Guerre d’Algérie : l’offensive informationnelle qui a achevé la IVème République

La période que nous vivons aujourd'hui s'avère très propice à des manipulations de l'information tous azimuts. Pour ne pas en être les victimes passives, il est important de revenir sur des évènements passés qui ont joué un rôle très important dans la vie politique de notre pays. Pour tenter de démêler les fils du "piège informationnel" qui aboutit au processus de déconstruction de la IVè République, il est nécessaire de définir les termes d'une grille de lecture plus large, qui inclut à la fois les éléments politiques, militaires, diplomatiques ainsi que les jeux cachés des rapports de force entre puissances.

Le bombardement de Sakiet Sidi Youssef le 8 février 1958 est un maillon important de la chaîne qui a mené à la chute de la IV° République et au retour au pouvoir du général De Gaulle. Présenté à l’époque et encore largement considéré comme une attaque disproportionnée menée par l’armée française en territoire tunisien, le bombardement de cantonnements du FLN en Tunisie et de positions de DCA hostiles ne semble pourtant être rien d’autre qu’un acte de légitime défense. Nous allons donc nous pencher sur la guerre informationnelle menée en premier lieu par le président tunisien Habib Bourguiba et sur l’impact de « l’affaire de Sakiet » sur les institutions françaises.

Contexte politique entre la fin de 1957 et le début de 1958

Fin 1957, début 1958, l’Algérie voit se jouer un jeu politique à quatre acteurs.

  • D’une part, les pieds-noirs. Ceux-ci placent leurs espoirs en De Gaulle et en l’armée mais rejettent l’Assemblée Nationale, perçue comme faible.
  • L’armée professionnelle fait quant à elle preuve de méfiance à l’égard du général De Gaulle, éprouve une grande sympathie à l’égard des pieds-noirs, et rejette et méprise une Assemblée Nationale versatile.
  • De son côté, l’Assemblée Nationale craint par-dessus tout les manœuvres gaullistes destinées à ramener le général au pouvoir, se méfie de la tentation prétorienne de l’armée et du caractère tumultueux des pieds-noirs.
  • Enfin, le général De Gaulle cherche à revenir au pouvoir, ses réseaux sont plus actifs que jamais et s’appuient sur les partisans de l’Algérie française. Il n’a joué aucun rôle dans l’affaire de Sakiet, si ce n’est une tentative infructueuse de se poser en arbitre en recevant Mohamed Masmoudi, homme fort du Néo-Destour à Colombey-Les-Deux-Eglises.

De son côté, la Tunisie a acquis son indépendance le 20 mars 1956. Si son président Habib Bourguiba présente un visage pro-Occidental, il soutient très activement le Front de Libération Nationale (FLN) algérien. A l’époque de Ben Bella, l’organisation extérieure de la rébellion était plutôt basée au Caire. Désormais, avec Omar Ouamrane, le FLN s’organise depuis la Tunisie et se dote d’une unicité de commandement et d’action qui jusqu’ici lui faisait défaut. Cette évolution n’est possible que grâce au soutien offert par Bourguiba au nouveau chef de la lutte indépendantiste algérienne. De plus, avec la défaite cuisante que les fellaghas viennent de subir dans le grand Alger, les indépendantistes voient en cette base arrière un moyen de réarticuler leur stratégie.

Contexte opérationnel autour de la frontière algéro-tunisienne

Le long de la frontière entre l’Algérie et la Tunisie se déroule la « bataille des frontières ». Les forces françaises tentent d’endiguer le flot de plus en plus important d’hommes et d’armes qui transitent de la Tunisie vers l’Algérie. De la sécurisation de la frontière dépend en grande partie l’issue de la guerre menée par la rébellion au sein du territoire algérien. L’enjeu étant de taille, certaines des unités parachutistes rendues libres par la pacification achevée de l’algérois sont réaffectées le long de la frontière.

A la fin de l’année 1957, le FLN dispose de 7 bases en Tunisie, toutes situées le long de la frontière avec l’Algérie (Souk el Arba, Ghardimaou, Sakiet Sidi Youssef, Tadjerouine, Thala, Redeyef et Tozeur). Y sont basés 7 bataillons d’instruction de l’Armée de Libération Nationale (ALN) algérienne, avec de gros moyens matériels. Par ce simple fait, certains acteurs et observateurs de la guerre d’Algérie parlent de « cobelligérance de fait » de la Tunisie[1].

