A la suite du rejet des eaux usées de Fukushima initié en 2023, le Japon est au centre d’une guerre informationnelle menée par la Chine et ses alliés. Douze ans après le tsunami ayant entraîné la mise hors service des systèmes de refroidissement et la fusion de plusieurs cœurs de réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima, le Japon a débuté le 24 septembre 2023 le rejet des eaux usées du site dans ses eaux territoriales.
Malgré la validation du programme par l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), les craintes de contamination du milieu marin sont encore fortes parmi les populations locales et les pays alentour. Fer de lance de cette contestation, la Chine accuse l'agence d’avoir pris une décision hâtive et complaisante sous la pression japonaise.
Outre les enjeux sanitaires et environnementaux, les observateurs ne manquent pas de souligner que les relations conflictuelles entre les deux pays, enjeux territoriaux et historiques, ainsi que les relations étroites entre le Japon et les Etats Unis ne sont pas sans lien avec cette polémique.
Ce programme, depuis sa conception à sa mise en œuvre, a été et est encore le théâtre d’un affrontement informationnel entre les deux puissances extrême-orientales. Si le japon semble avoir eu gain de cause en obtenant le soutien des organisations internationales, les représailles Chinoises, et plus particulièrement l’interdiction d’import des produits de la mer, sont préjudiciable pour l’économie et la réputation du pays du soleil levant
Le genèse d'un projet contesté
Le sort des eaux usées de Fukushima n’est pas un sujet nouveau. Dès 2014, l'AIEA ainsi que le la NRA (Agence de régulation nucléaire japonaise) se prononçaient en faveur du rejet dans la mer, rencontrant les premières contestations des pêcheurs locaux.
Ces eaux proviennent des ruissellements, des nappes phréatiques ou de l’eau ayant servi à refroidir les réacteurs nucléaires suite à la catastrophe et sont traitées par la méthode ALPS qui permet d'éliminer 62 des 64 éléments radioactifs présents, à l’exception du Carbone 14 et du Tritium. Ce dernier élément est au cœur de la controverse, présent dans des proportions inférieures aux normes de l'AIEA, il est accusé par les opposants au projet d’avoir des effets potentiellement néfastes sur l’environnement et le corps humain.
Avril 2021, le Japon officialise le choix du rejet en mer et tente de rassurer
Dès l’annonce officielle du projet qui doit débuter deux ans plus tard, Tokyo tente de rassurer sur l’aspect technique et scientifique du programme. Grâce au traitement et à la dilution des eaux usées, le niveau de tritium serait très inférieur aux normes internationales. Par ailleurs, TEPCO, la société exploitant le site, indique que cette méthode est utilisée par de nombreux sites nucléaires autour du monde. Enfin des contrôles réguliers sont prévus et le projet est soutenu par L'AIEA, bénéficiant ainsi de la légitimité scientifique de l’organisme international.
Quantité de Tritium rejetées par les centrales nucléaires autour du monde
Le premier ministre japonais, Yoshihide Suga, utilise l’urgence de la situation, les capacités de stockage des eaux usées arrivent à saturation et il serait impossible de construire de nouvelles infrastructures sans retarder la décontamination du site. Selon lui cette option serait “la plus réaliste” et “inévitable”.
Par ailleurs conscient de l'impact réputationnel du projet, il annonce que des mesures exceptionnelles seront prises afin de préserver l’image des produits de la région. Il exhorte les médias à ne plus utiliser les expressions d’eau contaminée ou radioactive mais d’utiliser le terme d’eau traitées, afin de rassurer sur son innocuité.
Enfin, le Japon reçoit le soutien des Etats-Unis, qui soulignent la transparence dont le pays a fait preuve dans l’évaluation et le choix de la méthode appropriée.
