Compétition dans le champ informationnel des centres de recherche sur la fusion nucléaire

S’il fallait retenir un seul projet qui pourrait illustrer comment transcender les clivages géopolitiques contemporains, l'International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER) serait l'exemple même de ce que la diplomatie scientifique peut apporter dans la recherche d'un absolu pour le bien commun de l'humanité. En effet, rares sont les projets qui ambitionnent de décarboner l'énergie tout en minimisant les impacts négatifs, qui plus est dans le domaine du développement des technologies nucléaires, et de proposer une réponse à une demande énergétique toujours plus forte.

Ce chemin, "iter" en latin, reste cependant semé d'embûches tant le recours aux technologies nucléaires reste contesté. Car malgré la promesse portée par cet élan de progrès scientifique, se dessinent des logiques de confrontation face à une cible presque idéale pour ses détracteurs.

Avec le développement des filières nucléaires privées et la co existence de nombreux projets publics, notamment aux Etats Unis, la recherche de financements pourrait effectivement motiver des acteurs d'importance à influencer les instances gouvernementales qui les octroient, au détriment d’ITER.

Pourquoi ITER constitue une cible ?

Fusion et fission nucléaires (1) sont deux processus bien différents. La fission nucléaire est le processus par lequel un noyau atomique lourd, tel que l'uranium ou le plutonium, est divisé en deux noyaux plus légers lorsqu'il est bombardé par un neutron. Ce processus libère une grande quantité d'énergie, des rayonnements radioactifs et des neutrons supplémentaires qui vont provoquer d'autres fissions. La fusion nucléaire est le processus par lequel deux noyaux atomiques légers, tels que le deutérium et le tritium, se combinent pour former un noyau plus lourd tout en libérant une grande quantité d’énergie comme pour le Soleil et pour les autres étoiles de l’Univers, sans produire de déchets radioactifs à longue durée de vie. Sur Terre, c’est la fission qui est utilisée dans les centrales nucléaires actuellement connectées au réseau électrique. La fusion nucléaire est encore en cours de développement.

ITER, une idée émergeant de la diplomatie scientifique

ITER est avant tout un objet de la diplomatie scientifique, bien que cette notion de diplomatie n'ait été conceptualisée que dans les années 2010 par l'American Association for the Advancement of Science (AAAS) (2). Le programme ITER est né lors du sommet des superpuissances à Genève, en novembre 1985. L'idée était alors de développer la recherche pacifique sur l'énergie de fusion nucléaire dans le cadre d'une collaboration internationale. Elle a été proposée par Mikhaïl Gorbatchev, Secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique, au président américain Ronald Reagan. Ainsi, les gouvernements des États-Unis, de la Russie, du Japon, de la Chine, de la Corée du Sud, de l’Inde et l'Union européenne ont conclu des accords de coopération scientifique et technologique afin de promouvoir leur communauté de chercheurs à l'échelle internationale et de faciliter la coopération scientifique dans un domaine jusqu'alors réservé aux activités militaires.

La génèse d'ITER

Ces mécanismes ont conduit à la construction de grandes infrastructures de recherche, partageant les coûts, les risques et les bénéfices entre les pays participants. Aujourd’hui, des scientifiques de 35 pays sont associés dans le cadre de la recherche d’une réaction de fusion auto-entretenue.

L’ « Accord ITER », conclu par les signataires en 2006, stipule que sept membres partagent le coût de la construction, de l'exploitation et du démantèlement de l'installation. Ils doivent également partager les résultats expérimentaux ainsi que la propriété intellectuelle. L'Europe assume la plus grande partie du coût de construction (45,6 %) de l’installation ; la part restante est assumée de manière égale par la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les États-Unis (9,1 % chacun) (3)ITER reste néanmoins un démonstrateur. L’objectif final est de prouver la viabilité de la fusion nucléaire (4) en tant que source d'énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, pour produire de l'électricité. Le projet doit ouvrir la voie aux centrales de fusion électrogènes de demain.

L'émergence des vulnérabilités potentiellement exploitables...

La construction de ITER (5) se fait sous la gouvernance de « Conseil ITER ». L’Europe finance et supervise la construction des bâtiments scientifiques et des zones techniques, tandis que chaque membre transfère les équipements industriels à ITER Organization pour l'installation et l'assemblage, ce qui permet de partager les coûts. Pour concrétiser ITER, plusieurs choix ont du être faits. 

