Au sortir de la seconde guerre mondiale, la France entamait sa 3ème révolution agricole dans une optique de reconstruire et nourrir sa population. C’était la naissance du système alimentaire industrialisé qui voyait les rendements agricoles exploser (En France, entre 1950 et 2000, les rendements annuels moyens du blé passent de 10 quintaux par hectare à 70).
Néanmoins dans les années 60 apparait une contestation de ce modèle de développement agricole par certains producteurs qui aspirent à une agriculture plus « naturelle ». Cette contestation sera portée par des associations des mouvements associatifs d’agriculteurs et de consommateurs, notamment l’association Nature et Progrès qui est une pionnière de l’agriculture biologique en France. Elle sera à l’origine en 1972 des premiers cahiers des charges privés définissant les pratiques d'agriculture écologique. Les différents acteurs seront progressivement organisés en associations professionnelles, comme la FNAB (Fédération Nationale de l'Agriculture Biologique) qui a été fondée à la fin des années 1970.
Le bio comme modèle de l'alimentation saine
Dans le cadre de la loi d'orientation agricole de juillet 1980, le secteur public reconnaît l'existence d'une « agriculture sans utilisation de produits chimiques ou de pesticides de synthèse ». En mars 1985, ce système d'agriculture alternative est officiellement baptisé « agriculture biologique », ce qui permet l'homologation d'un cahier des charges au niveau national, et cette même année apparaît le logo AB, Il permet aux consommateurs d’identifier des produits 100% bio ou contenant au moins 95% de produits agricoles bio dans le cas des produits transformés.
Le mouvement se poursuit avec l'adoption, par étapes, le 24 juin 1991, d'un règlement européen reprenant les principes et définitions des textes juridiques français et leur application d'abord aux productions végétales et, à partir du 24 août 2000, aux productions animales. L'agriculture biologique est définitivement définie et reconnue dans toute l'Europe, les échanges sont facilités et les consommateurs sont rassurés grâce à l'harmonisation des informations sur l'étiquette, le fameux label “eurofeuille” : qui existe depuis 2010, certifiant que le produit est conforme au règlement sur l’agriculture biologique de l’Union Européenne. Valable dans toute l’UE, il est géré en France par le ministère de l’Agriculture, à travers l’Agence Bio et l’INOA (Institut National de l’Origine et de la Qualité).
Précurseur dans le domaine de l’agriculture biologique, la France est devenue leader européen en agriculture biologique en 2021, avec 2,8 millions d’hectares qui lui sont consacrés. Selon l’agence bio, aujourd’hui en France 58 431 exploitations sont engagées en bio sur 416 000 soit 14% des exploitations agricoles.
Le label AB érigé est désormais érigé en référence dans l’inconscient des consommateurs. Sa simple vue sur les produits bio en rayon est la garantie d’une alimentation saine et renvoie à une image d’Epinal : la ferme avec ses vaches, ses poules et ses plants maraîchers.
L'arrivée des labels challengers - HVE
Les étiquettes (liste d’ingrédients, labels, mentions, etc.) restent pour les consommateurs le canal principal d’information sur les produits qu’ils achètent. Or ces labels, s’ils tendent à renforcer l’attrait et la confiance des consommateurs, les incitent également à une moindre sensibilité au prix et à un consentement à payer (CAP) supérieur.
C’est pourquoi ces dernières années, les consommateurs ont vu fleurir de nombreux labels sur les étals (« Agri Confiance », « zéro résidu de pesticides », « sans additifs », « équitables », « bienvenue à la ferme »…) qui s’approprient les codes du label bio. Parmi cette variété de labels, celui de la Haute Valeur Environnementale (HVE) se multiplie dans nos boutiques : en forme de fleur et de couleur ocre, il affiche un champ bucolique baigné de soleil où virevolte un petit papillon. De quoi capter le client éco-exigeant.
