Gangnam Style : la démarche d’influence culturelle de la Corée du Sud
La "vague coréenne" à la fin des 90' et dans les 2000’ démonte l’existence d’un rapport de force informationnel avec les autres cultures asiatiques pour exister comme puissance économique sur la scène internationale. Ce rapport de force informationnel peut se jouer à bien des niveaux : au niveau du produit, de l’entreprise, du secteur ou bien du pays. C’est ce dernier niveau que nous proposons d’illustrer par la vague « Hallyu », le mouvement de popularité croissante de la culture coréenne qui a commencé dans les années 90 et 2000. La « vague coréenne » (Hallyu) a été un vecteur de puissance, en tant qu’elle un moyen pour les entreprises et elle a permis à l’Etat sud-coréen de se positionner comme une véritable puissance asiatique.
Le miracle asiatique et la crise de 1997
Entre les années 1970 et la crise de 1997 qui frappe durement ces économies, la croissance économique des pays du Sud-Est asiatique est telle que la Banque mondiale parle d’un véritable « miracle économique ». Le Japon est le premier à progresser ainsi, suivi des quatre dragons – Corée, Taïwan, Singapour et Hongkong – ainsi que la Chine continentale. Cette rapide croissance (qui attire les capitaux étrangers et permet un véritable enrichissement économique des pays) est fondée en grande partie sur l’exportation : diversification des produits exportés ainsi qu’un raffinement technologique.
Cette croissance économique a d’ailleurs permis de faire naitre une classe moyenne importante dans ces pays, chose importante à noter pour comprendre la stratégie de guerre informationnelle menée par la culture coréenne. Cette classe moyenne est d’ailleurs née pendant cette période, mais s’est aussi accrue après la crise.
En 1997, une crise économique frappe durement tous ces pays qui étaient en pleine croissance économique : les capitaux étrangers se retirent d’abord des Philippines, puis une méfiance généralisée s’installe à l’encontre de toutes les monnaies de cette région du monde. Ce sont ainsi 20 milliards de capitaux qui fuient la Corée du Sud pour l’année 1997[i]. Il s’agit donc de rétablir la confiance : or une confiance ne s’établit que par des signes, des informations positives qui sont données à l’autre. L’enjeu est ainsi de trouver les canaux d’expression de ces informations, et ce canal sera notamment la culture. Il est à noter que la Chine quant à elle parvient à échapper à la crise[ii].
Bloquée historiquement et géographiquement, et donc économiquement et culturellement ou militairement, entre ses deux puissants voisins, le Japon et la Chine, la Corée du Sud a souvent été dans une relation d’infériorité par rapport à eux.
Relation Chine-Corée du Sud
À la fin de la guerre froide, la Chine et la Corée du Sud n'avaient pas de relations officielles, la Chine étant plus proche de la Corée du Nord et la Corée du Sud reconnaissant la République de Chine à Taïwan. Malgré l'absence de relations officielles, le commerce entre Séoul et Pékin a commencé à s’accroitre après la réforme économique chinoise[iii]. Cependant, en 1992, la Corée du Sud a rompu ses relations diplomatiques avec Taipei et a établi des relations diplomatiques officielles avec Pékin le 24 août. Malgré ce rapprochement diplomatique, des tensions persistaient entre la Chine et la Corée du Sud : en effet, la Corée du Sud demeurait un allié militaire des États-Unis, ce que la Chine considérait comme une menace ; et la Chine a continué à soutenir la Corée du Nord, ce qui a suscité la méfiance de la Corée du Sud : cette dernière était préoccupée par la dépendance croissante de la Corée du Nord à l'égard de la Chine et par le risque de « prédation économique ». Il existe donc bien une réelle rivalité entre ces deux pays : la Chine fait preuve d’impérialisme économique dans la région et craint une influence des pays proche de son adversaire américain.
