Le sujet du Bitcoin et plus généralement des cryptomonnaies est un sujet de guerre économique qui, en tant que tel, implique les Etats et les banques centrales. Au moment où l’Union Européenne régule l’espace numérique avec la récente proposition des directives européennes DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Market Act) DSA and DMA pour freiner les abus de position dominante des GAFAM, le Bitcoin occupe quotidiennement depuis quelques mois le terrain de la communication sur le net.
Forces et faiblesses du Bitcoin
Les avis sur le Bitcoin sont aussi partagés que la volatilité de son cours. Jamie Dimon, CEO de JP Morgan décrivait en septembre 2017 le Bitcoin comme « une véritable escroquerie où baignent les trafiquants de drogue et criminels » et de menacer de licenciement tout salarié de la JP Morgan achetant du Bitcoin. Cela n’empêche pas la JP Morgan de publier en janvier 2021 une étude prédisant le Bitcoin à 146.000 US$. Le gérant du Hedge Fund Hayman Capital, Kyle Bass, a beaucoup communiqué sur ce sujet en expliquant la forte progression du cours du Bitcoin par la fuite des capitaux chinois qui ne peuvent pas sortir leur argent de Chine. Warren Buffet, investisseur et homme d’affaires américains, dénonce le Bitcoin comme une supercherie, sans valeur. Un actif n’a de la valeur que quand il produit de la richesse (immobilier, entreprises, production, services).
Le site Visual Capitalist révèle la valeur relative de tous les actifs financiers dans le monde visualcapitalist.2020.Les Cryptomonnaies ne représentent qu’une portion « microscopique » comparées aux montants astronomiques comme par exemple ceux de la dette et des produits dérivés. De surcroît les crypto monnaies ne sont contrôlées par aucun état, aucun régulateur. Contrairement aux banques classiques qui rendent des comptes à des autorités centrales régulatrices, le Bitcoin agit « hors système ».
La grande force du Bitcoin réside dans son fonctionnement décentralisé, sans régulation nationale ou internationale, sans encadrement institutionnel. Il repose sur une communauté mondiale d’utilisateurs. Il séduit particulièrement en tant de crise pour être utilisé comme une valeur refuge.
Le Bitcoin et les 3 générations de la Blockchain
Apparu pour la première fois en 2009, après la crise financière de 2008, sous un logiciel Bitcoin-QT (aujourd’hui Bitcoin core bitcoin.org ), le Bitcoin a été créé par un certain Satoshi Sakamoto, un pseudonyme qui cache la véritable identité du ou des fondateurs. Il n’y a à ce jour aucun document attestant du ou des noms des créateurs de la première crypto-monnaie. Sur ce point, la guerre informationnelle sur « qui se cache derrière le Bitcoin ? » alimente les blogs sur tous les continents autant que le regain d’activités des marchés des cryptomonnaies.
- Le Bitcoin (BTC) s’appuie sur la technologie de la BlockChain première génération en 2009, d’abord publique, qui permet de stocker et de transmettre des informations de manière totalement sécurisée et transparente, disposant d’une parfaite traçabilité. Chaque transaction est enregistrée dans un nouveau bloc. L’objectif annoncé du Bitcoin est simple : « effectuer des paiements en ligne directement d’un tiers à un autre sans passer par une institution financière ».
- La 2ème génération avec Ethereum (ETH) ethereum.org en 2013, élargit la base de données permettant l’automatisation des transactions via des smart contracts, des contrats intelligents où l’accord entre 2 parties est auto-exécuté selon sa programmation, comme par exemple un locataire qui loue un appartement dont les portes ne s’ouvrent que si le loyer est réglé. En résumé, le smart contract évite les intermédiaires.
- La 3ème génération est la Blockchain permissionnée ou « privée de consortium » avec une décentralisation partielle et un réseau accessible à un nombre limité d’utilisateurs. Dans ce cas l’accès à la donnée est réservé aux « nodes » (nœuds), noms désignant les membres du consortium. La Blockchain la plus connue est la Ripple ripple.com, sorte de Swift, réseau international de communication électronique entre participants de marché. Cette génération se démarque totalement des précédentes en incluant un organe central de décision. Elle devient une réalité pour les acteurs de la software comme Microsoft, ConsenSys, de la banque comme JP Morgan , du service informatique comme IBM, ou Intel. D’autres entreprises utilisent de plus en plus la Blockckain pour digitaliser la sous-traitance, pour combattre la contrefaçon, pour garantir la traçabilité de biens de consommations, pour délivrer des certificats de conformité, en clair pour une plus grande transparence.
