Conflit à l’est de la République Démocratique du Congo sur fond de guerre informationnelle avec le Rwanda
Depuis son indépendance en 1960, la République du Congo (RDC) fait l’objet de convoitises de la part de certains pays voisins et de la région (Angola, Afrique du sud, Ouganda, Rwanda), en plus de celles manifestées par les pays occidentaux pour le contrôle et l’accès à ses nombreuses ressources naturelles (agricoles, forestières, minières et énergétiques, hydroélectriques).
Malgré ses 2.345.410 km2, la RDC apparaît comme un état faible, certains analystes géopolitique parlant même d’« état failli », situation qui facilite les stratégies d’ingérences étrangères. La situation est d’autant plus complexe que depuis 1998, une guerre fait rage dans l’Est du pays (provinces du nord et du sud KIVU) frontalier avec le Rwanda et l’Ouganda. Dans cette région le gouvernement congolais est en guerre contre des milices armées notamment la principale, le M23 dont les liens avec le Rwanda sont avérés selon les experts d’ONG internationales. En effet depuis 20 ans, le Rwanda influence de manière déterminante la vie économique et politique de la RDC en développant sa stratégie d’influence sur l’Est du pays.
Un pays pauvre aux fortes ressources minières enjeux de prédations économiques
L’enjeu principal de cette déstabilisation reste en toile de fond l’exploitation illicite des ressources de la région Est du Congo. D’un point de vue économique, il s’agit de créer les conditions d’insécurité, ce qui empêche l’exercice du pouvoir de l’état congolais sur cette région et permet le maintien des filières illégales et militarisées d’exploitation des ressources naturelles (minières notamment). Selon l’analyse de P. Jacquemot, l’exploitation des ressources minières de la RDC aurait joué un rôle primordial dans l’essor économique du Rwanda : « Depuis 20 ans, le système rwandais repose sur deux sources de rente : l’aide étrangère issue de la compassion post génocide et la ponction minière du voisin. […] la rente minière et foncière du Congo a constitué la base de l’accumulation «primitive» du capital du Rwanda ».
En 2013, les minerais (coltan, cassitérite, tungstène) représentaient 28% du total des exportations du Rwanda et constituaient la première source de devises, alors que ce pays ne dispose pas de gisements suffisants pour assurer une telle production. Le Rwanda a connu une forte croissance entre 2001 et 2013, de 8% par an en moyenne. Son taux de pauvreté est passé de 59 % en 2001 à 45% en 2011. Le pays s’est transformé et a connu des succès économiques saluées par les institutions internationales .
La littérature est assez prolifique sur les enjeux géopolitique et économique dans cette région. Nous allons évoquer dans cette article les différentes postures de guerre informationnelle dans le conflit qui est en cours dans cette région et qui implique la République Démocratique du Congo et le Rwanda.
Contexte géopolitique
Il faut noter que le régime rwandais bénéficie depuis les années 1990 du soutien des Etats-Unis dans leurs intérêts stratégiques de long terme qui ont contribué à l’accession au pouvoir de Paul Kagame, pour exclure les Européens, Belges et Français du partage des richesses de cette région. Ce soutien s’est fait au dépend de la RDC et a contribué à l’accroissement et la virulence des conflits armés dans la région.
A partir de 2012, les Etats Unis commencent à se désolidariser du régime rwandais, la porte-parole de la diplomatie américaine, Victoria Nuland disait ceci à propos du principal groupe d’insurgés : « Nous l’avons répété au gouvernement rwandais : nous sommes profondément inquiets du soutien du Rwanda à un groupe rebelle congolais dénommé M23 ». « Washington a appelé à la fin des violences dans l’est de la RDC et à ce que cesse tout appui extérieur aux insurgés congolais » avait-t-elle répété. Le M23, qui a occupé Goma pendant une dizaine de jours en novembre-décembre 2012, a été vaincu l'année suivante par les forces armées congolaises épaulées par les Casques bleus de l'ONU, après 18 mois de guérilla.