Relation Japon-Corée du Sud
Il existe de nombreux points de discorde entre le Japon et la Corée du Sud qui témoignent d’une rivalité : différends territoriaux (notamment autour des rochers Liancourt[iv]), révisionnisme historique (notamment concernant l’esclavage sexuel des « femmes de réconfort » pendant la Seconde Guerre mondiale[v] ou la représentation de l’occupation dans les manuels d’histoire japonais, ou encore les visites de responsables japonais au sanctuaire de Yasukuni, où sont honorés des criminels de guerre).
Des efforts ont cependant eu lieu : après la guerre de Corée, le Japon a fourni une aide économique importante à la Corée du Sud, contribuant à son développement économique ; l'interdiction d'importer des produits culturels japonais a été progressivement levée en Corée du Sud à partir de 1998 ; les organisations conjointes des Jeux Olympiques de 1988 et de la coupe du monde de football en 2002.
La prise ne compte des atouts potentiels de la culture populaire sud-coréenne
La Corée, et ses élites notamment, ont su détecter un engouement qu’elles n’avaient pas créé volontairement à la fin des années 80 et au début des années 90 pour sa culture coréenne, non seulement chez ses habitants, mais aussi dans les pays voisins, afin d’en faire une véritable arme de rayonnement de puissance. Certains ont ainsi parlé du « capitalisme de l’entertainment »[vi].
Les difficultés initiales d'émergence d'une culture sud-coréenne
La culture coréenne n’était pas nécessairement l’atout majeur auquel on aurait pu penser : non seulement la culture populaire coréenne ne parvenait pas à percer dans les élites à cause de son côté populaire justement ; mais sa culture traditionnelle était, et demeure, aussi perçue comme limitante et oppressive : le terme "Hell Chosun" utilisé par les jeunes coréens pour qualifier leur société fait référence à la dynastie Joseon, symbole d'une société féodale, hiérarchisée et sclérosée. Une autre difficulté relève du fait que la langue coréenne n’est véritablement parlée que sur la péninsule, et peu répandue dans le reste du monde. Une limite aussi était celle de la dictature jusqu’ à la fin des années 1980 : les restrictions de la liberté d’expression ne favorisant pas la création culturelle. Il est à noter enfin qu’historiquement, la Corée n’était pas un pays exportateur de sa propre culture. Il n’était donc pas évident qu’une telle percée puisse avoir lieu un jour.
Au-delà des limites de la culture coréenne, il faut aussi noter la mauvaise image autrefois véhiculée dans le monde : protestations étudiantes, manifestations ouvrières, tensions avec la Corée du Nord.
Les premières démarches
La Corée a commencé dans les années 1960 à produire et diffuser ses propres émissions audiovisuelles (l’exportation ne commence que dans les années 1990). On peut noter même que durant la décennie précédente, ce sont ses musiques traditionnelles et populaires qui s’exportent vers les pays asiatiques, notamment le Japon. Pendant cette même période, une autre forme d’intervention publique cherche à protéger les produits coréens sur le marché domestique via un système de quotas qui s’applique aux programmes télévisés et aux films diffusés en salles.
Il faut noter aussi que la croissance économique et la démocratisation du pays permette une influence croissante de la société civile et l’émergence d’une importante classe moyenne aisée et cultivée (forte hausse des salaires dans les années 1980 et 1990), demandeuse de biens culturels.
Les Jeux Olympiques organisés à Séoul en 1988 sont bien évidemment un vecteur puissant pour faire rayonner l’image du pays à l’international. Le pays qui sort à ce moment de la dictature veut présenter au monde une image d’une Corée dynamique et puissante.
C’est au cours de années 1990 que la culture coréenne prend vraiment de l’ampleur, non seulement au sein de la société coréenne elle-même, mais aussi dans les pays voisins, et notamment en Chine et au Japon. Cet envol a pu avoir lieu notamment grâce à la diffusion des séries télévisées comme « Winter Sonata » et « Dae Jang Geum » (plusieurs millions de téléspectateurs), ainsi que grâce à l’industrie de la K-pop : des groupes comme H.O.T et Seo Taji and Boys ont su conquérir un public coréen et étranger.
