Enjeux et confrontations autour de l’unification du marché de l’épargne en Europe

La liberté de circulation des capitaux constitue l’une des quatre libertés fondamentales permettant la constitution du marché unique de l’Union européenne (ci-après «UE »). Visée à l’article 63 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), celle-ci a permis de remplir un objectif de constitution d’un marché commun puis unique dans l’UE. 

A la suite de la crise financière de 2008, le sujet de l’unification des marchés de capitaux européens a été officiellement présenté par la Commission européenne comme solution aux risques financiers. Ce plan, datant de 2015, dont les objectifs sont multiples et ont évolué dans le temps, vise à encadrer les flux de l’épargne individuelle dans l’Union européenne laquelle est estimée à environ 35 000 milliards d’euros. Au sein de cette épargne, la part représentant l’épargne retraite privée varie de manière importante d’un État à l’autre. 

Contexte

Alors que le montant de l’épargne retraite privée aux Pays-Bas représente 210 % du PIB quand elle ne représente que 3 % du PIB en France[1]. Cette disparité constitue, pour les partisans d’un approfondissement de l’intégration européenne, un frein à la création d’un marché unique de l’épargne en Europe. On notera que ces divergences résultent de choix politiques de structuration des systèmes de retraite différents selon les États et leurs acteurs économiques. Ainsi, la France a structuré son marché de la retraite supplémentaire, lequel est très réduit, autour des grandes compagnies d’assurances et des mutuelles. 

Dans cette perspective, la Commission européenne, soutenue par le gouvernement français, a décidé de créer un nouveau dispositif paneuropéen de retraite, le PEPP (Pan-european Pension Plan)[2]. La création de ce nouveau produit a été présentée et promue par la Commission comme une avancée majeure permettant de favoriser la mobilité des travailleurs en Europe et de renforcer la concurrence par l’introduction de nouveaux acteurs. En réalité, l’enjeu principal de cette réforme semble être d’une part la constitution d’un grand marché unique de l’épargne harmonisé et d’autre part le transfert du pouvoir de supervision des régulateurs nationaux (Banque de France via l’Autorité de Contrôle Prudentiel de Résolution ci-après ACPR) au profit du régulateur européen (European Insurance and Occupational Pensions Authority, ci-après EIOPA). Situé initialement sur un contexte purement économique, le débat s’est déplacé sur le terrain politique avant de réintégrer son contexte initial sur des bases renouvelées. 

Il apparaît un décalage entre les objectifs exposés par les promoteurs de l’union du marché des capitaux, pour lesquels le PEPP devait constituer le premier jalon, et la réaction des acteurs intéressés sur les plans économiques, civils et institutionnels (autorités de régulation internes). 

L’objectif d’union du marché des capitaux au moyen d’une européanisation des produits de retraite constitue un projet ancien (I). Cette volonté a rencontré une résistance importante de la part des acteurs économiques et de la société civile (II) ce qui a poussé les institutions européennes à redéfinir ses objectifs (III). 

L'appel à la réforme du marché européen de l'épargne retraite par des nouveaux opérateurs financiers et les entreprises transnationales

L’idée d’union des marchés de capitaux a très tôt été promue par les groupes financiers internationaux et leurs relais. Ainsi, l’EFAMA (European Fund and Asset Management Association), qui représente les intérêts des gestionnaires d’actifs en Europe, a milité dès 2010 pour que la Commission européenne se saisisse du sujet des fonds de retraite en Europe. Les recommandations ont notamment porté sur l’orientation de l’épargne européenne vers des produits de retraite bloqués permettant une meilleure allocation vers les entreprises (avec une part de risque accru) plutôt que des obligations sécurisées. De même, l’organisme de lobbying insiste sur la nécessité de fluidifier la diversité des marchés de capitaux domestiques européens qu’il qualifie de coûteux, inefficients et dont l’accès est limité :

