Diamants naturels vs synthétiques : comment la bataille entre producteurs redéfinit l'industrie joaillière
Lorsque vous achetez un diamant, vous posez-vous toujours la question de sa provenance ? Mais aussi s’il est naturel ? Les diamants synthétiques ont la même structure carbonée que les diamants naturels et sont indiscernables de ces derniers sans équipement de test spécialisé. En effet, le marché des diamants est actuellement le théâtre d'une lutte entre producteurs de diamants naturels et synthétiques. D'un côté, les diamants naturels sont vantés pour leur rareté et leur origine millénaire ; de l'autre, les diamants synthétiques se présentent comme une alternative éthique et plus abordable. Ainsi les leaders du marché s'affrontent au travers de leurs coalitions respectives. Ainsi De Beers, Petra ou Rio Tinto, ainsi que d’autres acteurs, ont constitué une coalition sous le nom de National Diamond Council (NDC) et s'efforcent à travers elle de démontrer que les diamants naturels conservent une valeur supérieure en raison de leur authenticité et de leur ancienneté. En parallèle, l’International Grown Diamond Association (IGDA) 2.0 a été créé pour mettre en avant la précision technologique et les avantages environnementaux potentiels des diamants cultivés en laboratoire et représente entre autres Sky Diamond, Diamond Foundry, Chatham ou Pure Grown Diamond. Les diamants de laboratoire sont clairement une affaire sérieuse pour De Beers. Avec des ventes de bijoux aux États-Unis atteignant 62,3 milliards de dollars en 2020, Edahn Golan Diamond Research estime que la part de marché des diamants de laboratoire est passée de 2 % en 2019 à 3,1 % l'année dernière.
En 2020, la production mondiale de diamants synthétiques a atteint entre 6 et 7 millions de carats. Pendant ce temps, la production de diamants extraits a chuté à 111 millions de carats l'année dernière, après avoir culminé à 152 millions en 2017, selon un rapport du Centre Mondial du Diamant d'Anvers (AWDC) et du cabinet de conseil Bain & Company. La production a le plus baissé en Russie, au Canada, au Botswana et en Australie. Pour une compréhension complète des événements avant 2020.
A l’heure actuelle, environ deux tiers de tous les magasins de bijoux aux États-Unis stockent des diamants de laboratoire, contre seulement environ 10 % en 2017. Face à cette expansion, nous examinerons le tournant qu'empruntent les hostilités informationnelles entre ces deux camps, à travers la stratégie de la NDC et De Beers, ainsi que l’étude du cas de Pandora et de Sky Diamond.
Temporalité de la confrontation : les mesures offensives
L'industrie des diamants naturels a depuis 2015 environ lancé une opération d’encerclement cognitif visant à maintenir la valeur culturelle et symbolique du diamant naturel, surtout auprès des millenials et de la génération Z. Cette stratégie repose sur un renforcement de leur valeur symbolique et du désir, en soulignant leur authenticité, leur rareté, leur valeur historique et leur provenance éthique à travers diverses campagnes publicitaires (“Real, Rare, Responsible”).
Dans le champ cognitif, pour convaincre ce public sensible aux enjeux éthiques, le Natural Diamond Council a lancé des initiatives centrées sur des valeurs comme la responsabilité sociale, l'environnement ou l'amour. L'utilisation des médias sociaux et de collaborations avec des leaders d'opinion ou des parrainages de leaders sociaux LGBTQI+ comme leviers, amplifie ce message. L'initiative Only Natural Diamonds lancée en juin 2020 ou www.Total-Clarity.com lancé par la DPA, renforcées par des collaborations avec des stars et des créateurs de tendances permettent d’orienter l’opinion, grâce à une présentation sélective des faits et des données relative à l’impact écologique, la répétition des publications et l'effet de résonance émotionnelle des réseaux.
Cependant, l'industrie a dû faire face à la réputation négative de “Blood Diamond” et de l'impact environnemental des mines. Pour remédier à ce désavantage, elle s'appuie sur des technologies de traçabilité (application Tracr) et de détection des diamants synthétiques. Ce techno solutionnisme permet deux choses, Tracr est un excellent moyen de détourner l’attention des dégâts de la pollution en plus de générer un gain de temps. Ensuite l'outil de détection agit parfaitement dans cette bataille des imaginaires en étiquetant de faux son congénère, comme une mesure de protection face à une contrefaçon.
