Depuis quelques années déjà ces puissantes entreprises numériques qui inquiètent par leur leur taille et leur accès aux données, sont au cœur d’une guerre informationnelle mondiale. D’un point de vue économique, les GAFAM sont devenues les plus grandes capitalisations boursières mondiales, à fin 2019 si on compare le PIB des différents pays de la planète et la valorisation boursière cumulée des GAFAM, cette dernière se plaçait en troisième position juste après les États-Unis et la Chine. Pris unitairement, Apple et Microsoft se plaçaient devant un pays comme l’Espagne, Amazon devant le Mexique, Google devant les Pays-Bas et Facebook devant la Pologne ou la Suède.
Sur le volet sociétal l’accès sans précédent aux données fait peser sur les GAFAM les soupçons de manipulation, de non-neutralité jusqu'à être accusés de mettre en danger la démocratie. Les particuliers et les organisations de leur côté s’inquiètent de plus en plus quant à l’exploitation des données et le respect de la vie privée.
Une offensive informationnelle en Europe sur fond de compagnes antitrust, de souveraineté et d'optimisation fiscales
Sur l’échiquier politique européen, l’enjeu de souveraineté numérique est au cœur des préoccupations, l’Europe a lancé l’initiative GAIA-X pour mettre en place sa propre infrastructure cloud et s’émanciper des géants Américains du numérique. La commission européenne de son côté travaille sur la réglementation des GAFAM afin empêcher les abus de position dominante en poussant à la mise en place d’un « Digital Services Act Package ». Sur l’aspect fiscal les GAFAM qui bénéficient d’avantages fiscaux accordés par certains pays européens désirant attirer les IDE, sont pointées du doigt et sont accusées de dumping social.
Avant le covid-19, Amazon en France était déjà sous les feux des critiques des pouvoirs publics et des syndicats
Numéro 1 du e-commerce en France avec 20 % de parts de marché en 2019 et un chiffre d’affaires avoisinant les 7,3 milliards d’euros, Amazon est accusé d'échapper aux impôts, grâce à un montage financier tout à fait légal qui aboutit au Delaware aux USA. Pour ce faire Amazon France est structurée en 8 entreprises toutes rattachées à l’entité Luxembourgeoise Amazon services Europe elle-même rattachée à l’entité du Delaware. En 2019 pour la première fois Amazon joue la transparence et communique les chiffres de sa participation aux recettes fiscales françaises en mettant en avant les investissements consentis depuis 2010 et les emplois créés. En juillet 2019 le Parlement français a voté la taxe GAFA malgré les menaces de représailles américaines de l’administration Trump.
Sur le volet sociétal, les tensions entre la direction générale en France et les syndicats durent depuis un certain temps, un préavis de grève à durée indéterminée cours depuis plusieurs années concernant les disposition de la convention collective dans la continuité de la guerre entre Amazon et les syndicats , comme le montre la fuite d’une vidéo interne qui explique aux cadres d’Amazon comment prévenir et enrayer la création de ces derniers..
Pendant le premier confinement la polémique a porté sur le volet sanitaire
Comme partout dans le monde, la crise sanitaire du Covid19 a ralenti l’économie française, et a conduit à la fermeture d’un nombre important de points physiques, mais a dopé le marché du commerce en ligne, une augmentation estimée à 46 % entre avril et Juin 2020 pour les produits grand public selon la Fédération française de l'e-commerce. Dès le début du premier confinement les syndicats accusent Amazon de négligences, dénoncent les insuffisances des mesures prises par Amazon, évoquent les risques auxquels sont exposés les salariés, et revendiquent l’arrêt du travail. Ils accusent également Amazon de mentir sur le contenu des livraisons, censées ne contenir que des produits prioritaires.
Attaquée en justice par l’Union Syndicale solidaire soutenue par l’association les Amis de la Terre, Amazon est contrainte par le tribunal de Nanterre à restreindre ses activités et de ne livrer que les produits essentiels en attendant d’évaluer les risques sous peine d’amende par jour de retard et par infraction. En réponse à cette action syndicale Amazon a fermé ses sites français en avançant les risques financiers encourus au vu de la complexité de son activité mais a continué à livrer ses clients à partir des autres sites européens.Bien que satisfaits de la fermeture temporaire des sites à l’initiative d’Amazon, les syndicats voient dans la réaction d’Amazon au jugement un message d'avertissement adressé aux pouvoirs publics.
