Bras de fer sur la législation des emballages entre la France et l’Union Européenne

La législation sur la question de l’emballage durable ou emballage de demain est un sujet qui a secoué le monde industriel notamment des PGC (produits de consommation), entre 2019 et 2024. La France avec la loi AGEC a voulu par sa promulgation, se positionner en leader sur la prise en compte des questions environnementales dans son futur modèle de société. En faisant des choix jugés drastiques, elle a fait des mécontents dont les industriels, principaux acteurs de la mise sur le marché de l’emballage français mais également européens. Cette décision politique et législative lui a valu l’enclenchement d’une procédure d’infraction de la Commission Européenne pour entrave à la libre circulation des biens en Europe[i]. Cette réaction est un exemple du combat informationnel qui a été mené autour de la question environnementale et dont les enjeux sont sociétaux, médiatiques et juridiques. Derrière ce combat législatif se cache une lutte de pouvoir entre divers acteurs : États membres, institutions européennes, lobbies industriels et groupes écologistes.

Emballages et législations : un enjeu stratégique

Depuis l’apparition en 1907 de la bakélite, première matière plastique industrielle basée sur un polymère synthétique, le plastique a connu un essor fulgurant compte-tenu de sa praticité et de sa versatilité pour les usages industriels. Utile pour répondre au besoin d’une société de consommation en plein essor, elle devient le cœur du débat de la lutte contre les déchets d’emballages. Près d’un siècle après, son omniprésence et son impact en tant que déchet a très rapidement poussé les institutions à légiférer sur la gestion des déchets d’emballages, notamment plastique. Avec l’intensification de la lutte contre la pollution plastique, la pollution pèse de plus en plus sur les institutions régaliennes et le cadre législatif a évolué pour répondre aux préoccupations croissantes. A la question du déchet s’ajoute celle de l’harmonisation de sa gestion à l’échelle des pays. En Europe, la directive 94/62/CE fait son apparition en 1994 et est déclinée par plusieurs pays en divers formats et avec diverses exigences. En 2015, les emballages représentent les 40% des 49M de tonnes de produits plastiques produits en Europe. De 2004 à 2019, L’Union Européenne dans le cadre du Paquet Economie Circulaire révise à 5 reprises la directive dans l’ambition de renforcer le recyclage, de réduire les déchets d’emballages et limiter le plastique à usage unique. Divers pays ont transposé les directives de diverses manières et en renforçant différents axes.

Tableau 1:Chronologie des déclinaisons de la directive 94/62/CE entre 2015 et 2020

Pays

Outil legislatif

Grandes thématiques

Année

France

Loi n° 2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire

- Réduction des déchets d'emballages
- Réemploi et recyclage
- Responsabilité élargie du producteur
- Objectifs de recyclage renforcés

2020

Allemagne

Loi sur les emballages (Verpackungsgesetz)

- Objectifs de recyclage accrus
- Renforcement de la responsabilité des producteurs
- Création d'un registre central des emballages

2019

Italie

Décret législatif n° 152/2006 (modifications)

- Révision des objectifs de recyclage
- Clarification des rôles des acteurs
- Renforcement du système de responsabilité élargie du producteur

2018

Espagne

Loi 11/1997 sur les emballages (modifications)

- Mise à jour des objectifs de recyclage
- Amélioration du système de collecte sélective
- Promotion de l'éco-conception

2018

Royaume-uni

The Packaging (Essential Requirements) Regulations

- Révision des exigences essentielles pour les emballages
- Mise à jour des objectifs de recyclage
- Renforcement des contrôles

2015

Belgique

Accord de coopération interrégional sur les emballages

- Objectifs de recyclage plus ambitieux
- Extension de la responsabilité du producteur
- Promotion de l'innovation dans les emballages

2018

Les ambitions françaises sur la législation de l'emballage

Bien que ses politiques en matière de gestion du déchet plastique soient plus récentes, la France s’est imposée comme un acteur ambitieux (voire plus ambitieux) aux regards des directives européennes sur les questions d’économie circulaire. En 2020, la France transpose cette directive, et adopte en février de la même année la loi Anti-Gaspillage pour une Economie Circulaire (AGEC). Elle y propose des mesures drastiques qui s’attaquent aux différents aspects de la lutte contre le plastique au travers de la stratégie 3R (Réduire, Recycler, Réutiliser). 