Alors qui est derrière le HVE ? Issu de la réflexion du grenelle de l’environnement 2007, la certification HVE est officiellement lancée en 2011 sous l’égide du ministère de l’agriculture pour valoriser les efforts d’exploitants qui décident de s’engager dans des pratiques plus durables. A l’époque, même les organisations écologistes comme France nature environnement (FNE) sont convaincues par le projet. Le label est officiellement lancé en 2012 et, à partir de 2016, les agriculteurs peuvent afficher le logo sur leurs produits dès lors qu’ils respectent le cahier des charges élaboré par la Commission nationale de la certification environnementale (CNCE). Ce label est soutenu par des associations ou journalistes proches de l’industrie phytosanitaire, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ou encore de grandes coopératives agricoles.
Plutôt que d’attaquer frontalement le bio, la stratégie du HVE est de vendre un positionnement de chainon manquant voire de levier pour la transition agroécologique entre l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique. En effet, la certification HVE peut être obtenue via une notation sur quatre indicateurs que sont la biodiversité, l’irrigation, la fertilisation et les phytosanitaires (l’usage des pesticides à la différence du bio n’est pas interdit mais réduit).
Par ailleurs le HVE, arrivé plus tardivement que le bio, surfe astucieusement sur les codes linguistiques dans l’air du temps tel que « attentes sociétales et sociales » ou « inclusivité ». Par exemple le HVE mettra en exergue qu’il encourage la défense de la rémunération du producteur, la saisonnalité, la proximité des produits, ou encore la présence de biodiversité sur l’exploitation via l’installation de petites ruches ou de haies.
L’autre attaque informationnelle par les défenseurs du HVE contre le bio concerne le prix plus bas des produits HVE : « le HVE garantit un respect total de l’environnement, sans le dogmatisme anti-pesticides de synthèse version Coquelicots […] et sans les prix astronomiques du bio sur nos étals» s’amuse le site alerte-environnement pro phytosanitaire. Dans le secteur de la grande distribution très sensible sur les prix, le HVE rencontre un franc succès, poussé notamment par le groupe Les Mousquetaires via sa filiale Agromousquetaires depuis 2019. Le HVE est vendu comme moins « élitiste » pour séduire les consommateurs plus modestes mais soucieux de l’environnement et remplace progressivement les produits bio plus chers (jusqu’à 80 % plus élevés que ceux issus de l’agriculture conventionnelle).
L'offensive du bio contre le HVE
Alors que le HVE explose (passé de 1500 exploitations agricoles certifiées en 2019 à 25000 en 2022) et se substitue au label AB dans les rayons des supermarchés, le bio est logiquement en net déclin : -7,4% de ventes en grandes surfaces en 2022 et jusqu’à -12% de ventes pour les enseignes spécialisées.
Les forces à l’offensive pour le bio se composent d’associations de défense de l’environnement (confédération paysanne, Greenpeace, générations futures), Synabio (Syndicat de l’agroalimentaire bio) ou encore la FNAB. Ils décrivent le label HVE comme « un cheval de Troie du greenwashing » soutenu par les milieux de l’agriculture intensive. Ils s’appuient notamment sur une note de l’Office français de la biodiversité (OFB) de 2020 qui juge le HVE, dans la grande majorité des cas, sans aucun bénéfice environnemental ou encore sur les conclusions de la Cour des comptes en octobre 2021 jugeant la certification HVE « en réalité peu exigeante en matière environnementale »
Ils pourront compter sur des parlementaires proches des mouvements écologistes tels que le Sénateur Labbé qui effectue une lobby pour durcir les règles d’attribution du HVE ou le député Loïc Prud’homme qui qualifie le HVE de « faux label ».
Les défenseurs du bio reprochent au HVE de jouer sur l’ambiguïté et de générer un brouillard informationnel pour les consommateurs : le nom et le logo du label conduisent vers un imaginaire positif qui leur donne confiance. Ils s’appuient par exemple sur une enquête Interfel de 2022 où il ressort que « 55% des personnes interrogées croient que le label HVE est soumis à un cahier des charges strict ».
