Alors que l’urgence climatique pousse les grandes nations à revoir leurs stratégies en matière d'émissions carbone, une nouvelle bataille fait rage autour des ressources censées remplacer le pétrole. Dans cette course à la transition énergétique, le cobalt occupe une place essentielle. Ce minerai qui a la particularité de conserver sa résistance et ses propriétés magnétiques même soumis à de fortes températures est un élément incontournable pour de nombreux domaines stratégiques, notamment : l’aérospatial, la défense, la chimie, etc. On le retrouve entre autres comme composant des superalliages utilisés dans les turbines à gaz et les réacteurs nucléaires, mais également dans les aimants des radars, les systèmes de guidage de missiles, les systèmes de propulsion marins, ou encore les capteurs.
Le cobalt doit sa visibilité actuelle à son utilisation croissante dans les technologies bas carbone, également appelées technologies vertes (énergies renouvelables et batteries rechargeables) : il est présent notamment dans les aimants des turbines des éoliennes, mais aussi et surtout dans les cathodes des batteries lithium-ion et des batteries à hydrure métallique de nickel employées dans les véhicules électriques ou hybrides et les téléphones portables.
La République démocratique du Congo (RDC) située au cœur de l’Afrique, détient la plus grande réserve de cobalt et assure à elle seule plus de 70% de sa production dans le monde. Par conséquent, la RDC intéresse de puissants intérêts étrangers. Ce pays est désormais au centre d’une confrontation indirecte entre la Chine et les Etats-Unis d’Amérique.
L'enjeu mondial du cobalt
Un an après le début du conflit russo-ukrainien le 24 février 2022, les conséquences ne se limitent pas seulement aux pertes humaines et matérielles. La problématique de la dépendance occidentale à l’énergie russe est posée. En effet, l’Union Européenne consciente de sa dépendance aux hydrocarbures russes, cherche depuis lors à accélérer la diversification de ses approvisionnements et de son mix énergétique.
Sous un autre angle, la transition énergétique engagée à travers le monde touche de plein fouet l’industrie automobile identifiée comme polluante. Conscient que cette industrie représente actuellement 15% des émissions de CO en Europe, le Parlement européen a voté une loi visant à interdire la vente de véhicules neufs à essence et diesel à partir de 2035 , ceci dans le but d'accélérer le passage aux véhicules électriques qui ont représenté 11 % des ventes en Europe en 2022.
Aux États-Unis, les marques traditionnelles comme General Motors et Ford ne cachent plus leur intention de suivre Tesla dans la fabrication des véhicules entièrement électriques et de supprimer complètement les véhicules à essence et diesel conventionnels d’ici 2035.
La Chine est le premier marché en termes de véhicules électriques avec ses grands groupes notamment, BYD, Geely-Volvo et GAC Motor ou encore que le marché international de batteries de lithuim soit largement dominé par les compagnies chinoises (CATL, BYD, CATB, EVE, Guoxuan, Sunwoda).
En 2022, près de 7,8 millions de véhicules électriques et 1,2 milliards de téléphones portables ont été vendus à travers le monde. Cela représente une augmentation exponentielle de 68 % par rapport à l'année précédente. Cette augmentation de vente implique nécessairement pour le futur, une explosion de la demande en cobalt.
Une domination chinoise sur le cobalt congolais et la chaine d'approvisionnement mondiale
Conformément à sa stratégie "Made in China 2025", un plan ambitieux, décrivant en détail les objectifs de la Chine pour devenir une "superpuissance manufacturière" dans dix domaines, dont les batteries pour voitures électriques, l’Empire du Milieu par le biais de plusieurs sociétés s’est lancé depuis plusieurs années dans une frénésie d'achats de sites dans le sud-est de la RDC (provinces de Lualaba et du Haut-Katanga), verrouillant une grande partie de la chaîne d'approvisionnement mondiale en cobalt. « La Chine contrôle aujourd’hui 75 % du stock planétaire de cobalt » et trois batteries des véhicules electriques sur quatre sont également fabriquées en Chine.
Selon le New YorkTimes, 15 des 19 mines productrices de cobalt de la République Démocratique du Congo appartiennent à des sociétés chinoises, notamment Contemporary Amperex Technology (CATL), China Molybdenum, Zhejiang Huayouet Tenke Fungurume Mining. L'image de l'économie de la RDC, souffre d'une certaine opacité et est fragilisée par un certain dégré de corruption. Ce contexte d'affaires a favorisé l’implantation de ces entreprises qui ont reçu du gouvernement chinois des appuis financiers (plus de 124 milliards de dollars en crédit) pour leurs opérations internationales.
Les ONG concentrent leurs actions contre les GAFM
Plusieurs ONG telles que Amnesty International, International Rights Advocates, Afrewatch, ont depuis plusieurs années tiré la sonnette d’alarme quant aux effets néfastes de l’exploitation du cobalt congolais (l’exposition à des poussières potentiellement cancérigènes, le travail des enfants, pollution des eaux et des sols, déplacements des personnes et la prolifération de mines clandestines).
Les actions des dites ONG visent certaines multinationales occidentales et majoritairement des géants américains de la technologie. En 2021, Alphabet, la société mère de Google, ainsi qu’Apple, Dell, Microsoft et Tesla ont réussi à éviter une action collective en justice pour responsabilité dans l’exploitation des enfants dans les mines congolaises de cobalt. Autant les ONG se sont montrées particulièrement virulentes à l’égard des firmes américaines, force est de constater qu’elles sont beaucoup moins regardantes à l’endroit des entreprises chinoises. Elles semblent fermer les yeux sur les activités des entreprises chinoises accusées de tous les maux dans l’exploitation de cobalt congolais. Aucune de ces différentes compagnies n’a fait l’objet de dénonciation, pourtant elles sont les principales bénéficiaires de ce métal stratégique.