Cette nouvelle réglementation aussi stricte que soudaine a fait plusieurs mécontents auprès de divers acteurs aussi bien nationaux qu’européens. Les industriels déplorent le manque de temps et de concertation préalable. A titre d’exemple, l’interprofession des fruits et légumes a notamment regretté l’absence de concertation préalable à l’adoption de la loi.[ii]

Le réveil de l’Europe sur le futur de l’emballage

La Loi AGEC a soulevé 3 questions à la Commission Européenne entre février et novembre 2022 sur les divergences légales au sujet de l’étiquetage des emballages, en mettant l’accent sur la loi AGEC et notamment le logo Triman dont l’objectif est de préciser les consignes de tri[iii][iv][v]. En février 2023, la Commission européenne ouvre une procédure d’infraction contre l’hexagone au sujet du logo Triman, qui selon elle constituerait un risque d’entrave à la libre circulation des biens dans l’espace européen. 

En complément de cette contre-attaque, la Commission Européenne a proposé en novembre 2022 une réglementation à la gestion des déchets plastiques à savoir la PPWR (Packaging and Packaging Waste Regulation) en remplacement de la directive existante [vi]. Ce règlement a pour objectif d’encadrer et d’harmoniser les législations nationales. La Commission Européenne, le Conseil et le Parlement entreront dans ce processus réglementaire, qui sera secoué par de nombreuses négociations et compromis sur la transposition de dispositions existant déjà dans la législation française. Les principaux points de désaccords vont concerner la fin des emballages à usage unique, le réemploi et les délais qui à trois représentent les enjeux qui déterminent le caractère ambitieux de la législation française.

A travers ces compromis, l’Europe entend protéger le marché unique et le maintien des chaînes d’approvisionnement du continent. Ces dernières risqueraient d’être affaiblies par des législations nationales ou secondaires qui introduiraient des barrières sur le marché.

Ce combat réglementaire a connu un point d’étape important en avril 2024 quand la Commission Européenne adopte le texte « compromis ».

Les principaux acteurs du combat informationnel qui se jouera sur les blogs sont les ONG environnementales telles que Zero Waste France, No Plastic in My Sea et les lobbies industriels du plastique et/ou du carton à l’instar de Plastalliance ou d’EUROPEN fortement impliqués dans les négociations au Parlement[vii]. Les ONG se feront naturellement le porte-voix de la France auprès de l’Europe, tandis que les lobbies industriels de l’emballage vont jouer la carte de l’expertise, de l’harmonisation et du marché unique à l’échelle de l’Union européenne.

Les différents champs de confrontation

Le terrain législatif 

En prenant le taureau par les cornes et en menant une course contre la montre, l’Etat français a voulu jouer le rôle de pionnier écologique.  Elle a fait preuve d’une certaine rapidité au grand dam de ses collaborateurs nationaux. Le Conseil d’Etat a de son côté relevé que « le délai de consultation des collectivités, parties prenantes importantes de la filière de collecte et de tri, fût extrêmement court, avec invocation de l’urgence ne permettant d’avoir connaissance de leur position explicite[viii]. »

Elle s’est appuyée sur l’arme législative pour se positionner positivement au regard de la question écologique et pour obtenir le soutien des ONG environnementales qui bénéficient d’une grande influence sur l’opinion publique aussi bien nationale qu’européenne. Le gouvernement français a également omis de notifier le projet de loi à la Commission Européenne avant son adoption. En prenant le pas sur la légalisation européenne et en mettant en place des objectifs ambitieux (voire trop ambitieux et sans moyens associés [ix]) la France remet en question la volonté d’action de l’Europe sur l’avenir du déchet plastique et lui dicte de manière implicite la voie à suivre. 

Tableau 2: Tableau comparatif PPWR et loi AGEC

Axes

PPWR (UE)

Loi AGEC (France)

Reduction des déchets d'emballages

-15% par habitant d'ici 2040 par rapport à 2018

-15% de déchets ménagers et assimilés d'ici 2030 par rapport à 2010

Recyclabilité des emballages

100% recyclables d'ici 2030

100% de plastiques recyclés d'ici 2025

Reemploi des emballages

10% de tous les emballages réemployables d'ici 2030

5% d'emballages réemployés mis sur le marché en 2023, 10% en 2027

Collecte séparée des bouteilles en plastique

90% d'ici 2029

77% en 2025, 90% en 2029

   

 

 

 

Ce faisant, elle s’est imposée comme la référence ou la source d’inspiration pour la proposition de la PPWR[x]. La contre-attaque européenne sur l’aspect législatif est timide. En effet, l’Europe s’est en partie alignée sur les objectifs français en dépit des lobbies de l’emballage.