Ce phénomène culturel s’est beaucoup développé dans la société civile après la crise de 1997 : la culture populaire revient rapidement à la mode dans les périodes d’instabilité (on cherche à échapper à la morosité de la vie quotidienne). De plus, du fait des taux de chômage important dans les secteurs économiques traditionnels (l’industrie notamment en Corée), beaucoup se tournent vers les secteurs artistiques.
Une véritable stratégie étatique
Le gouvernement a longtemps concentré ses efforts sur le développement économique du pays, privilégiant une vision de la culture comme patrimoine plutôt que comme industrie : le système des quotas des années 1960 par exemple ne concerne que le marché domestique, et ne s’applique qu’aux programmes télévisés et aux films diffusés en salle. Cependant, avec l'émergence de la Hallyu, l'État a rapidement compris le potentiel économique et diplomatique de ce phénomène et a commencé à jouer un rôle plus actif dans sa promotion. Pour cela, il a mis en place plusieurs initiatives pour soutenir un tel développement, non plus d’un point de vue seulement défensif, mais aussi offensif : il s’agissait de partir à la conquête des marchés des autres pays, d’abord asiatiques, puis dans le reste du monde.
Développement institutionnel pour une véritable ambition culturelle
Ces initiatives se développent à partir du milieu des années 1990 : loi pour la promotion du cinéma (1995) instaurant une incitation fiscale qui va attirer des investissements importants des grands conglomérats (chaebols) dans le secteur des industries culturelles, et la loi pour la promotion de l’industrie culturelle (1999). Cela a pour conséquence la multiplication par cinq du poids économique de l’industrie du divertissement entre 1999 et 2003.
Dans la même période se mettent en place les grands acteurs institutionnels qui vont permettre la production et la diffusion à l’étranger des produits culturels coréens : ministère de la Culture (1990)[vii], bureau des industries culturelles au sein de ce ministère (1994). Sont aussi créées des agences gouvernementales dédiée aux différents pans culturels (comme l'Agence coréenne du contenu créatif ou le KOFIC (Corean Film Council) en 1999[viii]) : par exemple, la Fondation coréenne pour l'échange culturel international (KOFFICE) est créée en 2005 et affiche clairement son but : faire de la Corée du Sud l’un des cinq premiers pays producteurs de biens culturels pour 2010[ix]. En 2009, elles sont principalement regroupées dans la KOCCA (Korea Creative Content Agency) pour se dédier aux programmes culturels numériques.
En 2002, à l’occasion de la coupe du monde de football organisé en partenariat avec le Japon, est créée une commission sous l’égide du premier ministre pour améliorer l’image nationale ; en 2009, elle est remplacée par le « Presidential council on nation branding ». Cette commission placée sous l’autorité directe du président de la République coopère davantage avec les acteurs non-gouvernementaux.
On peut noter comme exemple de cette stratégie, l’accord passé avec YouTube en 2011 pour créer une catégorie dédiée à la K-pop.
Soutien financier de l’Etat
Ce soutien n’est pas seulement organisationnel mais aussi financier : chaque année, l’Etat investit des millions de dollars dans la promotion de Hallyu à l’étranger, notamment en ouvrant des centres culturels coréens et des Institus Sejong à partir de 2012[x] qui promeuvent la langue, la culture et les arts coréens. Il passe aussi par des prêts et des avantages fiscaux, ainsi qu’une meilleure protection de la propriété intellectuelle.
Un exemple impressionnant est le financement de la Litterature Institute of Korea (LTI KOREA) : cet institut a financé, au moins en partie, plus de 2300 traductions et publications de livres coréens[xi] (alors qu’on sait qu’habituellement ce sont les maisons d’édition qui financent les traductions).
Alliance entre l’Etat et les grands conglomérats
L’Etat coréen prend donc une part importante dans le développement et la diffusion de sa culture à l’étranger. Il s’appuie notamment sur les grands conglomérats du pays, les chaebols, impliqués directement dans le secteur. De fait, la force de frappe des chaebols permet de concentrer et de diffuser la production culturelle : promotion, diffusion, retombée dans d’autres domaines (mode, tourisme, …). Les visées économiques des chaebols correspondent parfaitement aux objectifs de puissance de l’Etat coréen.