À l’évidence, Les ONG semblent ou préfèrent ignorer que 80% de la production du cobalt congolais est envoyé en Chine. Notons cependant que les autorités congolaises commencent à émettre des réserves sur la manière dont les Chinois essaient de capter la production artisanale de cobalt qui représente entre 12 % et 20 % de la production congolaise. Des médias occidentaux ont publié publier des enquêtes sur les conditions de travail des femmes dans les mines exploitées par des entreprises chinoises.
La manœuvre des Etats-Unis d'Amérique pour limiter l'emprise de la Chine
Faisant allusion à la course aux métaux stratégiques, le Président Joe Biden a exprimé sa volonté de contrecarrer l’avancée de la Chine en affirmant que : « nous avons risqué de perdre notre avantage en tant que nation, et la Chine et le reste du monde sont en train de nous rattraper. Eh bien, nous sommes sur le point de renverser la vapeur d'une manière très, très importante ».
La stratégie de Washington a d’abord consisté à financer, dans le cadre de son programme de lutte contre la corruption, l’audit des contrats miniers chinois en Afrique et notamment en RDC. Le rapport de cet audit fait par l’Inspection Générale des Finances (IGF) de la RDC met en exergue un déséquilibre dans l’exécution des contrats miniers (cobalt) dits « ressources naturelles contre infrastructures » entre la Chine et la RDC. Ledit rapport publié le 15 février 2023 fragilise davantage la position chinoise et fait état d’un gain évalué à près de 10 milliards de dollars américains pour la partie chinoise, tandis que la RDC n’a bénéficié que de 822 millions de dollars en termes d’infrastructures.
Toujours dans la mise en œuvre de cette stratégie et après des mois de négociations avec le Senat américain, le Président Joe Biden a signé l’an dernier la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act-IRA), avec des crédits d’impôts accordés pour l’achat des véhicules électriques. Au-delà de l’avantage fiscal octroyé aux consommateurs américains (USD 7500 maximum) pour l’achat d’un véhicule électrique assemblé sur le sol des Etats-Unis, cette loi a intégré depuis le 1er janvier 2023 des paramètres liés à l’origine des composants des batteries dont le cobalt.
Lors du sommet Etats-Unis-Afrique de décembre 2022, les Etats-Unis, la République Démocratique du Congo et la Zambie ont signé un protocole d’accord sur l’industrie des batteries pour véhicules électriques. L’objectif dudit accord est d’assainir le secteur minier congolais taxé d’opaque et corrompu et de favoriser l’implantation des sociétés américaines en RDC et en Zambie. « Ce protocole d’accord s’inscrit dans la perspective pour de la RDC et de la Zambie de mettre en place une chaîne d’approvisionnement productive, de la mine à la chaîne de montage, tout en s’engageant à respecter les normes internationales pour prévenir, détecter et intenter des poursuites judiciaires pour lutter contre la corruption tout au long de ce processus »
Washington a pris en compte l’intérêt stratégique du cobalt congolais, en créant sa propre chaîne d’approvisionnement et en limitant la mainmise de la Chine sur l’approvisionnement mondial et de certains acteurs à l’exemple de la firme Glencore. Cette dernière est également dans l’œil du cyclone américain. Elle a à ce jour été condamnée par la justice américaine pour faits de Corruption dans les contrats d’exploitation du cobalt en RDC. Les Américains s’emploient à déconstruire l’image de la Chine et de Glencore afin de bousculer les lignes et mieux s’intégrer dans la course.
Un environnement favorable à la République Démocratique du Congo qui pourrait tirer son épingle du jeu
Dans cette confrontation, la Chine a pris une avance considérable. Mais la RDC a encore quelques marges de manœuvre, compte tenu de de sa proximité avec le lobby américain et de la mentalité de sa classe dirigeante. En effet, la fragilisation des positions de la Chine et de Glencore n’aurait pas été possible sous les anciens dirigeants qui ont d’ailleurs bénéficié d’énormes dividendes dans l’attribution des contrats miniers.
La transition énergétique n’étant plus une option mais une priorité internationale, la RDC s’appuie sur son métal stratégique pour impulser son nouveau développement et dicter de nouvelles règles. Cette conjoncture lui a d’ailleurs permis de renégocier ses différents contrats miniers: augmentation de la redevance sur les métaux stratégiques (de 3% à 10%), nouveaux accords pour le décaissement par les partenaires chinois d’une somme de 500 millions USD en guise de compensation aux déséquilibres des contrats sur le cobalt, payement par Glencore de 180 millions de dollars (170 millions d'euros) dans le cadre d'un accord avec la République démocratique du Congo (RDC) pour solder les litiges concernant les problèmes de corruption dans les contrats d’exploitation du Cobalt.
Il reste 27 ans à la planète pour atteindre l’objectif zéro carbone et la course au cobalt attire sur le sol congolais des investisseurs multiformes. Plus loin, la RDC pourrait devenir un champion mondial dans la fabrication des batteries et prendre le leadership de la production régionale si son projet d’industrie locale de batteries électriques voit le jour.
Ronny Minkos,
étudiant de la 41ème promotion MSIE
Sources complémentaires
RDC: «Cobalt, l’envers du rêve électrique» ou la face cachée de son exploitation (rfi.fr)
L'avenir de l'Afrique dépend du Congo | Le Club (mediapart.fr)
La Chine étend son emprise sur le marché des batteries pour véhicules électriques | Le Devoir
République démocratique du Congo : les petits forçats du cobalt - Amnesty International France