« Standing in the way of this is a highly inefficient pensions market in Europe where fragmentation of markets is too high, access is too limited, costs are too high, innovation too low and choice too limited. To overcome these problems, the development of a single market for pan-European pension products would represent an important step forward towards overcoming these problems, leading to lower costs of pension provision and higher returns. »

EFAMA – Annual report 2010 p33

D’un point de vue de macro-économique et politique, l’association insiste sur l’objectif de développement de la mobilité internationale en Europe, d’approfondissement de l’intégration européenne et d’augmentation de la compétitivité : 

« The Commission should develop a regulatory framework for pan-European pension plans to allow individuals to enjoy portable pension plans, foster job mobility, stimulate competition and reduce the cost of saving for retirement. »

EFAMA – Annual report 2010 p33

Ces arguments sont doublés d’une critique des principaux fonds d’investissement internationaux envers les systèmes de retraite internes et plus particulièrement le régime français. Nous rappellerons également que le taux d’épargne français est l’un des plus élevés d’Europe. Se traduisant par attaque informationnelle constante, la communication de BlackRock a ainsi régulièrement souligné une absence de confiance des populations européennes envers la pérennité des systèmes internes :

« Le manque de confiance des Français en la pérennité du système de retraite d’après-guerre explique certainement en partie leur taux d’épargne élevé (14%) au regard des autres épargnants européens. »

BlackRock – Viewpoint Juin 2019 – Loi Pacte : le bon plan retraite

Outre l’accent mis sur le taux d’épargne élevé des français, la solution avancée par les fonds d’investissement passerait par une meilleure allocation de l’épargne individuelle vers les entreprises.

« Il en résulte un manque de diversification et de performance financière dans un contexte de taux d'intérêts peu élevés et, comme le gouvernement français l'a souvent souligné, une incapacité de l'épargne domestique à financer l'économie, contrairement à la situation d'un grand nombre de pays dans le monde. »

BlackRock – Viewpoint Juin 2019 – Loi Pacte : le bon plan retraite

Dans cette perspective, les recommandations des fonds portent sur la création de produits transnationaux tel le projet PEPP en Europe :

« Le projet de produit paneuropéen d’épargne-retraite individuelle est clé dans le cadre du plan Juncker, qui vise à augmenter le niveau des investissements dans l’économie européenne en connectant mieux l’épargne et les besoins de capitaux. Le PEPP a pour objectif de relier l’épargne retraite individuelle des citoyens avec les besoins de financement de l’économie européenne, en particulier des entreprises. »

BlackRock – Viewpoint Juin 2019 – Loi Pacte : le bon plan retraite

Nous noterons également l’opportunité, pour les groupes transfrontaliers, de développer leur propre produit de retraite et d’épargne intragroupe (forme d’auto-financement). 

La victoire au niveau européen du modèle anglo-saxon d'épargne retraite et la critique des modes de financement traditionnels

Les opérations d’influence auprès des institutions européennes ont logiquement orienté les travaux préparatoires à la création du produit paneuropéen de retraite. 

Cette influence peut être décelée dès la publication du livre blanc de l’UE du 16 février 2012 dans lequel la critique des systèmes de retraite nationaux et la nécessité d’introduire des produits d’épargne complémentaires privés est soulignée :

« Le renforcement du rôle de l’épargne-retraite complémentaire privée dépend en premier lieu d’un meilleur accès à des régimes complémentaires d’un bon rapport coût-efficacité. Les possibilités offertes en matière d’épargne-retraite complémentaire dans le cadre des dispositifs professionnels existants et du troisième pilier sont insuffisantes et peu satisfaisantes du point de vue du rapport coût-efficacité et de la sécurité dans de nombreux États membres. Il serait donc utile que l’Union européenne favorise plus activement l’amélioration de la couverture des citoyens (hommes et femmes) et la diffusion des bonnes pratiques, notamment par un ciblage optimal des incitations fiscales visant à favoriser les régimes de retraite par capitalisation. 

De telles mesures peuvent être portées par les gouvernements ou les partenaires sociaux. 