Seulement, l’aide tunisienne ne se limite pas à des facilités logistiques, techniques et territoriales. Le 7 septembre 1957 éclate « l’affaire du Kouif ». Des sapeurs français qui travaillent sur la barrière à 1km de la frontière, côté français, sont pris à partie. Les assaillants sont poursuivis sur 3 kilomètres en territoire tunisien et neutralisés. Sur les 15 attaquants abattus, les militaires français relèvent 3 réguliers tunisiens : un membre de la Garde Nationale et deux militaires. S’ensuivent de vives protestations de la part de la Tunisie dont le territoire a été violé.

Quelques jours plus tard à El Khemissi (territoire français), le poste du 135ème RI est pris à partie par des éléments FLN. Profitant de la diversion, des civils tunisiens pillent le village, enlèvent les algériens qui s’y trouvent, tuent les réfractaires (1 nouveau-né et une fille de 18 ans sont décapités). La garnison prend le dessus, poursuit les assaillants jusqu’en Tunisie et parvient à libérer la population des mains des tunisiens. L’armée peut bénéficier après coup du soutien ferme et entier de la diplomatie française à l’action militaire contre les protestations véhémentes de la Tunisie.

Il n’y a pas que les civils algériens et l’armée de terre qui ont affaire au FLN appuyé par la Tunisie. Les pilotes de l’armée de l’air qui effectuent les patrouilles le long de la frontière sont victimes de tirs quasi quotidiens depuis les postes frontières tunisiens. Pourtant tenus de rester dans l’espace aérien français, de nombreux appareils sont criblés d’impact de tirs venus de Tunisie et doivent se poser en urgence, quand l’avion ne s’écrase pas. La plupart du temps, ces tirs proviennent de Sakiet Sidi Youssef, un village tunisien qui fait face à celui de Sakiet, côté algérien. Ce poste est donc connu et repéré par les pilotes français. Le général Ely (équivalent de l’actuel Chef d’Etat-Major des Armées), soucieux d’apaiser les relations avec la Tunisie, demande aux pilotes d’éviter le survol de la frontière, pourtant tactiquement extrêmement important.

Suite aux rapports du général Salan (commandant les forces françaises de la X° région militaire – Algérie), le droit de suite est étendu par le gouvernement à 25km. Ainsi, conformément au droit international, les troupes françaises peuvent poursuivre des assaillants jusqu’à 25 kilomètres en territoire tunisien.

Le 11 janvier 1958 à 4 heures du matin, deux sections de la 12ème Compagnie du 23ème RI sont accrochées à proximité de la frontière. Elles sont en outre la cible de tirs de mortiers venus des hauteurs algériennes mais aussi tunisiennes. Une compagnie arrive en renfort, dégage les deux sections puis poursuit les assaillants (300 soldats de l’Armée de Libération Nationale) en Tunisie. En territoire tunisien, les fellaghas sont attendus et récupérés par des éléments réguliers tunisiens : une camionnette de la Garde Nationale, trois camions de transport et une ambulance. Ces éléments tunisiens font feu sur les avions français venus appuyer les troupes au sol. Côté français, 4 soldats ont été fait prisonniers et amenés en Tunisie et 14 morts sont à déplorer. Parmi ces morts, nombreux étaient des blessés qui ont été achevés puis mutilés. Le rapport d’autopsie par le médecin-colonel Lafforgue, directeur du service de santé de la 11ème Division d’Infanterie, évoque des corps affreusement mutilés et un acharnement indiscutable[2]. Un caporal-infirmer avec insignes croix rouge visibles a aussi été achevé.

Lorsque l’armée française intervient sur le territoire national, elle le fait en lien avec la gendarmerie. Il existe donc un rapport établi par le gendarme Brugal (brigade Gambetta) qui accompagnait les hommes du 23ème RI. Ce rapport fait état d’une cobelligérance non dissimulée de la part des troupes régulières tunisiennes : « Un fort parti rebelle, appuyé par un détachement de l’armée tunisienne, a attaqué le 11 janvier au petit jour un de nos éléments. Au plus fort de l’action, une section de gardes nationaux tunisiens, reconnaissables à leurs casquettes plates, est arrivée en camions, s’est installée le long de la frontière et n’a pris aucune mesure pour faire cesser le tir de la mitrailleur et du mortier installés près d’elle en territoire tunisien »[3].

