Voici un exemple de la stratégie de désinformation menée en République Centrafricaine le 21 février 2022 dernier. Cet évènement intervient dans un contexte diplomatique très tendu entre le gouvernement français, la présidence centrafricaine et les autorités russes. Certes, la détérioration des relations franco-centrafricaine est ancienne mais la simultanéité de plusieurs évènements intervenants à quelques jours d’intervalle a facilité voire déclenchée la diffusion de cette fausse information. La première étape sera de déterminer comment les réseaux sociaux se sont d’abord emparés de l’évènement puis comment il a été relayé par certains sites locaux d’informations en ligne. Puis, nous verrons comment des démentis officiels ont été apportés.
Comment la présence de "quatre légionnaires français à l'aéroport de Bangui M'boko" est devenu "une tentative d'assassinat du président centrafricain
Au départ, il existe quelques éléments factuels qui seront repris et transformés par les réseaux sociaux le jour même. Les faits se déroulent le 21 février dernier en République centrafricaine sur un parking de l’aéroport de la capitale Bangui : quatre ou cinq militaires français (au départ les chiffres ne concordent pas) sont arrêtés par des hommes de la gendarmerie centrafricaine alors que le président centrafricain Faustin Archange Touadéra se trouve dans un avion qui doit atterrir sur ce même aéroport. Dans le narratif qui apparait dans un premier temps sur Twitter, ces hommes sont soupçonnés de vouloir réaliser un attentat contre le président Faustin Touadéra. Ils sont alors emmenés dans les locaux de la gendarmerie pour y être interrogés.
A la suite à ces faits, un premier tweet[i] relaie l’information. Il est accompagné d’une vidéo tournée sur place sur laquelle on observe le déroulement de l’arrestation des quatre hommes. Ils montent dans un véhicule de la gendarmerie centrafricaine sans montrer d’opposition. On remarque à l’arrière-plan un véhicule blanc estampillé sur la carrosserie du sigle UN pour « United Nations ».
Ce tweet fait l’objet de 186 retweets, 52 citations et 284 j’aime. La source s’appelle Grégoire Cyrille Dongobade. Il se présente sur twitter en tant « observateur militaire, chercheur en Etudes sociales et politiques ». Sur ce tweet est bien mentionné qu’il s’agit « d’une tentative d’assassinat du président Touadéra ». C’est ce premier tweet qui véhicule un narratif violent, faux et antifrançais puisqu’il n’est pas mentionné que ce sont des militaires. Seuls apparait la mention « 5 Français ».
Le tweet[ii] suivant sur ce fil rédigé par Diess Goma évoque « la haine » ressentie par le président français vis-à-vis de la Centrafrique » ce qui fait basculer l’évènement dans la sphère politique et évoque les très mauvaises relations bilatérales entre la France et la République Centrafricaine.
Toujours parmi les tweets retrouvés[iii], il faut noter celui de Luc Léopold qui va établir un lien entre la pseudo tentative d’assassinat et la protection apportée par la Russie au régime centrafricain : « Le président Touadéra doit suivre le pas des autorités maliennes et demander le départ de l’armée française. Il a un allié sûr qu’est la fédération de Russie de quoi a-t-il peur ? « On trouve donc ici un récit de militaires français qui ont tenté d’assassiner le président centrafricain puis le rappel que la France est en train de mettre fin à l’opération Barkane au Mali. Enfin, le rôle de la Russie comme protecteur est mentionné. Or, en effet, depuis plusieurs années, la sécurité du président Touadéra est assurée par des membres de la société russe de sécurité Wagner.
La grossièreté de l'opération de désinformation russe
La stratégie de désinformation passe à une étape suivante avec la reprise sur des sites d’information en ligne du faux narratif sur la tentative d’assassinat du président centrafricain. C’est le cas avec Opéra news Côte d’Ivoire[iv] qui relaie la fausse information en dehors de la république centrafricaine avec plusieurs photos[v] qui ont attiré notre attention.
Ce site reprend en français des informations critiques vis-à-vis de la Russie ainsi que de fausses informations comme celle de la tentative d’assassinat du président centrafricain. La ligne éditoriale du site semble brouiller les pistes. Cependant, les évènements du 21 février 2022 sont repris et sont accompagnés de photos de la première vidéo diffusée sur Twitter puis d’autres photos d’un véhicule, et d’armes qui semblent attester de la véracité des faits. Une photo est sensée montrer les armes des militaires français, du matériel militaire et une paire de gants de boxe bleu saisis au moment de l’arrestation. Elles sont censés prouver qu’ils allaient effectuer une tentative d’assassinat.
