Comment l'effet de cadrage est utilisé sur la scène politique

En économie comme en politique, deux mondes bien souvent intimement liés l'un à l'autre, les acteurs rivalisent d'ingéniosité pour influencer leur entourage professionnel et en tirer des bénéfices. De nombreuses techniques existent, principalement basées sur le discours et l'image, mais lorsqu'il s'agit d'influencer massivement un auditoire, l'effet de cadrage, responsable du biais du même nom, est probablement le plus utilisé. Qu'est-ce que le biais de cadrage ? Comment est-il utilisé en politique ?

C'est quoi l'effet de cadrage ?

En psychologie comportementale, le biais de cadrage est un phénomène qui apparaît lorsqu'une même information, présentée sous deux angles différents, produit deux effets inverses sur l'auditoire. On dit que l'information ou le discours est cadré d'un certain point de vue. Par exemple, un examen avec un taux de réussite de 90 % présente la même information qu'un examen avec un taux d'échec de 10 %. Mais son impact sur l'auditoire est différent du fait du cadrage, pour des raisons cognitives que nous allons voir.
Le biais de cadrage est d'autant plus puissant qu'il est massivement utilisé. L'époque moderne, qui voit la majorité des informations diffusées à grande échelle via les médias traditionnels et Internet, offre donc un terrain propice à son utilisation dans le domaine de la politique. Il n'a donc pas fallu longtemps pour que la technique soit théorisée et enseignée dans certaines grandes écoles d'économie, comme en bachelor sciences politiques, en plus des facultés de psychologie.

Pourquoi ce biais de cadrage se produit-il ?

Plusieurs raisons psychologiques expliquent l'apparition de ce phénomène. Ce sont en effet des mécanismes cognitifs inconscients et involontaires qui sont en jeu, plus que la pertinence de l'information elle-même. Selon la situation, un orateur expérimenté saura lequel de ces mécanismes mettre en mouvement pour obtenir l'effet recherché.
Les raccourcis mentaux, aussi nommés heuristiques, sont le mécanisme le plus facilement utilisable, car c'est celui responsable des prises de décisions rapides chez l'être humain. Ainsi, en présentant la même information comme un gain ou comme une perte, la personne va automatiquement préférer l'information présentée comme un gain, avant même toute action de jugement. C'est la théorie de la perspective qui propose que la perception des gains et pertes n'est pas évaluée en soi, mais plutôt comparée. Les deux informations mises en perspective apparaissent donc contrastées dans leur fond, alors qu'il ne s'agit que d'un contraste de forme. Ce contraste est dû à une sorte d'effet de référence. Le décisionnaire, pour rationaliser ce contraste entre les deux informations, va les comparer entre elles et à sa situation, pour décider rapidement quelle information est la plus susceptible de lui être utile.
Les choix, même involontaires, restent des décisions humaines. Ils sont donc aussi soumis à une part de subjectivité, et donc à l'influence des émotions. L'émotivité humaine est de ce fait un levier très puissant lorsqu'il s'agit d'exploiter l'effet de cadrage. Il peut ainsi être utilisé pour susciter des émotions positives ou négatives, en fonction du but recherché. C'est un cas que l'on voit souvent en politique lors des campagnes d'élection.

