marginalisées et exclues du pouvoir dans la plupart des pays où ils sont considérés comme des nomades.
Apportant de l’eau à son moulin, chaque exaction contre cette ethnie dans le cadre de la lutte antiterroriste est présentée comme une preuve de haine du monde à leur égard et justifie le fait qu’ils doivent s’unir. Le constat est qu’il aura réussi, à force de persuasion mais aussi d’une hostilité grandissante à l’égard de cette communauté, à fédérer un bon nombre d’entre eux comme peut en témoigner l’expansion de sa zone d’influence.
Le 2ème objectif est plutôt tourné bers les populations, l’état et les forces de défense. Il vise à présenter le champ de bataille selon leur vision. Toutes leurs actions et victoires sont mises en scène et présentés au monde extérieur comme les véritables maitres du champ de bataille.
Réalité ou non, cette médiatisation de leurs faits de guerre, enlèvements, exécutions de prisonniers, capture de matériels et équipements militaires créent une psychose au sein des populations et des forces de défense et de sécurité. Cette tactique est très efficace quand on analyse le nombre de populations qui fuient en masse où de militaires qui refusent de combattre au front.
Une pression s’exerce sur les Etats sous tension à cause du ras-le-bol des populations et qui doutent de leurs capacités à avoir la victoire. Ces derniers, à l’instar du Mali, envisagent de plus en plus sérieusement d’engager des négociations politiques avec ces groupes.
La difficile et peu efficace riposte des institutions étatiques
D’abord sur la défensive, les armées à la suite des États n’étant pas vraiment préparées à cette guerre de l’information réagissaient timidement, se contentant généralement de démentis face aux accusations. nPrenant conscience de l’ampleur du problème, ils ont commencé mettre en place une communication opérationnelle plus efficace, avec des communiqués, quelques publications et vidéos. Parallèlement à cela, des actions civilo-militaires en vue d’opérations psychologiques et/ou d’influences ont été mis en place.
Les États disposant encore de l’avantage terrain sur les territoires où l’Administration est encore déployée procèdent aux méthodes traditionnelles notamment l’usage des griots et de messages à la criée, des affiches, des tracts, tout en multipliant également des opérations de charme avec les réalisations et les inaugurations très médiatisées d’infrastructures sociaux-économiques (routes, écoles, centres de santé, pompes hydrauliques villageoises…). Les pays du G5 -Sahel ont mis en place une radio dénommée "Radio Jeunesse Sahel" qui diffusera essentiellement « des programmes de paix, de cohésion sociale, de vivre ensemble et de lutte contre le radicalisme et l’extrémisme religieux »
Des initiatives de la société civile sont aussi à saluer avec rencontre communautaires et avec les leaders locaux en vue d’une sensibilisation des populations et de contrer la narrative des GAT. Le but est de dissuader les populations de recourir au terrorisme ou de le soutenir. La CEDEAO a d’ailleurs organisé des ateliers à ce sujet avec pour « ambition de renforcer la résilience des communautés face aux idéologies nocives et aux réseaux contribuant à la radicalisation, et de nouer des partenariats plus efficaces entre la CEDEAO et les organisations de la société civile dans la lutte contre le terrorisme ».
La guerre de l'information jihadiste bouscule la culture politico-militaire des Etats africains
La guerre informationnelle menée entre djihadistes et États de la CEDEAO semble largement en faveur des premiers cités, qui usant de trolls, de technologies très avancées ouvrent un front intérieur et un front international. Au niveau local les publications, vidéos, communiqués et caricatures montrent les limites des États et des armées et de leurs alliés, ce qui a l’avantage de créer un sentiment antirépublicain et même anti-occidental au sein des populations.
Des puissances comme la France et la Russie profitent de la situation pour régler leurs comptes en termes de positionnement et d’influence dans le traditionnel pré carré français africain. Maintenant que « sachants » et « experts » sont d’accord que la solution contre la radicalisation et l’extrémisme violent doit s’inscrire dans une dynamique globale, il appartient aux États et aux armées des pays de l’Afrique de l’Ouest d’intégrer la culture de la guerre informationnelle. Il s’agit d’être plus offensif afin de déstabiliser au plus haut point l’adversaire et reprendre l’ascendant psychologique.
Moustapha Diaby-Kassamba, auditeur de la MSIE 37
Ecole de Guerre Economique de Paris