Étant donné qu’à l’avenir les citoyens dépendront davantage de l’épargne-retraite complémentaire, la sûreté et les performances de ces dispositifs devront être améliorées. Le perfectionnement de la réglementation et des mesures juridiques non contraignantes (soft law) de l’UE peut y contribuer de manière significative. Enfin, les régimes de retraite complémentaires doivent être compatibles avec les exigences de flexibilité du marché du travail et de mobilité professionnelle. »

Livre blanc de l’UE : Une stratégie pour des retraites adéquates, sûres et viables – p18

La réforme du marché de la retraite complémentaire allant de pair avec le projet d’union des marchés de capitaux, la Commission européenne a présenté son projet PEPP le 20 juin 2019 dont les objectifs reprennent l’argumentaire développé par les grands acteurs financiers à savoir :

  1. L’amélioration des conditions de concurrence pour les fournisseurs de produits d’épargne-retraite individuelle ;

  2. Achèvement de l’union des marchés des capitaux ;

  3. Diminution des obstacles à la fourniture transfrontière de services de retraite ;

  4. Accroissement de la concurrence entre les fournisseurs à un niveau paneuropéen.

Concomitamment, l’EIOPA a mis en place un panel d’experts chargés d’élaborer les futures règles de gestion du produit paneuropéen. En choisissant de recourir à ce type d’outil, l’EIOPA et la Commission ont mis en avant les exigences d’indépendance et d’expertise technique. 

Or l’étude de la composition de ce panel permet de constater que celui-ci comprend des acteurs éloignés du champ traditionnel de l’épargne retraite français (gestionnaires d’actifs et de patrimoines, fonds d’investissement, fonds de pension anglo-saxons, grandes entreprises internationales…). Ces nouveaux entrants ont eu une influence sur les conclusions du groupe de travail et par la même, les règles de fonctionnement édictées par l’EIOPA. 

Dans la logique développée durant la phase de lobbying, les règles édictées par l’EIOPA reprenaient deux grandes orientations :

  1. Une ouverture du marché de l’épargne retraite à des nouveaux acteurs issus du milieu de la finance et de la gestion de patrimoine ;

  2. L’Union des marchés de capitaux nécessite le transfert des pouvoirs de supervision nationaux vers les instances européennes. A ce titre, l’EIOPA disposera de compétences nouvelles au détriment régulateurs nationaux (ACPR et AMF en France).

La résistance des acteurs nationaux et de la société civile

La crainte d'une perte de pouvoir des superviseurs nationaux

L’adoption du règlement européen PEPP a acté le projet ancien, et corollaire à l’union des marchés de capitaux, de transfert de la compétence de supervision vers les superviseurs européens dont l’EIOPA fait partie. 

En France, à l’opposé de l’échiquier institutionnel, le superviseur national a immédiatement perçu un risque de perte de compétence et a vivement réagi. Toutefois, la réaction est restée cantonnée au domaine spécialisé de la presse bancaire et assurantielle. 

Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a ainsi axé sa riposte informationnelle sur l’aspect de la sécurité financière et la concurrence :

« Il crucial que l’innovation produits continue d’être menée de manière prudente sans mettre en danger la protection des assurés. Sur ce point, une attention particulière devrait être portée sur le PEPP »

L’argus de l’assurance : Épargne-retraite : le produit de pension pan-européen (PEPP) fait grincer des dents – 22 novembre 2017

De même, le superviseur français souligne la nécessité de protéger les acteurs traditionnels de l’épargne retraite et a exprimé sa crainte liée à l’introduction de nouveaux acteurs dont le mode de fonctionnement est issu du monde anglo-saxon. En outre, il existerait une distorsion de concurrence entre les différents acteurs liés à règles de solvabilité différentes : 

« la garantie pourrait dépendre de l’entreprise financière qui offre le PEPP, car il y a une différence entre les compagnies d’assurance régies par Solvabilité 2 et les gestionnaires d’actifs, qui ont des exigences en capital moindres ».