Il est à noter que la transformation en 2009 du « Presidential council on nation branding », plus tourné vers la coopération avec les acteurs non gouvernementaux rend compte d’une volonté de la part de l’Etat d’une plus grande efficacité, en refusant un pur dirigisme étatique, et en s’appuyant plus volontiers sur les acteurs privés.
Le paradoxe identitaire
Cette culture coréenne suscite un vrai intérêt en s’appuyant sur un rapport paradoxal à l’identité du pays. D’un côté la fierté est de mise : la reconstruction à l'identique de nombreux sites historiques détruits par la guerre de Corée a permis de préserver le patrimoine et de renforcer l'identité nationale. Il est bien évident qu’une culture pour se diffuser se doit d’être fière. Cependant, il faut noter que c’est aussi sur une forme de rejet de la culture traditionnelle que se fonde cette même culture qui s’exporte à l’international : par exemple la série Squid Game est une violente critique du système ultra-élitaire de l’éducation coréenne et du « capitalisme confucéen » (discipline de soi, travail acharné, éducation…) ; de même la K-pop veut rendre compte d’une société plus « ouverte » et « cool » que le rigide système traditionnel.
On constate ainsi qu’il en va d’un dosage subtil entre la critique d’une culture jugée trop dépassée cependant l’utilisation de certains de ses codes pour marquer une véritable continuité et une vraie fierté.
Inspiration de modèles étrangers
La Corée s’est inspirée de deux grands pays culturels : des Etats-Unis, elle a retenu l’usage des médias de masse à diffusion rapide ; mais elle s’en démarque en proposant un narratif bien différent : à la place de la violence, du sexe et des addictions sont développées les thèmes du respect, de la non-violence.
Du Japon, elle a retenu la dimension esthétique ; mais elle va bien plus loin en proposant son modèle culturel de manière bien plus large : non seulement la vague coréenne s’adresse à un public plus large, mais elle touche des domaines plus variés que ceux japonais (mangas et jeux vidéo) : cosmétique, cuisine, webtoons.
En résumé, l'État coréen a mis en place une véritable stratégie pour promouvoir la culture coréenne, tant sur le plan national qu'international. Cette stratégie s'articule autour d'un soutien financier et institutionnel aux industries culturelles, d'une intégration de la culture dans la politique étrangère et d'une valorisation du patrimoine culturel. Il faut noter que cette politique publique fonctionne : entre 1999 et 2003, le poids de l’économie culturelle est multiplié par cinq[xii].
Un changement de stratégie
La manière dont l’Etat coréen envisage son rapport à la culture rend compte de son désir offensif : avant la crise de 1997, les politiques culturelles étaient largement d’ordre protectionniste : le but était de préserver l’identité du pays. Après la crise la culture est envisagée sous l’angle offensif : le but est de conquérir des marchés et de dépasser ses voisins.
L’implication de l’Etat coréen a poussé des chercheurs à utiliser le terme de hallyu-hwa : ce suffixe marque le changement (comme le -ation en français et le -ize en anglais).
Il existe en outre un narratif mis en place par l’Etat et les industries culturelles qui rend compte clairement d’une stratégie d’influence ; ils s’appuient en effet sur trois topos : 1/ grandeur et héroïsme du peuple coréen souvent colonisé 2/ modernité technologique 3/ mise en valeur d’un individu intégré dans les communautés qu’il fréquente et marqué par des valeurs comme la piété familiale, le respect des anciens.
Des slogans pour dominer sur le terrain informationnel
Le gouvernement coréen assume clairement la culture comme un moyen pour ce pays de se diffuser dans le monde et de se trouver une place importante au sein du concert des nations. En 2001 est lancé le slogan « Dynamic Korea » par l’Etat. Il s’agit d’une stratégie simple mais efficace pour donner à la Corée une image à plusieurs facettes : une nation résiliente car tout juste sortie de la crise de 1997, elle retrouve son caractère dynamique ; une nation influente, notamment par sa culture, la « vague coréenne » prenant une grande ampleur à cette période ; une nation innovante dans ses domaines propres (automobile, technologie, électronique). Il est cependant clair que le slogan est majoritairement porté par la dimension culturelle qui marque les esprits : une image simple et positive est annoncée par le slogan et immédiatement soutenue par la culture qui touche petit à petit tous les pays du monde.
