En 2020, la fin prévue des véhicules thermiques était votée par le Parlement européen pour 2035. Jusqu'à présent, le gouvernement français n'avait aucune stratégie pour gérer les métaux stratégiques, mais ce vote, encouragé par le Groupe « 16+1 » (composé de 16 pays d'Europe centrale et orientale ainsi que la Chine), a accéléré sa prise de conscience. L'appel à projets « métaux critiques » a été lancé en octobre 2022 pour s'affranchir de la dépendance aux importations, en particulier du lithium indispensable à la fabrication des batteries nécessaires aux véhicules électriques.
En juillet 2023, la loi « Industrie verte » a inclus l'ouverture de mines de lithium dans la liste des « projets d'intérêt national majeur » pour rattraper notre retard dans ce domaine. En 2024, sont annoncés le lancement de deux grands projets destinés à renforcer la souveraineté industrielle française... D'une part, celui intitulé EMILI porté par IMERYS, un gisement situé dans l’Allier, avec un potentiel de production de 118.000 tonnes permettant de fabriquer près de 700.000 batteries. D'autre part, l’ouverture, à partir de 2027, d’une usine de traitement à Lauterbourg, dans le Bas-Rhin, par la société VIRIDIAN LITHIUM permettant une production de 28 000 tonnes par an.
Ces projets ont rapidement émergé dans l'opinion publique nationale, opposant les partisans d'une souveraineté industrielle aux acteurs militants contre les risques environnementaux. Ce débat a pris la forme d'une véritable guerre de l'information et de stratégies d'influence, dans laquelle chaque camp tente de rallier de nouveaux partisans à sa cause.
Une priorité : Sensibiliser et Convaincre la société civile
Alors que d’un côté la société IMERYS organisait des opérations « portes ouvertes » pour les journées du patrimoine, une opportunité pour séduire l’opinion publique avec l’organisation d’une véritable campagne de « green washing » ou les termes de « Mine propre », « Mine responsable », sont régulièrement employés etc…
De l’autre autre côté, un membre du collectif « Préservons la forêt des colettes » a créé une association de préservation du lézard vert (ce qui place une partie de la zone forestière dans le réseau Natura 2000, empêchant ainsi les véhicules à moteur de pénétrer sur le secteur minier). Il assure des opérations de sensibilisation dans les écoles locales autour de la préservation des espèces protégées. Il organise en partenariat avec l'ONF des sorties pédagogiques permettant de découvrir la faune et la flore, et évidemment les lieux de nidification du fameux lézard vert.
Convaincre les hésitants par l’organisation de la CNDP (Commission Nationale du Débat Public)
Sous l’impulsion du gouvernement, des débats publics sont organisés afin de permettre des échanges entre élus, représentants de l’industrie et population. Lors de la réunion du 26 mars 2024 à Échassières, Frédéric DALAIGRE, le maire de la commune, commence son propos liminaire par saluer la présence nombreuse de participants et indique qu’il serait profitable pour la commune d’avoir autant de monde dans les commerces !!… Ce commentaire permet de disqualifier une partie de l’auditoire qu’il considère comme de passage, seulement présent pour marquer opposition au projet mais sans réelle attache avec la commune. Lors de cette même réunion, un opposant s’exclamait : « Par définition, une mine ne peut pas être propre. » ce qui contraste avec la rhétorique employée par les élus et les représentants de la société d’exploitation minière.
L’absence de représentants de l’État laisse supposer que les retombées de ces débats auront un impact limité… Ces réunions consistent en de véritables opérations « pattes blanches » permettant la mise en lumière des opposants les plus durs et permettent de diviser les plus indécis.
Une « guérilla informationnelle » lancée sur une multitude de canaux
Ce bras de fer s'est notamment cristallisé autour de la question de l'eau, ressource essentielle et limitée. Les promoteurs assurent avoir mis en place des systèmes de traitement performants pour minimiser l'impact sur les ressources en eau. De leur côté, les opposants à l'ouverture de mines de lithium en France métropolitaine dénoncent une consommation excessive de 600 000 m3 d’eau par an et les risques de pollution irréversible.
Ce sujeta été travaillé par IMERYS avec la mise en place d’un circuit fermé, ce qui évite les rejets dans l’environnement permettant la réutilisation de 99% des volumes d’eau engagés.
On remarquera l’analogie entre les logos des deux collectifs : STOP MINE 03 et celui du collectif des forêts de Colette, ce qui suppose qu’ils se sont harmonisés en ce qui concerne leurs axes de communication.
