Les 06 et 09 août 1945, la géopolitique internationale prend un tournant spectaculaire, l’arme fatale est lâchée sur Hiroshima et Nagasaki au Japon, les effets sont désastreux, le monde découvre une puissance mortelle qui impose désormais le respect et la crainte à celui qui en dispose. Dès lors, une course à la quête de l’arme apocalyptique fut lancée et aujourd’hui plusieurs nations la possède y compris des pays dits non fréquentables comme la Corée du nord. L’ensemble des blocs géo-économique possède des arsenaux nucléaires tendant à rendre le jeu de la dissuasion neutre. Quelle stratégie adopter pour imposer son hégémonie et vaincre l’adversaire ? La solution semble se dérouler sous les yeux de nos contemporains avec la mise en place et l’usage d’une guerre totale de l’information.
L’exemple actuel de la Russie qui opère en Afrique notamment auprès de l’ancien pré-carré colonial français semble probant: les résultats sont implacables, en témoigne la récente intervention du premier ministre malien Maïga le 24 septembre à la tribune de l’ONU. L’idée de la France perd du terrain et comme une cellule gangreneuse elle devient la cible de la chimiothérapie informationnelle dans ces ex colonies. Cette étude présente les différentes mutations opérées et celle qui sont en cours avec à la clé les nouvelles orientations de la guerre d’information.
De l'efficacité de la dissuasion nucléaire à l'équilibre de cette dissuasion
L’usage de l’arme nucléaire au Japon par les Etats Unis a marqué un tournant décisif dans les relations internationales dès la fin de la deuxième guerre mondiale. Les Etats Unis, premier détenteur de ce joyau de destruction massive, respiraient alors la confiance et étaient devenus une source de « respect forcé » pour leurs adversaires (mais aussi leurs alliés). Leur principal adversaire au moment de la Grande Froide, l’URSS, acquière l’arme atomique en 1949. Le 29 août de cette année-là, elle réalise son premier essai avec succès à Semipalatinsk, dans l’actuel Kazakhstan. Ainsi, les deux grands blocs rivaux disposent de l’arme fatale. Plus tard, la politique du général de Gaulle au cours des années 1960 aboutira à ce que la France se dote de l’arme nucléaire. La Grande Bretagne, la République populaire de Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël, la Corée du nord pour ne citer que ceux-là vont à leur tour rentrer dans le cercle des initiés de l’arme nucléaire.
Malgré, l’effondrement du mur de Berlin et le basculement dans un monde unipolaire dans les années 90, l’arme nucléaire est demeurée le véritable régulateur de la géopolitique internationale. La hantise de sa puissance destructrice oblige chacun à adopter une posture plus conciliante consistant à mesurer parfois son engagement militaire: l’évocation de l’actuel bloc otanien, qui, s’il fournit de l’armement à l’Ukraine dans le cadre de sa défense à l’attaque russe, se garde bien d’entrer frontalement en envoyant des troupes au sol, dans un conflit qui opposerait de trop nombreuses puissances, par le jeu des alliances, dotés parfois de l’arme atomique (à commencer par la Russie et la Chine).
Aussi, les escalades verbales entre Washington et Pyongyang depuis 2017 illustrent très bien le jeu de l’équilibre de la terreur sur fond de dissuasion nucléaire. La Corée du Nord dit être en possession de l’arme nucléaire et être en mesure de porter atteinte aux intérêts états-uniens en mer de Chine; associé à sa protection par la Chine, elle provoque nécessairement une « retenue » pour les nations qui souhaiteraient « lui porter atteinte ».
La guerre Russie Ukraine est un autre conflit avec plusieurs révélations. D’abord, elle confirme le principe du gel de la dissuasion nucléaire entre les puissances, l’OTAN et la Russie sont très conscient de l’ampleur des dégâts réciproques que des attitudes de belligérances peuvent causer. Chaque bloc, chaque partie doit mettre en place d’autres stratégies, d’autres « techniques » afin de porter atteinte à l’intégrité de l’ennemi désigné. Le ministre français des Finances Bruno le Maire expliquait début mars que l’occident mènerait une guerre économique totale à la Russie.
Cette approche est synonyme de l’entrée nécessaire des grandes puissances de l’Ouest dans une guerre informationnelle déjà largement éprouvée par le gouvernement de Vladimir Poutine et particulièrement par son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Les conséquences de la détention de la dissuasion qu’éclaires par des puissances agissant au nom d’intérêts divergents voire radicalement opposés deviennent le changement de conception des actions de guerre. Ainsi, même s’il serait abscons d’affirmer que les actions militaires « sur le terrain » n’aurait plus lieu d’être: les événements dans le monde nous démontrent le contraire; force est d’observer que cette détention éloigne les grandes puissances de la « projection militaire » et déplace la guerre vers le champ « immatériel ». Avec, des résultats d’une violence inouïe.