Un premier choix technologique a conduit au mode de confinement magnétique. La technologie utilisée dans ITER est issue de la branche des Tokamak (chambre toroïdale avec bobines magnétiques traduit du russe TOроидальная KAмера с MAгнитными Kатушкамиune) qui explique la forme annulaire du réacteur servant à contenir le plasma en fusion (6). Le second choix est un choix d'échelle. ITER fera "23 000 tonnes et près de 30 mètres de haut"(7), parce que « les grands tokamaks isolent mieux et confinent plus longtemps les particules de fusion, permettant de produire plus d’énergie qu’avec des réacteurs plus petits ». Le troisième choix, d'importance pour l'économie locale, est celui du site sur lequel le réacteur sera construit. Après une longue négociation, le site de Cadarache, en France, a été choisi en 2005 pour accueillir l'installation d'ITER, aux dépends du site de Rokkasho-Mura au Japon. 

... et caractérisés

Ces premiers choix apportent quelques contraintes qui constituent des vulnérabilités exploitables dans le champ informationnel. Le choix d'un tokamak induit l'utilisation de matériaux spécifiques tels que le béryllium ainsi que la mise en oeuvre de champs magnétiques intenses pour confiner et maitriser le plasma. Ce métal particulièrement polluant à extraire, est également responsable de maladies pulmonaires. Par ailleurs, le champ magnétique mis en œuvre pour le confinement nécessite de protéger le personnel. Ensuite, l'épisode du choix du site (8) a marqué une divergence dans la structure de gouvernance, l'Union européenne, la Russie et la Chine soutenant Cadarache, alors que les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud préfèrent Rokkasho-Mura. La localisation a en outre induit de créer un itinéraire spécifique entre le port de Fos sur mer, qui réceptionne les éléments fabriqués à l'étranger, et le site de Cadarache ; de modifier des superstructures et des ouvrages de voirie, et de mettre au point des modes de transports dédiés compte tenu des volumes et des masses des composants acheminés, avec des effets de bord sur l'environnement et des coûts importants.

Partant des coûts, la maitrise du budget global constitue également une vulnérabilité exploitable. En effet, comme tout projet d'envergure, ITER subit des dépassements de budget par rapport à la feuille de route initiale, sachant que le coût de fabrication des éléments qui le constituent sont difficilement chiffrables du fait de leur gigantisme. Enfin, une brève analyse historique met en exergue quelques échecs politiques français en matière de développement du nucléaire, qui fragilisent la sphère décisionnelle et politique. Le projet de réacteur nucléaire Superphénix a été arrêté pour des raisons d’alliances politiques et d'opinion publique défavorablement orientées alors que la France avait 30 ans d’avance sur les autres pays. Moins connu, le projet ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) a connu un arrêt définitif avec la fermeture de Fessenheim en 2020 malgré une reprise des recherches sur les réacteurs surgénérateurs tentée par Jacques Chirac en 2006.

Décryptage des manœuvres de guerre informationnelle à l'encontre d'ITER

ITER n’est pas le seul réacteur cherchant à explorer le potentiel de la fusion nucléaire. Certains projets lui viennent notamment en appui, comme démonstrateurs permettant de valider des hypothèses de travail avant la fabrication, à plus grande échelle, d'élément couteux. C’est le cas des réacteurs de la constellation notamment formée par le KSTAR en Corée du Sud, le JT60SA au Japon, le WEST en France, et le JET au Royaume-Uni. Financés par des fonds publics, leur existence n’est vouée qu’à la validation des hypothèses d'utilisation de la fusion nucléaire à des fins de production d'énergie. A ce titre, ils ne constituent pas une concurrence en tant que telle.

Un autre projet majeur est l'EAST, situé en Chine. Offrant un banc d’essai pour les technologies ITER, EAST confirme avant tout l’ambition chinoise dans ce domaine (9).