Organisée par le collectif STOP MINES 03, des journées festives, en totale dichotomie avec le sujet, sont organisées afin de sensibiliser la population civile à la dangerosité des mines. On remarquera sur l’affiche ci-contre l’insertion sous forme d’illustrations graphiques l’ensemble des arguments de protestations : Déforestation, Pollution des sols, Destructions de la faune, stress hydrique…
Les réseaux sociaux ont amplifié ce débat, chacun des camps utilisant ses plateformes (Facebook, Instagram...) pour relayer ses messages, mobiliser ses soutiens et discréditer l'adversaire. Sur cette affiche figure en bas à gauche les logos des collectifs et ONGs impliquées
Des enjeux qui dépassent le cadre local
Le projet d'exploitation du lithium en France a des implications qui dépassent le cadre local. Il soulève des questions fondamentales sur notre modèle de développement économique. Alors qu’en 2018, au début de la mobilisation, seuls 2 collectifs de l’Allier étaient mobilisés, en 2024, on dénombre plus d’une dizaine de collectifs impliqués dont de nombreuses ONGs internationales, dont la Fondation Danielle Mitterrand et European Water Mouvement.
La date du 18 Aout est désormais décrété journée internationale contre l’extractivisme, avec la réalisation d’un film commun diffusé sur les réseaux sociaux, dénonçant le déséquilibre entre la dépossession de la terre appartenant à la population locale, au bénéfice d’une minorité privilégiée qui a toujours besoin de davantage d’énergie.
Une contrattaque orchestrée sur l’échiquier économique par la société civile
D'un côté, les promoteurs du projet présentent l'exploitation du lithium comme une opportunité unique de relancer l'industrie française (des investissements estimés entre 140 et 165 millions d’euros) et de favoriser l’emploi local, comme l'a annoncé le maire d'Échassières : « L’arrivée d’IMERYS, c’est la création certaine de 500 emplois directs et environ 1 000 emplois indirects, ce qui va nous permettre d’attirer des familles et ainsi de conserver notre école ». Cette déclaration renvoie une nouvelle fois sur l’échiquier sociétal et cherche à convaincre les plus indécis, sensibles aux arguments environnementaux.
Pour convaincre, IMERYS s'appuie sur les thématiques liées au désenclavement des zones rurales et le renforcement de notre autonomie stratégique vis-à-vis des pays étrangers. Ils mettent en avant les technologies innovantes qui permettraient de minimiser l'impact environnemental de l'exploitation et soulignent l'importance de sécuriser l'approvisionnement en métaux rares, essentiels pour la transition énergétique.
Stigmatiser les risques industriels
Du coté des opposants, ils alertent sur les risques environnementaux liés à l'extraction du lithium : la pollution des sols et des nappes phréatiques, la destruction d'habitats naturels et la consommation excessive d'eau dans des régions déjà fragilisées par le changement climatique. Ils mettent en garde contre les conséquences à long terme de l'exploitation minière et rappellent que les promesses d'une exploitation "propre" sont souvent difficiles à tenir. Ces arguments permettent d’attester que la réforme du code minier en octobre 2022 n’a pas convaincu :
Un incendie important à Rouen dans une usine de Lithium.
Y ajouter une touche de catastrophisme, en évoquant des tremblements de terre ressentis près de Rittershoffen en Alsace.
S’appuyer sur le soutien des médias « Main Stream »
Dans son interview du 25 octobre 2022, la journaliste Apolline de Malherbe reçoit le maire d’Échassières, Frédéric DELAIGRE et utilise une argumentation très largement en faveur du projet d'IMERYS, à savoir, le côté novateur d'une mine souterraine, qui va fonctionner en sans camion, avec la poursuite de l’exploitation d’une mine existante, ce qui laisse sous-entendre que finalement cela ne change pas grand-chose. La journaliste aborde également l’utilisation de véhicules électriques pour le transport final.
Ce n'est qu’en fin d’interview qu'elle évoque la consommation excessive de l’eau, et de conclure : « C’est génial, c’est la fin de la dépendance, reprendre notre souveraineté, un beau circuit français ! » … Son positionnement est sans équivoque.
Une accélération soudaine des acteurs politiques prenant de court la société civile
Dès 2022 IMERYS se range derrière les actions du gouvernement en matière de métaux stratégiques et commence ses opérations de sensibilisation, notamment son Directeur Général, Alessandro DAZZA, qui lors d’une séance de débat public évoque le Rapport du GIEC : « …Qui fait consensus scientifique… » ce qui qualifie de facto la pertinence et le besoin urgent de la relance de l’exploitation minière.
Dès lors, l’État déroule sa feuille de route et donne un nouveau coup d’accélérateur en plaçant les industries d’exploitation minière sur la liste des "projets prioritaires". Cette inscription peu avant le remaniement gouvernemental de 2024 permet de « forcer » la ligne politique et ainsi éviter que le projet ne soit abandonné comme l’indique Guillaume PITRON dans une Interview en mai 2024.