L'utilisation de l'effet de cadrage en politique

L'utilisation de l'effet de cadrage pour convaincre un auditoire lors d'un discours est loin d'être récente. La technique, avant d'être psychologiquement théorisée, avait été découverte et démocratisée durant l'Antiquité par Aristote et Platon. En effet, avant d'être un subterfuge psychologique, l'effet de cadrage était avant tout une technique oratoire de philosophe destinée à gagner des joutes oratoires.
Plus tard, Schopenhauer l'améliorera dans son ouvrage L'art d'avoir toujours raison. Le biais de cadrage a ensuite pris une grande importance en politique et en économie (ainsi qu'en marketing) avec l'utilisation des médias de masse. C'est une manière efficace d'influencer l'opinion publique, particulièrement en périodes électorales.
L'effet de cadrage est donc particulièrement utilisé lors de la présentation des politiques gouvernementales et des programmes des candidats. Le cadrage met en valeur les points forts et utilise des périphrases antonymiques, voire paradoxales, pour que les défauts soient perçus comme des qualités par une oreille inattentive. Par exemple, pour une même décroissance économique, on utilisera le terme croissance négative, terme perçu par l'auditoire comme presque positif. De même, une augmentation des impôts pourra être présentée comme une opportunité d'améliorer la qualité de vie de la collectivité.
L'effet de cadrage en politique est donc tout d'abord basé sur la sémantique. Un bon choix des termes et du langage permet de facilement changer le prisme au travers duquel le public reçoit une même information. Selon la couleur que l'on veut donner à un discours politique, on utilisera donc des synonymes chargés de sens. Le mot réforme, par exemple, sonnera bien plus positivement que l'expression changement drastique. On notera que, bien souvent, l'opposition utilisera le terme opposé. C'est là toute la teneur des débats politiques.
En politique, pour utiliser l'effet de cadrage, il est aussi très important de comprendre les enjeux et problèmes sociaux pour adapter le discours en fonction, si l'on veut obtenir des réponses émotionnelles spécifiques. Si l'on prend pour exemple une politique sécuritaire, elle jouera sur la sémantique de la lutte contre la criminalité pour satisfaire un électorat soucieux de sa sécurité. Tandis que l'opposition, plus libertaire, aura soin de critiquer son rival en basant sa rhétorique sur la réduction des libertés civiles. Ce n'est qu'une question de point de vue, mais ils doivent entrer en résonance avec les préoccupations de la population ciblée pour que le discours soit cadré.
L'omission de certains aspects négatifs d'une question participe aussi à l'effet de cadrage. Il faut cependant omettre avec parcimonie, car les omissions sont bien souvent relevées par l'opposition. En cas de crise économique, cette technique peut en revanche permettre d'éviter des déboires importants. Quand on sait que la plupart des crises économiques sont accentuées et précipitées par l'annonce de celles-ci (on appelle cela un phénomène de prophétie autoréalisatrice), il peut être utile de cadrer un discours de crise en minimisant au maximum, voire en omettant pour un temps, certaines informations sensibles.
La politique, ce n'est pas uniquement la confrontation des personnalités. L'effet de cadrage est particulièrement efficace lorsqu'il s'agit de mobiliser la population elle-même. Le terme effet de cadrage induit lui-même un biais. Un critique averti pourrait y voir, par exemple, une forme de propagande. Cela étant dit, il suffit de regarder les médias pour comprendre comment la même information est cadrée de manière différente lorsqu'il s'agit de climat et de protection environnementale. Il est aisé de mobiliser la population pour protéger la planète et les générations futures, tandis que l'opposition tentera de mobiliser les industriels en cadrant son discours sur le coût pour l'industrie.
L'effet de cadrage est donc très généralement utilisé en politique, parfois à l'extrême dans certains pays dont les médias sont contrôlés par le gouvernement. Ils peuvent donc servir à véhiculer des discours aux cadres très orientés, parfois même fallacieux, dans le but de consolider une position de leadership ou de maintenir la docilité d'une population. Encore une fois, une simple question de sémantique.

Exemples réels de l'effet de cadrage

L'histoire récente est assez riche en exemples démontrant l'utilisation régulière du biais de cadrage en politique et en économie à travers le monde.

Le conflit ukrainien

L'exemple le plus récent nous vient de l'Europe de l'Est. Il n'a échappé à personne que ce que l'on nomme objectivement le conflit ukrainien est cadré de deux angles de vue radicalement opposés par les parties en question. Les pays occidentaux utilisent ouvertement la sémantique de la guerre, parlent d'invasion, et décident de cadrer la situation du point de vue de la victime. Tandis que le côté russe, pour rallier l'opinion nationale à sa cause, préfère axer sa rhétorique sur la sécurité du pays en invoquant le devoir de combattre le terrorisme, et n'hésite pas à minimiser la portée de son action en parlant d'opération spéciale. Ces deux paradigmes sont un exemple parfait de l'utilisation du biais de cadrage en politique extérieure.

Le Brexit en 2016

Toujours en matière de politique et de relations internationales, on a pu constater que les partisans de la sortie de l'Union européenne de l'Angleterre ont basé leur discours sur la nécessité de reprendre le contrôle du pays, de se libérer des contraintes de l'Union… Alors que les opposants ont préféré mettre en avant les incertitudes politiques et économiques qu'engendrerait une telle décision. Les deux parties ont rivalisé d'ingéniosité dans la sémantique choisie pour présenter les mêmes chiffres (concernant l'immigration, l'économie, la dette…) selon deux cadrages différents afin de mobiliser la population.

Le COVID

La politique a été obligée de s'immiscer dans les questions de santé publique mondiale lors de la crise du COVID. Pour convaincre le maximum de personnes de se faire vacciner, il a été nécessaire de diffuser à large échelle un message fort. Le sujet a donc été cadré très spécifiquement : le danger de la maladie, la protection des plus faibles, le bien commun… Bien entendu, un contre-pouvoir a très vite mis en évidence la même actualité vue sous un autre angle plus libertaire, mettant en avant le caractère liberticide et arbitraire des décisions du gouvernement. Même des années après, de nombreux ouvrages continuent de paraître sur le sujet, chacun traitant le même sujet selon un cadrage et une coloration politique propre à chaque auteur.
L'utilisation massive de l'effet de cadrage rend difficile la compréhension des événements politiques, et peut même induire en erreur si le cadrage est volontairement trompeur. De nombreux partis politiques n'hésitent pas à accentuer cet effet à l'aide de fake news ou de récupération événementielle de manière à jouer sur les mécanismes cognitifs que nous avons vus, parfois à la limite de la légalité. Néanmoins, cette technique de framing demeure efficace et reste un outil nécessaire à tout discours politique.