Emergence d'un milieu concurrentiel

L’écosystème de la fusion nucléaire aux Etats Unis dispose d’une gouvernance offensive. Le rôle du Department of Energy (DOE) sur le sujet précis de la fusion nucléaire est clair. En effet, selon le directeur du DOE’s Office of Science, Asmeret Asefaw Berhe, le DOE’s Office of Fusion Energy Sciences est « investi de la mission consistant à créer et à mettre en œuvre une feuille de route qui rassemblera toutes les parties prenantes, tant nationales qu'étrangères, au développement d'un écosystème de recherche, de développement et de démonstration de l'énergie de fusion pour le 21e siècle » (10). Cette gouvernance de la fusion nucléaire internationale est assumée et rentre indirectement en compétition avec celle d’ITER. En parallèle, le DOE peut compter sur un réseau de startups dimensionnant : 21 entreprises sur 30 qui travaillent sur la fusion nucléaire dans le monde sont américaines (11). Depuis leur création, ces startups ont levé près de 5 milliards de dollars, en grande partie auprès d'acteurs privés parmi lesquels des milliardaires de la tech comme Bill Gates et Jeff Bezoz ou encore des industriels comme Eni et Shell.

En appui, les États Unis disposent de réacteurs de recherche et de laboratoires d'université qui mènent des expérimentations dans ce domaine. Situé au Princeton Plasma Physics Laboratory (PPPL), le Lithium Tokamak Experiment-beta (LTX-β) est un tokamak expérimental (12) étudie l'utilisation du lithium comme matériau de paroi pour améliorer les performances des tokamaks. Il est financé par le gouvernement américain. Le National Ignition Facility (NIF), situé au sein du laboratoire national Lawrence Livermore, vise à démontrer la fusion par confinement inertiel. Il est financé par le gouvernement américain à travers le département de l'Énergie des États-Unis. C'est un des premiers réacteurs a avoir obtenu un gain d’énergie net (rapport entre l'énergie produite par le réacteur et l'énergie nécessaire à son démarrage). Sa finalité est duale puisqu'il soutient également des expérimentations dans le domaine militaire. Par ailleurs, Commonwealth Fusion Systems (CFS) développe des technologies de fusion magnétique contrôlée. Fondée par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis, la société travaille sur le projet SPARC (13) qui vise à construire un réacteur de fusion compact. CFS bénéficie de financements privés et de subventions gouvernementales. Représentant à elle-seule un tiers des 5 milliards de $ de fonds levés aux Etats-Unis pour la fusion, CFS prévoit de commercialiser la première centrale à fusion à l'horizon 2030. Enfin, la société Helion a signé un contrat avec Microsoft (14) pour fournir à compter de 2028 une énergie issue de la fusion nucléaire.

Les enjeux de la maitrise de la fusion nucléaire

Pour comprendre les motivations qui animent les recherches sur la fusion, il faut revenir à une caractérisation des besoins primaires de la mondialisation tels que le financement et la propriété intellectuelle. En effet, au-delà du simple défi scientifique qu'elle représente, la maitrise de la fusion semble constituer une des clés de maitrise de révolution future. A l'image du charbon ou du pétrole pour les révolutions industrielles, celui qui maitrisera la fusion pourra exercer son influence voire son hégémonie sur le reste du monde tant le potentiel d'énergie générée est estimé considérable.

Sur un plan plus concret, le financement de la recherche constitue le levier le plus direct pour arriver à cette fin. A partir de cette maitrise, la propriété intellectuelle qui en découlera permettra de disposer de l'avantage technologique et concurrentiel. 

Partant des enjeux et de la mise en exergue d'un milieu concurrentiel, certains groupes d'intérêt utilisant des vecteurs informationnels distincts peuvent être identifiés.

Identification des vecteurs et des groupes d'intérêt

Une cartographie des articles à tonalité négative à l'encontre d'ITER permet de distinguer les

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auteurs, les média et quelques groupes d'intérêt qui véhiculent des discours à tonalité négative.

Cartographie de 90 articles dressant un point de situation sur le projet ITER entre 2003 et 2024, hors communication institutionnelle. Les articles à tonalité négative sont identifiés en rouge. (Julien Fabre)

L'évidence voudrait que les détracteurs d'ITER se concentrent autour d'organisations écologistes, notamment l’ONG Greenpeace dont le discours est en partie repris par la journaliste Cecile Izoard. Greenpeace emploie en effet une stratégie de reproblématisation avec pour idée maitresse que la fusion ne répond pas à l'urgence climatique. ITER constitue donc une cible d'opportunité, qui plus est alors qu'il utilise des éléments chimiques potentiellement dangereux, et qu'il constitue un investissement couteux, au détriment du développement de filière d'énergie dites plus vertes.