En 2007, l’organisation du tourisme coréen a lancé le slogan « Korea sparkling » pour attirer les touristes étrangers, et fait des promotions dans les grandes villes comme New York, Pékin, Tokyo ou Londres.
Ces deux slogans témoignent d’une véritable tactique mise en place pour l’Etat coréen pour distancer ses deux grands voisins, d’abord sur les marchés asiatiques, puis sur les marchés des pays occidentaux. Est largement mis en avant le côté « cool » qui est désormais associé à la Corée ; la Corée a su déceler une fenêtre pour se placer en avant : vivre à la coréenne est désormais tendance dans plusieurs pays d’Asie : non seulement en Corée même, mais aussi en Chine, aux Philippines ou en Indonésie. En plus de l’exportation de la K-Pop et des séries télévisées, on y trouve un nombre grandissant d’enseignes coréennes qui apparaissent dans les séries ou les vidéos musicales. Produits de cosmétiques, mode, voitures, téléphonie, gadgets en tous genres… Le sud-est asiatique développe souvent une image de la Corée qui est le reflet de ces productions, et en découle une envie de « vivre à la coréenne ».
Influence sur la Chine et le Japon
Il est intéressant de noter que le terme Hallyu a d'abord été utilisé avec une connotation négative en 1999 par un journaliste chinois pour alerter l'opinion sur la popularité croissante de la culture de masse coréenne chez les jeunes Chinois. L'influence de la culture coréenne a commencé à se faire sentir en Chine et à Taiwan vers 1997-1998 avec la diffusion de la série télévisée What is love all about? et le succès du groupe de K-pop H.O.T. En 2002, la chanteuse pop coréenne BoA a connu ses premiers succès au Japon. Au début des années 2000, des réactions nationalistes et protectionnistes en Chine et au Japon témoignent déjà du succès des produits culturels coréens dans ces pays. En 2005, la Chine a été touchée par la vague coréenne avec la sortie des émissions Mouchoir jaune et Joyau du palais. Cependant, cet engouement a été freiné par les autorités chinoises.
Résistance du Japon et de la Chine face à la culture coréenne
Le gouvernement chinois a cherché à freiner l’engouement des jeunes notamment pour le Hallyu, inquiet en effet de l’influence grandissante du caractère « libéral » d’une telle culture, et du fait que la Corée est un allié des Etats-Unis. Il faut ainsi noter l’influence des fans de certains groupes de K-pop : avec 40 millions de membres, le fanclub de BTS, ARMY (la bien-nommée), est près de 40 fois plus important que l’armée américaine et 20 fois plus important que l’armée chinoise. La Chine, dont le régime connait bien les outils de propagande et de manipulation de masse, sait bien à quel point une telle masse de suiveurs peut être facilement manipulable. De plus, certains commentaires du groupe ultra populaire BTS ont été jugés offensants et ont suscité des réactions nationalistes chinoise.
Difficultés du Japon et de la Chine à avoir une influence culturelle en Corée du Sud
Tout d’abord, du côté de la Chine on peut noter trois points : 1) Manque de liberté d'expression et contrôle de l'information : Le contrôle strict de l'information et la censure en Chine limitent la créativité et l'innovation dans le domaine culturel. 2) Stratégies d'influence perçues comme de la propagande : les efforts du gouvernement chinois pour promouvoir la culture chinoise à l'étranger sont souvent perçus comme de la propagande, ce qui nuit à leur efficacité. 3) Un modèle politique et économique peu attractif pour certains : le modèle politique autoritaire et le capitalisme d'État chinois ne séduisent pas nécessairement les pays occidentaux, qui privilégient la démocratie et les droits de l'homme.