La Blockchain publique, qui repose sur un principe collaboratif, ouvert, distribué et décentralisé reste la véritable disruption dans la sphère financière. La Blockckain fonctionne avec des mineurs qui fabriquent la cryptomonnaie et valident les transactions.
Il existerait aujourd’hui environ 8000 cryptomonnaies dont une centaine est véritablement active. Le bitcoin représente plus de 60% de la capitalisation boursière des cryptomonnaies cryptoslate.com/coins .
Les Cryptomonnaies : instrument de pouvoir politique et économique
Les Cryptomonnaies ont lancé les débats sur les enjeux des monnaies numériques par les Etats. Le très influent site officiel du Bitcoin news.bitcoin.com a récemment souligné le changement de ton de Janet Yellen, nouvelle secrétaire au Trésor Américain, sur les cryptomonnaies. Lors de son audition préalable au sénat du mardi 12 janvier 2021 , Janet Yellen répondait à une question d’une sénatrice qui l’a interpellée sur le recours aux cryptomonnaies pour le financement du terrorisme.
« Les cryptomonnaies sont particulièrement préoccupantes. Je pense que beaucoup sont utilisées, au moins en ce qui concerne les transactions, pour des financements illicites et je pense que nous devons vraiment examiner les manières dont nous pouvons réduire leur usage et être sûr que le […] blanchiment d’argent n’intervient pas par ces canaux. »
Ses propos étaient repris par Christine Lagarde, présidente de la Banque Centrale Européenne « C’est un actif hautement spéculatif qui a mené quelques étranges affaires [funny business] et des activités intéressantes et totalement répréhensibles de blanchiment d'argent ». Pourtant un rapport publié fin janvier 2021 par la Chainanalysis chainalysis société spécialisée dans la sécurité et l’accompagnement sur les marchés Crypto qui travaille entre autre pour l’UNODC (United Nation Office on Drugs and Crime) indiquait que les activités criminelles liées aux cryptomonnaies ne représente que 0,34% du volume total échangé en 2020 (2,1% en 2019), soit un montant de 10Milliards de US$, très loin des 2,1 trillions de US$ du crime organisé sur la planète (3,6% du PIB mondiale – estimation de L’UNODC en 2012). Dans son rapport annuel sur la répartition géographique des échanges de cryptomonnaie, Geography-of-Crypto Chainanalysis analyse en détail et en toute transparence les 154 pays où circulent les cryptomonnaies.
Janet Yellen expliquait ensuite « qu’il est important de considérer les avantages des cryptomonnaies et des actifs numériques et leur potentiel qu’elles ont pour améliorer l’efficacité du système financier ».
Pendant que les USA et l’Europe affichent leurs réserves sur ce sujet, La Chine met en place sa cryptomonnaie d’état. Le système du Yen numérique, le DCEP (Digital Currency Electronic Payment) créée par la banque d’Etat chinoise, la banque populaire de Chine en 2017, est soutenu par les géants du net chinois comme Alipay, Tecent, Huawai et surtout par la monnaie nationale chinoise le renminbi RMB. La volonté affichée du leader chinois Xi Jinping est « d’embrasser la finance numérique » et la blockchain afin d’avoir un avantage « sur les autres pays ». La Chine voit dans le réseau de services blockchain (45% des brevets liés à cette technologie proviennent de la Chine) le moyen de contester la domination du dollar américain. La Chine avance ses pions dans ce domaine pendant que les occidentaux livrent des batailles contre l’incursion des GAFA dans le secteur financier.
L’influence des GAFAM sur « l’Internet de l’argent »
Alors que la Chine rassemble toutes ses forces (acteurs gouvernementaux + acteurs concurrentiels + acteurs sociétaux) sur la bataille de « l’internet de l’argent », le secteur bancaire européen soutenu par ses Etats tient tête aux bigtechs américaines, qui elles , font pression auprès des autorités américaines de régulation financière Régulation financière aux USA.pdf et Suisses ( la FINMA) pour accélérer la mise en circulation de leur cryptomonnaie.
Le cas de la Diem (Facebook)
Après la guerre informationnelle autour de la nouvelle cryptomonnaie Libra, visiblement trop associée à son créateur Facebook visé ces derniers temps par des critiques sur sa gestion des données personnelles et du respect des réglementations, le géant du numérique change sa stratégie de communication. Il met en avant le consortium d’investisseurs et un nouveau nom de projet « Diem » avec un siège social stratégiquement basé en Suisse à Genève, dirigé par des cadres issus de banques et institutions financières respectées. Le consortium est censé agir en toute indépendance vis-à-vis de Facebook.