Pourtant, dans une approche plus indirecte, trois « proxies » américains se distinguent plus particulièrement. Ils véhiculent un discours polémique dans les médias scientifiques réservés à un public de spécialistes tels que Science, avec des articles à charge de Daniel Clery entre 2003 et 2022, repris par Adrian Cho, ou Physics Today dans lequel publie David Kramer depuis 2008, spécifiquement sur le sujet. Ces médias sont liés à la sphère scientifique américaine, soit via l'American Physics Institute soit via l'AAAS.

D'autres groupes d'intérêt existent, tels que la World Nuclear Association ou la Fusion Industry Association (15), mais leur empreinte dans le champ informationnel est minime même si leur rôle de lobbyistes est assumé. L'utilisation de proxies dans le milieu de la publication scientifique semble donc privilégiée.

Discréditer ITER, mais pourquoi ?

Ces articles à tonalité négative répondent à plusieurs objectifs.

Un premier mode d'action consiste à renforcer la prédominance des discours liés à l'énergie nucléaire conventionnelle basée sur la fission, constituant ainsi une forme possible d'encerclement cognitif.  En effet, malgré les progrès dans le domaine de la fusion, l'absence de débat public et l'accaparement des problématiques connexes par la sphère écologiste contribuent à se concentrer sur les risques et les controverses liés à la fission nucléaire. Cette fixation excessive sur les aspects négatifs de l'énergie nucléaire peut orienter l'opinion publique, décourager les investisseurs, généralement issus de la sphère publique européenne et limiter le soutien institutionnel envers des projets innovants. Greenpeace, sans faire l'apologie de la fission, justifie notamment que la fusion ne contribue pas à la fourniture d'un service profitable au développement de la société.

Dans un cadre de financement de la recherche très contraint, les investissements nécessaires au développement de la technologie des Small Nuclear Reactors rentrent directement en concurrence avec toute la filière de la fusion nucléaire. Le narratif est simple à construire : il s'agit alors de montrer l'opérationnalisation directe de la technologie maitrisée de la fission par rapport à un projet de fusion qui ne serait qu'un mirage industriel pour ses détracteurs. Il s'avère difficile de s'opposer à un scientifique de renom comme Georges Charpak, prix Nobel de physique, qui fait parti des nombreux physiciens à s’interroger sur ITER (16), ce projet gigantesque à l’avenir incertain. Certains demandent depuis 2010 l’arrêt du projet ITER dont le coût assécherait les autres filières nucléaires plus prometteuses.

Mais plus spécifiquement pour la recherche, les groupes d'intérêt américains précédemment décrits cherchent à décrédibiliser le projet ITER pour réorienter les financements américains du DOE, du moins justifier les arbitrages qui pourraient être faits en faveur de projets souverains américains. A cet effet, l'AAAS mène une stratégie offensive indirecte en orchestrant via ses outils de publication à comités de relecture, un ensemble d'attaques informationnelles qui sont imperceptibles de manière instantanée mais qui, échelonnées dans le temps, minent le terrain. Il s'agit alors d'articles polémiques ciblés pour détruire la légitimité, la crédibilité et l'image d'ITER. 

Des narratifs déployés sur plusieurs plans

Les différents auteurs d’article à charge contre ITER s'appuient sur des narratifs assez efficaces.

Sur le plan sociétal tout d'abord, les narratifs sont construits pour critiquer les conséquences environnementales et l'inadaptation du projet.

Selon David Kramer, les délais de mise en œuvre d'ITER sont incompatibles avec le caractère d'urgence mondiale liée au besoin d'une énergie plus propre : « That’s too long for the globe to wait for a clean new power source with a virtually unlimited supply of fuel» (17).