Contestation du milieu économique et de la société civile locale
Les pêcheurs locaux encore meurtris par la catastrophe de Fukushima sont en opposition avec le projet depuis sa création. Déjà en 2019, le responsable des coopératives de pêche de la préfecture de Fukushima indiquait que le rejet en mer reviendrait à détruire les 8 ans de travail effectués jusque-là pour reconstruire l’industrie de la pêche locale, démontrant ainsi l’aspect contre-productif et anti-économique de la mesure.
Du côté de la société civile, les organisations de défense de l'environnement, Greenpeace en tête, soutiennent les pêcheurs. L'organisation attaque le gouvernement japonais sur le plan moral indiquant qu’il a failli auprès de la population de Fukushima mais également sur le plan légal, selon l’ONG le rejet est en contradiction avec les accords internationaux signés par le Japon et plus particulièrement “the United Nations Convention on the Law of the Sea” (UNCLOS) intimant à la Corée du Sud, alors opposée au projet, à agir devant les tribunaux internationaux.
Des voisins inquiets
La chine, principale opposante au projet, attaque sur le plan moral. Le 13 avril 2021 le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Zhao Lijian dénonce une décision “hautement irresponsable” et unilatérale au détriment de la sécurité de la santé publique mondiale ainsi que des intérêts vitaux des habitants des pays voisins. Les médias Chinois accusent l'Occident, habituellement attentif aux questions de santé publique et d’environnement, de double standard.
D’un point de vue scientifique et technique, la Chine accuse TEPCO d’avoir choisi l’option la moins chère au détriment de l’environnement. L’enfouissement ou l’évaporation seraient selon eux plus viables, mais également plus onéreux. S’en suivront entre Juin 2022 et Août 2023 une série d’échanges entre la Chine, alliée à la Russie, et le Japon, remettant en cause les éléments techniques du projet par le biais des circulaires d’informations de l’AIEA.
Taiwan et la Corée du Sud contestent également cette décision. Séoul envisage même de porter l’affaire devant les tribunaux internationaux et fait part de ses inquiétudes auprès du Japon et des Etats-Unis d’Amérique.
Positionnement communicationnelle des parties prenantes au début du projet
Validation du projet de rejet par l'AIEA
Le 4 juillet 2023 l'AIEA publie un rapport validant le projet japonais. Après deux ans de travail, l'organisme conclut que les procédures mises en place pour le rejet des eaux usées de Fukushima sont en accord avec les normes de sécurité internationales et que le rejet n’aura qu’un impact minime sur l’environnement.
La Chine attaque le rapport et lance ses premières représailles
Le jour même dans une session de question/réponse l’ambassade de Chine dénonce un rapport partial et publié hâtivement. Sur le plan technique, les consultations d’experts auraient été insuffisantes et ce travail, réalisé à la demandé du Japon, n’aurait pas la légitimité de valider son action. Sur le plan moral, l’empire du milieu accuse de nouveau le Japon d’avoir choisi l’option la plus économique et de faire courir un risque à toute l’humanité. Sa communication est offensive et a pour objectif de rallier la communauté internationale à sa cause. Sur cet aspect il est en phase avec Greenpeace qui peut constituer une caisse de résonance importante pour ses idées. Sur le plan légal le communiqué fait de nouveau référence à la violation des obligations UNCLOS (loi de la mer) du Japon.
En conséquence le 7 juillet 2023 la Chine interdit l’import de nourriture en provenance de 10 préfectures japonaises et indique procéder à des tests rigoureux de tous produits de la mer provenant de l’intégralité du territoire nippon.
La Corée du Sud tiraillée entre une population inquiète et un gouvernement qui valide le projet
Les craintes chinoises sont partagées par la population Sud-Coréenne, 80% des citoyens expriment des inquiétudes face au projet selon une enquête de Gallup Korea et un mouvement d’achat massif de sel de mer à lieu en raison des peur de futures contaminations.