Pour Facebook, la stratégie principale est simple : il s’agit de cibler les 1,7 milliard d’êtres humains qui n’ont pas encore de compte en banque, et qui pourraient se rajouter à ses 2,8 milliard d’utilisateurs actifs mensuels existants. Facebook tient aussi à faciliter les paiements en ligne.
Google Cloud et EOS
Un des enjeux pour un système financier en ligne décentralisé est d’améliorer le taux de transactions par seconde. Google, qui souhaite l’ouverture de compte pour ses clients via Google Pay, s’est rapproché de la Blockchain EOS par l’intermédiaire de sa branche de cloud computing et devenir un producteur de blocs sur le réseau EOS.
La discrétion d’Amazon sur les cryptomonnaies
Le géant de l’E-commerce intervient dans tous les secteurs de l’économie avec des services très performants et un outil informatique de pointe dont l’activité de la filiale AWS (Amazon Web Services pourrait à terme dépasser l’activité de la distribution d’Amazon.
A ce jour, aucun indicateur informationnel ne précise les intentions d’Amazon sur une offensive affirmée de cryptomonnaie. Jeff Bezos, son fondateur, souhaite entretenir l’effet de surprise sur les stratégies de son groupe : « Je crois qu'il faut être prêt à ne pas être compris si vous voulez innover. ». Pour les spécialistes de la finance, Amazon reste le principal rival des banques. Selon Benoît Flamant responsable des actions chez Corraterie Gestion « la force d'Amazon, ce qui fait le cœur de son business, c'est sa capacité à fournir toujours plus de services à ses clients, que ce soit en ligne ou en physique. Les services bancaires peuvent en faire partie. » Le système Prime, qui sert déjà à fidéliser ses clients en leur donnant accès à toujours plus de services, pourrait servir de rampe de lancement.
Apple et le cash back
A ce jour l’App store impose des restrictions à ses usagers sur toutes les applications liées à la cryptomonnaie. Une stratégie qui vise surtout à protéger la commission App Store de 30%.
La firme Californienne avait pris de l’avance en lançant en 2019 avec la banque Goldman Sachs et Master Card une carte de crédit en version numérique et physique. L’Apple Card permet aux utilisateurs de suivre en temps réel l’historique de leurs transactions avec un service de remboursement jusqu’à 3% des montants d’achats effectués sur les applications Apple. Jennifer Bailey, vice-présidente d'Apple Pay, avait déclaré à CNN dans le cadre d'un événement privé organisé à San Franciscoen 2019 : « Nous pensons que la cryptomonnaie offre un potentiel intéressant à long terme et nous nous y intéressons ».
Il est probable que la Bitcoin et les cryptomonnaies en général servent de laboratoires aux GAFAM qui vont s’en inspirer pour en améliorer la technique (l’infrastructure Diem est conçue pour permettre jusqu’à 1000 transactions /secondes contre 15 pour Ethrerum et 7 pour la Bitcoin). Alors que Bitcoin, Ethrerum présentent avant tout un intérêt spéculatif avec lesquels il est difficile de faire du commerce (acheter et payer), les GAFAM s’appuient sur trois avantages fondamentaux :
- Le premier est la quantité impressionnante de données déjà en leur possession qui vont accélérer le process du « KYC –Know your customer » KYC actuellement la richesse informationnelle des banques.
- Le deuxième est l’impact publicitaire qu’ils génèrent sur le Web : avec une propre cryptomonnaie, les géants du numériques augmentent le contrôle des achats de leur utilisateurs et des campagnes de leur annonceurs.
- Le troisième est leur expérience des paiements en ligne avec en autre Apple Pay , Google Pay ou WhatsApp (qui appartient à Facebook).
La souveraineté des Etas par la régulation du numérique
L’Europe, qui veut reprendre la main sur la circulation des données, s’engage dans une course contre la montre pour construire une alternative européenne aux géants américains de la Tech. Les états occidentaux qui avaient contraint les banques à donner davantage accès à leurs systèmes d’information en favorisant les fintechs et indirectement les créations de ces nouvelles technologies de blockchain, vont devoir se lancer dans une stratégie offensive et systémique de régulation du numérique.
Paul Duteil
Auditeur de la 35ème promotion MSIE
Sources :
https://bitcoinist.com/fund-bitcoin-undergo-explosive-rally/
https://www.dgitags.io/blog/quest-ce-que-le-bitcoin
https://trendonly.fr/2020/03/31/blockchains-publiques-permissionnees-et-privees/
https://www.technology.org/2020/10/14/visualizing-the-global-growth-of-cryptocurrencies/
https://zephyrnet.com/fr/guide-num%C3%A9rique-yuan-dcep-cbdc-de-la-chine/