L’argus de l’assurance : Épargne-retraite : le produit de pension pan-européen (PEPP) fait grincer des dents – 22 novembre 2017

Cet argument a pris de revers les institutions européennes pour lesquelles les entraves à la concurrence doivent être combattues. 

La position clairement affichée de la plus haute autorité financière indépendante française n’a pour autant pas permis d’aligner les positions des institutions françaises. Le gouvernement, dans l’optique d’un renforcement de l’intégration européenne et de promotion de l’épargne privée, a poursuivi et encouragé l’initiative de la Commission, actant de fait l’échec de la contre-offensive du superviseur.

A titre d’information, l’argument relatif aux conditions de mise en concurrence des acteurs financiers a cependant été retenu en assouplissant les ratios de solvabilité des organismes d’assurance dédiés à l’activité de retraite. Le législateur a ainsi autorisé, à travers la loi Sapin II, la création des organismes de retraite professionnelle supplémentaires lesquels sont soumis aux ratios de solvabilité de la directive Solvabilité I qui sont moins contraignants que ceux issus de la directive Solvabilité II. 

La position du superviseur national semble avoir été partagée par les acteurs historiques du marché de l’épargne retraite en France. 

L’épargne retraite française s’est constituée autour des compagnies d’assurance et des mutuelles dont le fonctionnement et les règles prudentielles permettait d’assurer la stabilité du système financier français.  

La logique anglo-saxonne conduit à articuler le marché de l’épargne retraite autour des fonds d’investissement et des gestionnaires d’actifs dont la taille est très diverse. Ces entités jouissent d’une grande liberté d’investissement et ne sont pas soumis aux mêmes normes prudentielles que les assureurs. Dans cette perspective, nous comprenons mieux l’argument développé par le superviseur français concernant les distorsions de concurrence liées aux ratios de solvabilité. 

Face à ces nouveaux acteurs, la réaction des organismes d’assurance a pris la forme d’un endiguement informationnel au moyen d’une invisibilisation du PEPP. En effet, les ressources financières et juridiques des acteurs historiques leur auraient permis de conforter leur position dominante dans le marché de l’épargne retraite en disposant dans leur gamme, dès son entrée en vigueur, du nouveau produit. Or il n’en fut rien et l’ensemble des assureurs et mutuelles français ont exclu de commercialiser ce nouveau produit dont les frais de gestion sont par ailleurs fortement limités.

Le passage d'une confrontation économique et institutionnelle à la société civile

Comme nous avons pu le constater, l’enjeu autour de l’union des marchés de capitaux au moyen, dans un premier temps, de l’introduction du PEPP a pris la forme d’une lutte informationnelle entre les différents acteurs économiques (argument de l’intégration européenne d’un côté et perte de souveraineté de l’autre). 

Or la lutte a également investi le terrain civil et politique à la faveur de la réforme des retraites de 2023 (Loi n°2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023). 

Cette réforme a modifié progressivement l’âge légal de départ en retraite en le fixant à 64 ans. Elle s’inscrit dans le mouvement global d’évolution du système de retraite français dont la loi PACTE de 2019 a constitué le premier jalon avec l’introduction d’un produit de retraite supplémentaire unique (plan d’épargne retraite ci-après « PER »). 

Face à cette réforme, les syndicats ont fait le lien entre la réforme des retraites et la création du PEPP. Des critiques, provenant de la gauche radicale, ont ainsi émergées dès la présentation du règlement européen de 2019. 

La confrontation a également pris la forme d’actions coups de poing de la part de certaines ONG (ATTAC) et syndicats (SUD). Ont été particulièrement visés, les grands fonds internationaux comme BlackRock ou Natixis[i].

L’extension du domaine de lutte informationnelle à la société civile a eu pour conséquence de repositionner les termes du projet de réforme de l’épargne retraite en une adhésion ou non au système de retraite par capitalisation[ii]. Dans ce cadre, le rejet massif de la réforme des retraites n’a pas favorisé une adhésion de la société civile au projet PEPP. 