Du côté du Japon, il semble qu’une première faiblesse soit une percée impossible dans le marché coréen lui-même : en effet, le passé colonial du Japon en Corée continue de peser sur les relations entre les deux pays. En Corée du Sud, les produits japonais sont parfois perçus négativement, en particulier par les générations plus âgées qui ont vécu la colonisation. Une deuxième faiblesse semble être celle d’une forme de nationalisme qui marque encore la culture japonaise : elle ne cherche pas à vraiment toucher au-delà de ses frontières et ne fait donc pas d’effort pour parler à d’autres que des Japonais. Il n’y a pas de réelle volonté de rayonner efficacement de manière culturelle.
Cependant, on se souvient des réelles difficultés évoquées à propos de la culture populaire coréenne, qui pourtant a su être utilisée comme une véritable arme de guerre économique. De vraies politiques culturelles devraient sans doute être menées, et on peut noter que le soft power – en mandarin ruanshili– a été officiellement adopté par le gouvernement chinois comme un principe politique en 2007 durant le 17e Congrès du Parti communiste chinois, et que les Instituts Confucius se déploient à travers le monde.
Ouverture à un Hallyu 2.0
La Corée du Sud a déployé depuis les années 2010 une stratégie pour éviter de se faire trop vitre rattraper par ses concurrents japonais et chinois, mais aussi pour parvenir à conquérir de nouveaux marchés, au-delà du cercle asiatique.
En 2009 sont définis les cinq buts du « Presidential Council on Nation Branding » : 1/ L’élargissement de la part de la contribution de la Corée du Sud à la communauté internationale. 2/ Le renforcement de la communication en s’adaptant au multiculturalisme. 3/ Le renforcement de la prise en compte des défis globaux auprès des citoyens coréens. 4/ La promotion des points forts comme le secteur de la haute technologie, en renforçant la collaboration du gouvernement avec le secteur privé. 5/ La promotion de la culture et des valeurs coréennes auprès des étrangers. On peut constater un désir d’ouverture plus large aux réalités mondiales autres que seulement asiatiques.
La réussite de cette influence plus large se prouve par le succès mondial du tube Gangnam Style en 2012 et la reconnaissance internationale du film Parasite (premier film non anglophone à remporter l'Oscar du Meilleur Film en 2020) ; mais on peut aussi penser à la réussite de la série Squid Game sur Netflix, succès mesurable à l’importance de la polémique qu’elle a suscitée.
Une certaine adaptation au monde occidental a su se faire : même si le coréen n’a pas empêché la K-pop de se répandre (et l’étude de la langue coréenne s’en est d’ailleurs accrue), l’utilisation de l’anglais a permis aux groupes de gagner encore plus en audience. Puisqu’il s’agit de plaire aux autres, il faut donc aussi savoir leur parler (contrairement à la tendance lourde de la culture japonaise).
Utilisation des réseaux sociaux de manière efficace : les vidéos de K-pop sont mises gratuitement en ligne afin de gagner en viralité, quand les autres artistes cherchent presque tous à les retirer.
Il s’agit aussi de déployer autrement la culture coréenne : si le premier mouvement du Hallyu s’est accompli du côté « populaire », une forme plus élitiste apparait désormais. Naissent ainsi des grandes foires (Frieze et Kiaf) ainsi que la Biennale de Busan pour le marché de l’art. On peut noter aussi la circulation dans le pays de 23 000 oeuvres de Samsung sous contrôle étatique, ainsi que la transformation du palais présidentiel Cheong Wa Dae, aussi appelé la Maison-Bleue, pour accueillir des expositions un jardin de sculptures. Ce sont d’autres domaines que ceux de l’audio-visuel qui deviennent ainsi des outils de guerre informationnelle : le hangeul (l’alphabet coréen), le hansik (la nourriture coréenne), le hanbok (le costume traditionnel coréen), les hanok (les maisons traditionnelles coréennes), le hanji (le papier traditionnel coréen), ou encore la musique traditionnelle coréenne.