Pendant le second confinement la destruction des petits commerces est au cœur de la campagne anti-Amazon
Intermarché affiche sa solidarité avec les petits commerçants en créant un drive solidaire et lance une campagne de publicité dans les radios et les quotidiens intitulée “Désolé Amazon” et reprise par des blogs spécialisés comme je bosse dans la grande distribution communauté francophone des professionnels de la grande distribution. A l’approche du Black Friday prévu fin novembre, les commerçants considèrent subir une concurrence déloyale et appellent à l’annulation de l’événement pour 2020, à ce titre plusieurs fédération de commerçants s’associent à l’appel adressé au gouvernement.
En réponse, le gouvernement via le ministre de l’Économie Bruno Lemaire a promis d’aider les commerçants à se digitaliser, et a demandé aux plateformes de e-commerce de suspendre les campagnes publicitaires. Amazon qui pendant le mois d'octobre a lancé sa promotion annuelle “Amazon Prime days” censée se dérouler initialement en Juillet, accepte de suspendre sa campagne publicitaire et de décaler la date du Black Friday après la réouverture des magasin, le jour de l’événement les clients sont accueillis par un encart « Soutenons les entreprises Françaises » avec à l’honneur les produits et les partenaires Français.
A l’approche de Noël, un collectif composé de personnalités politiques et du monde de la culture, des fédérations professionnelles, des associations a lancé une pétition Noël Sans Amazon publiée sur la plateforme WeSignit, plaident pour privilégier le recours aux commerces de proximité pour les cadeaux de Noël. Au même moment sur les réseaux sociaux l’Hashtag #NoelSansAmazon est lancé, parmi les comptes actifs nous retrouvons des groupes d’actions comme Action climat Paris, ANV-COP21 Marseille, des associations comme Greenpeace France, les amis de la Terre et des acteurs du développement durable.
Quelques jours après le lancement de la pétition le site était hors service après avoir subi une cyberattaque , Amazon a été accusé d’être derrière cette attaque. Les membres du gouvernement sont également montés au créneau, à l’instar du premier ministre Jean Castex qui incite à « retarder les achats plutôt que de commander sur un site étranger », la ministre de la Culture Roselyne Bachelot qui défend les libraires, annonce des mesures en leur faveur et encourage les français à acheter leurs livres par le biais du "click and collect", ou par voie postale, elle s’attaque par la même occasion à Amazon, "Amazon se gave, à nous de ne pas les gaver", avait-elle dit sur LCI.
Pour faire face aux attaques, Amazon a axé sa réponse sur la réputation en communiquant sur ses actions en faveur de la protection des salariés, de soutien aux populations locales et de lutte contre l’épidémie. Dans les différents communiqués l’entreprise met en avant la création d’emplois, ses engagements en faveur de la diversité et de l'égalité des chances dans le recrutement et de l'insertion des jeunes des quartiers prioritaires.
Sur les réseaux sociaux une stratégie de Storytelling a été déployée via des salariés ambassadeurs qui vantent les mérites de leur entreprise et qui répondent aux détracteurs afin de désamorcer les polémiques. Amazon a également accordé dans sa réponse une place privilégiée aux besoins des petits commerçants en mettant en avant son accélérateur numérique qui accorde des avantages aux petits commerces afin d'accélérer leur digitalisation via sa plateforme, ainsi que la création d’un site de formation en ligne gratuit pour aider les petits commerces à vendre sur Internet.
Sur les médias le président d’Amazon France minimise les bénéfices de la crise se défend d’être le grand gagnant, affiche une position solidaire avec les petits commerçants, communique d’une manière transparente sur les taxes à venir et rappelle que son Marketplace est également une opportunité pour les petites entreprises qui bénéficient de visibilité grâce à la plateforme.
Amazon de plus en plus puissant en France
Les accusations d'évasion fiscale, de destruction des commerces de proximité n’ont pas affecté la fréquentation du site e-commerce d’Amazon en France, puisqu'au au dernier trimestre 2020 ce dernier arrive en tête des sites e-commerce les plus visités. La campagne anti-Amazon menée avant les fêtes n’a pas eu d’effets économiques, le Black Friday a battu des records malgré la polémique et la fronde des commerçants, Amazon prévoit un chiffre d’affaires record en France pour 2020.
Les conflits permanents avec les syndicats, la taxe GAFA prévue en 2020 n’ont pas affecté la position dominante d’Amazon et ses ambitions dans le secteur du e-commerce dans l’hexagone puisque ce dernier prévoit de recruter 3000 personnes en 2021 et d’ouvrir de nouveaux sites.
D’un point de vue économique la crise a renforcé la position dominante d’Amazon en France malgré les polémiques et les appels au boycott. Actuellement la menace provient de l’échiquier politique européen puisque la commission européenne s’apprête dans ce cadre à ouvrir une enquête pour position dominante à l’encontre d’Amazon en France et en Allemagne.
Mohamed-Ali Razgallah
Auditeur de la 36ème promotion MSIE