Autre biais cognitif, lorsque Pandora a déclaré son passage dans le camp des diamants synthétiques, la réaction de certains leaders du secteur du Naturel a été de sous-entendre qu’il était déplacé voir honteux de mentionner les questions d'éthiques, au regard du désastre humain qu'il adviendrait si la filière venait à disparaître considérant le bénéfice qu’en retire les populations locales. Cet inversement des rôles constitue également une fenêtre d’overton.</p>
“Pandora’s move [...] can have unintended but substantial consequences on communities in developing nations.” “The industry organisations have called upon Pandora to support communities by correcting the record.” (Professionaljeweller.com)
<p>Les mesures de déstabilisation ou de provocation telle que l'appellation de leur plateforme "Only Natural diamonds” (explicitement discriminant), les termes dénigrants dont font l'objet les diamants de laboratoire (“Fantaisie”, “alternative”, “fun”, “fashionable”, etc) ou encore le “Ban” de la Gem Fair Tucson 2025 (annoncé en 2024 par l'American Gem Trade Association (AGTA)) sont particulièrement impactant. Ce dernier représente une étape clé dans l'escalade du conflit en termes d'image et d'opportunités de marché. De plus, De Beers a publié en 2019 un rapport polémique remettant en cause les prétendues valeurs éthiques et environnementales des diamants synthétiques, atteignant un large public sur des plateformes comme Twitter. Frapper les contradictions de l'adversaire dans le but de le décrédibiliser et de le délégitimer en attaquant son centre de gravité est leur stratégie centrale. Cela dit, cela fonctionnerait mieux si le rapport ne s'était pas révélé biaisé comme l'a révélé l'ASA.
De plus, en matière de guérilla juridique, les activités de plaidoyer réclamant l'étiquetage des diamants synthétiques se sont intensifiées, notamment en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, avec des initiatives telles que celles de la Federal Trade Commission et des "Ad Watchdog" aux USA et au Royaume-Uni.
Toutes ces mesures illustrent la dimension hybride des affrontements entre ces deux marchés via une diversité de tactiques employées.
Révision stratégique ou Transition vers une Nouvelle Phase ?
<p>Poursuivons l’analyse de cette compétition dans le champ informationnel, caractérisé par l'ambiguïté, l’absence de vérité ou de maîtrise des narratifs, manipulés par les réseaux, un “espace de non-droit qui se nourrit d'émotions” (Col. Emmanuel Devign, chef du bureau anticipation stratégique des armées et effets), où De Beers a pourtant fait figure d’exception. En effet, lancée en 2018, sa filiale “Lightbox Jewelry” producteur de diamants synthétiques, avait pour objectif même d’imposer un narratif, en plus d’une politique de prix agressive, afin de transformer le marché des diamants de laboratoire en les repositionnant comme une alternative « bon marché » et « fantaisie ».
Fig. 2 : Etude de l’écart des prix entre diamants synthétiques et naturels.
Les prix des diamants synthétiques ont chuté de 2016 à 2023 de plus de 70% pour le prix d’une pierre de 1 carat.
En annonçant ses réorientations purement industrielles en juin 2024 par Al Cook, CEO de Lightbox Jewelry, doit-on conclure à un échec de cette stratégie : matérielle, frontale dans un environnement immatériel et insaisissable ? Ou bien au passage à une nouvelle phase du conflit ? Nommé "Origins", ce changement de cap qui s’inscrit dans une stratégie économique de rationalisation des coûts, tout en maintenant le désir pour les diamants naturels en intensifiant le marketing et en misant sur des investissements à haut rendement couvrant l'ensemble de la chaîne de valeur, de l'exploration à la vente au détail. Quoi qu’il en soit, repli ou passage à la suite de l’offensive, cette décision fait à la suite des mesures drastiques observées chez la concurrence, notamment au sein de la compagnie Pandora dès avril 2021 comme nous le verrons en seconde partie.
Qu’est ce qui explique une telle réorientation de la part de De Beers ?
Pandora a été fondée en 1982 au Danemark. L’entreprise, cotée à la bourse de Copenhague, est le troisième bijoutier après Cartier et Tiffany’s en termes de volumes de ventes dans le monde. En avril 2021, Pandora annonce son passage au tout synthétique. Cette décision est personnelle et une entreprise telle que Pandora est libre de faire ce choix. En revanche, en guerre de l’information, la notion de seuil balise cette navigation en eaux troubles... L’annonce de Pandora franchit un seuil politique dans la façon dont cette décision a été annoncée, comme une prise de responsabilité sociale nécessaire et un devoir éthique, ce qui incrimine de fait le secteur du diamant naturel dans leur nature intrinsèque. Alexander Lacik, PDG de Pandora, a précisé à la BBC que vendre des bracelets en diamants synthétiques à 350 dollars permettrait de laisser le monde en « meilleur état ». Autrement dit, le secteur du Naturel le détruit. Fatalité qui présente Sky Diamond comme la solution : quelles que soient les innovations, les origines des diamants naturels sont indéfendables et le changement, inévitable. Cette annonce a suivi la mise sur le marché immédiat de leur première collection entièrement synthétique, une opération éclaire donc. De plus, tout en imposant à l’adversaire un fardeau moral, cela a permis de dissimuler un changement de stratégie, “Phoenix”, caractérisée par une réduction des coûts, afin d’élargir le public de consommateurs en se montrant plus abordable pour les générations Z et les millenials. D’ailleurs, si l’affrontement s’amplifie sur l’échiquier économique c’est que socialement, le secteur du diamant naturel n’a pas su rétablir sa valeur.