Aucun des protagonistes de l’affaire ne sont présents sur les clichés. De plus, l’information est attestée par « un confrère », une source d’information en réalité non identifiée. « Selon un confrère, la piste de la tentative d’assassinat est la principale de cette affaire puisqu’ils avaient des armes dans le véhicule ». De plus, ni la présence d’une voiture banalisée, ni celles d’armes n’apparaissent sur la toute première vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Ce narratif et les photos correspondent bien à un montage.
Les démentis
Face à ces fausses informations, plusieurs autorités ont dû apporter un démenti et éclaircir les circonstances de l’arrestation des quatre légionnaires. Cela a été le cas du secrétaire général des Nations Unies ainsi que de la représentation diplomatique de la France sur place. En fin de journée en ce 21 février 2022, l’Ambassade de France à Bangui a demandé la libération des quatre légionnaires français.
Le tweet[vi] de l’ambassade explique que « ces quatre officiers de sécurité escortaient le chef d’état-major de la MINUSCA » pour embarquer à bord d’un vol d’Air France « avec leur équipement professionnel ».
Il apparait qu’en réalité, ces hommes présentés comme des militaires français sont des membres de la Légion étrangère qui sont sous contrat avec la Minusca et donc rattachés à cette force des casques bleus de l’ONU. Ils étaient ce jour-là en possession de badges de la Minusca en cours de validité et avaient escorté le général (français) Stéphane Marchenoir, le chef d’Etat major de la Minusca qui devait prendre un avion à l’aéroport de Bangui.
Par ailleurs, lorsqu’ils ont été emmenés par les forces de la gendarmerie centrafricaine, ils ont ensuite été interrogés « par des éléments non-centrafricains » selon la rédaction de Mondafrique[vii] qui souligne que des membres de la société russe Wagner sont en activités dans le pays.
Le rétropédalage des autorités centrafricaines
Les quatre hommes ont finalement été remis en liberté le 24 février 2022 et une enquête est toujours ouverte concernant la saisie des armes au moment des faits. Cet évènement est une des illustrations de la guerre informationnelle entre les autorités françaises et les autorités russes mais aussi de la guerre d’influence franco-russe qui se déroule en République Centrafricaine. D’une part cette guerre informationnelle, déjà ancienne, se manifeste régulièrement. Elle alimente une montée du sentiment antifrançais au niveau local. Quelques jours après l’arrestation des légionnaires français, une manifestation prorusse[viii] a lieu à Bangui. Nous sommes le 24 février 2022 soit le jour du déclenchement de l’invasion russe en Ukraine. Sur une affiche tenue par un des manifestants, il est écrit « Les centrafricains avec la Russie ».
D’autre part, ce récent épisode de cette guerre informationnelle intervient à une autre date-clé et permet aux responsables russes d’envoyer un message aux autorités françaises et à la force de la Minusca en République Centrafricaine.
Au niveau du contexte politique, il existe une défiance du président centrafricain contre la France, président qui a opéré un rapprochement avec la Russie. Le président Faustin Touadéra doit faire face à une rébellion depuis plusieurs années. Il y a un an, alors que la rébellion gagnait du terrain et mettait en difficulté le pouvoir central, Faustin Touadéra a fait appel à la Russie pour obtenir de l’aide. Des membres de la société russe Wagner ont été envoyés sur place et une partie a pris en charge la protection du président centrafricain. Cette aide militaire sur le terrain a permis au régime de Bangui de reconquérir les deux tiers du territoire du pays face à la rébellion. De plus, les partenaires européens et onusiens (la force de la Minusca) ne sont plus les bienvenus dans le pays et sont la cible régulière de manifestations de la population. Le contexte politique local, l’agenda international et les conflits d’influence entre la France et la Russie en République Centrafricaine sont à prendre en compte pour faire une relecture de cet épisode de guerre informationnelle intervenu entre le 21 et le 24 février derniers.
François Beaubodin
Liens
[i] https://twitter.com/Bigniggaz/status/1495825682219343874
[ii] https://twitter.com/Bigniggaz
[iii] https://twitter.com/MelEssisKouadio/status/1495851488643538945
[v][v]https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:FvvpwYSiZMAJ:https://ci.opera.news/tags/centrafrique+&cd=1&hl=en&ct=clnk&gl=fr
[vi]https://twitter.com/FranceBangui?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1495870983537926147%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=http%3A%2F%2Fwww.opex360.com%2F2022%2F02%2F22%2Fquatre-militaires-francais-de-lescorte-du-chef-detat-major-de-la-minus
[vii] https://mondafrique.com/les-legionnaires-francais-arretes-a-bangui-interroges-par-wagner/
[viii] https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:usCm2yjNYYgJ:https://www.la-croix.com/A-Bangui-remercie-Russes-avoir-sauve-Centrafrique-2022-02-24-1301201922+&cd=9&hl=en&ct=clnk&gl=fr