Ni la diplomatie ni le gouvernement français ne protestent. Devant les corps de leurs camarades mutilés, les militaires se sentent abandonnés par les autorités politiques de la IVème République. Dans le même temps, les accrochages se multiplient aux abords de la frontière et les livraisons d’armes ne diminuent pas. Alors que la tension monte, le capitaine Bernon, chef du poste français de Sakiet prévient son homologue du poste tunisien de Sakiet Sid Youssef que plus aucun tir tunisien sur un avion français ne sera toléré. Il est même clairement signifié au fonctionnaire tunisien que l’armée prévoit de faire usage de son droit de riposte.

L'affaire de Sakiet Sidi Youssef

L’affaire de Sakiet Sidi Youssef elle-même débute le 8 février 1958, à 08h55 du matin avec le début de patrouille aérienne du lieutenant Perchenet (pilote du groupe d’outre-mer 86) à bord de son Marcel Dassault. A 09h05, il est pris à partie dans l’espace aérien français par des batteries anti-aériennes postées en Tunisie. Le pilote distingue nettement les départs de coups provenant de la tour du poste de douane et de la gendarmerie de Sakiet Sidi Youssef. Touché, il se pose en urgence à Telergma.

 

bombardemetnsakiet

A 09h10, alerté dès les premiers tirs, le colonel Duval commandant le groupement tactique n°1 de Constantine demande l’application des directives de riposte prescrites par le haut commandement. La demande remonte la chaîne hiérarchique et à 10h00, le général Salan donne le feu vert à au général Jouhaud qui dirige à l’époque les Forces Aériennes Françaises en Algérie. A 13h00, le général Salan rencontre le ministre résidant, déjà au courant et qui approuve la frappe aérienne.

Le lendemain, 9 février à midi, le commandement reçoit le rapport de la frappe avec les photos aériennes accompagnées d’une carte des impacts. On y voit que les trois emplacements de DCA dans le village sont détruits à 80% par les Corsair (avions qui attaquent en piquet, pour plus de précision). Les emplacements étaient bien connus des aviateurs et repérés à l’avance. De plus, les pilotes affirment que le village était désert et les rues vides, et qu’ils n’ont pas opéré de straffing (mitraillage au sol). Sur le site de l’ancienne mine de plomb, les casernements de l’Armée de Libération Nationale sont détruits à 50% par les B26 et les Mistral.

Ainsi les bâtiments détruits sont : la gendarmerie, le poste de douane, le commissariat, le bureau de police FLN, ainsi qu’une partie de l’ancienne mine. En revanche, les deux écoles, le marché et la mosquée sont intacts.

Les réactions

Immédiatement, la Tunisie fait savoir qu’elle vient d’être la cible de l’aviation française. Sitôt la nouvelle répandue et l’indignation de plus en plus généralisée, le général Ely demande au général Salan de suspendre les consignes de riposte entrées en vigueur le 3 février. Ces nouvelles consignes découlaient des ordres gouvernementaux laissant l’initiative à l’armée de l’air pour riposter aux tirs de DCA tunisienne identifiée. De nos jours, on lit souvent que Chaban-Delmas, alors ministre de la Défense, avait donné un accord « oral » mais que l’attaque était inconnue de Félix Gaillard, alors président du Conseil. Ce qui semble logique puisqu’elle entrait dans le cadre normal des ripostes laissées à l’initiative des militaires par ces fameux ordres édictés par le gouvernement cinq jours auparavant.

Cette suspension ne calme pas l’indignation tunisienne. Les autorités évoquent de nombreux morts, au moins 70, et presque 150 blessés. Parmi ces victimes, une douzaine d’enfants relevant de l’école primaire et des civils algériens. Les fellaghas abattus sont comptés comme « civils » par l’administration tunisienne sous prétexte qu’ils ne portent pas d’uniforme. L’école est intacte, mais étant à proximité des batteries de DCA, des enfants auraient été touchés. Les civils algériens étaient, selon la version tunisienne, regroupés auprès des camions de la Croix Rouge qui dispensait une aide humanitaire. De leur côté, les pilotes français avancent que le rassemblement était éloigné du village et n’a donc pas été atteint.

Entre la version de l’armée française et celle des officiels tunisiens, la vérité sera difficile à obtenir. A peine cinq heures après le bombardement, l’entrée dans le village et dans la mine est interdite par l’armée tunisienne. En plus des pertes humaines, les tunisiens arguent des destructions de bâtiments civils. Or, ces bâtiments (gendarmerie, poste de douane …) servaient également de postes à la DCA. C’est la mise en œuvre d’une tactique devenue courante consistant à utiliser un bâtiment civil comme paravent, et parfois les civils comme boucliers.