Le combat législatif se poursuit dans la mesure où la France risque d’ajuster sa réglementation pour s’aligner sur la loi AGEC. Francesca Stevens, secrétaire générale d’EUROPEN, représentant la filière au Parlement, indique que l’UE doit être prête à relever les défis potentiels liés à l’adoption d’une législation secondaire complexe et de nouvelles lois nationales introduisant davantage de barrières sur le marché

 

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Description générée automatiquement[xi]

Figure 1: Mise en garde de la Secretaire Générale d'EUROPEN contre les législations nationales divergentes de la PPWR.

La France se construit une solide réputation de défenseur des enjeux d’alimentation et d’environnement, un axe important du Pacte Vert à travers la stratégie « De la ferme à la table »[xii]. Elle met la Commission Européenne face à ses contradictions sur la volonté de transitionner vers des économies circulaires et durables et ses intérêts économiques de préservation du marché unique.

Les mots sont choisis à escient : 

  • « L’Europe tremblante Une Europe tremblante… mais inspirée » (Célia Renesson, La loi AGEC a quatre ans : donnons-nous les moyens de sortir du tout-jetable ! février 2024)
  • « Besoin d’une Europe ambitieuse » Zero Waste France, Juin 2024.

On peut également supposer que cette anticipation s’est faite au regard du calendrier des élections européennes qui ralentissent les travaux parlementaires et permet à l’Etat français de gagner du temps sur la bataille à mener.[xiii]

Le terrain juridique  

En face, l’Union Européenne a de son côté un pouvoir non négligeable en ayant recours au droit. L’ouverture de la procédure d’infraction dont l’issue est pour l’instant inconnue, est un moyen d’intimidation. En matière juridique, la France souffre également de tentative de fragilisation de l’intérieur. Plastalliance[xiv] a attaqué le décret 2023-478 du 20 juin 2023 concernant l’interdiction d’emballages plastiques pour les fruits et légumes. Le syndicat a pris soin de faire entrer des utilisateurs de ces emballages en prélude à l’attaque juridique[xv].

Le terrain médiatique

La communication médiatique est un aspect essentiel de cette stratégie. Les blogs et le réseau professionnel Linkedin sont le terrain de combat acharné que se livre les deux camps. Le blog de Zero Waste France affiche 45 articles traitant de la question de la loi AGEC pour 4 sur la PPWR. 

Linkedin 

Le réseau social permet de partager des communiqués de presse et donne l’occasion aux parties de s’affronter en commentaires, chacun se voulant plus expert que l’autre. Contrairement à d’autres types de réseaux sociaux, la plateforme permet également à travers la fonctionnalité « article », d’écrire des tribunes[xvi] qui remplissent le double objectif d’y démontrer son expertise, et d’un bon référencement sur linkedin ET sur Google.

La pression sociétale 

En jouant sur le sentiment d’urgence climatique, la France a su accélérer la mise en place de la Loi AGEC et se montrer avant-gardiste sur le sujet s’attirer le soutien des ONG et associations environnementales. Ces derniers jouent un rôle crucial dans ce bras de fer. La pression populaire soutient largement les initiatives écologiques. 

Diane Beaumenay, responsable plaidoyer et campagne déchets aquatiques pour Surfrider Foundation Europe prévient : «si nous n’obtenons pas un texte ambitieux pour déterminer l’avenir des emballages pour les 10 prochaines années, cela peut avoir un énorme impact environnemental »

Cette résonance médiatique permet de mobiliser l’opinion publique, transformant la lutte contre les emballages en un symbole de la politique verte de l’hexagone. 

Figure 2: L'initiative française applaudie par les ONG environnementales

En face, les industries concernées tentent de minimiser l'impact de ces réformes et dénoncent des mesures restrictives voire irréalistes.

Les industriels dépités dénoncent une démarche adoptée relève plus du slogan et de l’émotionnel que d’une démarche rationnelle[xvii]. Les lobbies du plastique contre-attaquent en rappelant le rôle principal de l’emballage qui est de protéger l’intégrité du contenu et sa nécessité pour une meilleure conservation des produits notamment alimentaires. Cette fonction étant essentielle pour éviter le gaspillage alimentaire qui émeut les foules.