Début 2017, après quelques années de répit, le gouvernement congolais et de nombreux témoignages d'habitants faisaient état de la présence d'ex-combattants M23 dans la région de Rutshuru. La situation s'était calmée mais, depuis novembre 2021, les M23 affrontent de nouveau l'armée dans le territoire de Rutshuru et se retrouve aujourd’hui à des dizaines de kilomètres de Goma. Cette fois encore, la RDC accuse le Rwanda de soutenir le M23.
Un rapport non-publié de l'ONU consulté en août par l'AFP pointait une implication du Rwanda auprès du M23 et, un ambassadeur américain aux Nations unies a clairement évoqué « l'aide apportée par les Forces de défense rwandaises au M23 ».
Les stratégies de guerre informationnelle utilisées par le Rwanda
A travers le narratif sur le génocide rwandais dans les médias, le régime de Kagame a pu largement bénéficier du soutien de la communauté internationale : C’est ainsi le Rwanda a pu avancer des arguments sécuritaires pour justifier sa présence au Congo à partir de 1996, ce qui a conduit à la première guerre du Congo. Le Rwanda accusait alors le régime de Mobutu (président du Zaïre à l’époque) de soutenir les rebelles du FDLR constitués de génocidaires. Laurent Désiré Kabila conduisant une rébellion en 1997 a ainsi bénéficié du soutien du Rwanda pour son accession au pouvoir en lui permettant de renverser le régime de Mobutu.
Depuis 1994, Paul Kagame a multiplié les attaques contre Paris au motif de l’aide accordée à la dictature Habyarimana et de la complicité supposée dans le génocide, via notamment l'opération Turquoise : campagnes de presse récurrentes, menaces de poursuites judiciaires de responsables politiques et militaires français.
Prenant soin de tenir ainsi à distance l’influence française, et protégé par ses alliés anglo-saxons, Paul Kagame a en outre, longtemps utilisé la « surenchère victimaire », et la repentance occidentale afin de poursuivre sans entrave ses manœuvres de déstabilisation dans la région des Grands Lacs (en particulier dans la riche région minière du Kivu congolais).
A cette « diplomatie morale », le Rwanda combine une communication efficace au profit de son économie. Ainsi le pouvoir de séduction de la « Suisse de l'Afrique » repose-t-il sur les éloges dans la presse et les classements internationaux, mais aussi sur les programmes de transformation du pays tels que VISION 2020 et 2050. Un storytelling qui occulte un certain nombre de réalités au sujet d’un pays dont l’économie demeure fragile et dépendante de l’aide internationale.
Le Rwanda met même à contribution des grands clubs de football internationaux tels qu’Arsenal et le PSG à travers des campagnes publicitaires « Visit Rwanda » afin de polir davantage son image auprès des élites occidentales.
Une autre stratégie du Rwanda pour défendre son implication dans l’insurrection l’Est du Congo a toujours été la dénégation. Alors même que de nombreux rapports d’experts d’ONG internationaux démontrent le contraire. Face à la résurgence des attaques du M23 depuis la fin de l’année 2021, Kigali dément toute proximité avec le groupe armé et accuse en retour la RDC d’instrumentaliser le conflit à des fins électorales prévus en 2023. Le régime de Kagame tente à chaque fois de réduire cette insurrection à un simple conflit ethnique interne lié à la mal gouvernance en RDC, la violence et les discours de haine contre les personnes perçues comme tutsi ou rwandaises en RDC. Il dénonce par ailleurs la « collusion entre les forces armées congolaises et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) », un groupe armé rwandais majoritairement hutu dont certains dirigeants sont liés au génocide de 1994 au Rwanda.
La contre-offensive informationnelle de la RDC
Face à la puissance des réseaux du régime rwandais, la voix de la RDC est longtemps restée inaudible. Ce d’autant plus que depuis 1997, les régimes successifs au pouvoir en RDC ont pratiquement été imposé par le Rwanda.
L’arrivée au pouvoir en décembre 2018 du Président Felix Tshisekedi semble avoir changé la donne. Après avoir essuyé des échecs sur le plan diplomatique et de la coopération économique avec le Rwanda, la RDC s’appuyant sur les rapports des experts de l’ONU dénonce de manière plus virulente l’implication du Rwanda dans le soutien aux groupes d’insurgés. Dans un document, des experts mandatés par l’ONU affirment avoir collecté des « preuves substantielles » démontrant « l’intervention directe des forces de défense rwandaises (RDF) sur le territoire de la RDC », au moins entre novembre 2021 et octobre 2022.