Il trouve un écho avec Greenpeace qui tweete que la fusion est une fausse réponse à un vrai problème écologique (18).Antoine Calandra reprend ce narratif dans Médiapart, en tentant de démontrer qu'ITER est échec avant l’heure. Dans une critique sur l'efficacité environnementale, il déclare qu'« ITER est depuis le début une voie sans issue » (19). Sur le thème de l’écologie, Cécile Izoard indique qu’il y a « derrière le projet ITER, des montagnes de métaux toxiques et de déchets radioactifs » (20). Elle cite également une directrice de la sécurité du site de Cadarache qui a été licenciée sans préavis dès la parution d’un article de Reporterre où elle reconnaissait la dangerosité de certaines poussières radioactives qui seraient émises lors de la réaction. Sur la provenance des métaux, le narratif part sur des considérations politiques et éthiques arguant que l’« Organisation ITER n’ait pas été en mesure de nous indiquer l’origine de ses métaux, on sait que le niobium est le métal-chéri de Jair Bolsonaro, le président d’extrême droite du Brésil ».

La journaliste évoque également des conséquences directes sur la santé, partant que « de nombreuses familles ont souffert de divers types de maladies, comme le cancer, les maladies rénales et cardiovasculaires » (21). Le béryllium est mis en cause car il « agit comme un poison cancérigène », sachant qu' « ITER en consomme 12 tonnes, alors que la production mondiale de béryllium est estimée à plus de 300 tonnes par an ».

Enfin, critiquant l'encadrement des équipes, Celia Izoard évoque la « gestion par la peur » et le « management toxique » de l’organisation dans un article intitulé : « Stress, peur, pression : le difficile quotidien des salariés du réacteur nucléaire ITER ».

 

Sur le plan technologique, l'argument de l'échec technologique est utilisé pour remettre en cause la faisabilité de la fusion controlée par ITER.

Antoine Calandra reprend dans Mediapart qu'ITER est « un puzzle géant qui a de fortes chances d’être un casse-tête insurmontable ». Ce dernier fait part en 2022 de problème d'organisation qu'il avait anticipé « j’annonçais en 2017 « un très probable cauchemar pour l’assemblage ». On y est »(22). Autre problème : la propriété intellectuelle échappe au contrôle des Etats-Unis alors qu’ils la financent et provoque une perte de compétitivité, selon Tony Taylor, vice-président de la division magnetic fusion energy de General Atomics, que cite Adrian Cho «  it makes no sens for the US to pay to ship intellectual capital overseas and make ourselves less competitive »(23).

Sur le plan économique enfin, il s'agit de montrer qu'ITER a un budget mal dimensionné et exclusif, voire qu'il est à la source d'un gaspillage financier et de concurrence déloyale avec d'autres projets.

En 2006, David Clery titre dans Sciences « ITER, le pari à 12 Milliard de $ »(24). En 2010, il explique que le coût d'ITER n'est pas supportable et que l’Europe peine à trouver une solution pour payer : « ITER Cost Estimates Leave Europe Struggling to Find Ways to Pay » (25).

Dans Physics Today, David Kramer, tout en vantant les résultats des projets menés au MIT et au PPPL (26)(27) appuie ce discours avec un article intitulé « ITER appears unstoppable despite recent setbacks », pour mettre en exergue que la mécanique ITER est inarrêtable malgré les revers subits, et pour qui les coûts restent un mystère : « Costs are a mystery » (28).

En 2016, il dénonce déjà un certain immobilisme : « ITER costs are pinned down, with caveats »(29). En 2017, il relie des problèmes de gouvernance au problème d'estimation des coûts, puisqu’aucun chiffre n’est officiellement fourni : « ITER doesn’t provide an official estimate of construction costs because the participating countries have different methods of pricing out their in-kind contributions—mostly in the form of fabricated reactor components—and those estimates are not reported to the ITER Organization » (30).

De façon plus frontale, dans une dizaine d'articles publiés dans la revue Science, Adrian Cho évoque la compétition en reprenant l'idée que le financement d'ITER sacrifie d'autres programmes souverains américains : « une contribution plus large à ITER diminue les contributions au profit des programmes nationaux » (31).

Il cite d'ailleurs Stephen Dean, président de Fusion Power Associates, pour qui ITER a un effet direct sur le budget de PPPL et surtout Martin Greenwald, qui est à la fois physicien au MIT et membre du US DOE, et pour qui « contributing to ITER is reasonnable only in the context of a domestic programm».