L’offensive des syndicats, de la société civile et des ONG, à l’encontre du projet global de réforme du système de retraite français, notamment son volet PEPP, n’a pas empêché l’adoption de la réforme des retraites d’une part et la transposition du règlement PEPP en droit interne d’autre part. 

Ainsi la loi 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture dite « loi DDADUE » a intégralement aligné le régime du PEPP sur le régime d’épargne retraite français du PER. De même, dans la poursuite d’encouragement à la mobilité, l’adhérent d’un PER français peut transformer ce dernier en PEPP y compris via transfert vers un nouvel acteur du marché de la retraite. 

La séquence d’affrontement des différents acteurs économiques et civils s’est donc achevée par une victoire juridique du gouvernement français et des institutions européennes. Pour autant, cette victoire temporaire n’a pas pu masquer un échec d’implantation du nouveau produit paneuropéen dans le système financier français.

Le rejet et l'invisibilisation du produit paneuropéen de retraite : un frein à l'union des marchés de capitaux

L’union des marchés de capitaux, dont le PEPP devait constituer le vecteur, s’est heurté à une significative résistance des acteurs nationaux. La réaction s’est traduite par une pure et simple invisibilisation du nouveau dispositif au sein de la gamme des produits d’épargne retraite des groupes financiers français. La presse spécialisée n’a pas manqué de souligner l’absence d’intérêt des banques et assureurs malgré une campagne de promotion des institutions nationales et européennes[iii].

Cette attitude d’endiguement semble avoir été reproduite dans la quasi-totalité des États européens. En effet, deux années après l’introduction du dispositif et à l’échelle de l’UE, seul un acteur a commercialisé le produit[iv]. Les montants d’actifs gérés sous ce nouveau régime sont sans communes mesures avec les dispositifs d’épargne retraite nationaux tel le PER en France. 

Face l’échec de ce premier jalon du projet d’union des marchés de capitaux, les institutions européennes et le gouvernement français ont eux-mêmes cessé d’argumenter en faveur du dispositif PEPP, préférant communiquer désormais sur la nécessaire utilisation de « l’épargne dormante » en Europe et son utilité dans le cadre des crises en cours.

Une volonté de relance du projet d'union des capitaux par le gouvernement français : le rapport Noyer

Face au ralentissement du projet d’union du marché des capitaux dû à l’échec du PEPP, le gouvernement français, à travers le ministre des Finances, a relancé ce thème lors du conseil ECOFIN du 23 février 2024 lequel réuni l’ensemble des ministres des finances de l’UE. 

Bruno Lemaire a présenté trois propositions :

. La première est la nécessité de puiser dans l’épargne européenne pour financer la croissance :

« La croissance européenne, elle est enchaînée et la responsabilité des ministres des Finances, la responsabilité des ministres de l'économie, c'est de libérer la croissance européenne de ses chaînes. Je vois aujourd'hui trois chaînes qui doivent être brisées sans délai. 

La première chaîne qui empêche le développement de la croissance européenne, c'est l'argent, il n'y a pas assez d'argent disponible. L'argent des Européens, il dort, au lieu de travailler et si nous voulons que l'argent des Européens travaille au lieu de dormir, il faut mettre en place l'Union des marchés de capitaux, la mettre en place sans délai. Dès 2024, il doit y avoir des progrès sur l'union des marchés de capitaux. »

. La deuxième est la création d’un nouveau produit d’épargne européen à la suite de l’échec du PEPP.

. La troisième est un nouveau projet de titrisation dont l’objectif est de modifier les exigences de solvabilité des établissements bancaires afin de faciliter les prêts. 