Les stratégies de la guerre informationnelle par les différentes parties
La stratégie de l’OTAN et des Etats Unis
La guerre en Ukraine et la position indélicate dans laquelle l’OTAN se trouve est loin d’être à son avantage. Elle est perçue par certains comme ayant peur de la Russie et par d’autres comme ayant entrainé l’Ukraine dans le feu de la guerre. Pour apporter une réponse à cet affront russe, l’OTAN à décider de mener une guerre d’information totale à la Russie, dans le but d’affaiblir le pouvoir russe et sa position « montante » dans le monde. En sus d’un soutien militaire en fourniture d’armement et de renseignement les media et les moyens numériques sont aussi mobilisés.
Cette stratégie a connu son premier grand succès début septembre avec la victoire tactique de l’Ukraine au niveau de sa contre-offensive dans la région de Kharkiv. La percée de l’armée de Kiev dans cette région a donné lieu à un véritable lynchage médiatique de l’armée russe et de la politique de Moscou. Les occidentaux ont pour objectif le changement de perception que la population russe a du pouvoir de la Fédération mais aussi le changement de perception que les alliés de la Russie ont d’elle-même.
Dans un autre contexte géostratégique, en mer de Chine, l’observation de la position étasunienne est criante. Ces dernier érigent des obstacles le plus souvent normatifs et la guerre d’information dans ce contexte est de présenter la Chine comme un Etat qui ne respecte pas les règles commerciales ou les droits de l’Homme. Sur ce dernier point, la propension qu’a la « propagande » américaine, mais aussi européenne, à évoquer le cas des Ouïgours ou des Hong-kongais semble destinée à « casser » l’image de l’empire du milieu. Toujours dans cette optique, la visite de la présidente de la chambre des représentants des Etats-Unis début août 2022 à Taïwan, relève d’une volonté de faire montre de sa distance avec la Chine continentale, et d’affaiblir, une fois encore, la perception que les opinions publiques mondiales ont de sa puissance.
La bataille informationnelle contre la Chine est surtout les plans, politique, militaire commercial, technologique. L’objectif ultime c’est de vaincre la Chine sur le champ de la bataille de la perception. Au niveau des enjeux en mer de Chine, surtout dans le conflit avec la Taïwan, la dissuasion militaire est maniée par les Américains, des menaces verbales pour essayer de stabiliser les appétences d’invasion chinoises.
La stratégie de la Chine et de la Russie
Ces dernières années, ces deux puissances utilisèrent principalement les réseaux sociaux influencer les opinions, à leur avantage : dans cette grande « bataille mondiale de la perception », l’affirmation de la puissance chinoise doit passer par la compréhension pour les peuples du monde entier que le bloc occidental, précisément, n’est plus le bloc de référence et que l’enjeu est l’instauration d’une multipolarité : à l’opposé des velléités occidentalo-étatsuniennes.
Cette déstabilisation du bloc occidental passe obligatoirement par la remise en cause de ses derniers pré-carrés en Asie et surtout en Afrique. L’Afrique est stratégique : sur l’ensemble des sujets au cœur des politiques internationales (développement agroalimentaire, accès aux matières premières, développement militaire, accès aux consommateurs, développement culturel, religieux etc.) elle semble aussi un terrain très favorable pour remporter très vite des guerres de la perception. Son passé colonial commun avec le monde « blanc » est un terreau quasiment inépuisable pour exacerber les sentiments « anti-… » des populations locales.
La Chine, la Russie, mais aussi d’autres acteurs tels que la Turquie, jouent sur un regain du sentiment anti-impérialiste. Les événements récents au Mali, avec la fin de l’ère Barkhane et le remplacement par la société russe Wagner, témoignent de cette victoire, qui a des répercutions lourdes, profondes et durables, au sens ou la contagion s’observe et s’accroit dans d’autres pays africains, où la France est également engagé », comme le Niger. Une défaite dans cette guerre informationnelle est synonyme d’un déclin stratégique formidable.
Pour exemple, malgré des efforts considérables opérés par la France ces actions restent toujours mal perçus dès la moindre difficulté et cette faille est bien perçue par la Russie qui avec la crise en Ukraine a décidé d’accélérer le processus d’expulsion de la France dans ces ex-colonies.
Plusieurs faux comptes sur les réseaux sociaux sont utilisés pour véhiculer des contrevérités et manipuler les opinions à propos de la politique française et des opérations militaires au Sahel. La France est acculée, elle a déjà reculé sur les deux premiers fronts ouverts par la Russie au Mali donc et aussi en Centrafrique et, comme évoqué, un troisième est entrain de s’ouvrir au Niger: le 18 septembre des manifestants sont descendus dans les rues pour exiger le départ de l’armée française du pays. Des slogans hostiles comme par exemple « Dégage l’armée française criminelle » ou « L’armée coloniale “Barkhane” doit partir » sont brandis. Ainsi, à la manière d’une tumeur qui s’étend, la stratégie Russie de guerre informationnelle en Afrique commence à produire des effets. Sa propagation altère la sphère d’influence française en Afrique et pour l’heure aucun remède efficace de Paris ne semble arrêter le processus.