Alors que Julien Denormandie, alors ministre de l’agriculture en mai 2021 lors des débats sur la prochaine politique agricole commune (PAC), avertissait que la guerre fratricide entre le HVE et le bio n’avait aucun sens, le conflit s’envenime en janvier 2023 et déborde sur le terrain de la justice. En effet, le 23 janvier, réunies en collectif, des associations de consommateurs, de défense de l’environnement et de la santé, d’agriculteurs et d’entreprises biologiques, ont saisi le Conseil d’État contre « la tromperie » du HVE.
L'enjeu des aides publiques
La polémique entre le bio et le HVE est aussi grandement encouragée par la chasse aux subventions. En effet, alors que l’exploitant bio bénéficiait exclusivement d’un crédit d’impôt, celui en HVE peut désormais en bénéficier, accusé au passage par ses détracteurs de « capter des financements publics destinés à la transition écologique, sans y contribuer ». Les parlementaires en soutien du bio arriveront à faire voter une revalorisation de ce crédit d’impôt à 4500€ à partir du 1er janvier 2023.
Du côté de la politique agricole commune (PAC), même affrontement pour l’obtention de subventions de l’eco-régime, destinées à transition agro-écologique pour l’exercice 2023 à 2027. Alors que la déclinaison française dans sa première version dévoilée en 2021 prévoyait de subventionner au même niveau le bio et le HVE, elle provoquera une attaque en règle du lobby bio et elle sera même pointée du doigt par la Commission européenne. Il faut dire qu’on parle d’une enveloppe budgétaire comprise entre 1,3 et 2 milliards d’euros par an.
Marc Fesneau, le nouveau ministre de l’agriculture présentera le 1er juillet 2022 les derniers arbitrages de la déclinaison française où il sera proposé de rehausser les aides de l’éco-régime pour les exploitations en agriculture biologique, en « créant un niveau spécifique » (110€ /hectare contre 82€/hectare pour le HVE)
Autre sujet de discorde, la loi EGALIM. Votée en 2018, elle impose que 50 % des 3,7 milliards de repas servis en collectivité par an doivent être attribués aux labels considérés comme « durables ». Les soutiens du HVE dépeindront le bio comme « avide » et voulant s’approprier « sans partage » la manne de la restauration collective, menant une guerre contre le HVE bien éloignée des considérations écologiques ou sanitaires.
Le secteur viticole comme terrain d'affrontement principal
Les viticulteurs ont été historiquement les premiers à s’engager dans le HVE qui représentaient 69% des exploitations certifiées HVE en 2022. Le lobby du vin soutient activement le HVE. D’ailleurs l’association pour la défense du label HVE est lancée en 2018 par l’association des vignerons indépendants.
Une bataille a lieu actuellement dans le Bordelais. Elle met en scène une activiste anti-pesticides, Valérie Murat contre les vins bordelais. Sa stratégie est une posture du faible contre le fort : les petits contre « la grande bourgeoisie viticole bordelaise ». Mme Murat avec son association Alerte aux toxiques, a été condamnée en 2021 pour dénigrement après avoir publié des analyses attestant de la présence de résidus de pesticides chimiques dans 22 bouteilles de vin labélisées HVE. Mme Murat cherche à réunir les 125000€ nécessaires pour faire appel. Elle présente son action comme sacrificielle : « Le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux cherche à m’asphyxier et à faire de moi un martyr, ils n’y parviendront pas. Elle a en outre une histoire personnelle tragique car son père, lui-même vigneron, est décédé d’un cancer causé par l’usage de pesticides.
La réponse du côté des vins bordelais HVE, c’est de véhiculer un statut de boucs-émissaires des difficultés du bio et de dénoncer du « Bordeaux bashing ». D’ailleurs leur réplique judiciaire face à Mme Murat portera sur l’atteinte à l’image des vins bordelais.
Irréconciliables pour les uns, complémentaires pour d’autres, les labels AB et HVE ne sont pas prêts d’enterrer la hache de guerre, laissant au milieu les consommateurs décider peut être l’issue de ce conflit.
Pierre-Emmanuel Massieux
auditeur de la 41ème promotion MSIE