Des grèves de la faim sont organisées par les opposants au projet, dont Woo Won-shik, un député au parlement de Séoul qui déclare, selon l'AFP, "Le Japon veut rejeter les eaux usées dans la mer parce que c'est le moyen le plus simple et le moins cher de le faire". Il rejoint ainsi la position chinoise dénonçant l’irresponsabilité des autorités nippones.
Le gouvernement, lui, adopte une attitude conciliante, s’en remettant au rapport de l'AIEA et aux recherches de ses propres scientifiques, concluant à une absence d’impact et au respect des normes internationales. Des actions de communication visant à rassurer la population sont mises en place, des points quotidiens dénonçant des “peurs excessives” et des déplacements sur les marchés de poisson sont organisés.
Paradoxalement, la Corée du Sud maintient son interdiction d’import de produits de la mer en provenance du Japon en vigueur depuis 2013. Séoul cherche en réalité à se rapprocher de Tokyo depuis plusieurs mois et cette polémique est l’occasion de créer du lien entre les deux alliés des Etats-Unis dans la région.
Le Japon lance une contre-attaque informationnelle
Sur le plan technique et scientifique, TEPCO rassure, les niveaux de tritium seront de seulement 190 becquerels (unité de mesure de la radioactivité) par litre, bien en dessous de la limite de l’OMS de 10 000 becquerels par litre pour l’eau potable.
Le 18 août 2023, Tokyo répond à la Russie et à la Chine via les circulaires de l'AIEA. Le Japon accuse ses contradicteurs de ne pas adopter de démarche scientifique et de n’apporter aucunes données à leurs revendications. Ils n’auraient d’ailleurs jamais donné suite aux propositions de réunions leur ayant été faites.
Sur le plan réputationnel, un budget de plusieurs millions de dollars est débloqué par le Japon afin de convaincre de l'innocuité du rejet des eaux usées. L’entreprise TEPCO organise le 11 juillet 2023 un Livestream de poissons (retransmission en direct) vivant dans les eaux usées de Fukushima afin de prouver l'absence de danger. Enfin des communications ont lieu lors d’évènements publics, festivals et forums dans les universités.
Positionnement communicationnelle des parties prenantes à la suite de la validation du projet par l’AIEA
Début des opérations de rejets des eaux usées
Le 24 août 2023, le Japon débute les opérations de rejets des eaux usées dans ses eaux territoriales, côté pacifique. La couverture médiatique de l'événement est mondiale et permet à ses détracteurs comme à ses soutiens de bénéficier d’un porte-voix international.
La Chine intensifie ses attaques contre le Japon
Dès le premier jour des opérations de rejets, la Chine étend son interdiction d’importer à tout produit de la mer en provenance du Japon. L’impact économique sur l’industrie de la pêche est important, l’empire du milieu étant la première destination d'exportation des pêcheurs japonais.
La Chine débute une campagne de harcèlement téléphonique des entreprises japonaises, des faits de jets de pierre sur l’ambassade japonaise et les écoles nippones situées en Chine sont dénoncés par le Premier ministre japonais Fumio Kishida le lundi 28 août. Un climat de peur se répand auprès des Japonais expatriés.
Des faits de désinformation et de dénigrement en provenance de comptes chinois sont également relevés. Des animations de courants marins, sans rapport avec Fukushima, sont détournées afin de prouver la contamination de l’océan et certains officiels chinois vont même jusqu’à utiliser l’image du monstre marin Godzilla.
"En rejetant en mer l’eau nucléaire contaminée de #Fukushima, le Japon lâche Godzilla, symbole de son propre traumatisme nucléaire, sur le monde", Zhang Meifang, consule générale de Pékin à Belfast, X - l’Express
L’empire du milieu reçoit le soutien symbolique de la Russie qui interdit à son tour, le 16 octobre 2023 les importations japonaises. C’est une véritable opération de guerre psychologique qui s’engage, tant médiatique que physique à l’encontre du Japon qui doit rapidement réagir.