Sur le plan diplomatique, le gouvernement congolais œuvre à décrédibiliser la position rwandaise en les affichant comme le principal agresseur. Des artistes de stature internationale sont également mis à contribution et ont également reçu mandat du gouvernent congolais en ayant obtenu des passeports diplomatiques afin d’être des ambassadeurs de la cause congolaise auprès de l’opinion internationale. On le voit notamment à travers certains titres musicaux des artistes comme Maitre Gim’s (« Thémiole »), Fally Ipupa, Koffi Olomidé.
Les réseaux sociaux aussi sont mis à contribution. A travers l’hashtag viral : #RwandaIsKilling », les internautes congolais dénoncent l’implication de leur voisin qui selon eux, arme le M23 et agresse la RDC. Les Congolais parlent davantage du Rwanda, au point de faire grimper les tendances (trending topics) pour la RDC, en faveur du mot-clé ou hashtag #RwandaIsKilling. Il s’agit justement de la « bad Ads », la publicité négative. Puisqu’elle n’est pas qualitative pour l’image du pays du président Kagame.
Les dessinateurs et designers entrent eux aussi en scène, en alimentant cette campagne de dénonciation de Kagame. Ils le montrent sous plusieurs aspects ensanglantés, pour soutenir la thèse de tueries. D’autres le comparent à Hitler, l’habillant des costumes nazis, etc. ou encore est-il présenté comme un criminel, pendant que d’autres exigent en anglais la chute de Kagame : #KagameMustFall.
Le choix de la langue anglaise, par ailleurs, n’est pas anodin. Ils savent qu’ils atteindront davantage de monde en incluant l’anglais dans leur mobilisation. Dans cette perspective, beaucoup ciblent aussi les célébrités. La stratégie semble ainsi consister à choquer pour inviter à s’intéresser à ce qui se passe au Congo. Les internautes congolais ont le sentiment qu’il existe plus de compassion pour le Rwanda, au nom du génocide. Pourtant, soutiennent-ils, il en existe aussi au Congo.
En interne, face à l’avancée des rebelles du Mouvement du 23 mars, le président congolais a réussi à réveiller le patriotisme des Congolais. A la suite d’un appel à la mobilisation, près de 20.000 volontaires auraient été recrutés pour rejoindre les rangs des forces armées congolaises (FARC).
Par ailleurs, la crise ukrainienne a permis aux congolais de trouver des relais internationaux auprès des personnalités de renommée mondiale et des médias panafricains afin de susciter davantage d’intérêts de la part de la communauté internationale pour un conflit qui dure depuis près de 30 ans mais ne bénéficie pas du même traitement que celui de l’Ukraine malgré les similitudes.
L'instrumentalisation de la liberté d'expression
Il est important de noter que cette guerre informationnelle entre la RDC et le Rwanda a souvent été menée par le biais de diffusion de fake news et de désinformation. Celle-ci inclus également la censure de certaines informations, notamment celles des chercheurs, entre autres experts d’ONG sur la question et la répression de la liberté d’expression.
Le Rwanda a ainsi pendant près de 30 ans, procédé à une sorte d’encerclement cognitif auprès des occidentaux en faisant de la surenchère mémorielle du génocide rwandais alors que dans le même temps son soutien aux rebelles dans l’Est du Congo a causé selon les estimations des organisations internationales et des ONG locales entre 5 et 6 millions de morts. Ce qui suscite aujourd’hui une prise de distance des alliés traditionnels anglo-saxons du Rwanda et un rapprochement bien étrange vers la France qui jadis était l’ennemi.
Par ailleurs, les premiers résultats de l’offensive diplomatique de la RDC se traduisent par l’annulation par le conseil de sécurité de l’embargo sur les armes qui pénalisaient l’armée congolaise. La communauté internationale franchira-t-elle un cap supplémentaire afin de voler au secours des populations meurtries dans cette région du pays comme elle le fait dans le cadre du conflit Ukraine-Russie ?
Frédéric Epanlo Ngale
auditeur de la 41è promotion MSIE de l’EGE