Quoiqu’il en soit, la presse française locale réagit en faveur de l’armée. Parfaitement au fait de l’aide apportée par la Tunisie au FLN, les journaux algériens soutiennent une riposte qu’ils voient comme un signal fort envoyé à la rébellion et au régime Bourguiba. Le président tunisien rompt les relations diplomatiques avec la France et expulse 5 consuls français avant de rappeler son ambassadeur à Paris.

Un cas d'école exemplaire de guerre de l'information par le contenu

Profitant de cet incident, Habib Bourguiba dramatise l’attaque française et entend internationaliser le conflit. Il fait ainsi coup double : il fournit un prétexte aux puissances soucieuses de saper la présence française en Afrique du Nord de s’immiscer dans le conflit, et se confère une stature mondiale jusqu’ici inexistante.

Deux jours après le bombardement, le 10 février, les ambassadeurs des Etats-Unis, du Maroc, de la Syrie, de l’Iran, de l’Irak et de la Turquie ainsi que les premiers secrétaires des ambassades du Royaume-Uni, de RFA, d’Espagne, de Libye et de Belgique se rendent à Sakiet Sidi Youssef sur invitation du président tunisien. Les officiels tunisiens mènent l’inspection de la localité. Ils montrent aux diplomates les ruines des bâtiments détruits, mais aucun cadavre. D’après eux, ceux-ci sont déjà enterrés. Toutes les diplomaties représentées acceptent la version tunisienne des faits et condamnent unanimement l’action française.

Dès lors, la presse internationale se déchaîne, notamment la presse anglo-saxonne. A titre d’exemple, le New York consacre une dizaine d’articles au sujet en seulement deux semaines. Le ton y est systématiquement acerbe et les critiques de la France violentes. Ainsi, on peut lire que ce bombardement est une tragédie pour la France qui se déshonore, mais aussi pour les Etats-Unis qui ont fourni deux des trois modèles d’avions impliqués dans cette attaque. L’auteur se rassure en prétendant que cette action ne représente pas les aspirations du peuple français, ni même de son gouvernement, et rejette ainsi la faute de ce « massacre » sur les militaires. Il va jusqu’à demander à la France de faire amende honorable afin que les alliés puissent à nouveau être unis.  Outre le thème du « massacre d’enfants » qui est largement repris, on peut également voir que le caractère civil des victimes ne fait aucun doute pour la presse américaine.  Le climat international, déjà assez défavorable à la guerre menée par la France en Algérie, devient carrément hostile. Et Habib Bourguiba attise habilement cette hostilité du camp occidental envers la guerre coloniale française.

En France, si l’Aurore parle de la « lourde erreur de Sakiet », la presse soutient globalement l’action de l’armée. Le Figaro, mais aussi Le Monde présentent le bombardement comme un acte de légitime défense, et Paris Presse réserve même une page pour publier le rapport écrit par le général Salan. Globalement soutenue par la presse et l’opinion, l’action de l’armée est validée a posteriori par Félix Gaillard.

Quant à eux, les intellectuels de gauche, déjà acquis à la cause de l’indépendance algérienne, soutiennent la Tunisie et condamnent fermement les agissements de l’armée française. A l’image de Jean-Paul Sartre qui tente d’organiser une réunion publique de protestation le 14 février. Réunion interdite, comme celles prétendant soutenir l’armée, en raison des troubles à l’ordre public qu’elles risquaient d’occasionner.

Sur ces entrefaites, le président tunisien annonce déposer une plainte devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, ainsi que le blocus des troupes françaises encore présentes en Tunisie. Il demande en outre l’abandon de la base de Bizerte par l’armée française. La France dépose alors un dossier complet aux Nations Unies censé prouver « son bon droit ». Alors que l’affaire semble devoir trouver son épilogue devant l’ONU, dossier contre dossier et preuves contre preuves, la situation n’apparaît plus aussi favorable au camp tunisien. C’est ici qu’interviennent les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Ils proposent leurs « bons offices » aux deux protagonistes. Acceptée le 18 février, cette médiation induit l’ajournement du Conseil de Sécurité de l’ONU, pourtant disposé à statuer sur « l’affaire de Sakiet ».

Les manipulations informationnelles des Etats-Unis d'Amérique pour faire céder la France

Ces bons offices sont assurés en premier lieu par l’américain Robert Murphy. Ce diplomate, numéro 3 du secrétariat d’Etat américain est francophone et était consul à Vichy puis Alger. Pour l’épauler, le britannique Becley, spécialiste du Moyen-Orient. Bien qu’alliés de la France, les Etats-Unis et la Grande Bretagne n’ont pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, la réputation d’être des pays favorables au maintien des départements français d’Algérie. Si la France bénéficie de livraisons d’équipements militaires américains dans le cadre de l’alliance atlantique (armement qu’elle met en œuvre, on l’a vu, en Algérie), ses partenaires occidentaux, américains en tête, ne se privent pas pour armer et soutenir financièrement le FLN.