Les réponses pro-Japonaises
La réplique japonaise ne se fait pas attendre, tout d’abord sur le plan légal. Le 4 septembre 2023, Tokyo dépose un contre-argumentaire auprès de l’OMC suite à l’interdiction d’importation de ses produits de la mer par la Chine et envisage même une plainte auprès de l'institution.
Sur le plan politique, le ministère de l’économie et de l’industrie Japonais reprend le même argumentaire dans le cadre d’une déclaration officielle à l’encontre de l’empire du milieu.
Sur le plan réputationnel, le 30 août 2023, le premier ministre Japonais poste une vidéo sur les réseaux sociaux au cours de laquelle il mange du poisson de Fukushima suivi de l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique deux jours plus tard affirmant ainsi son soutien au Japon face aux attaques économiques de la Chine. Ce dernier ira même plus loin le 22 septembre 2023 en accusant la Chine de pêcher dans les eaux japonaises alors qu’elle refuse l’importation de ses produits.
Fumio Kishida, Premier Ministre Japonais dégustant du poisson pêché à FUKUSHIMA, Source : www.ndtv.com
Sur le plan technique et scientifique, TEPCO met en place un site internet permettant de comprendre le processus de rejet et de suivre les différents indicateurs de contrôle. Une version condensée de ces informations est également disponible sur le site internet de l'AIEA, offrant ainsi une source indépendante.
Les conséquences du rejet sur l'économie de la pêche Japonaise
La réputation des produits de la mer japonaise est entachée et les exportations sont en chute libre. Le 2 octobre 2023 TEPCO annonce une campagne d’indemnisation des pêcheurs locaux en compensation du dommage réputationnel subi. Le 10 octobre 2023 un fonds spécial d’aide aux pêcheurs japonais et développer les exportations vers d’autres pays que la Chine est créé.
Pourtant, le mal est fait. Outre la baisse des exportations japonaises vers la chine, des pays tiers, comme la Malaisie, qui n’ont pas interdit les importations, affichent une baisse de la demande intérieure pour les produits en provenance du pays du soleil levant. Les Etats-Unis d’Amérique qui dénoncent des manœuvres politiques et non sanitaires de la part de Pékin annoncent le 31 octobre 2023 procéder à des achats en gros de poissons japonais afin de soutenir l’industrie de la pêche.
Positionnement communicationnelle des parties prenantes suite aux premiers rejets
Un affrontement qui en cache un autre
Hormis les pêcheurs Japonais, dont les revendications pécuniaires ont été satisfaites, tous les acteurs de cette bataille informationnelle ont intensifié leur positionnement avec l’escalade des tensions créant deux blocs antagonistes menaçant la stabilité diplomatique dans la région.
Matrice socio-dynamique des parties prenantes du point de vue du Japon
D’un point de vue économique, l’industrie de la pêche Japonaise paie le plus lourd tribut. Outre la chute des importations chinoises, la dégradation de son image aura des conséquences sur le long terme dans la zone géographique mais également à l’international.
Les incidents ayant émaillés ces événements ont également eu pour effet d’augmenter les tensions dans la société civile : le harcèlement des japonais par les chinois, les mouvements de protestation Sud-Coréens ou encore la bataille ayant eu lieu sur les réseaux sociaux sont autant d’éléments de nature à augmenter les clivages entre les différentes populations de la région. Une bataille légale s’est également engagée auprès des instances internationales, AIEA, OMC ; escaladant le conflit à un niveau international.
Sous couvert d’une controverse sanitaire, ce conflit illustre la résurgence de deux blocs ennemis hérités de la guerre froide, les Etats-Unis d’Amérique par son proxy japonais, et Chine en tête, dont les frictions seront plus que jamais au cœur de la géopolitique des prochaines années.
Remy Gruet,
étudiant de la 42ème promotion Management stratégique et intelligence économique (MSIE)
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Pour aller plus loin
IAEA Circulaires d’information concernant le rejet des eaux usées de Fukushima