De son côté le parti EELV est favorable au projet tout comme le parti communiste comme l’a indiqué son secrétaire général :
"Pour faire des voitures électriques pas chères, il vous faut un bon litre d’éthanol, un bon litre d’hydrogène, et une bonne barque de lithium. C’est comme ça qu’on fait de l’écologie populaire ! »
« Pouvoir extraire le lithium en France avec des normes sociales et environnementales, sans être obligés de l’importer avec le coût environnemental que ça représente, c’est une opportunité que nous devons saisir ». Fabien Roussel
« C’est en partie dans l’Allier que se jouera la bataille cruciale de la transition énergétique et de la souveraineté économique… ». Madame le préfet de l’Allier, 19 mars 2024.
Au-delà des aspects techniques et scientifiques, ce débat soulève des questions fondamentales sur notre modèle de développement économique et sur notre rapport à l'environnement. Il met en lumière les difficultés à concilier les impératifs économiques avec les enjeux environnementaux et sociaux.
Le projet d'exploitation du lithium en France est, à ce titre, un cas d'école qui illustre les tensions. Les choix qui seront faits entraîneront des conséquences majeures pour l'avenir de notre pays…
Christophe Demeslay (MSIE44 de l’EGE)
Sources
France 3 allier, Mine de lithium : un projet reconnu d’intérêt national Majeur par l’état, 07 juillet 2024.
IRIS, Que faut -il retenir du European Critical Raw Materials act, mars 2023.
Front populaire, Bientôt une mine de lithium en France, 14 juillet 2024.
Ecologie.gouv, Projet de réforme du code Minier, 18 avril 2O23.
Tikographie.fr, Lithium à échassières quel est ce projet à nos portes, 9 novembre 2023.
Tikographie.fr, Lithium à échassières la forêt, la mine, et les contestataires, 11 novembre 2023.
Franceinfo, La première usine Française de Lithium sera installée en Alsace, 23 juillet 2024.
La relève et la peste, Un projet de mine de lithium gigantesque inquiète les habitants dans l’Allier, 27 mars 2024.
Region-Aura.latribune, Lyon Bordeaux : projet de mine, la région prête à relancer la ligne SNCF, 12 juillet 2024.
Basta.media, Mine de Lithium en France : contestations et inquiétudes au niveau local, 4 juillet 2024.
France3 Régions France info, La première usine française de lithium s'installera en Alsace, 24 juillet 2024.
LEGIFRANCE, Décret qualifiant de projet d’intérêt national Majeur l’extraction du lithium par Imérys, 05 juillet 2024.
Emili.imerys, Projet Emili, une gestion raisonnée de l’eau…, 25 mai 2023.
CNDP, Vidéo 3min pour comprendre les enjeux, mars 2024.
France nature environnement, il protège les amphibiens en forêt des colettes, 24 mai 2023.
La Montagne, Quand des enfants sauvent les grenouilles, 19 mai 2019.
Politis, Dans l’allier, une future mine de lithium électrise le débat, 26 mars 2024.
Dijoncter.info, Mine de lithium à Échassières (Allier), 22 mai 2024.
Emili.imerys.com, EMILI : Projet d’exploitation du Lithium, juillet 2023.
Emili.imerys, Concertation : 5 premières réunions publiques pour prendre contact, 2 décembre 2022.
Reporterre, Ne nous parlez pas de sauver le climat, 15 mars 2024.
Reporterre, Mine de lithium en France ? un casse-tête environnemental, 2 nov 2022.
Paris-luttes.info, Mine de lithium à Échassières : opposition à la construction…, 24 mars 2024.
Emili.imerys.com, Le rail mode de transport privilégié, 05 juin 2023.
Emili.imerys, …accueillir les visiteurs des journées du patrimoine 2023, 18 septembre 2023.
Emili.imerys, Le site de Beauvoir ouvre ses portes aux élèves d’Échassières, 07 juin 2023.
L’usine nouvelle, un rapport sénatorial préconise la relance de la filière minière, 13 juillet 2022.
Emili.Imérys, Une délégation régionale d’EELV visite le site de Beauvoir, 15 nov. 2022.
Ecologie.gouv, France 2020 : le gouvernement dévoile les 5 premiers Lauréats, 24 octobre 2022.
Pour aller plus loin,
Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, Paris, Edition Les liens qui libèrent, 2018.
CNDP, Débat public sur l’ouverture de la mine de Lithium dans l’Allier.
Témoin RMC, Frédéric Dalaigre, 25 octobre 2022.