Les arguments invoqués pour justifier ces évolutions ont évolué. Auparavant axé sur l’aspect économique et la compétitivité dans le cadre du PEPP, le nouveau produit d’épargne doit désormais favoriser la transition énergétique et l’intelligence artificielle :

« Vous voyez bien que les besoins d'investissement sont considérables. Il n'y a plus d'argent public. Il faut bien qu'il y ait d'investissements privés. Pour financer l'intelligence artificielle, pour financer la transition climatique qui demande des dizaines de milliards d'euros d'investissements chaque année. »

(…)

« Il faut notamment sur l'intelligence artificielle qui va nous permettre de gagner en productivité et améliorer la croissance européenne, que nous soyons capables d'investir davantage sur les algorithmes, sur les supercalculateurs, sur les puces et semi-conducteurs, il faut que l'Europe investisse davantage. »

 

Bruno Lemaire – Conseil ECOFIN du 23 février 2024

 

En concomitance de l’offensive médiatique du ministre français des finances, le ministère de l’économie a constitué, le 8 janvier 2024, un comité ad hoc chargée de présenter des propositions en vue de l’approfondissement de l’union des marchés de capitaux. Dirigé par Christian Noyer, ancien gouverneur de la Banque de France, il était composé d’un panel d’experts plus restreint que celui créé par les institutions européennes lors de la préparation du dispositif PEPP (grands assureurs/banques uniquement tels AXA et BNP Paribas, grands gestionnaires d’actifs eux-mêmes rattachés à des groupes bancaires tels Amundi ou Natixis, autorités de régulations tels l’Autorité des normes comptables et l’AMF). 

Le rapport, très documenté, constate dans un premier temps l’échec du projet d’union du marché des capitaux par le dispositif PEPP dont la cause serait une inadéquation du régime fiscal, pourtant strictement similaire aux produits internes en France, et le refus des États membres de favoriser ce dispositif :

« Les mesures les plus transformatrices se sont toutefois heurtées à un double phénomène de blocage politique et parfois, de manque d’appropriation en raison de leur degré élevé de complexité. Le projet de produit d’épargne européen (PEPP), a ainsi été handicapé par un plafonnement des frais irréaliste, qui a découragé les acteurs privés à se saisir de cette possibilité, et s’est aussi heurté aux refus des Etats membres de consentir à un régime fiscal approprié. En dépit d’une proposition ambitieuse de la Commission, la révision du cadre des autorités européennes de supervision en 2017 n’a pu déboucher que sur des évolutions à minima. 

Ces blocages s’expliquent en partie par un cadrage politique insuffisamment clair. L’approfondissement et l’intégration des marchés de capitaux ont été présentés comme des mesures visant à renforcer le partage des risques et la résilience du système financier, et trop rarement comme un outil indispensable au financement des entreprises européennes. L’approche consistant en des révisions successives des textes existant n’a pas aidé à clarifier les objectifs poursuivis, au détriment du portage politique de cet agenda. Dix ans plus tard, alors que le décrochage des marchés européens se poursuit, une nouvelle approche est donc nécessaire. »

Développer les marchés de capitaux européens pour financer l’avenir : propositions pour une épargne européenne de l’investissement – 2024 – p31

 

Le narratif développé par le comité, lequel est composé de grands groupes bancaires et assurantiels français, ne fait aucunement peser la culpabilité de l’échec sur les acteurs économiques eux-mêmes alors même que le choix de commercialiser le PEPP leur incombait.

 

Face à l’échec de l’intégration par le PEPP, le comité émet quatre propositions :

  1. Développer des produits d’épargne européens de long-terme, investis principalement en Europe. Cette première étape est indispensable selon le rapport pour accroitre les flux vers les marchés de capitaux européens : sans une base investisseurs massive, des marchés de capitaux profonds ne pourront pas émerger.

  2. Relancer le marché de la titrisation, pour adosser la capacité de prêts des banques européennes à des marchés de capitaux profonds.

  3. Avancer vers une supervision intégrée des activités sur les marchés de capitaux, afin de construire un véritable marché unique et de mieux garantir la stabilité financière.

  4. Envisager des « mesures ambitieuses » pour résorber la fragmentation du règlement-livraison (mesure tenant au transfert de propriété des titres dont les délais varient selon les États).