À la suite de ces observations, on peut en déduire que la réorientation stratégique de De Beers ressemble à un ajustement. Enfin, la réponse de la Coalition (NDC), du Responsible Jewellery Council (RJC) ainsi que de l'International Diamond Manufacturers Association (IDMA), a été directe et frontale, appelant Pandora à revenir sur sa décision ! Pandora avait donc renversé le statu quo. Alors que les Diamants de laboratoire sont les nouveaux venus, ce sont les Diamants naturels qui se retrouvent ici dans le camp des révisionnistes.
Tactiques informationnelles de Sky Diamond
L'étude de cas de Sky Diamond illustre les tactiques utilisées par le secteur des diamants synthétiques, représenté par le Lab Grown Diamond Council (LGDC). Sky Diamond est une entreprise innovante spécialisée dans la production de diamants synthétiques écologiques, présentés comme une alternative durable aux diamants naturels. Elle adopte un discours axé sur les préoccupations de la génération Z et des milléniaux, en utilisant des influenceurs et des réseaux pour inverser la hiérarchie de valeur du secteur de la joaillerie, où l'éthique et l'environnement priment sur la rareté et l'origine.
Paradoxalement, on observe une tendance à brouiller les frontières entre naturel et synthétique afin de maintenir la confusion autour de l'origine. On peut en déduire qu'il s’agit ici de s'appuyer sur ce qui existe déjà, afin d'acquérir la légitimité nécessaire pour prétendre révolutionner le marché. Ainsi Sky Diamond place son authenticité dans la composition chimique de la pierre plutôt que dans son origine géologique, ce qui remet en question la valeur des diamants naturels. En effet, comment justifier leur coût plus élevé du fait des procédés d'extraction ? Ce déplacement des perceptions vise à provoquer chez le consommateur une remise en question de la valeur des diamants naturels. Cela soulève aussi les risques encourus par ces possibles pratiques trompeuses, comme l’ont illustré les récentes poursuites de la NDC via l’ASA.
L'industrie du diamant naturel est engagée dans une guerre multifacette face à l'essor des diamants synthétiques. La progression vers une plus grande transparence et traçabilité, soutenue par des initiatives technologiques et des normes internationales, indique une volonté de regagner la confiance des consommateurs. Cependant, les manœuvres de désinformation et la guerre des perceptions continuent de peser sur la réputation de ces gemmes précieuses. Les régulateurs, tels que la NAJ et l'ASA, s'efforcent de maintenir une voie claire en luttant contre les allégations fallacieuses.
À mesure que l'industrie évolue, il est crucial que les consommateurs s'engagent dans cette discussion. Qu'est-ce qui compte le plus pour vous dans le choix d'un diamant : son origine, son impact environnemental, ou finalement son design ? Les avancées technologiques et les méthodes de production écoresponsables des diamants de laboratoire suscitent également des interrogations légitimes. Pensez-vous toujours à demander la provenance des diamants lors d’un achat ? Nous vous invitons à réfléchir à ces questions et à partager votre point de vue. Quel est l'avenir des diamants et de quelle manière pouvons-nous tous contribuer à un marché plus éthique et transparent ?
MSIE 44 Sarah Sakji (MSIE 44 de l’EGE)
Sources :
National Diamond Council. Répondre aux mythes et aux idées reçues sur l’industrie du diamant. [En ligne]. Disponible sur https://www.naturaldiamonds.com/fr/diamants-faq/le-diamant-rapport/ (consulté le 11 septembre 2024).
Bain & Company. The Global Diamond Industry 2020 - 21. [En ligne]. Disponible sur : https://www.bain.com/globalassets/noindex/2021/bain_report_diamond_report-2020-21.pdf (consulté le 11 septembre 2024).
National Jeweler. De Beers Will Quit Growing Diamonds for Jewelry. [En ligne]. Disponible sur : https://nationaljeweler.com/articles/12956-de-beers-will-quit-growing-diamonds-for-jewelry (consulté le 11 septembre 2024).
Wired. How blockchain is stopping the spread of conflict diamonds. 2017. [En ligne]. Disponible sur : https://www.wired.co.uk/article/blockchain-conflict-diamonds-everledger (consulté le 11 septembre 2024).
Waltz, Edward. Information warfare : principles and operations. [En ligne]. Disponible sur : https://archive.org/details/informationwarfa0000walt/page/250/mode/2up (consulté le 11 septembre 2024).