Pour rester dans le registre de la comparaison, Cécile Izoard déclare que « hormis la Station spatiale internationale, c’est l’expérience scientifique la plus chère de l’histoire humaine ».

Enfin, l'absence de maitrise du budget par le niveau de gouvernance d'ITER est largement pointée. « The ITER project formally began in 2006, when its international partners agreed to fund an estimated €5 billions (then $6.3 billion), 10-year plan that would have seen ITER come online in 2016. The most recent official cost estimate stands at more than €20 billion ($22 billion) »(32).

Face à cela, les défenseurs d'ITER exécutent a minima une manœuvre de dilution, en justifiant le coût qui devrait représenter 1,5 Md€ par an sur 30 ans, tout en comparant cet effort financier à celui fait au profit des énergies vertes. « A titre de comparaison, le soutien public aux énergies renouvelables, c'est de l'ordre de 5 milliards d'euros chaque année. » déclare Alexis Quentin, docteur en physique et ingénieur dans l'industrie nucléaire et membre de l'association les voix du nucléaire (17).

Conclusion

Les logiques de confrontation autour du projet ITER dépassent les enjeux purement techniques et les velléités de progrès scientifique. Elles s'intéressent également aux domaines économique et social. Elles démontrent aussi l’importance de prendre une posture de guerre informationnelle qui va au-delà de la simple maitrise de la communication.

La production d'énergie issue de la fusion reste encore au niveau expérimental. Détail d'importance car des attaques bien orchestrées peuvent miner la confiance de l'opinion publique à un moment où les investissements financiers dans cette technologie croissent. Le champ est laissé libre à des acteurs émergents comme la Chine qui pourrait tirer profit de cette guerre informationnelle, bien que cet Etat soit partie prenante au projet ITER.

 

 

Julien Fabre,
étudiant de la 44ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)

 

Sources

  1. FAQ ITER | IRSN. (S.d.). https://www.irsn.fr/foire-questions/faq-iter

(2) Diplomatie scientifique. De quelques notions de base et questions-clés. Pierre-Bruno Ruffini. Dans Philosophia Scientiæ 2019/3 (23-3), pages 67 à 80

(3) https://www.iter.org/fr/proj/inafewlines

(4) https://www.iter.org/fr/proj/iterhistory

(5) https://www.iter.org/fr/construction/construction

(6) ТОКАМАК • Большая российская энциклопедия - электронная версия. (n.d.). https://old.bigenc.ru/physics/text/4195190

(7) Énergie de fusion. (s.d.). AIEAhttps://www.iaea.org/fr/bulletin/62-2

(8) Projet Iter : pas de consensus sur le choix du site - Science Actualités.fr. (s.d.). https://www.cite-sciences.fr/archives/science-actualites/home/webhost.cite-sciences.fr/fr/science-actualites/actualite-as/wl/1248100253686/projet-iter-pas-de-consensus-sur-le-choix-du-site/index.html

(9) China National Nuclear Corporation. (n.d.). https://en.cnnc.com.cn/

(10) DOEs Office of Science Releases Vision Outlining the Path to Advancing Fusion Energy Science and Technology. (n.d.). Energy.gov. https://www.energy.gov/science/articles/does-office-science-releases-vision-outlining-path-advancing-fusion-energy-science

(11) Talbi, T. (2023, décembre 10). TOUT COMPRENDRE - Où en sont les différents projets de fusion nucléaire dans le monde? BFM BUSINESShttps://www.bfmtv.com/economie/entreprises/energie/tout-comprendre-ou-en-sont-les-differents-projets-de-fusion-nucleaire-dans-le-monde_AD-202312100291.html

(12) A shot for the ages: Fusion ignition breakthrough hailed as one of the most impressive scientific feats of the 21st century.’ (s.d.). Lawrence Livermore National Laboratoryhttps://www.llnl.gov/article/49301/shot-ages-fusion-ignition-breakthrough-hailed-one-most-impressive-scientific-feats-21st

(13) MIT-designed project achieves major advance toward fusion energy. (2021, septembre 8). MIT News | Massachusetts Institute of Technologyhttps://news.mit.edu/2021/MIT-CFS-major-advance-toward-fusion-energy-0908