Le cas du Hallyu est donc un bel exemple de mobilisation des ressourxces d'un Etat qui a su mettre en œuvre une politique de déploiement de sa culture, d’abord en Asie, puis dans le reste du monde. L’importance des moyens mis en œuvre rend compte de la force de la volonté politique de voir son pays triompher sur le plan culturel face aux deux grandes cultures voisines mais qui peinaient à la suite de difficultés (politiques en Chine et historiques au Japon). Les axes de cette dmémarche d'influence peuvent être ainsi résumés : 1/ Donner une image dynamique de la Corée. 2/ Répandre cette culture de manière large dans le monde. 3/ Imprégner les mentalités et les formater à la consommation de biens coréens. Cela s'est traduit dans les faits par un passage d’une culture au départ essentiellement de nature populaire à une culture plus élitiste, ainsi que son adaptation aux réseaux sociaux.
Benoit Bottineau (SIE 28 de l’EGE)
Notes
[i] Naomi Klein (trad. Lori Saint-Martin et Paul Gagné), La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, Paris, Léméac/Actes Sud, 2008, 669p., p. 320.
[ii] Plusieurs raisons permettent de l’expliquer : 1/ Sa dette externe étant de plus long terme, elle était moins vulnérable au retrait des capitaux étrangers. 2/ Ses surplus commerciaux et la dévaluation de 1994 lui ont permis de se protéger contre la dépréciation de sa monnaie.
[iii] La réforme économique chinoise est un programme développé en 1978 par l’aile réformiste du PCC sous la direction de Deng Xiaoping.
[iv] Un petit groupe d'îlots en mer du Japon, appelés Dokdo en coréen et Takeshima en japonais. La Corée du Sud en a la possession, mais le Japon conteste sa souveraineté. Ces îlots sont importants pour les territoires de pêche et l'élargissement de la ZEE. La Corée du Sud a rejeté à plusieurs reprises les propositions japonaises de régler la question devant la Cour internationale de justice.
[v] Séoul a demandé à plusieurs reprises au Japon de reconnaître sa responsabilité et de présenter des excuses officielles, mais Tokyo a longtemps maintenu que l'accord de 1965 réglait tous les contentieux de l'époque. Un accord historique a été conclu en 2015, avec des excuses du Premier ministre japonais et un dédommagement financier, mais la question reste sensible.
[vi] Octobre S. et CicchelliI V., KPOP : soft power et culture globale, p. 40-64.
[vii] Il faut noter le budget énorme consacré à ce ministère : son budget a d’ailleurs été augmenté à 6 740 milliards de wons (4,852 milliards d’euros), soit une augmentation de 33 milliards de wons par rapport à 2022. (« Le budget 2023 du ministère de la Culture : 6 740 milliards de wons pour promouvoir la culture coréenne », in Korea.net, [en ligne], https://french.korea.net/NewsFocus/Policies/view?articleId=226393 (consulté le 24-10-2024)).
[viii] Inspiré du système français, le KOFIC a pour mission de soutenir et promouvoir le cinéma coréen, tant sur le marché national qu'à l'étranger. Il octroie des bourses, des subventions, soutient les activités de R&D et appuie les productions indépendantes.
[ix] Octobre S. et CicchelliI V., KPOP : soft power et culture globale, Paris, PUF, 2022, p. 110.
[x] Ils sont aujourd'hui au nombre de 244 répartis dans 84 pays (2023) (« King Sejong Institutes Wolrdwide », in King Sejong Institute Foundation, [en ligne], https://www.ksif.or.kr/ste/ksf/hkd/lochkd.do?menuNo=31101100# (consulté le 24-10-24)).
[xi] « 기관안내 », in Litterature Translation Institute of Korea, [en ligne], https://www.ltikorea.or.kr/kr/contents/about_inst_1/view.do (consulté le 30/10/2024).
[xii] Bidet E., « La construction du « soft power » : l’exemple de la Corée du Sud », in CERISCOPE Puissance,
2013, [en ligne], http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part2/la-construction-du-soft-power-l
exemple-de-la-coree-du-sud (consulté le 30/10/2024).
[xiii]https://french.korea.net/NewsFocus/Culture/view?articleId=226995 (consulté le 30.10.2024).
[xiv] D’autres techniques de la guerre de l’information peuvent être la désinformation, la manipulation d’informations, la prise en otage d’informations.