L’étude des propositions, très documentées, du rapport Noyer laisse entrevoir le rôle prépondérant des grandes banques et assurances françaises. Les objectifs de l’union n’est plus la compétitivité des travailleurs et la mobilité internationale comme affiché initialement mais un assouplissement de certaines règles financières. Sont visés ici les techniques de titrisation des prêts et par conséquent les règles de solvabilité qui constituent le cœur de la réglementation bancaire et assurantielle :

« Dans ce contexte, il est impératif de corriger rapidement le cadre réglementaire et prudentiel de la titrisation. La première priorité doit être de restaurer la base d’investisseurs, en corrigeant le cadre prudentiel applicable aux assureurs et en étendant l’éligibilité des actifs titrisés aux coussins bancaires de liquidité (LCR). 

La deuxième priorité consiste à simplifier les règles de transparence pour faciliter à la fois l’émission et l’acquisition d’actifs titrisés, notamment via un allègement du contenu et une meilleure délimitation du champ des disclosure templates de l’ESMA. Enfin, le cadre prudentiel bancaire doit être corrigé (not. Rééquilibrage du p-factor), même si cela implique une déviation par rapport aux règles bâloises, ce que d’autres grandes économies, les Etats-Unis au premier chef, font déjà et continueront à faire. 

Toutes ces mesures réglementaires et prudentielles sont aujourd’hui bien identifiées et beaucoup font consensus. Seul manque un calendrier de mise en œuvre rapide. »

Développer les marchés de capitaux européens pour financer l’avenir : propositions pour une épargne européenne de l’investissement – 2024 – p8

Sur le plan politico-économique, le rapport acte de la volonté de transfert des pouvoirs de supervision des régulateurs nationaux vers des autorités européennes malgré les réticences initiales de la Banque de France (ACPR). 

 

Le projet ancien d’union des marchés de capitaux, corollaire de la liberté de circulation des capitaux, a donné lieu à un affrontement informationnel entre d’une part les institutions politiques françaises et européennes (Commission, EIOPA) et d’autre part les grands groupes bancaires et assuranciels français. L’initiative venue de la Commission s’est traduite par la mise en avant d’arguments économiques destinés aux travailleurs européens comme la compétitivité ou la mobilité internationale ou l’approfondissement de la construction européenne. 

 

Ces arguments de poids n’ont dans un premier temps suscité de réaction que des seuls superviseurs nationaux dont les arguments n’ont pas rencontré d’écho. Dans un deuxième temps, une fois le dispositif créé, les acteurs économiques traditionnels du marché de l’épargne retraite ont utilisé une tactique d’invisibilisation dans le contexte politiquement tendu de la réforme des retraites joignant ainsi la lutte de l’échiquier économique à l’échiquier civil. 

 

Le superviseur national, bien qu’acteur partie à l’affrontement, a acté sa perte de compétence au profit des régulateurs européens.

Le succès de cette tactique d’endiguement a conduit les pouvoirs publics français et européens à acter l’échec du PEPP. Pour autant l’objectif d’union des marchés de capitaux se poursuit en France en y associant plus directement les grands groupes bancaires et assurantiels. Cette association conduit à déplacer la réforme du marché de l’épargne vers le sujet des règles prudentielles ce qui signe la victoire, peut être provisoire, des acteurs financiers. 

 

Olivier Bolzer,
étudiant de la 44ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)

 

Notes


[2] https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/pan-european-personal-pension-product.html


[i] La Tribune : Réforme des retraites : les bureaux de Blackrock et Natixis envahis par des manifestants – 6 avril 2023

[ii] Jacques-Olivier Charron - Le nouveau cadre européen d’épargne retraite par capitalisation (PEPP) : une opportunité pour la gestion d’actifs – Sociologie politique de l’économie – 26 décembre 2019

[iii] Sybille Vié : Le produit d’épargne retraite européen boudé pour son lancement – L’argus de l’assurance, 22 mars 2022

[iv] Jack Schickler : Politique de l'UE. Le plan de l'Europe pour les retraites ne fonctionne pas – Euronews – 8 mars 2024