(14) Helion. (2023, août 29). Helion announces worlds first fusion energy purchase agreement with Microsoft | Helionhttps://www.helionenergy.com/articles/helion-announces-worlds-first-fusion-ppa-with-microsoft

(15) Fusion Industry Association. (2023, octobre 30). Home - Fusion Industry Association. https://www.fusionindustryassociation.org/

(16) Le Figaro. (2010, août 10). Charpak pour larrêt du projet Iter. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/08/10/97001-20100810FILWWW00320-charpak-pour-l-arret-du-projet-iter.php

(17) Investments in privately funded fusion ventures grow. (2020). Physics Today, 2020(2), 1013a. https://doi.org/10.1063/pt.6.2.20201013a

(18) Azihari, F. (2020, 6 novembre). Ce que son opposition au projet ITER révèle de lorganisation Greenpeace. Atlanticohttps://atlantico.fr/article/decryptage/ce-que-son-opposition-au-projet-iter-revele-de-l-organisation-greenpeace-nucleaire-environnement-avenir-energie-projet-urgence-climatique-industrie-alexis-quentin-ferghane-azihari-

(19) Calandra, A. (2018, 6 mai). ITER, mensonges, niaiseries. . . et fiasco  inéluctable ! Mediaparthttps://blogs.mediapart.fr/antoine-calandra/blog/120417/iter-mensonges-niaiseries-et-fiasco-ineluctable

(20) Izoard, C. (2021, 21 juin). Derrière le projet Iter, des montagnes de métaux toxiques et de déchets radioactifs. Reporterre, le Média de L’écologie - Indépendant et En Accès Librehttps://reporterre.net/Derriere-le-projet-Iter-des-montagnes-de-metaux-toxiques-et-de-dechets-radioactifs

(21) Izoard, C. (2022, 3 mars). Stress, peur, pression : le difficile quotidien des salariés du réacteur nucléaire Iter. Reporterre, le Média de L’écologie - Indépendant et En Accès Librehttps://reporterre.net/Stress-peur-pression-le-difficile-quotidien-des-salaries-du-reacteur-nucleaire-Iter

(22) Calandra, A. (2022, 1 décembre). ITER*, la date du démarrage renvoyée une fois de plus aux calendes grecques ! Mediaparthttps://blogs.mediapart.fr/antoine-calandra/blog/011222/iter-la-date-du-demarrage-renvoyee-une-fois-de-plus-aux-calendes-grecques

(23) Cho, A. (2012). Bigger Contribution to ITER Erodes Domestic Fusion Program. Science, 335(6071), 901902. https://doi.org/10.1126/science.335.6071.901

(24) Clery, D. (2006). ITERs $ 12 billion gamble. Science, 314(5797), 238242. https://doi.org/10.1126/science.314.5797.238

(25) Clery, D. (2010). ITER Cost Estimates Leave Europe Struggling to Find Ways to Pay. Science, 328(5980), 798. https://doi.org/10.1126/science.328.5980.798

(26) Kramer, D. 2021). Lawrence Livermore claims a milestone in laser fusion. (Physics Today, 2021(2), 0817a. https://doi.org/10.1063/pt.6.2.20210817a

(27) Kramer, D. (2015). New MIT design revives interest in high-field approach to fusion. Physics Today, 68(10), 2324. https://doi.org/10.1063/pt.3.2941

(28) Kramer, D. (2023). ITER appears unstoppable despite recent setbacks. Physics Today, 76(8), 1822. https://doi.org/10.1063/pt.3.5287

(29) Kramer, D. (2016). ITER costs are pinned down, with caveats. Physics Today. https://doi.org/10.1063/pt.5.1070

(30) Kramer, D. (2018). ITER disputes DOE’s cost estimate of fusion project. Physics Todayhttps://doi.org/10.1063/pt.6.2.20180416a

(31) Cho, A. (2012b). Bigger Contribution to ITER Erodes Domestic Fusion Program. Science, 335(6071), 901902. https://doi.org/10.1126/science.335.6071.901

(32) Seife, C. (2024, 20 février). World’s Largest Fusion Project Is in Big Trouble, New Documents Reveal. Scientific Americanhttps://www.scientificamerican.com/article/worlds-largest-fusion-project-is-in-big-trouble-new-documents-reveal/