Le State Departement  va jusqu’à qualifier le bombardement de « génocide » et ne n’hésite pas à stipendier l’acharnement de la France à conserver son Empire colonial. Si l’administration Eisenhower – président républicain - est favorable à l’indépendance de l’Algérie, il est en de même du côté des démocrates. Celui qui n’est en 1958 que le sénateur Kennedy ne cache pas sa proximité avec nombre de représentants du FLN. Suivant la ligne de conduite de son pays, Robert Murphy soutient clairement Bourguiba et met la France en difficulté pendant les négociations.

Lorsque débute la médiation anglo-saxonne le 25 février, Habib Bourguiba a réussi à internationaliser la guerre d’Algérie, et à s’offrir cette stature internationale qui lui faisait défaut. Et même si Christian Pineau (ministre français des affaires étrangères) entend clarifier les choses en affirmant que « les bons offices ne peuvent porter sur la question algérienne », c’est bien la politique tricolore en Algérie qui est jugée par le monde occidental. C’est donc au travers de l’offensive informationnelle d’abord menée et internationalisée par la Tunisie, puis amplifiée par les anglo-saxons, d’un bombardement limité effectué dans le cadre du droit de suite, que les alliés de la France vont tenter de l’atteindre. En point de mire, l’affaiblissement des positions françaises en Afrique du Nord.

A ce titre, le président américain Dwight Eisenhower fait pression sur la France. Il écrit même, fait rare, une lettre personnelle à Félix Gaillard pour le pousser à consentir à l’accord avec Habib Bourguiba. Dans cette missive, « Ike » se fait pressant, et en appelle au « bon sens » du français en lui laissant entrevoir la « situation dangereuse qu’un tel échec pourrait entraîner ». On ne saurait être plus clair. Le président du Conseil reçoit cette missive le 11 avril par l’intermédiaire du médiateur en chef Robert Murphy. Il est incité, le mot est faible, par ses alliés à accepter une conciliation où la Tunisie rejette chacune des quatre demandes françaises :

  • Création d’une commission franco-tunisienne pour le contrôle de la frontière ;
  • Reprise du dialogue franco-tunisien ;
  • Reprise de la liberté de mouvement des troupes françaises cantonnées en Tunisie ;
  • Maintien du statu quo à Bizerte.

Loin de considérer ces demandes modérées, l’accord de sortie de crise ne prévoit même pas le bouclage de la frontière tunisienne. Pourtant le gouvernement français annonce l’accepter le jour même de l’entrevue entre Félix Gaillard et Robert Murphy au cours de laquelle ont été formulées les exigences américaines.

Les conséquences

Le 15 avril, le Parlement en vacances est convoqué pour entériner cet accord franco-tunisien sous patronage anglo-saxon. Déjà en difficulté, le gouvernement a officieusement attaché à ce vote celui de la confiance. C’est ainsi qu’advient la 20ème crise ministérielle depuis 1946. Le cabinet Gaillard tombe sous les votes défavorables de 150 communistes, 20 mendéssistes et 150 députés de droite (poujadistes, républicains et sociaux).

Pierre Pfimlin, qui remplace Félix Gaillard, doit être investi le 13 mai 1958. Un jour historique puisque, justement en réaction à son accession aux responsabilités, les partisans de l’Algérie française se révoltent. A la recherche d’un soutien politique ferme au « maintien de l’Algérie dans la France », ils profitent de l’instabilité chronique du régime pour tenter d’imposer un gouvernement qui leur soit favorable. A Alger, Lagaillarde et Ortiz s’emparent du Gouvernement Général avec l’appui des parachutistes du général Massu, les Comités de Salut Public se forment et le général Salan clame « Vive De Gaulle » au balcon du « GG ». C’est la fin de la IVème République.

Arnault Ménatory

[1] Raoul Salan, Mémoires Fin d’un empire, Tome 3 : Algérie Française. Presses de la Cité, 1972

[2] Raoul Salan, Mémoires Fin d’un empire, Tome 3 : Algérie Française. Presses de la Cité, 1972.

[3] Raoul Salan, Mémoires Fin d’un empire, Tome 3 : Algérie Française. Presses de la Cité, 1972.