Les stratégies russes et chinoises semblent également connaitre du succès dans le monde arabe. La guerre Russie/Ukraine a mis à jour les rancœurs et les frustrations, les critiques du deux poids deux mesures de la politique occidentale et cela constitue de véritable catalyseur pour la bataille informationnelle de Moscou et de Pékin et qui est largement promu auprès des « non-alignés ».
Qui peut sortir vainqueur de cette guerre informationnelle totale
Les puissances occidentales semblent désavantagées dans cette orientation de la guerre informationnelle que mènent la Russie et la Chine en évoluant sur le passé de puissance coloniales des membres de l’OTAN et de la politique de domination des Etats Unis qui ont imposé pendant plus de trente décennies leur volonté sur le plan politique, économique et militaire partout dans le monde. La Russie et la Chine ont bien compris ces failles et ont décidé de passer à une vitesse supérieure pour casser cette hégémonie et par tous les moyens. Cette stratégie sino-russe de propagande est très efficace et commence à porter du fruit aussi bien en Afrique, en Asie, Amérique Latine et même auprès d’une partie de la population européenne.
L’autre handicap de l’Occident dans la bataille informationnelle est lié à ses valeurs. L’idée d’utiliser officiellement la propagande, qui est l’art d’agir sur l'opinion pour l'amener à avoir et/ou à appuyer certaines idées, est mal perçue. Rappelons le discours du président E.Macron lors de la conférence des ambassadeurs le 02 septembre à Paris. Il exhortait à "mieux utiliser le réseau France Médias Monde, qui est absolument clé, qui doit être une force pour nous ». Les journalistes français s’opposaient avec force affirmant leur indépendance du pouvoir politique et sans comprendre que l’influence n’est pas la manipulation.
Ainsi, avant même d’employer les mêmes techniques que « nos » adversaires, »nos » gouvernements sont d’abord confrontés à un défi culturel, imposé largement par leurs adversaires et leurs ennemis. Toutefois, la prise en compte récente, pour la France toujours, par le chef d’état-major des armées, le Général Burkhard, de la nécessité d’être en pointe dans le domaine de la guerre de l’information signale que les nations occidentales pourraient s’engager pleinement dans ce champ. « Gagner la Guerre avant la guerre » est une rupture avec la tradition française d’engagement sur les théâtres d’opérations.
La Russie et la Chine sont en revanche composées de peuples acquis, au moins en apparence, aux causes gouvernementales, ou en tout cas n’ayant pas la culture intrinsèque de la remise en cause et du questionnement : percée cette dimension hermétique est une tâche qui s’avère difficile, mais pas impossible.
Le monde est rentré plus que jamais dans une incertitude globale et les risques d’affrontement à l’arme nucléaire s’ils semblent s’accroître, tout en, paradoxalement, entraînant les belligérant dans le champ des conflits immatériels.
La guerre d’information totale, accentuée par la Russie, la Chine et leurs alliés, actuellement depuis le début de la guerre en Ukraine a pris place et elle commence à faire reculer les sphères d’influences du bloc Occidental et en particulier celle de la France.
Paris semble prendre cette situation au sérieux et monte aux créneaux en réussissant toutes les ressources de sa diplomatie. Pour cela, la France doit d’abord prendre du recul dans ces choix et ses alliances et s’appuyer sur les forces qui lui reste, encore, sur l’ensemble des continents, où elle est présente.
Frédéric Bourdea
Sources
- https://www.ouest-france.fr/monde/coree-du-nord/coree-du-nord-et-etats-unis-l-escalade-entre-kim-et-trump-en-7-actes-5411909
- https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/09/19/au-niger-des-centaines-de-personnes-manifestent-contre-la-presence-militaire-francaise_6142229_3212.html
- https://redanalysis.org/fr/2022/07/04/guerre-chine-usa-dimension-normative/
- https://www.ouest-france.fr/monde/coree-du-nord/coree-du-nord-et-etats-unis-l-escalade-entre-kim-et-trump-en-7-actes-5411909
- https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220902-les-journalistes-de-france-24-et-rfi-protestent-apr%C3%A8s-des-d%C3%A9clarations-de-macron
- https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/05/gagner-la-guerre-avant-la-guerre-nouvelle-strategie-de-l-armee-francaise_6097119_3210.html
- https://www.lepoint.fr/monde/pour-vladimir-poutine-il-est-impossible-d-isoler-la-russie-07-09-2022-2488944_24.php