En complément, le camp adverse dénonce une campagne de désinformation dont souffre le plastique[xviii] et mène une attaque cognitive au moyen d’études, de publications et de livres pour asseoir sa légitimité. Ils proposent « une nouvelle vision sur le plastique et ses perspectives économiques, écologiques et sociétales » tout en rappelant l’efficacité et la praticité du plastique. Joseph Tayefeh qui est le secrétaire général de Plastalliance The European Plastics Alliance, écrit et promeut le livre « Plastique bashing : L’intox ».

Les événements professionnels

Par leur nature grégaire, les organisations professionnelles constituent des canaux d’influence spontanée non négligeables. Ces derniers par souci d’attractivité et par devoir d’information se livrent une course effrénée à la diffusion des prochains changements réglementaires. Ils organisent des ateliers, conférences et webinaires dont sont friandes les entreprises. Les PME soucieuses de connaître les futures contraintes auxquelles elles seront soumises. Les projets de lois sont de facto acceptées en amont de leur adoption. Les entreprises de taille plus importantes y voient le lieu de trouver des alliés pour mettre en place une contre-offensive groupée.

Les objectifs stratégiques de la France dans cette guerre de l’information

Focaliser le débat pour mieux avancer

En privilégiant le débat la gestion des emballages, la France détourne l’attention de son absence de performance d’autres dossiers industriels plus complexes telles que la potabilité de l’eau, la question énergétique ou encore sur la question du recyclage. Le taux de recyclage des emballages en France est de 61,8%, une performance inférieure à la moyenne européenne qui est de 64%. Elle se positionne derrière la Belgique, l’Italie et l’Allemagne. Ces résultats seraient attribuables entre autres à un système de collecte et de tri moins développé, à la complexité du système de tri, notamment l’absence d’harmonisation sur le territoire national et une sensibilisation insuffisante.

Cett focalisation lui permet d’avancer tout en occupant le terrain médiatique avec un sujet porteur.

Influencer et harmoniser 

En insistant sur une législation plus ambitieuse en matière d’écologie, la France incite l’Union Européenne à adopter des normes similaires, sous peine d’être décriée par la presse citoyenne[xix]. L’Europe se positionnant comme leader sur les questions de circularité de l’économie, l’influence française peut avoir un retentissement à l’échelle des Etats-Unis et du Canada.

 

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Figure 3: Comparaison de la répartition des requêtes PPWR et AGEC en fonction des régions du monde sur la période de novembre 2022 à juin 2024.

En dehors de l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Australie éprouvent plus d’intérêt pour la loi AGEC qu’à la PPWR.

 

La confrontation autour de la législation des emballages révèle une stratégie concertée de la France pour prendre le leadership dans la transition écologique, tout en s’appuyant sur les voix médiatiques citoyennes que sont les associations environnementales. Elle se retrouve face à des opposants historiques que sont les lobbies industriels et de l’emballage qui cherchent à imposer leur légitimité à se prononcer sur la question en tant qu’experts et praticiens. Parmi eux se trouvent des organisations professionnelles français qui voient en cette nouvelle législation l’occasion de prendre leur revanche contre la loi AGEC. Ce second champ de bataille informationnel est d’autant plus opportun que les lobbies industriels sont bien représentés au Parlement Européen, et que les acteurs moteurs de la réglementation européenne ne sont pas militants écologistes comme Brune Poirson en France[xx].

La victoire de la France [xxi]n’est pas confirmée et promet d’être mitigée. Ce bras de fer entre la France et l'Europe pourrait bien être le témoin d’un réalignement des priorités économiques et environnementales du continent et pourrait déboucher sur une démonstration de force judiciaire de l’UE face aux Etats-membres. Cette bataille suscite l’intérêt à l’heure où l’information et la communication jouent un rôle aussi crucial que les décisions politiques elles-mêmes. 

Le défi pour la France est de montrer que ses réformes peuvent porter leurs fruits rapidement. Cette lutte contre le temps peut également jouer en sa défaveur, si la loi AGEC ne fait pas ses preuves. Chaque retard dans l'application des mesures pourrait être utilisé par les opposants pour mettre en exergue leur inefficacité.

 

Ornella Aveko

étudiant de la 45ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)

Références